Le bal incessant des migrants soudanais qui veulent traverser la Manche
Un endroit stratégique pour ces candidats au départ vers le Royaume-Uni arrivés sur le sol français sans que l'on sache trop comment et qui n'ont qu'un but : se glisser clandestinement dans les véhicules qui, deux fois par jour, pénètrent dans les ferries assurant les liaisons outre-Manche. Leurs chances sont minces, car depuis les accords du Touquet de 2003, la France, moyennant compensation financière, s'est engagée à ne pas les laisser traverser.
C'est donc à Ouistreham, cette commune de 9.400 habitants qui connaît régulièrement des poussées de fièvre migratoire depuis 2017 et surtout depuis 2018, suite au démantèlement de la jungle de Calais, que s'entassent des hommes, jeunes (entre 20 et 35 ans), d'origine soudanaise, dans des conditions déplorables et pour lesquels aucune solution n'a été trouvée. Une situation explosive que le maire de la ville, Romain Bail, a, dès le départ, refusé de pérenniser, rejetant l'idée de la construction définitive d'un centre d'hébergement sur son territoire et renvoyant l'État sa propre responsabilité.
Marc* est restaurateur ouistrehamais. Quasi quotidiennement, il assiste à la même scène. Il nous raconte : « Ces migrants soudanais tournent autour des voitures des touristes anglais, ouvrent les coffres pour tenter de s'y installer clandestinement. J'ai vu des touristes particulièrement choqués lorsqu'ils ont découvert des clandestins dans leur caravane. C'est comme une violation de domicile... Heureusement, précise-t-il, la gendarmerie est très présente, elle fait un travail extraordinaire et intervient très vite. »
Des forces de l'ordre qui, ces derniers jours, sont revenues en force sur la commune. Si, pour Marc, « cette fois-ci, on a plus de chance qu'en 2018, on avait alors affaire à des individus particulièrement agressifs, mais là, ils sont tous soudanais, il n'y a pas de bagarre ethniques entre eux comme cela se passe ailleurs ». Le maire, lui, est moins optimiste. Il évoque « des comportements que l’on n’avait pas connus depuis très longtemps. On revoit des migrants courir derrière les camions en route pour la gare maritime pour essayer d’y entrer. On constate qu’ils boivent de l’alcool sur la voie publique, ce que l’on ne voyait pas, et il y a des soucis de bruits et de déchets. »
Des associations de soutien aux migrants particulièrement militantes
« Ils sont bien nourris par les associations. Ils viennent d'ailleurs chez moi avec des cartes (de repas), il ont des sous, ils m'achètent des canettes », précise Marc.
Ces associations, regroupées dans un collectif, La plate-forme des soutiens aux migrant.e.s, interpellent. Si certaines comme La Cimade ou Solidarités International sont connues et leur financement bien identifié et régulièrement critiqué, d'autres sont plus locales, comme le CAMO, Vents contraires ou Citoyen.nes en lutte. Particulièrement combatives, toutes multiplient manifestations (dernière en date ce mercredi 6 décembre lors de la venue de Marion Maréchal et Nicolas Bay pour une conférence de presse), actions coup de poing, comme cette dernière perturbation du conseil municipal de la ville à coups de tambourinades dans les portes de la mairie et lancements de fumigènes. Elles pratiquent assidûment les recours en justice pour faire plier Romain Bail. Avec succès, puisque c'est à leur initiative que le Conseil d'État vient de contraindre la commune - qui s'y refusait - à installer un accès à l'eau pour les migrants, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard (à compter du 9 décembre).
Des militants, donc, particulièrement actifs mais inconnus des habitants que BV a pu interroger : « Ils ne viennent jamais manger chez moi, je n'ai jamais eu l'occasion de discuter avec eux », nous dit Marc, qui pourtant voit passer beaucoup de monde. Qui sont-ils ? Et d'ailleurs, pourquoi cet afflux soudain de migrants, depuis août 2023 ? En raison d'une crise politique au Soudan, affirme l'extrême gauche. À cause de la grande transhumance organisée par les services de l'État pour vider Paris à l'aube des Jeux olympiques, selon certains médias, transfert qui a débuté à l'été, lors de la Coupe du monde de rugby. Mais une habitante de Ouistreham contactée par BV (et qui souhaite garder l'anonymat) a sa version des faits : « En juin, lorsque les associations ont commencé à réclamer l'accès à l'eau pour les migrants, ils n'étaient qu'une dizaine, pas plus. C'est ensuite que le flux a augmenté jusqu'à ce nombre de plus de 200. D'ailleurs, remarque-t-elle, lors du confinement, ces gens étaient logés dans une structure de colonie de vacances non loin de là. Dès la levée du confinement, ce sont les associations qui sont allées les chercher pour les remettre sur le port de Ouistreham...»
Une explication qui jette le trouble sur le rôle de ces associations. Se bornent-elles à nourrir les migrants ou poursuivent-elles un autre objectif plus politique ? À Ouistreham, qui instrumentalise qui et pourquoi ? En attendant, les Ouistrehamais qui, le soir, ne s'aventurent plus sur le port et les commerçants dont la clientèle britannique se raréfie paient la facture.
*Le prénom a été changé
Sabine de Villeroché
https://www.bvoltaire.fr/migrants-a-ouistreham-le-role-trouble-des-associations/