Le Salon beige a déjà fait état d’une réunion de M. Darmanin, ministre chargé des cultes, à la grande mosquée de Paris, le 18 septembre, lors de laquelle M.Darmanin avait expliqué :
« Au regard de l’histoire, s’il y a une religion qui a moins de difficulté à travailler avec la République, c’est l’islam… un dialogue plus facile, une discussion plus spontanée qu’avec les autres cultes »
L’audition de l’enregistrement de son intervention révèle quelques points complémentaires qui donnent une saveur très particulière tant au discours de M. Macron sur le séparatisme islamiste qu’à la préparation en cours du projet de loi sur le renforcement de la laïcité. Et dont M.Darmanin est le grand maître d’œuvre.
On y retrouve, comme chaque fois, la volonté de créer une connivence avec ses interlocuteurs musulmans en parlant de son grand-père Moussa dans une formule à l’emporte-pièce audacieuse (« Je n’oublie pas que mon grand-père était français avant les niçois » – NDLR : Nice a été rattachée à la France en… 1860) et aussi en tenant une sorte de balance entre toutes les religions (« Ce qui m’intéresse, c’est comment combattre les maladies infantiles ou les dérives sectaires de chacune des religions. L’islam est concerné bien sûr, on va pas faire semblant de pouvoir dire que tout va bien. Mais cette dérive sectaire, elle existe pour d’autres religions ») pour mieux exonérer l’islam de toute responsabilité spécifique. Dérive sectaire : ou la délicatesse extrême de l’euphémisation.
M. Darmanin rappelle bien sûr à ses interlocuteurs quelques caractéristiques du modèle français et en particulier la liberté de croire et celle de ne pas croire. Néanmoins, il se garde bien de citer le droit à la conversion religieuse ou à l’athéisme. Rappelons cet épisode étonnant, en 1999, lors de négociations entre Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, et les représentants de sensibilités musulmanes pour l’établissement d’un texte sur les Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France. Le « droit de toute personne à changer de religion ou de conviction », incorporé dans le texte ministériel initial, est finalement retiré.
L’interdiction de l’apostasie par l’islam est donc a priori soigneusement occultée par M. Darmanin. On a créé la connivence : on ne va pas évoquer un sujet qui fâche.
Le passage du discours de M.Macron sur le séparatisme islamiste et consacré à l’apprentissage de l’arabe a suscité de nombreuses réactions très négatives. Or, dans la présentation de M. Darmanin, on sent poindre un renoncement complémentaire. C’est au moment où il parle des négociations avec les pays musulmans étrangers pour mettre fin aux enseignements de langues assurés par des professeurs étrangers venus de ces pays. Il évoque la difficulté qu’a eu M. Blanquer pour négocier avec la Turquie et parle d’une contrepartie demandée : « qu’il y ait une offre républicaine d’apprentissage des langues, quelles qu’elles soient. Toutes les langues, y compris le turc et l’arabe ». Il n’y aura donc pas seulement plus de professeurs d’arabe, il devrait y avoir aussi plus de professeurs de turc. Toujours en vue d’une meilleure intégration bien sûr…
M. Darmanin évoque aussi l’arrêt du dispositif des imams détachés étrangers et précise réfléchir à « comment on vous aide à former les cadres ; comment on atteint cet objectif ensemble » ; étrangement, à l’Assemblée nationale le 6 octobre, répondant à une question du député Diard, le même Darmanin explique pourtant :
« Comme les catholiques, les juifs, les protestants ou les orthodoxes, les musulmans organisent la religion comme ils le souhaitent. La République n’a pas à s’en mêler ».
C’est sans doute le en même temps macronien.
Enfin, il y a le sujet des carrés musulmans. Ce lieu spécifique dans un cimetière où les musulmans décédés pourraient être regroupés afin que, comme le signale le site obseques-infos.com, « les âmes puissent être réunies ». Et ce site d’ajouter dans son descriptif ce mot chargé de sens quand on parle d’un projet contre le séparatisme : « Pour ériger cette séparation au cœur du cimetière, des petits arbres ou haies peuvent être utilisés ». On ne fait pas plus explicite.
Le droit laisse une certaine autonomie aux maires. Le principe de neutralité des cimetières a été consacré par la loi du 14 novembre 1881 qui interdit dans les cimetières communaux d’établir une séparation à raison de la différence des cultes. Elle interdit les divisions confessionnelles et déclare tous les cimetières « interconfessionnels ». Elle prévoit expressément que tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdit.
Cependant, des circulaires ont encouragé les maires à autoriser des regroupements confessionnels de sépultures de défunts de même religion (comme par hasard, au moment de l’autorisation du regroupement familial) : le 28 novembre 1975, le 14 février 1991 et encore la circulaire Alliot-Marie du 19 février 2008. Mais, pour éviter tout contentieux, la circulaire de 1975 exposait que les carrés confessionnels doivent prendre la forme de « regroupements de fait ». La neutralité de l’ensemble du cimetière doit être préservée tant dans son aspect extérieur que par la possibilité laissée aux familles de toutes religions de s’y faire inhumer.
Dernier élément, dans un rapport de 2004, le Conseil d’Etat relève que
« l’institution de carrés confessionnels dans les cimetières n’est pas possible en droit. Toutefois, en pratique, les carrés confessionnels sont admis et même encouragés par les pouvoirs publics afin de répondre aux demandes des familles, de confession musulmane notamment, de voir se créer dans les cimetières des lieux d’inhumation réservés à leurs membres ».
Il n’est pas permis d’indiquer, par une signalétique spécifique, la présence d’un carré confessionnel. Sur 35000 cimetières, le nombre de carrés musulmans est estimé à quelques centaines.
Le service juridique de la grand mosquée de Paris a rédigé une note sur ce sujet.
« L’inhumation des musulmans en droit français » qui donne une interprétation beaucoup plus systématique d’un droit au carré musulman :
« En définitive, dans la mesure où le besoin existe, le maire doit créer des secteurs confessionnels comme des équipements de fait, sans matérialiser ».
On notera à cet égard le formidable titre d’un article de La Croix (alias, Le Croissant) :
« Coronavirus : les musulmans peinent à enterrer leurs morts. La pandémie de Covid-19 empêche les musulmans de France de rapatrier leurs défunts dans leur pays d’origine. Les rares carrés confessionnels arrivent à saturation dans les cimetières français, contraignant certains maires à se positionner dans l’urgence ».
Pensez donc, les morts musulmans ne peuvent plus être enterrés ; quasiment des victimes !
Et M. Darmanin ? Il est également favorable à la séparation des morts, tout en indiquant que, bien évidemment, il n’y aura rien sur ce point dans le texte car cela remettrait en cause une législation trop sensible :
« Vous évoquez les carrés musulmans. Mme Alliot-Marie [quand elle était ministre de l’intérieur] a pris une circulaire un peu hypocrite. Il n’y a pas de carré musulman. On ne regroupe pas les gens selon leur religion dans un cimetière public. Mais vous pouvez organiser des choses pour que les gens soient opérés conformément à leur religion. Les maires sont un peu embêtés. Il n’y aura rien sur ce point dans le texte… Je l’ai mis [le carré musulman] en place à Tourcoing. Je trouve personnellement légitime d’être enterré selon son envie et ses convictions. Il ne s’agit pas de faire des cimetières à part. Il s’agit de respecter dans le cimetière national les options qui sont choisies ».
Vous aurez apprécié : « il ne s’agit pas de faire des cimetières à part ». Le carré musulman, le sublime du petit accommodement républicain.
Au demeurant, M. Darmanin ne s’attend à aucune difficulté particulière avec les musulmans :
« Je crois qu’en plus, les gènes du monde musulman, la capacité de discussion et de reconnaissance, c’est que ça sera plus facile qu’avec d’autres religions dans l’histoire du pays ».
La capacité de discussion comme gène du monde musulman, il fallait oser. Il a osé.
Peut-être devrait-il réfléchir plus avant sur les conséquences contenues dans une des phrases introductives de sa propre présentation :
« Le modèle français est comme l’islam, il est universaliste ».
Quel modèle va alors l’emporter ?