Voilà une affaire qui, en leur rappelant ce « bon vieux temps » où l’URSS récompensait les enfants qui envoyaient leurs parents au goulag en les dénonçant au Parti, devrait réjouir les vieux profs communistes : dans la plus pure tradition stalinienne, le ministère de l’Education nationale, que l’on aurait pu croire davantage occupé à mettre tout en œuvre pour garantir la sécurité sanitaire de nos chères têtes blondes, a en effet publié, en vue de la réouverture des écoles, plusieurs fiches de recommandations à l’intention des enseignants, dans lesquelles il leur est notamment demandé de détecter les élèves tenant des propos critiques à l’égard de l’Etat et même d’inciter ces derniers à dénoncer les « dérives » de leurs parents.
« Propos manifestement inacceptables »
Disponible sur le site du ministère, la fiche Eduscol intitulée « Ecouter la parole des élèves en retour de confinement » évoque ainsi, après maints exemples et recommandations, le cas d’enfants qui pourraient « tenir des propos manifestement inacceptables ». En clair : des élèves qui auraient la mauvaise idée de mettre sur le tapis le scandale des masques, celui des banlieues non confinées, ou plus globalement de ne pas s’esbaudir devant la gestion catastrophique de l’épidémie de Covid par le gouvernement. Face à pareil cas, précise alors la fiche, « la référence à l’autorité de l’Etat pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l’enseignant, le cas échéant accompagné d’un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l’école ». La fiche ne précise pas si élèves et parents concernés écoperont d’une punition, mais nul doute que leurs soucis avec l’administration ne feront que commencer…
La Miviludes aux aguets
Plus grave et plus inquiétante encore : cette autre fiche, intitulée « Réouverture Covid-19 et risques de dérives sectaires », elle aussi disponible sur le site du ministère, qui, sous couvert de lutter contre les « replis communautaristes », invite carrément les enseignants à piéger les enfants « par des questions adaptées ». Ainsi, est-il expliqué, « l’enfant étant dépendant de son environnement, une attention doit donc être portée aux élèves dont les responsables légaux, adeptes de certaines idéologies ou croyances, sont réticents ou opposés aux recommandations faites en matière de santé publique : contournement du confinement pour des rassemblements, refus de traitements, d’examens médicaux ou de tests sanguins, etc. […] Afin d’objectiver une situation, d’autant plus lorsqu’elle touche aux convictions ou aux pratiques religieuses, il est important de rassembler des éléments factuels sur la base de questions adaptées et de se référer à un faisceau d’indices. » Et au cas où l’enfant et ses parents ne répondraient pas aux attentes laïcardes de l’Education nationale ? Il est alors rappelé que « tout personnel est tenu d’alerter les services compétents », que « pour chacune des situations, le correspondant académique chargé de la prévention des phénomènes sectaires en milieu scolaire doit systématiquement être informé », et que « lors de situations complexes, la Miviludes peut être saisie »…
Franck Deletraz
Article paru dans Présent daté du 12 mai 2020