Y a-t-il une théologie de l’écologie ? La question peut sembler frivole. Elle me paraît au contraire essentielle si l’on veut prendre la mesure de l’importance du problème écologique et des dimensions qu’il met en œuvre. C’est la création qui est en cause et la nature.
Le souci écologique fait ressurgir un très vieux concept qui remonte aux Grecs le concept de nature. Peut-on admettre que l'homme, au nom de son intelligence devienne le prédateur de la Nature ? Ne faut-il pas considérer que la nature, elle-même n'est pas parfaite, qu'elle est fragile, qu'elle peut, d'une manière ou d'une autre, nous lâcher, soit parce que ses ressources se sont épuisées, soit parce que l'homme l'empêche de fonctionner normalement. Certes la nature est pleine de ressources que nous ne connaissions pas et que nous découvrons, admiratifs, en rentrant dans l'ère digitale. Mais en même temps elle semble se dérober à nos yeux et laisser la place à une Planète entièrement humanisée et complètement déréglée. La question du réchauffement climatique nous renvoie à ce genre de considération.
Il ne faut pas seulement comparer la nature et l'homme, comme deux partenaires. L'homme lui-même, malgré son intelligence apparemment capable de tout, doit se reconnaître des limites. - Il est dans la nature et une nature est en lui, nature qui est comme une norme, lui rappelant que tout ce qui lui est possible ne lui est pas pour autant permis.
La Bible nous invite à méditer sur cette étrange puissance du mal qui est en nous. C'est en particulier l'histoire de Noé et du déluge, qui nous rappelle cette dimension normative de la nature. « Quand Dieu regardait la terre, ce n'était que corruption, car toute chair sur la terre avait une conduite corrompue ». N'est-ce pas le mot de l'homme d'aujourd'hui, quand il accepte de se voir tel qu'il est ? « Quant à moi, dit Dieu, je vais faire venir le déluge, l'inondation sur toute la terre pour détruire sous le ciel toute chair en qui se trouve un souffle dévie » (Gen. 6). Face à la puissance du mal, plusieurs fois rappelée, il semble que Dieu n'ait qu'un objectif sage détruire la terre pour supprimer ses habitants. Voilà l'antique crainte, dans laquelle l'écologie nous fait plonger de nouveau.
La première alliance
À cette crainte, Dieu avait voulu mettre un terme, comme pour montrer à Lucrèce et à ses émules qu'il n'acceptait pas de se laisser chercher seulement dans la crainte. C'est la première alliance, l'alliance dite noachique, celle conclue avec Noé après le déluge « Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l'homme. Tous les jours que durera la terre, semailles et moissons, froidures et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront pas ». Il y aura un ordre dans l'univers dont le signe est l'arc-en-ciel. « Dieu fait briller son soleil sur les justes et sur les méchants », comme parle le Christ. La première alliance entre Dieu et les hommes, c'est la terre, l'ordre qu'elle manifeste à travers la succession des jours et des nuits, la ressource intarissable qu'elle offre à l'homme. Et voilà que l'homme, dans une sorte de démesure, risque de briser cette première alliance.
Au nom de cette première alliance, tous les hommes, dans une sorte de foi naturelle, croyaient en Dieu et la foi était en quelque sorte le premier et le plus vrai des sentiments humains. C'est par cette foi, infuse en eux comme une première grâce, que les hommes pouvaient prétendre au salut, en s'extrayant de la corruption (Hébr. 11,6). On trouve dans l'Apocalypse, au chapitre 6, un texte parallèle : « Dieu ordonna aux quatre anges qui avaient pouvoir défaire du mal à la terre et à la mer : "Ne faites de mal ni à la terre, ni à la mer, ni aux arbres Jusqu'à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs de notre Dieu" ». Le temps du salut, celui où les serviteurs de Dieu sont marqués au front, est un temps de paix où les hommes jouiront paisiblement de la Création. On peut penser que quand le temps du salut sera arrivé à son terme, alors, Dieu ne sera plus tenu par son serment, l'alliance noachique cessera...
Il ne s'agit pas de jouer à se faire peur avec une fin des temps, au cours de laquelle, le Christ nous en a prévenu, « les puissances des deux seront ébranlées ». Mais il s'agit, hic et mmc, de concevoir notre existence non comme un dû, à propos duquel chacun serait en droit d'exiger toujours plus, mais comme un don immérité. La paix de la Création est une disposition divine qui a rapport au salut. Elle n'est pas un décret éternel d'une Nature majusculaire qui n'est qu'une illusion d'optique. Comme le dira Malebranche au début du XVIIIe siècle, « l'œuvre de Dieu est une œuvre négligée », qui n'a pas sa fin en elle-même. « Nous n'avons pas ici-bas de demeure permanente » dit saint Paul aux Hébreux. Dieu n'a pas fait la nature comme une mère éternelle au giron de laquelle nous pouvons nous suspendre, en faisant n'importe quoi. La première création est pour la seconde. « Nous sommes des citoyens des Cieux ». Malheur à nous si nous faisons de la nature une idole. Seule la foi dans l'Autre monde nous obtient la paix dans celui-ci. La non-foi, la foi trahie ou transformée en croyances humaines trop humaines nous entraîne dans des cataclysmes s'enchaînant les uns aux autres et dont nous n'avons simplement pas idée. Sans la foi en Dieu, jamais nous ne serons capables de donner à la nature le respect qui lui est dû comme œuvre de Dieu. Et alors ? Tout est possible, surtout le pire.
Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 26 juillet 2017