Les épisodes honteux dont Alain Finkielkraut a été victime et qui m’ont indigné – je n’étais pas le seul – rendent difficile un regard critique sur lui, ses propos et ses analyses.
Je vais m’y risquer parce qu’il ne serait pas lui-même s’il exigeait de ceux qui l’estiment et la plupart du temps l’approuvent une inconditionnalité de principe.
Quand il affirme : « Je me vois en butte à une détraction monstrueuse dès que j’ouvre la bouche », il me semble qu’il exagère. Je suis toujours surpris de voir à quel point des esprits brillants omniprésents dans la vie intellectuelle et médiatique – il n’est par exemple pas un sujet, du sport à l’immigration, sur lequel Alain Finkielkraut n’ait pas donné son avis – acceptent mal la rançon de cette lumière et de l’importance légitime qu’on leur donne.
Cette rançon est à la fois nécessaire et inévitable. Quelle serait donc cette démocratie où certains s’octroieraient une totale liberté d’expression quand d’autres devraient la subir sans réagir, même s’ils peuvent avoir mille fois tort dans leurs répliques ? Je me souviens de mes échanges, un soir, avec ce cher Michel Onfray, où je le sentais blessé par des attaques selon lui intolérables et où je l’avais en quelque sorte rassuré en soulignant qu’elles étaient l’obligatoire contrepartie de ses succès, de son exposition et de son aura. Infiniment petit par rapport à eux, c’est pourtant une donnée que j’ai toujours intériorisée. Penser, parler et écrire librement, c’est permettre à autrui de le faire à notre encontre dans le même registre.
Par ailleurs, Alain Finkielkraut déplore – et ce n’est pas la première fois – qu’« aujourd’hui les règles minimales de la civilité et de la conversation civique ne soient plus respectées ». Dans la vie sociale et dans l’éducation, par exemple. Il a raison, mais puis-je regretter que, sur un plan personnel, au regard des expériences négatives que j’ai eues avec lui, il n’ait jamais jugé bon d’appliquer ces excellents principes ? Ma déception vient du fait que, dans le domaine de l’urbanité, on ne peut tolérer d’un être comme lui la théorie sans la pratique.
Un Alain Finkielkraut à laisser peut-être mais à prendre pour l’essentiel !
Quelques fulgurances (L’Union).
« L’antiracisme qui est le principe premier de toute morale devient fou […] On est traité de raciste pour un oui ou pour un non […] La France n’est pas un pays antisémite même si l’antisémitisme s’exprime à nouveau dans les rues […] Nous ne sommes pas à l’âge des violences policières mais à celle de la banalisation des violences anti-policières […] La peur a changé de camp. Ce sont les flics qui ont la trouille et ils ont raison d’avoir la trouille. »
Une lucidité exemplaire.
En revanche, pour aborder la problématique du « pouvoir politique » qui, selon lui, serait « faible » et « remplacé par le pouvoir médiatique », il pourfend durement Edwy Plenel et Mediapart « s’enivrant de leur propre puissance. Ils ne nous font pas vivre dans une société de transparence mais de surveillance. »
Je continue à penser que ce procès global est injuste. J’ai déjà dit ici à quel point Mediapart pâtissait ou bénéficiait d’un clivage entre une idéologie délétère – en substance, contre l’identité française et la civilisation européenne – et un remarquable travail d’investigation.
Le pouvoir médiatique existe, je l’admets. Mais il est sous vigilance, il n’est pas dictatorial ni omnipotent. Il peut être condamné.
Entre la transparence et la surveillance, je voudrais faire un sort à une société qu’on oublie trop : celle de l’exigence. Exigence des politiques, d’abord à leur égard. Exigence des élites dont l’exemplarité faillible et imparfaite a fait le lit de tous les déficits démocratiques, exigence d’une morale publique à tous les niveaux. Tenir ce qu’on promet. Être à la hauteur de son pouvoir. Justifier la confiance qui vous a été octroyée.
Société d’exigence dont les médias devront être une première incarnation. Pour être légitimes dans les leçons qu’ils donnent et les bouleversements politiques et judiciaires qu’ils causent.
Beaucoup à prendre chez Alain Finkielkraut, peu à laisser !
Extrait de : Justice au Singulier