Dans la série des albums collector du type « Un Président de devrait pas dire ça… » à mettre sous le sapin, il faudrait ajouter le « Un ex-ministre de l’Éducation nationale ne devrait pas, etc. »
Commençons par planter le décor et jouer franc-jeu : j’enseigne en REP depuis dix ans et, comme 90 % de mes collègues, je ne scolarise évidemment pas mes enfants dans cet établissement. Nous le faisons sans aucune mauvaise conscience, mais de façon raisonnée. En effet, nous souhaitons pour nos enfants un enseignement et une vie scolaire, non pas « élitiste », mais tout simplement « normale ». Vous vous souvenez, comme le Président d’avant, tout simplement. Enfin, un peu mieux que ce normal-là, quand même.
C’est-à-dire : des cours de récréation où l’on parle majoritairement français, des cours où règne une certaine discipline, des enseignements, un niveau et des évaluations exigeants, une priorité donnée aux fondamentaux et non à toutes les lubies idéologiques de l’époque. Oui, nous voulons un enseignement qui permette à nos enfants, s’ils le souhaitent et le peuvent, d’accéder un jour à des poursuites d’étude d’un bon niveau. Tout cela paraîtra normal et plein de bon sens.
Mais voilà, depuis hier, j’ai été, avec des millions d’autres Français qui font ce choix d’échapper au REP, au REP+ de leurs quartiers, montré du doigt par Najat Vallaud-Belkacem, mon ex-ministre : nous sommes les nouveaux « séparatistes ». « Dans une société comme la nôtre où le diplôme a une importance majeure […] les parents vont tout faire pour distinguer leurs enfants et les éloigner de la masse […] c’est une forme de séparatisme. »
Oui, elle a osé lâcher le mot « séparatisme » pour désigner ces stratégies d’évitement. Elle a osé le faire alors qu’une loi voulue par Emmanuel Macron a été préparée contre le « séparatisme » islamiste. Car même ce gouvernement du « en même temps » a été obligé de dire les choses que les plus lucides décrivent depuis vingt ans : une partie de la population musulmane se met d’elle-même en marge de la société et de la France. Et ce séparatisme traverse évidemment l’école, le premier coup d’éclat remontant à l’affaire du voile de Creil, en 1989. Oui, déjà trente et un ans…
Nous vivons une période orwellienne particulière : les mots vrais n’émergent que longtemps après des années de déni pour nommer les choses et, une fois nommées, des rétro-pédaleurs comme Najat Vallaud-Belkacem, naviguant entre la sphère politique et les affaires, vont procéder aux grands renversements de Big Brother : « War is peace », etc.
Le séparatisme, en France, ce ne serait donc pas l’islam radical qui se répand dans les têtes de beaucoup de nos élèves de REP, mais ce sont ces Français qui fuient cela. Il y aurait « des » formes de séparatismes. Vous savez bien : comme il y a des « intégrismes », des « radicalismes », des « extrémistes » dans cette grande mare linguistique si bien faite pour noyer le poisson.
C’est énorme et révoltant. On aimerait simplement demander à la dame, et à tous ceux qui ont créé cette situation et nous dénoncent aujourd’hui comme des séparatistes, où ils scolarisent leurs enfants. Visiblement pas dans mon établissement REP.
Mais c’est surtout indécent, moins de deux mois après l’assassinat de Samuel Paty et de cette fameuse rentrée du 2 novembre où, dans ma classe, lors de cette fameuse séance d’« explication », la moitié des élèves défendaient l’assassin. Le séparatisme, le vrai, celui dont Samuel Paty fut la sanglante victime, il était là, sous mes yeux.
Avec Najat Vallaud-Belkacem, nous ne vivons pas dans le même monde, et le séparatisme n’est pour elle qu’un concept élastique, réversible à l’infini, comme la pâte à modeler qu’on lui a appris à malaxer à Sciences Po ou au PS, qui va lui permettre de prolonger son idéologie et sa carrière quelque temps. Sur notre dos et celui de la vérité.