Romain Koller est un journaliste indépendant, qui a roulé sa bosse aux quatre coins de la Planète. Il connaît comme sa poche les conflits qui déchirent notre pauvre Terre. Il a depuis longtemps pris fait et cause pour les chrétiens d’Orient et propose ici une vision extrêmement stimulante des enjeux de ce conflit mondial d'Alep.
Entretien avec Romain Koller
Pourquoi la prise d'Alep vous paraît-elle tellement importante ? Vous donnez à cette ville une étrange grandeur symbolique ?
L'histoire d'Alep est quadri-millénaire. C’est la plus vieille ville existante habitée au monde depuis les Sumériens. C'est d'ailleurs un point commun avec Mossoul, autre ville conquise par les djihadistes, moins ancienne, mais qui nous fait remonter à l'antique Ninive. Allep aujourd'hui reste le centre industriel et commercial de la Syrie, qui était, rappelons-le, avant la Guerre, un pays économiquement autonome. Il y avait en particulier autour d’Alep un véritable grenier à céréales, avec de grosses industries agro-alimentaires. La Ville n'a pas suivi le fameux « printemps arabe» qui commence en Syrie en mars 2011.
Quelles sont les conséquences du Printemps arabe à Alep ?
Le paradoxe est qu'au départ, cette ville allait tant en souffrir, a pas suivi le ux « Printemps arabe », qui commence Syrie en mars 2011. On sait que ce nom « printemps arabe » est un nom générique a resservi dans d'autres pays, qui a été enté de toutes pièces pour offrir à des événements sanglants un habit d'honorabilité démocratique. À Alep, dont, peu de traces du printemps arabe et aucun soulèvement avant la conquête de la partie Est de la ville par Al Qaïda. Mais en mai 2012, avec Al Qaïda au pouvoir, c'est le chaos dans Alep Est. Les djihadistes ont obligé 1,5 million de personnes à quitter Alep Est, pour aller là où le gouvernement syrien pouvait les accueillir. Ceux qui restaient étaient des habitants qui n'avaient pas pu s'enfuir ou qui nourrissaient des sympathies pour le Califat, en opposition au Parti Baas, au pouvoir en Syrie et qui était plutôt nationaliste. Il y avait des frictions dans la Syrie des Assad, mais plutôt socio-économiques que confessionnelles, avec en particulier un vrai problème de certaines régions rurales. Ces gens avaient subi une météo très sèche, avec des ruptures alimentaires. On doit reconnaître une petite adhésion au Califat en raison de problèmes de pauvreté. Mais les chiffres sont éloquents à Alep Est, 250 000 personnes sont restées, pour 1,5 million qui sont parties.
Cela fait donc une masse de 250 000 personnes en faveur du Califat ?
Non parce que très vite, ces gens ont vu des assassins au nom de la charia, qui violaient leurs filles à 9 ans, parce que Mahomet « le beau modèle » en avait fait autant avec Aïcha. En quatre ans de siège, avec le pilonnage de la Parti Est, ces gens ont fini par haïr le Califat. Les médias ne se sont réveillées que quand effectivement les Syriens ont commencé leur reconquête. S'ils se sont alarmés pour les personnes d'Alep, cela a été pour protéger les djihadistes, en oubliant que côté ouest, à coup de tirs de mortiers, de snipers ou de roquettes, ces djihadistes ont fait 11 000 victimes civiles. Les médias vous parlent de la chute d'Alep. De quoi s'agit-il en réalité ? Juste de faire sortir ces terroristes (parmi lesquels entre 40 000 et 60 000 étrangers, venus du monde entier, Chine, Arabie Saoudite, Tunisie, Maghreb, Caucase, France) d'une zone stratégique du conflit syrien, qui permette ensuite à l'État syrien de contrôler et de couper au besoin les lignes de ravitaillement quand elles servent au Djihad.
Aujourd'hui, donc, les manoeuvres ,des djihadistes à Alep Est commencent à ressortir ?
Effectivement, on apprend ce qui s'est vraiment passé derrière là ligne de démarcation pendant quatre ans, entre 2012 et 2016 ce que l'on a découvert ? 30 % des civils tués qui servaient de boucliers humains. Ces djihadistes sont décidément de grands humanistes On est tombé aussi sur des charniers dans lesquels on a découvert des centaines de soldats de l'armée syrienne, tués souvent après avoir été torturés. Et puis beaucoup d'habitants qui tentaient de fuir sont morts en explosant sur les mines qu'aujourd'hui les forces spéciales russes neutralisent une à une. Mais ce n'est pas tout ! On a aussi dévoilé quelques pseudo-journalistes, faisant partie du Renseignement américain, tout en exerçant le métier de terroriste au service d'Al Qaïda. Je citerai le cas d'un afro-américain, Billal Abdoul Karim, dont la double allégeance, à son pays et aux Djihadistes a défrayé la chronique. Il y en a beaucoup d'autres, et pas seulement des Américains. Il y a des conseillers militaires saoudiens, qataris, français, israéliens etc. D'où l'insistance des Américains sur la nécessité de corridors humanitaires, qui permettent d'évacuer leurs agents en douceur. La négociation a eu lieu entre Kerry et Lavrov. À Alep Est, un bunker avec des forces spéciales de la Coalition et des experts militaires américains, français ou anglais, avait été détruit par l'aviation russe. Et il y a quelques jours, Bachar Al-Jaafari, l'ambassadeur syrien auprès des Nations Unies, vient de transmettre à l'ONU une liste nominative d'experts occidentaux qui sont tombés entre les mains des services Syriens. Et ce n'est pas tout les forces syriennes se sont emparées d'entrepôts pleins d'armes explosives, provenant clairement des stocks de l'OTAN. Ces armes étaient destinées aux Djihad mondial. Elles pouvaient servir contre les populations occidentales. Le député syrien Farès Shehabi a parlé à ce propos d'un véritable « Syriagate ». On pourrait aussi dire qu'il yak matière d'un OTANgate.
Les populations doivent être tétanisées par une telle barbarie ?
Non, les Alépins se mobilisent magnifiquement et immédiatement pour la reconstruction. Ils reçoivent aussi des tonnes de nourriture, non pas en provenance des pays occidentaux, étrangement muets, mais de l'Iran et de la Russie.
Cette délivrance d'Alep, que vous décrivez avec éloquence, doit avoir des conséquences géopolitiques très importantes ?
La reprise d'Alep a une importance mondiale. Elle montre ce que l'on doit appeler la maestria du Président russe Vladimir Poutine. La reprise d'Alep ne l’a pas pris au dépourvu, elle a été précédée d'intenses mouvements diplomatiques, qui ont mené à l'accord du 20 décembre entre la Turquie, l'Iran et la Russie, excluant en pratique les États-Unis de la solution du Conflit régional. En guise de représailles, l'administration Obama n'a rien trouvé de mieux que de chasser 34 diplomates russes, accusés d'avoir fomenté par internet la défaite électorale du camp Démocrate. Poutine a gardé le plus grand flegme, sans céder à la tentation de rétorsions visibles. Il avait montré le même flegme, l’an dernier, souvenez-vous, lorsqu'un avion russe avait été descendu traîtreusement par un pilote turc, agissant sur ordres. Les nerfs de Poutine n'avaient pas flanché, il ne prit que des sanctions économiques... en attendant la suite. Il avait compris très tôt que l'alliance américano-turque était faible et gangrenée par le soutien inconditionnel que les Américains apportaient aux peshmergas kurdes, dont ils ont besoin, aujourd'hui, pour reconquérir Mossoul. L'Oncle Tom avait sans doute aussi pris ombrage de la puissance de Erdogan, nouveau sultan... En 2016, Erdogan a connu quatre tentatives d'assassinat, dont la dernière, en juillet 2016, bien connue sous le nom de « coup d'État des gullénistes » est semble-t-il un coup foireux des services américains, coup prévenu par Poutine, qui a donc... sauvé la vie de son ennemi, en l'avertissant pour lui laisser le temps de se carapater. C'est ce « fier service » qui expliquerait le coup de théâtre d'octobre 2016 la Turquie et la Russie que tout aurait dû éloigner l'une de l'autre, depuis la destruction de l'avion russe, annoncent au monde étonné leur alliance, sur une base avant tout économique. La corbeille de noces est bien garnie : d'un côté, les Russes s'engagent à construire la première centrale nucléaire turque, de l'autre la Turquie accepte de faire passer sur son territoire le fameux gazoduc, qui intéresse non seulement la Russie mais le Qatar et l'Arabie séoudite. Après y avoir mis le prix, Poutine s'est rendu à Ankara, pour signer aussi une alliance stratégique avec la Turquie contre le djihadisme et pour une paix négociée au Proche-Orient. Le changement de cap d'Erdogan est patent. Il est salué par plusieurs attentats en Turquie, fomentés par l'Etat islamique, dont le dernier, pour le Premier de l'an à l'intérieur de la Boîte de nuit RENA à Istanbul. L'assassinat de l'ambassadeur de Russie en Turquie montre aussi combien cette alliance nouvelle gêne en vérité beaucoup de monde.
Concrètement, cela nous mène où ?
Le 20 décembre, les ministres des affaires étrangères russes, turcs et iraniens se sont réunis à Moscou pour mettre au point un cessez le feu en Syrie. Tous les groupes armés ont été d'accord pour appliquer ce cessez le feu dont sont exclus seulement l'État islamique et les groupes affidés à Al Qaïda (Al Nosra).
Le 31 décembre, par la résolution 2336, le Conseil de sécurité a entériné ces négociations, ce qui confirme le rôle désormais moteur de la Russie au service de la fin des hostilités.
Les pourparlers de Genève s'effacent pour le moment, le centre de gravité de la diplomatie mondiale s'est déplacé en Asie, sous l'égide de là Russie et les États-Unis d'Obama n'ont plus d'emprise sur ce processus. Le but évident de ces manœuvres est d'affaiblir Donald Trump en le présentant comme un agent russe. Il s'agit aussi, avant la passation de pouvoir de mobiliser la CIA et le Pentagone contre la Russie. Au moment où nous parlons, les États-Unis envoient 1 200 hommes dans les pays baltes pour des manœuvres militaires aux frontières de la Russie.
Mais de toute façon, la Russie le 20 janvier prochain jour de la prise de fonction de Donald Trump aux États-Unis, ce n'est pas un hasard) réunit autour d'une table la Turquie, l'Iran, la Syrie et les rebelles qui ne sont ni Al Qaïda ni ISIS. Cela se passe non pas à Moscou mais à Astana, au Kazakhstan.
La route est sans encombre ?
Pas exactement. Des groupes contrôlés par Al Qaïda et cornaqués par la Grande Bretagne, ont privé d'eau cinq millions de Damascènes, en versant du mazout dans les sources dans la vallée de Wardi Barada, à une quinzaine de kilomètres de Damas, ou tout simplement en les faisant sauter. 3 000 djihadistes s'y sont regroupés pour combattre l'armée syrienne. Ils viennent de faire la même opération à Alep sur le traitement de l'eau venant de l'Euphrate. Résultat ? L'armée syrienne a dû s'y coller et les instances internationales ont constaté que le cessez le feu n’était pas observé... En outre, les Américains viennent de livrer aux rebelles des Manpads (missile sol-air dangereux pour les hélicoptères russes) et des tow (missiles sol-sol) anti-chars. Barack Obama, n'ayant rien à perdre, a annoncé publiquement cette double livraison.
Les Américains sont les grands perdante pour l'instant ?
Ils sont inquiets que le monde n’apprenne l'ampleur de leurs manœuvres. Raison pour laquelle ils viennent d'éliminer, par drones, deux chefs, d'Al Nostra, qui en savaient trop. Ils s'ingénient à mettre la pression sur les groupes rebelles, pour empêcher la réunion prévue le 20 janvier à Astana. Mais le calendrier reste favorable à Poutine, l'administration Obama vivant ses derniers jours. Il y a 20 ans, la Russie de Eltsine était devenue un non-Etat entre les mains des Américains. Aujourd'hui, la Russie revient en Syrie comme protectrice des chrétiens d'Orient. Mais les patriotes américains ont bien compris que Vladimir Poutine était en réalité le défenseur de l'Occident sur beaucoup de sujets moraux et spirituels.
Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoûarn monde&vie 12 janvier 2017