Maurice Bernard
Aux lieux réputés dangereux – eaux infestées d’icebergs, sables mouvants, champs de mines… - il semble qu’il faille ajouter dorénavant les plateaux de télévision. Leur fréquentation paraît, en effet, faire perdre à certain tout sens commun. À se demander si la chaleur des projecteurs ne leur grillerait pas les neurones (si tant est, bien sûr, qu’ils en aient été pourvus auparavant).
Il y a deux jours, chez Cyril Hanouna, le politologue d’extrême gauche - en rupture de LFI - Thomas Guénolé s’est déclaré favorable à ce que, le cas échéant, « on rase le Sacré-Cœur », avant de s’emporter contre « cette merde meringuée géante, (…) détestable du point de vue architectural, (qui a été construite) pour expier les "crimes" des Communards ». Le lendemain, c’est l’assemblée catholique tout entière qui a fait les frais de la fureur vengeresse de l’iconoclaste. « Je déteste l’Église pour le fait d’avoir couvert les pédophiles », s’est-il ainsi écrié, tout en nuance... Rien de bien nouveau sous le soleil rouge de la gauche française, me direz-vous ; un classique, un "must" en quelque sorte, incontournable pour cet élevage de bouffeurs de curés...
En se comportant de la sorte, l’auteur du Manuel de résistance à l’extrême droite, au premier abord, peut donner l’impression qu’il a vu fondre, sous les sunligts, autre chose que ses ailes Il peut sembler avoir pété un câble, coulé une durite et rejoint ainsi les innombrables victimes de la mise en lumière par l’étrange lucarne. Mais il ne s’agit là que de l’apparence, de l’écume des choses. La vérité est ailleurs. « Je parle, je dis des contre-vérités, des énormités, je fais le buzz, donc j’existe » est la réalité de la télé d’aujourd’hui. Comme tant d’autres, Thomas Guénolé le sait et y sacrifie. « Je suis là, regardez-moi, ne m’oubliez pas » est la supplique universelle qui monte des plateaux : Thomas Guénolé la reprend à son tour, et à peu de risques, puisque le ridicule ne tue plus personne dans ce pays. Surtout à gauche. Depuis longtemps…
Sur notre écran, on entend donc, et on voit, n’importe qui dire n’importe quoi. La tirade de Guénolé sur la basilique de Montmartre en est un bel exemple. En bon homme de gauche, il viole l’histoire. Mais à la différence d’Alexandre Dumas, il ne lui fait pas d’enfant. Son but en effet n’est pas de créer. Il est de distordre pour discréditer et déconstruire. Dans une pièce satirique des années 1970, Blanche Neige voyait des nains partout. Guénolé, lui, c’est du "fascisme". Tout ce qui n’appartient pas au champ de ses affections en relève. Napoléon III, le Sacré-Cœur, l’Église catholique, les zouaves pontificaux, Gallifet, Adolphe Thiers, les "ligues" des années 1930, Laval ou Pétain, tout ça, c’est du pareil au même. Dans le même sac ! De purs produits de jésuitières, des ennemis du peuple, des saigneurs, des monstruosités !
Manifestement, peu lui importe la vérité historique, la nuance, la complexité. Peu lui chaut que la première version du vœu d’édifier le Sacré-Cœur ait été rédigée par Alexandre Legentil en décembre 1870, soit trois mois avant le début de la Commune (le 18 mars 1871). Et que le second texte, signé Legentil et Hubert Rohault de Fleury (le beau-frère du premier) date du mois de janvier.
Que le vœu en question ait été en fait une réaction à la responsabilité de la France de Napoléon III dans l’annexion des États pontificaux puis de Rome par la jeune monarchie italienne, ainsi qu’à la défaite française de 1870 face à la Prusse, perçue comme une punition divine, ça n’est pas sa préoccupation première. De même, que le texte définitif, arrêté en janvier 1872, évoque seulement les « malheurs qui désolent la France » sans jamais nommer la Commune, il s’en fiche. L’important, ce n’est pas ce qui a été mais ce qu’il croit savoir car au final, seul compte la vision et le dogme définis par la gauche.
Pour en finir avec la "guénolade" visant le Sacré-Cœur, une dernière observation. En présentant la basilique-phare du 18e arrondissement comme une prétendue revanche réactionnaire haineuse sur la "malheureuse" Commune de Paris écrasée dans le sang, Thomas Guénolé manque de respect aux Milites Christi (soldats du Christ), catholiques d’essence monarchique, anciens zouaves pontificaux, qui en 1870-1871, se sont mis à la disposition de la toute nouvelle République pour défendre la patrie, sous le signe du Sacré-Cœur. L’église de Montmartre, en effet, est aussi, en quelque sorte, un hommage à leur sacrifice, à leurs souffrances. Deux de leurs chefs d’ailleurs, le général Gaston de Saunis et le colonel Athanase de Charette (tenant la bannière blanche frappée du Sacré-Cœur et de l’inscription : « Cœur de Jésus, sauvez la France »), héros de la Légion des Volontaires de l’Ouest, figurent sur la grande mosaïque qui orne le chœur.
Il est bien dommage que Guénolé, aveuglé par ses certitudes, n’ait pas la sagesse d’un Adolphe Crémieux, figure du gouvernement de Défense nationale, avec Léon Gambetta, après la chute de l’Empire. Prenant la défense de Cathelineau, dont le projet de corps franc se heurtait à la réticences des préfets républicains d’Angers et de Nantes, l’avocat et homme politique, le 28 septembre 1870, recadra ces derniers en ces termes : « Il ne s’agit en ce moment que de faire la guerre aux Prussiens, laissons toutes nos opinions se réunir pour libérer notre sol sous le drapeau de la France (…). Ne nous fâchons pas de ce que des Français catholiques invoquent la Sainte Vierge pendant que des Français libéraux invoquent la sainte liberté ». Le même Crémieux, début octobre, accepta également le maintien de l’uniforme des zouaves pontificaux amenés d’Italie par Charette. Mais Guénolé n’est pas Crémieux. Si le ministre de la Justice du gouvernement de Défense nationale voulait rassembler, le politologue engagé, lui, ne sait que souffler sur les braises de la discorde…
La morale à tirer de cette histoire est que certains plateaux de télévision agissent comme un révélateur. Ils font sortir du bois la bête qui s’y cache. Alors, derrière l’intello propret à barbiche et lunettes, derrière le petit marquis satisfait et sûr de lui, apparaît le propagandiste, le revanchard, le boutefeu, le nihiliste, le déconstructeur, le conchieur ; bref, le révolutionnaire, le communiste, l’anarchiste. Encore et toujours, le même programme niveleur et les mêmes pulsions destructrices : « Du passé, faisons table rase ». Au nom, bien sûr de l’humanité, de la liberté, de l’égalité. Chassez le naturel, il revient au galop : foutez-moi en l’air ces statues, ces croix, ces clochetons ! Coupez ces têtes qui dépassent ! Rééduquez ces cerveaux malades qui invoquent le Christ, la tradition, la patrie ! Cassez ces crânes qui demeurent obstinément fermés aux "idées de progrès" ! Battez, battez, il en sortira bien quelque chose !
En fait, dès que l’occasion se présente, c’est plus fort qu’eux : ils disent tout haut ce qu’ils pensent vraiment. Bientôt, leurs détestations prennent le dessus. Alors, ça parle fort, ça bombe le torse, ça pérore, ça affirme. C’est catégorique et péremptoire ! Le fiel, voire la haine, suinte, le poing se tend, le visage se crispe. Un cran au-dessus, ce sont les insultes, les appels au meurtre… Dès lors, il y a de la dénonciation, du "règlement de compte", de la tonte dans l’air… Grosso modo, l’idée est toujours la même : nous sommes les défenseurs, les vengeurs des "victimes" de la "réaction", du "conservatisme" ; tous ceux que nous dénonçons, que nous combattons sont des "bourreaux", des "exploiteurs", des "fascistes", des "salauds". Le camp du bien contre le camp du mal ! Et à la clé : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », pas de place pour eux dans le paradis rouge !
Depuis 235 ans, c’est leur credo, leur marotte, et quand ils sont hégémoniques, leur pratique, totalitaire. Ou plutôt celle des brutes qui se salissent les mains à la place de tous les intellos souffreteux qui, habituellement, mènent la danse. Antoine de Rivarol l’avait bien vu : « S’il est vrai que les conjurations soient quelquefois tracées par des gens d’esprit, elles sont toujours exécutées par des bêtes féroces ». Robespierre, Saint-Just, Lénine ou Trotski n’ont jamais tué personne de leurs mains. Une armée de tueurs à leur service, saoulés de mots d’ordre, s’en est chargée… Pour le seul XXe siècle, cent millions de morts, au nom du communisme, en attestent !
Il paraît que Fidel, le Lider Maximo, a déclaré un jour : « Comme la bicyclette, la révolution tombe dès qu’on arrête de pédaler ». En bon fils de Marx, Thomas Guénolé pédale donc… Mais dans la semoule !