Un effort de guerre national
Dans les grands moments de son Histoire, la France eut les taxis de la Marne; au vingtième siècle, ce fut l’arme atomique dont chacun a toujours en tête les terribles images du feu nucléaire de l’Etat français qui se protégeait des Etats-Unis et de l’Union soviétique qui parlaient guerre nucléaire chaque matin que le diable faisait.
Nous pouvons dire dès à présent qu’au XXI° siècle, face à ce qu’un chef d’Etat (dont le nom sera aussi connu que celui des présidents du conseils de la IV° République aujourd’hui) avait appelé «une guerre», la France eut le slip français !
En des temps d’avant coronavirus, une boite fabriquait en effet des slips français, c’était ce que la nation faisait de mieux, avec des marinières - on avait alors le Grand Siècle qu’on pouvait… Un soir de rigolade pas bien fine, deux membres de cette entreprise s’étaient grimés en noir - péché mortel dans notre civilisation loqueteuse… "Le Slip français" avait été sous les feux de la rampe pendant plusieurs jours, il avait défrayé la chronique et, à longueur de plateaux télé, sur les chaînes d’info continues, les questions étaient : Blâmable ? Condamnable ? Louable ? Punissable ? Déplorable ? Attaquable ? Contestable ? Avant qu’une autre question chasse celle-ci et qu’on laisse les deux guignols et leur patron faire résipiscence… Le Tribunal révolutionnaire moral avait été généreux en évitant le goudron et les plumes, il avait écarté le pilori sur la place publique pendant trois jours, il avait décliné le gros plan sur un visage transpirant nous expliquant qu’il ne comprenait pas « pourquoi il s’était comporté d’une façon inappropriée… », etc.
Cette fois-ci, "Le Slip français" s’est racheté une conduite !
Je regarde en effet de temps en temps non pas tant l’information que le traitement de l’information de cette épidémie. Car, finalement, depuis le début, la stratégie était simple à mettre en place, encore eût-il fallu une volonté : il fallait tester et confiner pour protéger, distribuer massivement des masques, et ce toujours pour écarter le mal et protéger. Mais comme il n’y eut pas de chef, pas de stratégie ni de tactique, pas de ligne claire mais une longue série d’atermoiements portés par Sibeth Ndiaye, particulièrement douée pour le mensonge qu’elle revendique d’ailleurs sans vergogne, tout fut dit et le contraire de tout - mais surtout : tout fut fait et le contraire de tout.
Le chef de l’Etat communique, le chef du gouvernement communique, la porte-parole du gouvernement communique, le directeur général de la santé publique communique tous les soirs – quand les chiffres sont trop mauvais dans les maisons de retraite, il dit qu’un bug a empêché de l’obtenir, jadis il affirmait que quand il les obtenait il ne pouvaient être comptabilisés, le but étant de jouer au bonneteau et de mentir comme en Chine sur les vrais chiffres afin de cacher la véritable étendue des vrais dégâts… Ils voyaient les choses mais il leur fallait dire qu’il n’y avait rien à voir de ce tsunami qu’on voyait pourtant arriver en ayant les pieds bien fichés dans la glaise du rivage… Pour quelles raisons ? Si je puis filer la métaphore : le pouvoir est en slip il lui faut laisser croire au bon peuple qu’il porte de beaux habits chamarrés et damassés…
C’est à cela que sont réduit les journalistes du système: cacher cette nudité et attester des jolis vêtements du pouvoir qui se trouve pourtant à poil! Sur le principe des désormais célèbres Martine, la série verte pour jeunes filles chlorotiques, nous disposons donc, chaque jour, d’un: Emmanuel à Mulhouse, Emmanuel dans le 93, Emmanuel à (sic) Pantin, Emmanuel à la Pitié-Salpêtrière, Emmanuel à l’hôtel Bicêtre, Emmanuel chez le professeur Raoult – mais quand travaille-t-il ce monsieur ? Quand ?
Il a déjà passé une année de son quinquennat à faire un tour de France pour s’y montrer, se mettre en scène, parler sous prétexte de répondre à la souffrance des gilets-jaunes*: mais en vain ! Que cesse cet exhibitionnisme narcissique! Il a été élu, on ne le sait que trop, or il ne cesse de se comporter comme s’il était en campagne. On se moque de ce qu’il prévoit de faire - dans ce fameux discours du lundi de Pâques qui s’avèrera aussi promotionnel de sa petite personne que les autres. Qu’il fasse, qu’il agisse : il est le chef, oui ou non ? La réponse est non…
Après vingt-cinq jours de confinement, le traitement de l’information est simple: dans les chaînes à jets continus, on éclaircit les rangs des invités sous prétexte de respecter la distance de confinement, dont tout le monde se moque en salon de maquillage, dans les couloirs ou dans les loges! Mais il faut faire illusion sur scène… On accueille des invités sur écran en direct de chez eux : pourquoi diable ces convives cadrent-ils comme des pieds des images laides et mal éclairées de surcroit ? N’y a-t-il aucun technicien dans les studios parisiens pour leur expliquer qu’en variant l’angle d’inclinaison de leur ordinateur, tout simplement, ils éviteraient d’apparaître à l’écran avec des têtes de décavés et qu’ils nous priveraient en même temps d’une vue sur le haut de leur armoire, sur la partie supérieure de leur buffet, sur leur décoration qui témoigne de leur goût en matière d’architecture intérieure ou sur leur menton mal rasé ? Car tous n’ont pas retrouvé leur peigne, leur rasoir, leur brosse à cheveux, et probablement leur brosse à dents. A la guerre comme à la guerre, il suffit d’en regarder certains intervenants, on se dit qu’ils n’ont pas encore dû retrouver l’endroit où se cache leur salle de bains depuis trois semaines -elle doit se confiner elle-aussi…
Le contenu est à l’avenant : ces éditocrates font l’opinion publique sans qu’on sache quelle est véritablement leur légitimité. Un travail en amont ? Une compétence particulière ? Un long cursus d’études en la matière ? Un travail de documentation forcené tous les jours sur tous les sujets ? Pas forcément… Ils ont été choisis par les chaînes comme un panel qui, neuf fois sur dix, défend la même vision du monde : une fois à droite, une fois à gauche, mais toujours dans le même sens du même vent politique… Un fois un jeune, une fois un vieux – Arlette Chabot et Alain Duhamel qui ont interrogé Pompidou sont toujours là, bien sûr, mais aussi Cohn-Bendit ou les inénarrables Szafran ou Joffrin, et puis ces derniers temps Benjamin Duhamel, fils de son père Patrice, ancien directeur général de France Télévisions et de sa mère Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2, neveu d’Alain Duhamel qu’on ne présente plus - tout ce qui faut pour rajeunir la pensée politique, donc… Gageons que ce jeune homme de vingt-cinq ans sera bien longtemps en activité !
On comprend donc qu’avec ce personnel choisi, le commentaire politique sera haut-de-gamme, inédit, inattendu, avisé, surprenant ! Disruptif comme on disait y a peu chez les macroniens qui disposent avec ce cheptel de tous leurs chiens de meute la queue en l’air.
On comprend que cette bande dorée (comme on le dit d’un staphylocoque…) puisse donner sa pleine mesure avec les épisodes de la Vie et de l’Oeuvre à venir d’Emmanuel Macron : pour mémoire, Manu à Mulhouse, Manu dans le 93, Manu à (sic) Pantin, Manu à la Pitié-Salpêtrière, Manu à l’hôtel Bicêtre, Manuel chez le professeur Raoult ! Et bientôt, en version colorisée et militarisée: le lundi de Pâques de Manu! Grand Discours révolutionnaire de Tournant de Quinquennat - je peux vous l’annoncer dès à présent sans trop risquer de me tromper !
Quand les chaînes ne nous disent pas que Macron gère bien la crise, la preuve, sa cote remonterait dans les sondages, elles nous racontent qu’ailleurs dans le monde c’est pareil ! En même temps, si l’on peut en passant dire que c’est pire avec Boris Johnson et Donald Trump, il ne faut pas s’en priver ! Pendant l’épidémie, la politique continue !
C’est sur TF1 que j’ai pu voir l’autre jour un quinquagénaire dont le nom importe peu qui a expliqué à des millions de téléspectateurs confinés comment on pouvait, dans une très grande maison donnant sur un très grand parc, chez lui, donc, jouer au ping-pong avec des poêles alimentaires, jouer au golf avec un balai, jouer au basket avec une poubelle et des balles de tennis, avant que Jean-Pierre Pernaut ne cloue le bec à ce jeunot en lui montrant qu’avec une poêle plus grande et un bouchon de papier, on pouvait aussi jouer au tennis ! Roland-Garros avant l’heure quoi…
Et mon slip me direz-vous ?
J’y arrive…
Cette bande de bras cassés de journalistes nous laisse le choix entre des bavardages macroniens et maastrichiens (personne pour montrer le cadavre de cette Europe d’ailleurs sur toutes ces chaînes dans cette circonstance dramatique…) et les amusements de fin de soirée dans des salles polyvalentes.
Mais elle met également en scène une France au détriment d’une autre. On ne montre pas la France qui se moque des confinements, celle des territoires perdus de la République qui n’ont que faire des injonctions de l’Etat, qui se moque de la police, qui ne sont pas interpelés, et se retrouvent même justifiés par d’aucuns dans leurs transgressions sous prétexte d’exiguïté de leurs lieux de confinement - et si nous parlions un peu de toutes les exiguïtés de tous les appartements, notamment celle des pauvres blancs des petites villes de province dont on ne parle qu’avec un sourire convenu ou le mépris à la bouche ? Il y aurait là pourtant matière à informations dignes de ce nom… Mais qui croira encore que, dans les journaux télé, on informe ?
On n’y parle pas non plus des cambriolages, des trafics de masques, de vêtements de travail dont certains sont en lambeaux dès qu’on les touche, des braquages de personnels soignants, de la police obligée d’en raccompagner certains chez eux le soir après le travail où ils risquent leur vie. On ne parlera pas des bris de pare-brises qui permettent de voler les caducées avec lesquels s’organise ensuite le trafic de matériel médical.
Non, pas du tout, car il faut positiver…
Le pouvoir étant débordé par tout, y compris par ceux qui se moquent de ses injonctions, il sifflote, il regarde en l’air, il parle, il bave, il promet - où sont ces masques invisibles ? Ces tests introuvables ? Ces vêtements de protections nécessaires aux soignants ? Ils prennent leur temps : un peu de bateau chypriote, un brin d’avion chinois, un zeste de train turc, une pincée de camion slovaque, un petit tour par les banlieues - et on les cherche encore… A quand des sujets de journalistes pour dénoncer cette mafia qui fait fortune avec des gants et des liquides hydro alcooliques vendus sous le manteau ? Plus facile de faire pleurer dans les chaumières.
Car, pleurer dans les chaumières, nous y voilà…
Les journaux télévision nous montrent des initiatives qui cachent le fait que : premièrement le pouvoir est perdu, il ne se sait que faire depuis le début et s’essaie à toutes les solutions après les avoir toutes critiquées - récemment un essai de mise en selle macronien du docteur Raoult; deuxièmement : les mafias se portent bien, et rien ne peut se mettre en travers de leur puissance active et florissante, ils conduisent le pays sans craindre quoi que ce soit de qui que ce soit; troisièmement : l’Etat n’existe plus, car ni l’armée, ni la police, ni la justice ne sont plus capables de se faire respecter…
La télévision montre donc une image qui la réjouit, c’est le village Potemkine fabriqué pour cacher le réel, la réalité du réel, la cruelle réalité de ce réel cruel qui est que la France n’est pas capable de produire des masques autrement qu’en laissant des bénévoles les tailler dans des coupons destinés à des slips - et encore, c’est une initiative individuelle, même pas une décision d’Etat qui n’en est pas ou plus capable : voilà une énième variation sur le thème des bougies et des poupées, des petits cœurs et des dessins d’enfants, des peluches et des applaudissements du personnel médical à vingt-heure sur les balcons.
Le porte-avion Charles-de-Gaulle fut plus connu pour avoir perdu son hélice dans l’eau que pour ses performances militaires; le voilà qui fait retour au port parce que l’Etat français n’a pas su médicalement préserver l’équipage de son navire de guerre - une métaphore adéquate pour dire qu’ici comme ailleurs le chef de l’Etat n’a pas su préserver les français en faisant les bons choix. Il les a exposés.
Le Charles-de-Gaulle rentre à la maison avec un drapeau blanc déchiqueté sur la plus haute tour. Il crie grâce, il demande miséricorde, il revient épuisé.
Pendant ce temps, au journal du soir, on nous montre comment transformer des slips en masques - des masques qui, nous disait-on il y a peu, ne servaient à rien…
Michel Onfray* : J’ai de la sympathie pour la vie, l’homme et l’œuvre de Sylvain Tesson. C’est pourquoi je n’ai pas voulu consacrer un long texte à réfuter son : "Subitement on a moins envie d’aller brûler les ronds-points" (in Covid-19 : l’écrivain Philippe Tesson nargue les Gilets Jaunes, paru sur Russian Today, le 9 avril 2020). Les GJ n’ont jamais "voulu brûler les ronds-points", quelle drôle d’idée! Ils s’y étaient installés, et c’était très exactement pour qu’on ne ferme pas les services publics français, dont les hôpitaux qui ont soigné et guéri Sylvain Tesson après ses frasques et qui aujourd’hui l’accueilleraient s’il devait y être reçu (ce que je ne lui souhaite pas…) avec des moyens insuffisants. Tesson, BHL, Luc Ferry, Badiou, même combat : je n’y aurai jamais cru.