Ce 26 mai, l'éditorial du Point voyait désormais "la France championne du décrochage". Ce titre désolant soulignait un terrible constat : "la productivité au travail ne cesse de dégringoler en France, à rebours de la tendance générale". Et le journal concluait amèrement : "Sandrine Rousseau jubile, le pays boit la tasse".
Quelques jours plus tôt à Corbeil-Essonnes, ce n'était pourtant pas notre caricaturale écolo-fémino-extrémiste préférée, cible favorite des humoristes, mais le ministre de l'Économie et des Finances qui jubilait.
Le 15 mai, en effet, le glorieux Bruno Le Maire saluait dans Yposkesi, spécialisée dans la thérapie génique, "l’exemple parfait de cette politique d’attractivité... nous avons inauguré leur nouvelle usine financée par leur actionnaire SK Pharmtec".
Pour l'instant tout va [presque] bien. Après tout l'actionnaire sud-coréen, le Groupe Sunkyung, rebaptisé SK en 1997, conglomérat capitaliste, n'est pas le parti communiste chinois – qui contrôle les décisions d'investissements venus de l'Empire du Milieu.
Et le 25 mai, sa filiale Yposkesi posait la première pierre d'un nouveau bâtiment de production, supposé lui permettre de doubler ses capacités de production et de créer 80 emplois pour un coût de 60 millions d'euros. Cette nouvelle usine développera l'utilisation industrielle d'une technologie française. Celle-ci repose sur les recherches entreprises depuis 1990 par le Généthon, petite communauté scientifique spécialisée au départ dans les cartographies du génome humain, poursuivant diverses études précliniques, etc. En 2016, le Généthon transférait ses activités de productions de vecteurs viraux dans une nouvelle société dénommée Yposkesi, avec le soutien de la Banque publique d'investissement. En avril 2021, le Coréen SK Group officialisait le rachat de 70 % des parts d'Yposkesi à AFM-Téléthon et BPI France qui ne détient plus que 5 %.
Petite question dès lors : combien de temps le partenaire asiatique maintiendra-t-il l'emploi de ces 80 personnes en Ile-de-France ? Que pèsera la filiale hexagonale dans la stratégie du groupe mondial ? Rappelons que celui-ci, contrôlé par SK Holding, classée en bonne place par Fortune Global, emploie plus de 30 000 collaborateurs dans 113 pays différents. Conformément à la méthode commune aux chaebols coréens et aux zaïbatsus japonais ses activités n'ont cessé de se diversifier : à la pétrochimie et à l'industrie des énergies, SK Group a joint les domaines du bâtiment et des travaux publics, de la finance, du marketing, des télécommunications, de l'hôtellerie ou des semi-conducteurs.
Le risque devrait être considéré comme évident, qu'une fois de plus, l'investissement français ne serve que par l'achat de brevets, l'acquisition de technologies et l'apprentissage de savoir-faire.
Or, dès 2018, pourtant, le même Bruno Le Maire, déjà content de lui, avait cru pouvoir théoriser ce qu'il nomme la Stratégie d'attractivité de la France. Dans un discours tellement admirable que l'on peut, aujourd'hui encore, le télécharger sur le site de son administration, le ministre croit en effet pouvoir se flatter de chiffres annuels jugés particulièrement positifs sur ce terrain.
Le nombre d’investissements étrangers en France avait atteint, en effet, après la première année du règne macronien son plus haut niveau depuis 10 ans. "Je crois,disait l'ancien ministre de l'Agriculture de Sarkozy rallié,que c’est la démonstration la plus concrète que la France est de retour. Notre pays attire et suscite des investissements de plus en plus nombreux."Et de marteler : "en 2017, ce sont très précisément 1 298 projets d’investissement étrangers en France qui se sont concrétisés – soit une moyenne de 25 projets concrétisés par semaine. Et l’accélération que l’on constate en 2017 est significative : + 16 % par rapport à 2016. Cette performance remarquable est le signe de l’attractivité retrouvée de notre pays et la reconnaissance du travail des Français."
Vendre à la découpe la France à des groupes multinationaux, telle semble donc la feuille de route assignée aux macroniens.
Ainsi apprend-on que le programme annoncé triomphalement ce 11 mai par le chef de l'État, largement fictif, de ré-industrialisation du pays, dépendant d'aides de l'État à hauteur de 30 % jusqu'à 60 %, prétend miser sur ce que les professionnels du cocorico gouvernemental appellent l'attractivité du pays.
Tout cela n'est pas nouveau.
Tel fut déjà, en plein règne des jacobins, un des beaux exploits de la révolution française. Dès le 20 octobre 1792, la vente du mobilier des résidences royales, était légalement entérinée ; elle ne fit toutefois l’objet d’un véritable décret d’application que le 10 juin 1793. Rappelons au besoin qu'en septembre 1792, la Convention avait proclamé la république, et qu'en avril 1793 elle instituait la dictature du comité de salut public...
Le décrochage de la France s'aggrave mais il ne date donc pas d'hier.
JG Malliarakis
Sur les origines du déclassement on lira avec profit
"La Révolution française" par Charles Freppel
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