La scène s'est déroulée le 16 janvier 2023, devant le lycée Guillaume-Apollinaire de Thiais (94), que Le Parisien du 17 janvier écrit « Appolinaire », mais on n'en est plus à ça près. Tidiane, 16 ans, a été poignardé devant le lycée, entre 8 heures et 9 heures du matin, par une dizaine de jeunes cagoulés. Il est mort de ses blessures. Apparemment, la raison de ce meurtre est une rivalité entre « bandes de jeunes », respectivement venues de Choisy-le-Roi et de Thiais. Un autre mineur, blessé à la cuisse, a pu en réchapper.
Une équipe de télévision s'est rendue sur place le lendemain : les journalistes ont été agressés et d'autres « jeunes » ont essayé de leur voler leur caméra. Rachel Kéké, députée LFI du Val-de-Marne, a accusé le gouvernement de ne pas mettre assez de moyens pour « encadrer ces jeunes ». Tout ça, pourrait-on dire, est tristement banal. Des Français sont poignardés par dizaines tous les jours, pour des motifs qui plaident en faveur de l'imagination de ces « jeunes ». On n'arrête pas souvent les auteurs et, quand on les arrête, on ne les incarcère presque jamais. À quoi bon, de toutes façons.
La sœur de Tidiane est venue chez Hanouna, comme tout le monde. Aussi triste que surprise par le niveau de violence de cette « rixe », elle a conclu, presque incrédule : « On n'est pas en Afrique. » Les réseaux sociaux se sont déchaînés contre elle. Modérément, toutefois : non seulement elle vient de perdre un frère, mais elle et sa famille sont originaires d'Afrique. Certains internautes ont répondu que les Africains étaient mieux élevés que les Français et que, justement, ce genre de choses n'arrivait pas en Afrique. D'autres lui ont simplement répondu « ce malheur ne peut pas vous permettre de salir les vôtres ». Les vôtres, qu'est-ce à dire ? Cette femme est française avant d'être africaine, puisque les races n'existent pas et qu'être français est un état d'esprit. Non ?
Ce que voulait dire Mina, la sœur de Tidiane, est pourtant compréhensible. Certes, l'instruction scolaire à l'africaine, qui est ce qu'était l'Éducation française des années 50, ne devrait pas tarder à doubler le système éducatif français au classement PISA. Nous avons tout fait pour. Certes, la violence urbaine en Afrique est, dans certains pays, beaucoup plus rare qu'en France. Il n'en demeure pas moins que les règlements de comptes à coups de couteau entre lycéens d'origine africaine ne sont pas une tradition auvergnate. Ce que voulait dire, semble-t-il, la sœur de cet adolescent, c'est qu'elle était probablement venue d'Afrique avec sa famille en pensant que ce serait mieux en France. Elle avait oublié que des centaines de milliers, des millions d'autres Africains, avaient déjà eu la même idée et que, mathématiquement, ils avaient recréé, par la force du nombre, de petites Afrique dans de nombreuses cités de France. On conviendra que les génocides à la machette ou les exactions commises par des enfants-soldats ne se produisent pas - du moins pas encore, mais soyons patients - en France, alors que ces actes sont monnaie courante dans de nombreuses zones d'Afrique. Au fond, ce qu'attendait la sœur de Tidiane, et probablement toute sa famille avec elle, c'était une vie avec les avantages de la France tout en ayant la possibilité de garder la culture de l'Afrique. Le règne de la quantité, l'accueil inconditionnel, la censure bien-pensante ne l'ont pas permis.
Normalement non, Madame, on n'est pas en Afrique. Normalement, la France (c'est ce que croient ceux qui n'y sont pas retournés depuis longtemps), c'est le pays de la littérature et de la culture, du luxe et de la beauté, du courage et de la pugnacité, des paysages magnifiques et du génie industriel. Normalement. Mais la France que les électeurs français ont voulue, c'est autre chose : une France qui ne sait ni lire ni compter, une France dont les grandes villes ressemblent à des poubelles, une France dépressive qui baisse les yeux, une France moche, celle des éoliennes et des zones commerciales, une France qui a fait fuir ses cerveaux et écrase de taxes ses derniers riches. Une France nulle en maths qui joue bien au foot. Une France dont le classement des lycées ne répertorie pas les prix au concours général mais les crimes de sang.
On n'est pas en Afrique, certes, mais convenons qu'on n'est pas en France non plus. On ne sait trop, d'ailleurs, quel nouveau nom donner à ce chaudron de bêtise, de violence, de paresse et de lâcheté qui, jadis, fut la France et tenait le monde en respect. La marque « France » de 2023 ressemble au cycle du déclin des enseignes de luxe : d'abord tournées vers l'excellence, l'exigence et la rareté, elles prennent la grosse tête et produisent, petit à petit, des produits minables en grande série, avec des logos voyants et une marge importante. Le public s'en aperçoit et s'en détourne. Nous en sommes là. Mais, à la différence d'une marque jadis prestigieuse, la France n'est pas un colifichet... et sa survie n'est pas, quoi qu'en pense son Président, une option qui se décide en conseil d'administration, à Davos ou ailleurs.
Arnaud Florac