La droite en France joue actuellement son avenir. Il avait fallu rien de moins que Charles de Gaulle pour la réintroduire dans la vie politique. La nullité de ses épigones semble siffler la fin de l’intermède. Y aura-t-il encore une droite capable remporter les élections dans les décennies qui viennent ?
Il existe une particularité de la vie politique française qui depuis des années frappe tous les commentateurs : c’est l'absence d'un vrai parti conservateur. Les Torries en Angleterre structurent la vie politique et même, lorsque passe un Churchill, déterminent la stature internationale de la perfide Albion. De leur côté, les chrétiens démocrates font, avec leurs alliés bavarois du CSU, la pluie et le beau temps Outre Rhin. Dans l'Hexagone, rien de tel. Les conservateurs existent à la marge dans un parti comme le Centre National des Indépendants et Paysans, le parti d'Antoine Pinay, qui est aujourd'hui un parti résiduel. Ils ne parviennent pas à s'organiser longtemps, victimes sans doute de la Révolution française, victimes de cette identification fantasmée entre la France et sa Révolution, qui empêche toute perspective contre-révolutionnaire, tout conservatisme, d'émerger de manière durable.
Le paradoxe, c'est qu'autant le pays rechigne à se donner une représentation politique conservatrice, autant les sondages politiques transversaux montrent que les conservateurs sont nombreux. Exemple ? Les Français plébiscitent toujours la famille parmi les valeurs montantes. Dans un livre très fin intitulé sans point d'interrogation Demain la dictature, Philippe Bornet faisait état d'enquêtes d'opinion sur l'autorité « D'après un sondage IFOP de novembre 2018, 41 % des Français sont d'accord pour confier le pays "à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratique s'exerçant sur le gouvernement" ». Le même sondage précisait que chez les étudiants, c'est une personne sur deux qui s'accommoderait d'une telle perspective. On pourrait certainement trouver le même genre de résultat concernant l'attachement des Français à la France : on est très loin des négations soixante-huitardes ! Les valeurs conservatrices ont fait un grand retour, mais elles ne sont toujours pas lisibles dans le jeu de la représentation politique.
Mais le conservatisme ne se réduit pas au conservatisme sociétal. Il y a aussi un conservatisme économique et social et un conservatisme politique, qui sont d'une importance vitale pour le Pays, face à la victoire stratégique que remporte aujourd'hui, sans conteste, le progressisme macronien. Après une année à s'embourber dans l'affaire Benalla et dans les rodomontades de Castaner, trop hâbleur pour un ministre de l'intérieur, LREM a retrouvé la cote, en provoquant le naufrage des Républicains, ce Parti de gouvernement aux perspectives électorales devenues problématiques, si bien que le personnel politique fait à nouveau la queue au guichet de La République en Marche, pour les Municipales.
Il faudrait que sur les ruines de ce Parti de gouvernement sans perspective électorale puisse se créer l'authentique Parti conservateur que Marion Maréchal appelle de ses vœux. Les tentatives avortées sont nombreuses ces quelques dernières années. L'histoire de la France montre que jusqu'à Charles de Gaulle inclusivement, le conservatisme ne parvient au pouvoir que par la manière forte sans le coup d'État de mai 1958, la cinquième République serait restée dans les limbes. Il ne suffira pas de mettre de côté les valeurs sociétales pour attirer les électeurs. Comme nous avons essayé de le montrer dans cet article, le désamour, la réticence des Français pour le conservatisme a quelque chose de viscéral. Il ne date pas d'hier. Le conservatisme ne vient pas au pouvoir par la représentation, il ne fera pas de « coup d'État dans les urnes » comme le macronisme l'a fait en 2017. C'est aussi la raison de l'échec de Fillon : le conservatisme a besoin non de la logique de la représentation mais de la dynamique de l'incarnation.
« Ce que je crois indispensable, c'est que puisse émerger de cette débâcle de LR un courant de droite qui se structure et qui puisse accepter le principe d'une grande coalition avec le RN » a déclaré Marion Maréchal. Gérard Longuet trouve Marion « pas réaliste » à rêver d'un grand parti conservateur. C'est un peu le même reproche que lui fait Julien Aubert, mais de manière positive, lorsqu'il avance, provocateur « Si Marion Maréchal veut être dans la droite populaire, il faut qu'elle prenne sa carte aux Républicains ». Lui aussi cherche à unir la droite autour de son mouvement Osez la France. Pour lui, manifestement, ce nouveau conservatisme ne peut pas naître à partir de rien. Serait-ce une sorte de voie de rédemption à venir pour Les Républicains ?
Alain Hasso monde&vie 13 juin 2019