Profondément marqué par le 7-Octobre, le philosophe voit avec horreur un antisémitisme politique s’installer en France. Pour lui, protéger nos libertés et définir une règle du jeu commune avec les musulmans exige avant tout une réaffirmation de la communauté politique nationale qui s’est effacée devant les droits des individus.
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Les atermoiements d’Emmanuel Macron en attestent. Donc, pour vous la menace la plus urgente, c’est moins la banalisation d’un certain antisémitisme musulman que la relégitimation de l’antisémitisme de gauche ?
Des mauvais sentiments, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Le danger, c’est la cristallisation opérée par l’antisémitisme politique. En plaçant la haine d’Israël en attracteur central, il fait se rejoindre et noue ensemble danger intérieur et menaces extérieures. On a beaucoup commenté, à juste titre, le jeu de LFI après le 7 octobre, beaucoup moins celui du recteur de la mosquée de Paris, qui a reçu en mai 2024 Rima Hassan avec des honneurs qui auraient mérité l’attention du gouvernement. Rien d’étonnant pourtant puisque la grande mosquée de Paris est une expression du gouvernement algérien et que celui-ci compte parmi les plus ardents soutiens du Hamas. Cette « cause commune » entre le recteur de la mosquée et l’égérie de LFI résume les pressions qui pèsent sur notre communauté politique et les déchirements qui la menacent. Les atermoiements du président ne sont pas sans lien avec cette configuration globale. Le problème que nous pose l’islam n’est pas métaphysique. On peut discuter indéfiniment de sa compatibilité, ou non, avec la démocratie. L’urgence est de discerner que ce nœud qui se noue entre l’intérieur et l’extérieur, en même temps qu’il menace la sécurité et la présence des juifs dans notre pays, met en péril l’indépendance de celui-ci.
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Autrement dit, l’État de droit, tel qu’il est construit par les juges européens, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, c’est la défense des individus contre les États ?
Oui, spécialement contre la loi politique nationale. Il faut partir d’un fait très simple : notre hypothèse, l’hypothèse progressiste qui est au fond de toutes nos démarches, c’est que la condition naturelle des hommes est de vivre libres et égaux dans une paix profonde. Malheureusement, l’humanité s’est divisée en unités politiques distinctes qui ont fomenté toutes ces guerres dont il est temps de sortir. La cause de tous nos maux, c’est le corps politique indépendant, donc le corps national. La tâche urgente est donc de disparaître comme nation séparée en formant un espace libre et vide – « l’Europe » – dans lequel accueillir tous ceux qui désirent rejoindre cette humanité nouvelle en formation. De quel droit en effet le leur interdirions-nous ? Vouloir protéger nos frontières, c’est entrer en guerre contre le reste de l’humanité. Ainsi avons-nous transformé la « préférence nationale » en crime contre l’humanité. Mais sans préférence nationale, il n’y a pas de nation.
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Revenons au défi que représente l’islam identitaire et politique. Selon vous, on ne va pas le changer, ni par l’autorité, ni par la séduction, il faut donc négocier et céder sur les mœurs. Deux objections : d’une part, là où l’islam est majoritaire, il a tendance à être hégémonique et à imposer et proscrire certaines conduites ; d’autre part le discours des Frères musulmans s’accompagne souvent d’un rejet de la France – je crache sur les flics et j’obéis à l’imam.
Tout cela est vrai, mais si on veut que quelque chose soit possible, il faut proposer aux musulmans une communauté à laquelle ils puissent avoir part, donc les intéresser à la nation. Après tout, s’ils vivent en France, pas en Algérie, pas en Tunisie, c’est qu’ils se sentent mieux en France. Je sais bien que leurs sentiments, comme les nôtres, sont souvent ambigus et mêlés mais enfin, ils ont choisi de vivre ici ! L’horizon pertinent en tout cas n’est pas selon moi l’homogénéité des mœurs, mais une communauté politique qui leur paraisse désirable et qui nous paraisse à nous aussi désirable. Ce qui suppose, en effet, certains accommodements. Mais ces accommodements présupposent, aujourd’hui comme en 2015, l’effectivité du fait national. Or, l’hypothèse de nos gouvernants et de l’opinion commune est qu’entre le Maghreb et nous, il y a une sorte de continuum, et donc qu’il y aurait quelque chose de scandaleux à insister sur l’intégrité du fait national. Je soutiens au contraire que, pour que les Français – les musulmans et les autres – retrouvent un peu de sécurité morale et de tranquillité civique, il faut bien distinguer les nations. Il est urgent de mettre un terme à cette espèce de continuum entre la France et l’Algérie, qui n’est pas traitée comme un pays indépendant, ce qui fait que nous ne sommes pas indépendants de l’Algérie.
Faut-il aller, selon vous, jusqu’à interdire la double nationalité ?
Spontanément, je pense que la double nationalité, surtout quand elle est à ce point répandue, est une mauvaise chose. Des spécialistes me disent que ce n’est pas très important, alors je ne sais pas. Je pense en tout cas que la déchéance de la nationalité française pour les binationaux coupables d’infractions terroristes est bien le moins que l’on puisse faire. Une nation suppose, plus encore qu’une préférence, une allégeance. Il n’y a pas de rupture plus complète de la loyauté que l’on doit à sa nation que l’acte terroriste. Il est important pour chaque citoyen de savoir clairement et fermement à quel pays va sa loyauté. La France aura, elle a déjà une partie musulmane. Si cette part continue de croître indéfiniment, il n’y aura de paix pour personne. Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais la laïcité n’y fera rien. On ne peut faire sa part à l’islam sans limiter la part de l’islam, et on ne peut limiter cette part sans rétablir la légitimité politique de la nation.
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