Des membres de génération identitaire en 2018 dans les alpes. ROMAIN LAFABREGUE/AFP
Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a engagé la procédure pour dissoudre génération identitaire. Pour Jean-Yves Camus, l’organisation ne peut être assimilée à une milice et sa dissolution ne peut avoir qu’un effet relatif qui ne mettra pas forcément fin à son action.
FIGAROVOX.-Gérald Darmanin a lancé une procédure de dissolution à l’encontre de génération identitaire. Cette procédure peut-t-elle aboutir d’un point de vue juridique?
Jean-Yves CAMUS.-Si la volonté politique est là, elle aboutira. L’intention de dissoudre ayant été notifiée, le ministre semble décidé. Ensuite, le décret en conseil des ministres qui avalisera la dissolution pourra être contesté au contentieux, devant le Conseil d’État.
Il est arrivé trois fois, dans les années 70, que celui-ci annule la dissolution d’organisations d’extrême-gauche. Depuis les années 80, trois dissolutions visant des organisations d’extrême-droite ont été annulées. Dans le cas des néo-nazis de la FANE, après trois tentatives de dissolution, le groupe a définitivement disparu.
Dans le cas de l’association qui gérait le local où se réunissait le mouvement Troisième voie, le fait que la dissolution ait été cassée n’a pas empêché le lieu en question de fermer définitivement.
Ni la dissolution de l’oeuvre française en 2013, ni celle du Bastion Social n’ont empêché ces groupes de renaître sous d’autres formes.
À l’inverse, ni la dissolution de l’Oeuvre française en 2013, ni celle du Bastion Social en 2019 n’ont empêché ces groupes de renaître sous d’autres formes. Dans le premier cas, il existe même un jugement pour «reconstitution de ligue dissoute», qui est un délit. Ceux-là même qui ont été condamnés continuent à militer.
Cette arme de la dissolution est-elle efficace pour lutter contre la «radicalité» en France?
Ces décisions sont prises par l’autorité politique et ont pour objectif de donner aux français le sentiment que le gouvernement agit de manière ferme pour le maintien de l’ordre public, mais dans les faits, l’efficacité est parfois relative .
Les exemples récents montrent des résultats différents quant à l’efficacité de ce type de mesure sur les groupuscules classés à l’extrême droite. Certains mouvements sont officiellement dissous mais leurs membres continuent de mener des actions. Des mesures se sont révélées efficaces contre certains groupes, c’est notamment le cas de la procédure dirigée contre les jeunesses nationalistes révolutionnaires qui est un groupuscule qui a été dissous en 2013 et qui n’a pas ressurgi.
En revanche, la tentative de faire disparaître le groupuscule appelé l’Œuvre française a été un échec .L’organisation avait été également dissoute en 2013 mais aujourd’hui, ses anciens membres, dont Yves Benedetti, son ancien président, continuent de militer et poursuivent leurs activités sous le nom de Jeune nation.
La dangerosité de Génération identitaire n’est évidemment pas comparable à celle des islamistes radicaux, qui restent, et de loin, la principale menace sécuritaire en France.
Selon vous, cette procédure est-elle légitime au vu des agissements de génération identitaire?Cette organisation constitue-t-elle une menace pour la République?
Il existe sept critères de dissolution dont le sixième concerne le fait d’encourager «à la discrimination ou au racisme». C’est le seul qui puisse être retenu, si on considère que déployer une banderole dont le slogan est «De l’argent pour les français, pas pour les étrangers» est un appel à la discrimination. La dangerosité de Génération identitaire n’est évidemment pas comparable à celle des islamistes radicaux, qui restent, et de loin, la principale menace sécuritaire en France.
Vouloir interdire tous les groupuscules considérés comme radicaux ne va-t-il pas à l’encontre de la liberté d’expression?
La liberté d’expression n’est pas absolue. Mais il existe des lois punissant le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme et elles existent pour traiter, au cas par cas les propos de celles et ceux qui enfreignent la loi, sans utiliser l’arme létale de la dissolution.
Il faut aussi que nous apprenions à vivre avec une part de radicalité dans la démocratie. Sauf, bien entendu, quand la sécurité nationale est mise en danger par des menées terroristes. Or selon moi, Génération identitaire n’est pas un groupe terroriste. Le ministre de l’intérieur se base sur la notion de «milice» ou de «groupe armé» pour prononcer la dissolution mais il paraît compliqué de retenir cette qualification au regard par exemple, de leur action menée au col de l’Échelle dans les alpes en 2018.
Chercheur associé à l’Iris, Jean-Yves Camus dirige l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès.
Source : https://www.lefigaro.fr/vox/