Une controverse inutile est apparue à propos de l’avis émis par l’ambassade américaine à Moscou le 7 mars, selon lequel “des extrémistes ont des plans imminents pour cibler les grands rassemblements à Moscou, y compris les concerts” et avertissant les citoyens américains d'”éviter les grands rassemblements“. Cela a pris la forme d’une querelle diplomatique et, au moins momentanément, l’affirmation américaine selon laquelle ils avaient partagé des “informations” avec les Russes a laissé entendre que les agences de sécurité de Moscou étaient ineptes, tandis que les Russes ont répliqué en disant que les Américains n’avaient rien transmis de spécifique ou d’exploitable.
Il est clair que Washington était en possession d’informations qui étaient pour le moins suffisamment crédibles en termes de source, mais qui n’étaient pas assez précises pour Moscou. Il est intéressant de noter que l’ambassade du Royaume-Uni à Moscou a également émis un avis similaire déconseillant aux citoyens britanniques de se rendre dans les centres commerciaux. Les services de renseignement américains et britanniques travaillent en tandem.
Toutefois, dans une étrange démarche préventive, le département d’État s’est également empressé, dans les deux heures qui ont suivi l’horrible attentat perpétré dans le centre commercial du Crocus City Hall de Moscou, le 22 mars, de déclarer que l’Ukraine n’était pas responsable de l’attentat. Les alliés européens des États-Unis ont également commencé à répéter la même chose. Comme on pouvait s’y attendre, les Américains ont pris une longueur d’avance dans la guerre de propagande, ce qui leur a permis d’élaborer un récit – également en temps réel – désignant État islamique comme le coupable de ce crime horrible.
Pourtant, dès le lendemain, le président Vladimir Poutine révélait dans son discours à la nation que ce qui s’était passé était “un meurtre de masse prémédité et organisé de personnes pacifiques et sans défense“, rappelant les méthodes nazis “pour mettre en scène une exécution spectaculaire, un acte sanglant d’intimidation“.
Il est important de noter que Poutine a révélé que les auteurs “ont tenté de s’échapper et se sont dirigés vers l’Ukraine, où, selon des informations préliminaires, une fenêtre a été préparée du côté ukrainien pour leur permettre de franchir la frontière de l’État“. Mais il s’est abstenu de désigner des coupables, l’enquête étant en cours.
En d’autres termes, d’après les informations communiquées par Poutine, il semble que les mentors/responsables des auteurs de l’attentat leur aient donné des instructions pour quitter le territoire russe après leur mission en empruntant un itinéraire particulier pour franchir la frontière ukrainienne, où ils étaient attendus par des personnes se trouvant du côté ukrainien de la frontière. Ce qui reste maintenant dans le domaine de “l’inconnu connu” concerne en fait la chaîne de commandement. C’est la première chose.
Deuxièmement, Washington a propagé l’idée qu’il s’agissait d’une attaque par ISIS. En effet, elle a été propagée efficacement par les médias occidentaux et a été conçue comme un faux-fuyant pour confondre les personnes stupides à l’étranger.
Toutefois, en réalité, les auteurs de l’attentat ne se sont pas comportés comme des tueurs d’ISIS en mission suicide qui auraient cherché le martyre, mais plutôt comme des fugitifs en fuite. Ils n’ont pas non plus répondu à l’appel du “djihad“. Il s’agirait de Tadjiks ethniques qui ont admis qu’ils étaient des mercenaires attirés par l’argent.
D’après les vidéos diffusées, les experts estiment également que leurs mouvements à l’intérieur du centre commercial ne témoignent pas des compétences de combat attribuées à des combattants bien entraînés, et qu’ils avaient une “mauvaise discipline“, ce qui signifie qu’ils n’avaient reçu qu’une formation minimale au maniement du fusil. En résumé, il s’agit d’un acte de malignité sans motif, sauf pour ce qui est de l’argent.
Cela dit, l’armée américaine avait récemment “réoutillé” d’anciens combattants d’ISIS. Le 13 février, le Service russe de renseignement extérieur (SVR) a affirmé dans un communiqué que les États-Unis recrutaient des combattants djihadistes pour mener des attaques terroristes sur le territoire de la Russie et des pays de la CEI.
Le communiqué dit : “Ils suivent une formation accélérée sur la base américaine d’Al-Tanf, en Syrie, où on leur apprend à fabriquer et à utiliser des engins explosifs improvisés, ainsi que des méthodes subversives. Un accent particulier est mis sur la planification d’attaques contre des installations lourdement gardées, y compris des missions diplomatiques étrangères… Dans un avenir proche, il est prévu de déployer des militants par petits groupes sur le territoire de la Russie et des pays de la CEI.”
Le SVR a également noté qu'”une attention particulière a été accordée à l’implication de personnes originaires du Caucase du Nord russe et d’Asie centrale“.
Le 26 mars, Alexander Bortnikov, directeur du Service fédéral de sécurité (FSB), déclarait dans une interview accordée à la chaîne de télévision Rossiya que les interrogatoires menés jusqu’à présent avec les détenus avaient permis d’établir que l’incident s’inscrivait dans un contexte politique. Il a ajouté que les islamistes radicaux ne pouvaient pas préparer seuls une telle action et qu’ils étaient aidés de l’extérieur.
Bortnikov a déclaré : “Les données primaires que nous avons reçues des détenus le confirment. Nous allons donc continuer à affiner les informations qui devraient nous permettre de déterminer si la participation de la partie ukrainienne est réelle ou non. Quoi qu’il en soit, jusqu’à présent, tout porte à croire que c’est exactement le cas. Puisque les bandits eux-mêmes avaient l’intention de se rendre à l’étranger, c’est-à-dire sur le territoire de l’Ukraine, d’après nos informations opérationnelles préliminaires, ils attendaient sur place“.
Bortnikov a ajouté que l’attaque terroriste était soutenue non seulement par les services spéciaux ukrainiens, mais que des pays comme la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient également derrière le massacre. Selon lui, le principal responsable de l’incident n’a pas encore été identifié et la menace d’un acte terroriste en Russie persiste.
Les remarques de Bortnikov laissent entrevoir une situation difficile classique : La Russie possède des preuves de l’implication de l’Ukraine, mais aucune “preuve” n’est encore suffisante. Il s’agit d’une situation difficile à laquelle les pays sont souvent confrontés dans la lutte contre le terrorisme transfrontalier, en particulier lorsqu’il s’agit d’un terrorisme parrainé par un État. Bien entendu, aucune preuve ne sera acceptée par l’adversaire en fin de compte – alors que dans le cas de l’Ukraine, il y a souvent un empressement à revendiquer le mérite d’avoir saigné la Russie en organisant des opérations sur son sol, comme des assassinats.
En ce qui concerne les États-Unis ou le Royaume-Uni, les Russes estiment qu’en l’absence de renseignements, d’images satellite et même de soutien logistique de la part des puissances occidentales, l’Ukraine n’a pas la capacité d’entreprendre des opérations à l’intérieur de la Russie ou le type d’attaques complexes visant les navires de guerre russes de la flotte de la mer Noire. Mais les puissances occidentales sont invariablement en mode déni lorsqu’elles sont confrontées à de telles accusations de la part de la Russie.
Il ne fait aucun doute que l’attentat contre le Crocus City Hall aura de profondes conséquences géopolitiques et influencera la trajectoire de la guerre en Ukraine. L’incident a suscité une sympathie mondiale massive pour la Russie. Il s’agit maintenant pour Poutine d’un énorme défi politique : agir de manière décisive, comme l’attend l’opinion publique russe, pour déraciner complètement les forces obscures retranchées chez leurs voisins.
Il est concevable que cela implique que Moscou ébranle les fondations mêmes de la situation que Washington a mis en place à Kiev après le coup d’État de 2024. Le New York Times a récemment révélé que la CIA disposait d’une série d’antennes de renseignement tout au long des régions frontalières entre l’Ukraine et la Russie.
Qu’on ne s’y trompe pas, les États-Unis sont déterminés à conserver la vaste infrastructure qu’ils ont créée en Ukraine pour monter des opérations secrètes et déstabiliser la Russie, quoi qu’il en coûte. L’essentiel de la stratégie occidentale consiste à affaiblir la Russie et à l’empêcher de jouer un rôle d’adversaire sur la scène mondiale.
Les mots de TS Eliot tirées de la pièce Murder in the Cathedral me viennent à l’esprit : « Quelle paix peut être trouvée / Pour grandir entre le marteau et l’enclume ? » La guerre est vouée à une escalade dramatique et le déploiement de troupes occidentales en Ukraine n’est qu’une question de temps pour sauver le potentiel résiduel de ce pays en tant qu’État de la ligne de front pour l’OTAN dans sa guerre par procuration contre la Russie. De son côté, la Russie pourrait n’avoir d’autre choix que de rechercher une victoire militaire totale. La réaction russe à plusieurs niveaux se développera en fonction des résultats de l’enquête en cours.
M.K. Bhadrakumar
Source Indian punchline
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
https://lesakerfrancophone.fr/la-survie-de-lukraine-est-en-jeu