Par Bernard Pascaud
La volonté de plus en plus nette des peuples européens à vouloir rester souverains et à préserver leurs identités constitue un désaveu cuisant à l’encontre des politiques migratoires voulues par l’Union européenne.
Celle-ci s’en trouve d’ailleurs de plus en plus divisée. Or ce qu’il est convenu d’appeler la crise migratoire trouve sa source dans la croyance en la mondialisation heureuse, laquelle suppose la suppression des frontières et la généralisation du libre-échange appliqué aux capitaux, aux marchandises et aux hommes. La mondialisation n’a pas rendu le monde plus harmonieux, elle l’a mis au service d’intérêts marchands et financiers avec tout le cynisme qui s'en suit. Appliqué aux flux de main-d’œuvre ce libéralisme migratoire ne conçoit les hommes qu’interchangeables et les sociétés que multiculturelles. Lorsqu’en 2015 la chancelière Merkel a opté pour un accueil massif de « réfugiés », elle ne faisait que répondre aux souhaits du patronat allemand de bénéficier d’une main‑d’œuvre bon marché d’hommes jeunes et aptes au travail en remplacement d’une population allemande déclinante et vieillissante.
Jouant de l’hypocrisie la plus consommée, cette politique migratoire de masse se farde de préoccupations humanitaires et de références à des « valeurs » dont il n’est justement pas palpable d’estimer ce qu’elles valent d’heureux. Elle bénéficie de soutiens considérables (tel celui du milliardaire George Soros) et de la fréquente complicité médiatique aimant jouer du registre compassionnel. L’affaire de l’Aquarius est ici archétypale. Elle a donné à penser que les « migrants » avaient été secourus en mer quand ils ont été embarqués paisiblement aux larges des côtes libyennes comme autrefois le faisaient les bateaux négriers. Ainsi les complices de passeurs clandestins font-ils figure de sauveurs. En réalité ils contribuent à encourager les départs, c’est-à-dire à favoriser la perte de forces vives pour les pays émetteurs de migrants. L’universitaire Stephen Smith, spécialiste des questions migratoires sur ce continent, n’hésite pas à dire que le premier acte du migrant n’est pas héroïque mais constitue plutôt un acte d’abandon, un défaitisme. De surcroît, explique-t-il, ce ne sont pas les personnes les plus pauvres qui partent, mais des représentants de la classe moyenne africaine aujourd’hui émergente. S’ils font le choix de partir vers l’Europe, c’est en raison du différentiel de niveau de vie entre les deux continents. Mais, eux partant, l’espérance pour les autres recule. « Les migrants tournent le dos à un continent en panne dont les insuffisances leur semblent irréparables à l’échelle d’une vie humaine. Ils se sauvent.(...) L’acte civique consisterait à retrousser les manches et à investir toute cette énergie qui est aujourd’hui mobilisée pour des départs individuels dans des efforts collectifs pour changer la face du continent. » (1). On invoque volontiers le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais bien peu le droit des peuples à pouvoir vivre dans leurs pays. Quoiqu’il en soit ces flux migratoires s’amplifieront, compte tenu de l’extrême jeunesse de la population africaine (40% de moins de 15 ans) et, par suite, de la forte croissance démographique qui en résultera dans les décennies à venir.
Ces réalités appellent les nations européennes à définir des politiques migratoires dignes de ce nom. C’est peut-être le plus grand défi auquel elles soient confrontées. Ni la peur, dont chacun sait qu’elle est mauvaise conseillère, ni la compassion, qui extrapole exagérément les cas particuliers en généralités, ne peuvent sainement les inspirer. Il faut savoir raison garder. S’il y a « crise » aujourd’hui dans les pays d’accueil comme la France, ce n’est point en raison des prétendues caractères racistes et xénophobes de leurs habitants ou de leur insensibilité aux détresses humaines. Affirmer cela est se borner à ne jamais rien résoudre et à exacerber les tensions. Le malaise procède du constat alarmant d’une forte présence de population immigrée peu ou pas assimilée (ne parle-t-on pas de « territoires perdus » ?), jointe à une pression toujours plus forte d’une immigration incontrôlée et d’une intégration en panne. La société s’en trouve mécaniquement déstabilisée sur les plans social, économique et culturel. Sans parler des questions sécuritaires. Les Français (comme d’autres peuples en Europe) ressentent combien est menacé le droit légitime d’un peuple à sauvegarder son identité culturelle et historique. Une nation est une triple référence à un territoire, à un peuple et à une culture. Or ces trois réalités structurantes ne semblent plus défendues en tant que telles. S’en réclamer est même jugé contraire à l’ordre moral en cours. N’est moralement licite que d’en appeler au cosmopolitisme, au multiculturalisme et à l'immigrassiez-vous. Pour autant il n’est pas question d’envisager des nations-forteresses où les frontières seraient perpétuellement hermétiques, le droit d’asile nié et la société muséifiée. Il s’agit de définir ce que pourrait être une immigration sagement maîtrisée et régulée, en fonction des capacités réelles du pays récepteur en termes d’accueil et d’assimilation satisfaisants. Mais cela suppose une philosophie politique bien différente de celle qui prévaut actuellement (2). On en revient toujours à la question du bien commun, et à la question de l’Etat qui doit en être le maître d’œuvre.
1. Stephen Smith La ruée vers l'Europe — La jeune Afrique en route pour le Vieux continent, Grasset 2018
2. Qu’on se rappelle l’affirmation inconcevable qu’avait osé proférer Erdogan (réélu ce 24 juin en Turquie) devant le Parlement allemand en 2008 : « L’assimilation est un crime contre l’humanité. » Les autorités allemandes avaient laissé courir...
http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2018/07/19/le-plus-grand-defi-6067376.html