Jarente de Senac
Dans son discours prononcé le 23 février 2015 au Chicago Council on Global Affairs, George Friedman, le fondateur de Stratfor (la « CIA fantôme »), professait: « La priorité des États-Unis est d’empêcher que les technologies et le capital allemands s’unissent avec les ressources naturelles et la main-d’œuvre russe pour former une combinaison invincible ». Depuis la visite d’Olaf Scholz le 7 février 2022 aux États-Unis, quelques semaines avant l’entrée des Russes en Ukraine, et, plus encore, depuis le sabotage des gazoducs Nord Stream, toutes les bases sur lesquelles reposait la prospérité économique allemande ont été sapées par la politique américaine en Europe sous couvert de défense de l’Ukraine. Se plier à la stratégie américaine revient pour l’Allemagne à accepter une réactivation, de facto, du Plan Morgenthau et à se suicider.
Sur le plan intérieur, Olaf Scholz est pris en étau entre les intérêts des industriels allemands et ceux de ses alliés dans la coalition, les Grünen. Dans leur rôle de faiseurs de rois, les Grünen sont apparus ces vingt-cinq dernières années comme un pilier de l’influence américaine outre-Rhin, depuis la « coalition Rouge-Vert » et l’entrée en guerre de l’Allemagne au Kosovo du temps de Joschka Fischer, jusqu’à la pression ayant conduit à l’abandon du nucléaire par Angela Merkel en 2011 dans un calcul bassement électoraliste. Cette fois, c’est le ministre de l’Économie et du Climat Robert Habeck et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock qui incarnent le dispositif. En première ligne, cette dernière ne fait pas mystère de ses affiliations : Young Global Leaders, Atlantik-Brücke, European Council on Foreign Relations, etc. « Elle ne veut plus d’une politique extérieure rythmée seulement par les intérêts économiques du pays. [...] [Sa] ligne dure rejoint celle du président américain Joe Biden » (L’Express, 20 mai 2021). D’où sa critique du voyage d’Olaf Scholz à Pékin (2022). Comme l’a écrit un journaliste brésilien Pepe Escobar : « Olaf Scholz s’est rendu à Pékin essentiellement pour établir les étapes préparatoires à l’élaboration d’un accord de paix avec la Russie, avec la Chine comme messager privilégié. [...] Les industriels allemands qui contrôlent réellement l’Allemagne ne vont pas rester les bras croisés en se voyant détruits » (ZeroHedge, 6 novembre 2022).
Ça coince aussi du côté des militaires allemands. Notamment suite à la démission fin janvier, du chef de la marine allemande, le vice-amiral Kay-Achim Schönbach, pour ses déclarations publiques sur le fait que la Crimée était factuellement perdue pour l’Ukraine et que les préoccupations russes en matière de sécurité devaient être traitées avec « respect » (intervention à l’Institut Manohar Parrikar, le think tank indien de la Défense, le 21 janvier 2023). Et celle du général de la Lufwaffe Harald Kyjat, ex-chef d’état-major de la Bindeswehr (2000-2002) puis président du Comité militaire de l’OTAN (2002-2005), qui a dénoncé en substance un nouveau « coup de poignard dans le dos »: « Je trouve particulièrement ennuyeux que les intérêts de sécurité allemands et les dangers pour notre pays posés par une expansion et une escalade de la guerre reçoivent si peu d’attention. Cela montre un manque de responsabilité ou, pour utiliser un terme démodé, une attitude hautement anti-patriotique » (Overton Magazin, 20 janvier 2023). La question se pose donc de savoir si l’Allemagne va rester inféodé aux Américains et assumer son déclin où bien va-t-elle réagir au point de bousculer ses rapports avec Washington mais aussi avec ses alliés européens en sortant de ce mortifère soutien inconditionnel aux Ukrainiens qui savent, d’ores et déjà, qu’ils ne gagneront pas cette guerre.
http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2023/04/14/paradigmes-allemands-6438200.html