Le gouvernement italien, par la voix de son ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, refuse d’accueillir les bateaux transportant des migrants sur ses côtes. Analyse au micro de Boulevard Voltaire de Jean-Paul Gourévitch, spécialiste des migrations, auteur de l’ouvrage Les véritables enjeux des migrations.
Le nouveau gouvernement italien formé suite à la victoire de Matteo Salvini et du mouvement cinq Étoiles semble en passe d’appliquer ce pour quoi il a été élu, une politique migratoire avec une tolérance zéro.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il faut d’abord rappeler dans quel état le nouveau gouvernement italien a trouvé la situation des migrants.
L’Italie dépense chaque année environ 4,5 milliards pour les migrants en situation irrégulière, 170.000 de ces migrants sont dans des camps d’hébergement. Les expulsions n’ont concerné que 6500 personnes. On comprend donc très bien que le nouveau gouvernement italien veuille réagir face à cet état de fait.
J’analyse la position de Matteo Salvini comme une sorte de triple signal. C’est d’abord un signal envoyé aux migrants qui sont en Italie pour leur dire : « si vous restez, vous allez être renvoyés ».
C’est un deuxième signal envoyé aux migrants qui voudraient rejoindre l’Italie, ceux qui partent des côtes africaines et notamment des côtes libyennes, pour leur dire : »vous n’êtes pas les bienvenus en Italie ».
C’est un troisième signal envoyé au gouvernements de l’Union européenne pour leur dire : « Nous prenons nos responsabilités, à vous de prendre les vôtres ».
Seront-ils en mesure d’appliquer cette politique ?
C’est d’abord de la communication. Quelle est l’efficacité de ce discours ?
En ce qui concerne les migrants en Italie, ils vont aller dans un autre pays, notamment en France. Une des conséquences les plus importantes de ce type de discours sera le renforcement de la migration irrégulière vers la France. En France, il y a des associations toutes prêtes à les accueillir et une certaine bienveillance de la grande majorité des médias vis-à-vis des migrants irréguliers.
En revanche, l’effet est nul vis-à-vis de ceux qui quittent les côtes africaines. Ils n’empêcheront pas des migrants économiques de se dire que l’Europe est quand même deux fois moins peuplée et dix fois plus riche que leur pays et que par conséquent l’immigration est une chance pour eux.
Vis-à-vis des dirigeants européens, il y a un problème. L’Europe n’a pas de politique migratoire. Elle court toujours derrière l’événement. Elle n’anticipe pas. Les tentatives de contrôles aux frontières et les hotspots mis en place au Niger et au Tchad ne concernent pas les migrants économiques. Ils savent très bien que s’ils passent par les hotspots, ils n’auront pas de visas de séjour pour entrer en Europe.
On sait que l’Italie était la porte d’entrée des migrants venant par la Méditerranée via notamment la Sicile et Lampedusa.
Vont-ils désormais passer par l’Espagne qui a renversé son gouvernement conservateur au profit d’un gouvernement socialiste plus europhile ?
Il y a trois grandes routes migratoires.
La première que vous venez de citer est la route migratoire qui part de la Libye et parfois de la Tunisie pour aller vers la Sicile, Trapani ou vers Lampedusa. Visiblement, le gouvernement italien veut fermer cette route.
La deuxième route est celle qui part du Maroc pour aller vers l’Espagne, parfois par les Canaries, parfois par les Baléares et peut-être un jour par la France. Celle-là n’est pas fermée.
La troisième route est la route terrestre qui passe par la Turquie. La Turquie tente de contrôler ses flux migratoires, mais les considère comme un atout dans sa manche pour faire plier l’Union européenne. Les premiers passeurs se sont installés sur la Mer noire pour essayer de faire passer de la Turquie vers la Bulgarie ou la Roumanie un certain nombre de migrants en situation irrégulière dans des pays où il n’y a pas de contrôles réels aux frontières.
L’Italie a voté pour un gouvernement plutôt populiste, plutôt conservateur et eurosceptique et au même moment l’Espagne faisait le chemin inverse.
Cela traduit-il quelque chose en Europe ?
Non, je ne crois pas. Les deux élections dont vous parlez sont des élections à majorités faibles. Le gouvernement italien est un gouvernement bicéphale avec le mouvement cinq Étoiles d’un côté et la Ligue de l’autre. Ils ont néanmoins pris une position commune sur l’immigration. Luigi Di Maio a tout même parlé des « taxis de la mer ». Tout en étant situé nettement plus à gauche que la Ligue, on voit très bien qu’il veut lui aussi contenir l’immigration clandestine.
D’autre part, en Espagne, le gouvernement socialiste a pour l’instant une très faible majorité. Je ne pense pas que cela reflète véritablement l’opinion publique.
En revanche, tous les sondages montrent que l’opinion publique européenne a basculé depuis deux ou trois ans vers un rejet majoritaire des migrants, et notamment des migrants économiques, même si la position est plus souple vis-à-vis des réfugiés politiques.