Georges Feltin-Tracol
Cet été, les lignes ont semblé bouger dans les Balkans, en particulier entre la Serbie et le Kossovo. Le président de la République de Serbie, Aleksandar Vučić, entama une discussion avec Hashim Thaçi, le chef de l’État kossovar. Depuis 2008, année où le Kossovo a acquis une soi-disant indépendance, la Serbie n’a jamais accepté cette sécession. Avec l’augmentation des flux migratoires extra-européens dans la région, l’intransigeance de la Serbie pose maintenant de graves problèmes puisque Belgrade refuse de fermer une frontière qui n’existe pas à ses yeux. Par ailleurs, le Kossovo, digne valet de l’atlantisme, se transforme progressivement en un narco-État plus ou moins en cours d’islamisation.
Avant de rompre les négociations d’un commun accord dès le 7 septembre dernier, Aleksandar Vučić et Hashim Thaçi ont espéré que leurs États respectifs adhéreraient le plus tôt possible à l’Union pseudo-européenne. Ils étaient mêmeprêts à s’affranchir du tabou diplomatique suprême : l’intangibilité des frontières. Le Nord du Kossovo peuplé de Serbes autour de Mitrovica rejoindrait la Serbie qui en échange céderait au Kossovo des territoires du Sud-Ouest à majorité kossovare (la vallée de Presevo et les villes de Medveda et de Bujanovac). À peine envisagée, cette solution de bon sens fondée sur le critère ethno-linguistique souleva bien desmécontentements. L’Église orthodoxe serbe s’interrogea sur le devenir de ses lieux saints, de ses monastères et des enclaves serbes non contigues à la Serbie. La Russie souhaiterait maintenir le conflit gelé, utile abcès de fixation régionale. Le Premier ministre kossovar, Ramush Haradinaj, s’indigna déjà de rendre la moindreparcelle de terre albanaise aux Serbes. Quant à la gauche populiste souverainiste de Vetëvendosje ! (« Autodétermination ! »), deuxième force politique du pays, elle s’éleva contre cet éventuel échange au nom de la Grande Albanie ethnique qui n’exista que de 1941 à 1944...
Alors que Washington et Paris penchaient vers ce règlement territorial, Bruxelles et Merkel ainsi que les « machins » internationaux s’inquiétaient de ce précédent susceptible d’avoir de fortes répercussions en Bosnie-Herzégovine voisine. Milorad Dodik, le président de la République serbe de Bosnie, réclame en effet depuis longtemps le rattachement des contrées serbes bosniennes à la patrie serbe. Les diplomates occidentaux n’apprécient guère les rectifications territoriales significatives. Ainsi maintes entités étatiques africaines ne sont-elles pas viables du fait de cette règle absurde qui ignore les réalités ethniques et tribales.
Pourtant, la République française ne rechigne jamais à annexer un espace frontalier si s’en présente l’occasion. En 1918, elle s’empara de l’Alsace-Lorraine et orchestra une incroyable épuration ethnique en expulsant massivement de nombreuses familles germanophones. En 1947, le traité de Paris contraignit l’Italie à céder Tende, la Brigue et les crêtes de Tinée et de Vésubie à l’Hexagone. Neuf ans auparavant, le gouvernement français agressa l’Allemagne en lui déclarant la guerre parce que Berlin contestait l’intangibilité des frontières au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes…
La cession réciproque de territoires entre la Serbie et le Kossovo marquerait un arrêt formidable du multiculturalisme post-moderniste au profit d’une perception géopolitique plus concrète. D’une aire balkanique aux entités composites, instables et artificielles, on passerait enfin aux Balkans de communautés de peuples enracinées.
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• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n°92, diffusée sur Radio-Libertés, le 28 septembre 2018.
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