Guillaume Bernard sur Aleteia :
"[...] La stratégie des ténors de LR est très étonnante. Puisqu’ils déclarent chercher à gagner les législatives pour imposer une cohabitation au chef de l’État, pourquoi ont-ils choisi de soutenir (avec un empressement qui a choqué nombre de leurs partisans) l’un des deux finalistes de la présidentielle ? C’était dire implicitement qu’ils sont plus proches de l’un que de l’autre (alors que, sur ce point, la moitié de leur électorat ne partage pas leur position). En outre, quelle sera la crédibilité des candidats de ce parti quand ils affronteront les représentants d’Emmanuel Macron qu’ils ont contribué à faire élire ? En fait, LR est un parti profondément écartelé dont l’unité n’a, jusqu’à présent, été maintenu que par l’exercice ou l’espérance du pouvoir.
Quelle leçon tirer désormais du ralliement de Sens commun à François Fillon ? Etait-ce la meilleure opération à faire ?
Quant à Sens commun (sujet qui me navre très sincèrement), il y a évidemment eu de la naïveté à croire possible de changer un parti politique (LR) sans en prendre le contrôle. Les contraintes partisanes (comme les investitures pour les élections) sont telles que c’est le plus souvent le parti qui formate ses membres et non l’inverse. Que sont devenus les trotskistes ayant fait de l’entrisme au Parti socialiste parce qu’ils ne pouvaient entrer au Parti communiste stalinien ? « Au mieux », des sociaux-démocrates…
En outre, alors que la grande force de la Manif pour tous (LMPT) a été d’être un mouvement trans-partisan, je suis au regret de dire que sa dynamique a été freinée et son unité brisée par la création de Sens commun. LMPT aurait pu être l’un des instruments de l’explosion des partis et de la recomposition de l’ensemble de la droite (FN compris) selon des critères doctrinaux clairs. Au lieu de cela, la direction de Sens commun est entrée dans des stratégies et combinaisons politiciennes. Les concepteurs de ce mouvement ont terriblement manqué d’imagination. Il y a cependant fort à parier que les militants de Sens commun auront rapidement à cœur de participer à la recomposition de la droite qui se fera sous la pression de ce que j’ai proposé d’appeler le « mouvement dextrogyre ».
Enfin, il n’est pas inutile de noter que la ligne libérale-conservatrice de Sens commun était doctrinalement incohérente (même si l’on comprend bien qu’il s’agit de ratisser électoralement le plus largement possible). Cet attelage peut, à première vue, séduire : le libéralisme pour l’économie (libérer les forces et les initiatives), le conservatisme pour le sociétal (maintenir les liens traditionnels dans la société). Mais, la doctrine libérale ne se résume pas à une dénonciation d’une trop forte (et très réelle) fiscalité (il n’est d’ailleurs nullement nécessaire d’être libéral pour partager une telle position). Le libéralisme repose sur une approche subjectiviste (il n’existe pas de valeur en soi mais uniquement par la rencontre de volontés) qui, inexorablement, détruit toute tradition. L’incompatibilité entre le libéralisme et le conservatisme peut d’ailleurs être électoralement illustrée : une moitié de l’électorat de François Fillon s’est reportée sur Emmanuel Macron tandis l’autre s’y est refusée soit en votant pour Marine Le Pen (24 %) soit en se réfugiant dans l’abstention ou le vote blanc (26 %).
Les catholiques semblent en tout cas en incapacité de « penser le politique » selon ses propres règles. La confusion entre l’ordre de la morale et l’ordre de la res publica est fréquente. Nous faut-il relire saint Thomas d’Aquin ?
Vous mettez le doigt sur un problème crucial. Un certain nombre de catholiques sont portés vers l’augustinisme politique. Il n’est pas inutile de noter que cette tentation est partagée dans toutes les sensibilités liturgiques : il me semble, sans leur faire aucunement offense, qu’elle est le ressort commun des démarches de personnes pourtant aussi différentes qu’Erwan Le Morhedec ou Alain Escada.
L’augustinisme politique part de l’idée parfaitement catholique que la grâce (divine) surpasse la nature (humaine). Mais, il procède ensuite à une absorption du temporel par le spirituel sous prétexte que la finalité du second (le salut des âmes) est supérieure à celle du premier (le bien vivre). Cela induit de nombreuses conséquences : par exemple, la vertu de justice (avoir une conduite qui plaît à Dieu) rendrait inutile la réalisation de la justice rétributive (commutant ou distribuant les droits). La loi morale (qui dicte les conduites) remplace alors le droit naturel (qui répartit les choses extérieures entre les personnes) alors que, distincts, ils convergent naturellement.
Or, la hiérarchie des domaines (supériorité du religieux sur le politique) n’implique pas la dé-légitimation du second. De même, chercher la justice particulière (répartir l’avoir) ne détourne pas de la justice générale (être juste). Mais, l’augustinisme politique en vient, quant à lui, à nier l’irréductibilité du politique (pourtant inscrite dans l’ordre cosmologique des choses) et, par voie de conséquences, de la nécessité d’attribuer à chacun selon son mérite : reconnaître à César ce qui lui revient serait superflu puisqu’il faut rendre prioritairement à Dieu ce qui lui est dû. Cette critique de l’augustinisme relève, vous l’avez bien compris, du thomisme. Pour celui-ci, l’existence de la patrie céleste ne fait pas disparaître la patrie terrestre, l’objectif (religieux) de la vertu ne détourne pas de la recherche (politique) du bien commun.
L’Église souhaite aller vers les périphéries à l’invitation pressante du pape François. Mais a-t-elle mesuré la souffrance de la France périphérique ? Entend-on assez les évêques sur ce sujet ? Selon le nouveau clivage entre « Anywheres » et « Somewheres » introduit par David Goodhart, n’est-il pas urgent de répondre à la soif de racines ? Qui cherche une incarnation spirituelle et… politique ? Il est à craindre qu’une partie non négligeable des prélats de l’Église soit comme le reste des élites : hors sol. Certains évêques ne semblent pas avoir pris la mesure de la crise identitaire qui frappe le pays. Elle est le fruit, d’une part, du déracinement (non-enseignement de l’histoire, standardisation des modes de vie) et, d’autre part, du multiculturalisme (non-assimilation des populations d’origine étrangère, communautarisation du lien social). Il y a là la perception d’une perte de contrôle de son destin. Ce n’est pas une hostilité envers autre que soi, mais une réaction de survie : le refus de ne plus être soi-même.
De ce point de vue, les catholiques sont directement concernés. Le « sursaut » identitaire d’un certain nombre d’entre eux (pas de tous) se traduit de deux manières : d’un côté, ils ont pris conscience qu’ils étaient devenus minoritaires (déracinement social du catholicisme) et qu’ils subissaient des agressions (venues en particulier de l’islamisme) et, de l’autre, ils sont plus fermes sur leurs valeurs et osent s’afficher (LMPT, marche pour la vie, pèlerinages dont celui de Chartres, etc.). Électoralement, cela se traduit notamment par une forte progression du vote catholique en faveur du FN, même s’il reste encore minoritaire (38 % au second tour de la présidentielle 2017). [...]"