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Y-a-t-il encore une opposition nationale en France ?, par André Murawski

Peut-être l’intérêt national n’est-il plus la priorité de la nouvelle direction du RN ?

Toute la classe médiatico-politique en parle. Au Parlement, l’abstention des députés RN a permis l’approbation – à une voix de majorité ! – de la nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel.

Mais de quoi cette approbation est-elle révélatrice ?

A l’origine, la création d’un Conseil constitutionnel devait répondre à un besoin précis.  Le Premier ministre de l’époque, Michel Debré, avait déclaré que « ce qu’il nous faut, c’est une arme contre la déviation du régime parlementaire », confirmant ainsi la volonté du général de Gaulle de rompre avec les dérives de la IVe République. Les rédacteurs de la Constitution du 4 octobre 1958 ont donc imaginé une juridiction susceptible de contenir très strictement l’Assemblée nationale et le Sénat dans le domaine de la loi. On attendait du Conseil constitutionnel qu’il juge la conformité textuelle des lois à la lettre de la Constitution, et notamment à l’article 34 qui définissait le domaine de la loi. Le rôle du Conseil constitutionnel était donc, somme toute, assez limité.

Un changement majeur survint peu après la démission du général de Gaulle, pendant la présidence de Georges Pompidou.

Dans une décision du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel outrepassa pour la première fois les limites de sa mission consistant à dire la conformité des lois à la Constitution, et censura plusieurs dispositions d’une loi tendant à réformer la liberté d’association non pas parce qu’elles n’auraient pas été conformes à la Constitution de 1958, mais parce qu’elles dérogeaient à l’un des principes fondamentaux de la République mentionnés dans le préambule de la Constitution de… 1946 ! Ce jour-là, le Conseil constitutionnel n’a plus fondé sa décision sur la lettre de la Constitution, mais sur la conception qu’il se faisait d’un principe ! Cette décision a ouvert la porte à ce que certains ont dénoncé comme un gouvernement des juges puisqu’une instance juridictionnelle pouvait faire obstacle à la volonté nationale exprimée par les représentant du Peuple à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le pouvoir au début strictement limité du Conseil constitutionnel s’est alors accru dans des proportions considérables.

En effet, à partir du moment où le Conseil constitutionnel fonde ses décisions sur des principes, chacun comprend aisément que l’interprétation de ces principes dépend d’abord des conceptions personnelles de chacun des membres du Conseil, et que cette interprétation oriente les décisions dans un sens politique. Pour faire simple, un conseiller pourra faire de tel ou tel principe une interprétation plutôt de droite, s’il est conservateur, ou plutôt de gauche s’il croit à un prétendu « sens de l’histoire ». C’est là où la nomination d’un membre du Conseil constitutionnel prend toute son importance car selon que la majorité des membres penche plutôt à gauche ou plutôt à droite, les décisions rendues n’iront évidemment pas dans le même sens et n’auront pas la même portée.

Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres auxquels viennent se joindre les anciens Présidents de la République.

Ces neuf membres sont nommés pour un mandat unique de neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Dès lors, on mesure l’importance du choix des personnes appelées à siéger au sein de cette instance. Un tiers des membres sont désignés par le Président de la République, un autre tiers par le Président de l’Assemblée nationale et le dernier tiers par le Président du Sénat. Les titulaires de ces trois fonctions jouant des rôles éminemment politiques, les personnes qu’ils proposent pour siéger au Conseil constitutionnel ne sont évidemment pas neutres. Et sachant l’impopularité d’Emmanuel Macron, on comprend que le choix de Richard Ferrand n’est pas anodin. Il s’agit de perpétuer, au moins partiellement, la politique conduite depuis 2017, même au-delà de l’actuel quinquennat, même en cas de défaite électorale pour la macronie.

C’est dire si le choix de Richard Ferrand pour la présidence du Conseil constitutionnel pose question.

Car qui est Richard Ferrand ? Ancien journaliste devenu directeur associé d’une agence de graphisme de presse, il a ensuite créé une société de conseil en communication avant de conseiller Kofi Yamgnane, alors Secrétaire d’Etat. Grâce à Kofi Yamgnane, Richard Ferrand est entré aux Mutuelles de Bretagne en 1993 et dont il est devenu directeur général en 1998. Sur le plan politique, son engagement à gauche est constant puisqu’il a adhéré au Parti socialiste à 18 ans. Il a ensuite exercé plusieurs mandats électifs pour ce parti. Ses convictions de gauche au sein du PS ont été confirmées en 2012 par le soutien qu’il a apporté à Martine Aubry. Premier parlementaire à rejoindre Emmanuel Macron, il est devenu Secrétaire général du tout jeune parti En Marche, créé pour la présidentielle de 2017. Ephémère ministre de la cohésion des territoires, il prit la présidence du groupe LREM à l’Assemblée nationale avant de devenir le Président de cette assemblée. On constate que ses engagements successifs au PS, puis aux côtés d’Emmanuel Macron au plus haut niveau font du choix de Richard Ferrand pour le Conseil constitutionnel un choix à la fois politique et amical. Un choix que les oppositions à la macronie ne pouvaient en aucun cas accepter.

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, les désignations des membres du Conseil constitutionnel peuvent faire l’objet d’un veto des Commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. A l’Assemblée nationale, c’est la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration qui était appelée à se prononcer. Cette Commission compte 73 membres. 27 députés soutiennent le Président de la République, 46 sont dans l’opposition. Pour être adopté, un veto de la Commission à la désignation d’un membre du Conseil constitutionnel doit recueillir 3/5 des suffrages, soit 44 voix. On voit que, unies, les oppositions disposent de 46 voix et qu’elles pouvaient donc faire échouer la nomination de Richard Ferrand. Mais en choisissant de s’abstenir, les élus RN ont fait tomber la majorité des 3/5 et permis un vote favorable à Richard Ferrand… à une voix de majorité !

Il reste à déterminer pourquoi le RN, par son abstention, a cautionné le choix de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel.

Les explications fournies par les porte-parole de ce parti n’ont pas convaincu. Interrogé, Jean-Philippe Tanguy, ancien directeur de cabinet de Nicolas Dupont Aignan, a déclaré que « Quand on est le premier groupe d’opposition, on doit faire des choix parfois très douloureux en sachant très bien qu’ils seront mal compris de bonne foi », ce qui ne veut rien dire. L’opposition de gauche a ouvertement évoqué « un deal » caché entre le RN et la macronie, tandis que Le Figaro titrait : « Procès, présidentielle… Marine Le Pen épargne Richard Ferrand avant ses prochains rendez-vous avec le Conseil constitutionnel ». Et la plupart des observateurs évoquent effectivement le procès fait au RN dans le cadre des assistants présumés fictifs au Parlement européen, et ses possibles conséquences pour l’avenir politique de Marine Le Pen. Mais si vraiment il y a eu un accord secret ou tacite, comment le RN peut-il avoir la certitude qu’il ne s’agit pas d’un marché de dupes ?

On prête à François Mitterrand d’avoir déclaré que le rôle de l’opposition, c’est de s’opposer.

Une façon de montrer que malgré le résultat des urnes, l’opposition a un rôle à jouer, et qu’elle doit surtout avoir la volonté de ne céder sur rien. Lors des dernières élections législatives, les Français ont clairement montré leur volonté de rejeter la politique conduite par Emmanuel Macron en élisant 210 députés du camp présidentiel, et 355 députés d’opposition. Le groupe d’opposition le plus nombreux compte 124 députés RN, auxquels on peut ajouter 16 députés ayant suivi Eric Ciotti. Derrière, le groupe LFI-NFP rassemble 71 députés, les socialistes 66, les écologistes 38, les centristes 23, les communistes 17. Les divers groupes d’opposition étant incapables de s’entendre, le camp présidentiel joue depuis les dernières législatives des divisions des uns et des autres pour trouver une improbable majorité. Il n’a échoué qu’une seule fois, quand les oppositions ont censuré le Gouvernement Barnier, prouvant ainsi la possibilité de tenir en échec le Gouvernement et donc, par contre-coup, le Président de la République.

C’est dire que l’opposition nationale, la plus nombreuse en termes de groupes politiques, porte une lourde responsabilité.

Si elle ne peut directement accéder au pouvoir, elle peut cependant, en unissant ses voix à celles des autres oppositions, faire échec à la macronie que les Français ont refusée, et contribuer à censurer les Gouvernements jusqu’ à contraindre Macron à l’impuissance, voie à la démission. Cela entraînerait de nouvelles élections et permettrait aux Français de trancher. Cette attitude serait conforme à l’intérêt national. Mais peut-être l’intérêt national n’est-il plus la priorité de la nouvelle direction du RN ? Autrefois, l’opposition nationale était portée, incarnée presque par le FN de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, ce parti a disparu, et le RN est moins un héritier qu’un illusionniste, toujours plus soumis au politiquement correct dans l’espoir d’être enfin intégré au système.

Y a-t-il encore une opposition nationale en France ?

André Murawski – 20 février 2025

https://www.medias-presse.info/y-a-t-il-encore-une-opposition-nationale-en-france-par-andre-murawski/201533/

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