Après des semaines de polarisation médiatique sur les élections américaines, le chiffrage des résultats réels permet d'y voir plus clair. Tout d'abord le total des votes populaires respectifs dément tous les commentaires agréés. Nous avons assisté à une victoire, certes indiscutable et sans bavure, au-delà même des prévisions, du candidat républicain: mais il s'agit en effet d'abord d'un échec cuisant de Kamala Harris. Le candidat Trump ne progresse guère en voix par rapport à son score officiel de 2020, soit 74,2 millions de voix. Il en a obtenu cette année 74,8. En pourcentage des électeurs inscrits le trumpisme a même légèrement reculé, passant de 31 % à 30,4 %.
C'est en réalité le nombre des abstentionnistes qui a largement augmenté, passant de 79,8 millions sur 239 millions d'inscrits, à 98 millions sur 245,7 millions cette année. Le nombre de votants diminuant de 11 millions, le nombre des abstentionnistes augmentant, lui, de 18 millions, alors même que l'on additionnait les superlatifs pour présenter ce scrutin comme décisif et passionné. La candidate du parti démocrate a recueilli, quant à elle, seulement 71,2 millions de suffrages : quatre ans plus tôt le candidat Biden avait été élu, avec 81,4 millions de voix.
Ce sont donc bel et bien plus de 10 millions d'électeurs qui ont manqué à Kamala Harris en 2024. Ce fait massif déjoue et contredit tous les pronostics conformistes, selon lesquels la vice-présidente sortante, soutenue par les minorités, par le pseudo-féminisme pro-avortement et par toutes les bien-pensances coalisées, constituait par elle-même une "arme anti-Trump". Par charité on se dispensera, aujourd'hui ici, de multiplier les citations accablantes. Le fait est que le rêve californien s'est brisé. Hollywood a dû plier bagages. Être soutenue par Julia Roberts, Beyoncé, Leonardo Di Caprio ou Taylor Swift n'a pas suffi à la ci-devant attorney générale de Californie.
Dès le 6 novembre, l'éditorialiste du Monde se lamentait. Le quotidien de référence des cercles de pouvoir parisiens invite ses lecteurs à pleurer sur le sort de Kamala Harris, en regrettant ce qu'il appelle "la fin d’un monde américain". La pâlotte candidate de rechange substituée dans le courant de l'été, à un Joe Biden hors d'âge, ne mérite pourtant même pas, "ni cet excès d'honneur ni cette indignité". Ce n'est pas seulement elle qui a perdu : c'est tout l'échafaudage du wokisme, de la bobocratie et du prêchi-prêcha politiquement correct. Le parti démocrate des États-Unis, soutien matériel constant des sociaux-démocrates européens, est en effet habilité à assurer légalement, depuis la conférence de Leipzig de 2012, les fins de mois de l'Alliance progressiste. Créée essentiellement à cette fin, cette organisation internationale est représentée en France par le parti socialiste, en Allemagne par le SPD, en Angleterre par le parti travailliste, qu'elle soutient.
Cette défaite de la bobocratie peut donc être considérée comme une bonne nouvelle.
Mais elle ne doit pas nous tromper, car on aurait évidemment tort d'imaginer le succès de Trump transposable en Europe. Autant, on peut se réjouir de la défaite de ce que représente Kamala Harris, autant le réveil de nos peuples et de notre pays ne saurait importer le scénario spécifique du trumpisme, soutenu par les magnats de la tech et de la finances, adossé à un vieux fond idéologique protestant, porté par un spectaculaire promoteur immobilier, sans équivalent européen.
Or, c'est désormais sur le Vieux Continent que ça se passe, y compris dans la mesure où les alliés américains risquent de s'en désengager, voire de procéder à un nouveau partage de Yalta, lequel, entre autres, déplaça arbitrairement le 11 février 1945 les frontières polonaises. Dans un entretien publié par Le Figaro ce 10 novembre, le général Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, se veut rassurant : « En cas de désengagement américain, dit-il, la défense européenne s’adaptera. » Or, la probabilité du cas de figure tient moins aux déclarations électorales du candidat républicain, qu'au fait souligné par le chef militaire : « Les Américains se battent pour le leadership mondial et cette bataille se joue aujourd’hui dans la zone indo-pacifique. Il est donc probable qu’un jour les Américains consacrent encore davantage de forces à ce théâtre. » L'hypothèse de l'adaptation des Européens, plausible si on considère les moyens du Vieux Continent suppose cependant des conditions politiques, et un état de l'opinion.
Avez-vous remarqué combien discrète est la validation, actuellement en cours de la nouvelle Commission européenne par un parlement européen où, pour la première fois depuis 45 ans qu'il est élu au suffrage universel, la majorité ne se situe plus au centre gauche. Écolos et assimilés n'y sont plus les faiseurs de rois. Sur 720 eurodéputés le scrutin proportionnel a donné cette année 188 sièges au PPE, regroupant les partis du centre-droit mais aussi 187 aux trois groupes stigmatisés comme d'extrême droite, soit une majorité de 375 sur 720. À cette convergence travaille depuis plusieurs années l'actuel président du PPE, le chrétien social bavarois Manfred Weber, en proximité désormais avec l'actuel gouvernement italien dirigé depuis 2022 par Giorgia Meloni.
On est passé très vite aussi sur la victoire, courte mais claire, de la présidente de la Moldavie, Maia Sandu, réélue par 55 % des voix ce 3 novembre. Or, ce petit pays chrétien arraché à la Roumanie à l’ère stalinienne, cristallise l’espoir d'une victoire de l’Europe libre. Ce sera en effet, de plus en plus sur elle-même, qu’elle devra compter pour défendre son bien le plus précieux, sa liberté, avec tout ce que cela suppose concrètement de solidarité, et de respect des identités. Ce 20 octobre, à Francfort, l'historienne et journaliste Anne Applebaum, recevait le Prix de la Paix des libraires allemands. Dans son discours, elle expliquait « pourquoi les propagandistes des régimes autocratiques feront tout ce qu’ils peuvent pour saper le langage du libéralisme et les institutions qui protègent nos libertés, pour les tourner en dérision et les rabaisser dans leurs propres pays et dans les nôtres également ». (1)⇓
Cette stratégie des continuateurs du bloc stalinien ne passe pas seulement par le dénigrement, par les fake news et ce que Soljenitsyne appelait la surinformation. Telle se révèle la dimension nouvelle de la « guerre hors limites » qui nous est livrée (2)⇓. Elle passe aussi par le silence des grands médias. Et sur ce terrain, il reste fort à faire...
JG Malliarakis
Apostilles
- Texte traduit par Desk Russie N°85, https://desk-russie.eu/2024/11/03/de-lhumanisme-militant.html⇑
- cf. notre Insolent daté du 2 novembre : "La Guerre multidimensionnelle du XXIe siècle" https://www.insolent.fr/2024/11/la-guerre-