A en croire le JDD, Emmanuel Macron aurait appliqué une grille de lecture très personnelle, qui en dit long sur sa psychologie, au sujet du rejet dont il est l’objet dans l’opinion. Il aurait ainsi confié le 6 décembre à des membres de son cabinet que «Le vrai problème, c’est quand les gens sont indifférents. Quand il y a de la haine, c’est qu’il y a aussi une demande d’amour.» Une sentence que le porte-parole de l’Elysée Benjamin Griveaux s’est empressé de traduire avec enthousiasme en expliquant peu avant l’allocution du président de la république hier soir, que ce dernier « saura retrouver le chemin du cœur des Français», celui qui idéalement doit unir le Père de la Nation et le Peuple. Un lien à la fois charnel et mystique qui reliait sous l’ancien régime le roi et ses sujets; une royauté dont notre monarchie républicaine est l’héritière, pour laquelle, bien avant son entrée en campagne présidentielle, M. Macron avait confessé une certaine fascination et attirance. Bruno Roger-Petit, éphémère porte-parole de l’Elysée, confiait au Monde en mai dernier que M. Macron, se voyait comme le successeur des 40 rois qui ont fait la France: « Pour lui (E. Macron), le toucher est fondamental, c’est un deuxième langage. C’est un toucher performatif : Le roi te touche, Dieu te guérit. Il y a là une forme de transcendance.» Pour autant l’historienne Marion Sigaut jugeait dernièrement infondé le fait de comparer «Macron avec Louis XVI, la classe politique avec la noblesse, et ce système en décomposition avec l’Ancien régime.» «C’est la bourgeoisie écrit-elle, qui a voulu, fait et gagné la Révolution française pour imposer un régime que le peuple français ne voulait pas. On le lui a imposé par la terreur et les massacres. Il a subi la pauvreté, la prolétarisation, la barbarie économique et la perte de toute sa tradition. Si Macron ressemble à quelqu’un, ce n’est certainement pas au roi que le peuple chérissait et considérait comme son père. Macron n’est que le dernier en date des successeurs de ceux qui l’ont assassiné pour imposer le règne de l’argent-roi contre le bien commun.»
Une exigence de justice sociale, de retour justement à une mise en oeuvre du bien commun qui est au coeur de la séquence éminemment politique de ces dernières semaines. Après la révolution de juillet 1830, Honoré de Balzac déplorait que le peuple parisien ait abandonné le terrain face aux politiciens bourgeois du Juste-Milieu, aux Orléanistes, et ironisait sur la France cette «nation terrible un jour par siècle. » Nation qui a cependant réussi a terrifier durablement le Système à travers la mobilisation des gilets jaunes, plus ou moins radicale, parfois phagocytée par la racaille et l’extrême gauche mais dont le cri de fureur, d’angoisse et de désespoir a réussi à ébranler les colonnes du temple.
C’est d’une voix oscillant entre le mièvre et le doucereux, le ton surjoué dans les mauvaises séries quand un médecin s’adresse à un grand malade, et après le passage obligé sur les-Français-qui souffrent-dont-il comprend-les difficultés, qu’ Emmanuel Macron a annoncé hier soir qu’il lâchait du lest. Il allait donc accorder au bon peuple des gestes financiers dont on nous disait il y a encore quelques semaines qu’ils étaient tout bonnement impossibles, sauf à mettre en péril le redressement de nos finances…. « Mon seul souci, c’est vous. Mon seul combat, c’est pour vous »a affirmé le chef de l’Etat qui a sorti de sa hotte de père Noël, du fait de « l’urgence économique et sociale», la confirmation du moratoire sur les augmentations des taxes prévues début janvier, une exemption de la hausse de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2.000 euros par mois, les heures supplémentaires payées aux salariés « sans impôts ni charges.» Cerise sur le gâteau, le président a annoncé une mesure symboliquement plus forte, la revalorisation de 100 euros des salaires au niveau du Smic… soit a reprise d’une proposition de la candidate Marine Le Pen en 2017, que M. Macron avait alors jugée démagogique…
A l’exception de LR, les principaux partis d’opposition ont été très critiques sur ces annonces. Le RN, par la voix de Marine, a constaté qu’Emmanuel Macron « recule pour mieux sauter. » «Face à la contestation, Emmanuel Macron renonce à une partie (une partie seulement) de ses errements fiscaux et c’est tant mieux, mais il refuse d’admettre que c’est le modèle dont il est le champion qui est contesté : la mondialisation sauvage, la financiarisation de l’économie, la concurrence déloyale, le libre échange généralisé, l’immigration de masse et ses conséquences sociales et culturelles. »
Il est certain, et la manoeuvre est somme toute assez classique, assez transparente, que M. Macron ne prétend pas par les mesures énoncées lundi soir, désamorcer la colère et les revendications de la majorité des gilets jaunes. Il s’agit plutôt pour lui d’enfoncer un coin dans la fronde, dans le massif soutien dont elle bénéficie de la part des Français. Il entend rallier à lui les partisans d’un accomodement raisonnable, désolidariser de ce mouvement les plus modérés, ceux qui s’inquiètent (non sans raison), des conséquences économiques des blocages et des manifestations. Les Français ont cependant constaté hier comme Bruno Gollnisch que le chef de l’Etat n’a pas renoncé au racket fiscal qui découle de la décision aberrante de limiter la vitesse à 80 km/h; il n’a pas soufflé mot sur l’augmentation des tarifs des péages – bradés à des compagnies étrangères, une politique de vente de nos bijoux de famille qui concerne d’autres structures économiques rentables, payées avec l’impôt des Français, comme nos aéroports et nos barrages – ; il n’a pas évoqué les multinationales qui échappent à l’impôt; et il est resté très inquiétant en évoquant de façon pour le moins ambigüe son désir « d’affronter la question de l’immigration » massive qui tiers-monduise, paupérise, saigne financièrement la France et les Français…
C’est cette incohérence, fruit du dogmatisme, de l’idéologie supranationale qui irrigue la macronie, qu’a pointé également Jean Messiha, membre du Bureau national du RN, Délégué National aux Études et Argumentaires: « La quasi totalité des mesures d’hier (énoncées par M. Macron) provient du programme de Marine Le Pen qui (lui) avait une cohérence d’ensemble, politique et budgétaire. Macron les sort du chapeau en urgence pour éteindre un incendie qu’il a lui-même allumé. Une fois éteint, la fuite en avant reprendra de plus belle» Mais, «la bonne nouvelle c’est que le délire eurolâtre de Macron part en fumée. Le déficit explosera les 3%. Comment dans ces conditions convaincre l’Allemagne d’un gouvernement économique de l’UE ? Quelle crédibilité pour aller faire la leçon à l’Italie ? Volapük est KO debout.»
Il n’est pas inutile de relire la lettre ouverte aux Français écrite par Marine la veille de la mobilisation des gilets jaunes du 8 décembre, car elle replace cette colère populiste dans toute son ampleur, notamment dans ses aspects fondamentaux qui ont été tus hier par le président de la république: « Ce conflit qui monte des profondeurs d’un pays livré depuis 30 ans à la mondialisation sauvage et meurtri par un légitime sentiment d’abandon soulève trois grandes questions: le pouvoir d’achat immédiat ; la crise de représentativité politique, syndicale et sociétale ; la fracture territoriale.»
«Au-delà, se pose la question du consentement à l’impôt avec cette question qui revient en permanence sur les ronds-points: où va l’argent . De ce point de vue, la perspective d’une signature imminente du pacte antisocial et antinational de Marrakech (c’est chose faire depuis hier, NDLR) constitue une nouvelle provocation dont M. Macron devrait impérativement se dispenser. Ce serait là davantage qu’une erreur de communication.»
«En parallèle, se posent de multiples questions relatives par exemple à l’attitude des banques envers les plus modestes et les petites entreprises, la question des pratiques des tribunaux de commerce, la renationalisation indispensable des autoroutes, les critères d’attributions des HLM, les copinages dans l’octroi des marchés publics, les cadeaux fiscaux faits aux grandes entreprises, la concurrence déloyale organisée, les choix énergétiques… La liste n’est pas exhaustive. Il faut que nous puissions aborder tous ces sujets sans tabou et les traiter sans délai. C’est cela la transformation tangible de la société qu’espèrent les Français.» Et c’est à ce défi de la transformation que l’opposition nationale, populaire et sociale s’attelle plus que jamais.