Il fut un temps où l’on admirait le courage et l’intégrité des juges. Insensibles aux menaces de la mafia et aux pressions des politicards, souvent entremêlées. Certains furent assassinés pour avoir trop bien fait leur travail. Comme François Renaud flingué à Lyon en 1975. Une affaire toujours non résolue. Ou Pierre Michel abattu à Marseille en 1981. Les exécuteurs furent condamnés. Mais pas les commanditaires.
Aujourd’hui, la juge Hélène Gerhards défraie la chronique dans une affaire moins sanglante mais qui met mal à l’aise
Conseillère à la cour d’appel d’Agen, elle s’est pris un pruneau de ses collègues. On lui reproche « une relation de proximité avec le milieu du banditisme corse ». Et tout spécialement avec un certain Johann Carta, suspecté d’en être un des parrains, lorsqu’elle exerçait sur l’île de beauté. Elle est accusée de détournement de fonds publics, de trafic d’influence, de travail dissimulé et de blanchiment d’argent. N’étant pas frappée par une condamnation définitive, elle est présumée innocente.
Pour le moment, la belle Hélène qui aurait pu être une poire dans cette histoire, est mise en examen sous contrôle judiciaire après avoir été incarcérée une dizaine de jours en 2024, et suspendue de ses fonctions. Après une saisine en urgence exceptionnelle du Conseil supérieur de la magistrature le 26 avril, en raison de ses liens amicaux avec le garde des Sots, l’honorable Éric Dupond-Moretti.
Elle se serait faite piéger lors d’écoutes téléphoniques ordonnées par la justice marseillaise qui investiguait sur le gang du Petit Bar. Une bande mafieuse d’Ajaccio disposant de relais dans le monde politique, administratif, financier et judiciaire. Y compris sur le continent. Souvent accusés de rackets et d’assassinats. Rarement condamnés.
Lors de ces écoutes, on entend un truand affirmer que « tout va s’arranger grâce à la juge ». Se vante-t-il ? On doit quand même s’interroger sur les travaux qu’aurait supervisé Carta dans la villa de la juge en baie d’Ajaccio. Dix pièces, jardin exotique, piscine, spa, pool house. Estimée à 2 millions d’euros au bas mot. Avec en annexe, un hébergement de luxe pour Airbnb qui serait déclaré au fisc comme garage.
La juge Gerhards a confirmé fin mars 2024 ses liens avec Johann Carta pour son chantier, le présentant comme un artisan dont elle ignorait les liens avec la bande du Petit Bar.
Pourtant, il est connu comme le loup blanc. Ami des voyous, pilier du Petit Bar, ses activités officielles consistent à représenter des joueurs auprès de grands clubs de football européens. Et à investir dans l’immobilier pour eux. Il est pour le moins étonnant qu’une magistrate opérant au pénal n’ait pas été plus curieuse sur le pedigree de son contractant.
Lors des auditions en garde à vue, elle a contesté les infractions et les manquements à ses obligations professionnelles. Mais face aux preuves numériques, elle a reconnu « une consultation illicite de données au profit d’un individu défavorablement connu » selon les dires du procureur de Nice.
L’affaire d’Ajaccio se corse avec Dupond-Moretti
Lors d’un différend opposant le bavard apprécié de la pègre à Marie-Laure Piazza, présidente de la cour d’assises de Bastia, celle-ci a accusé le futur garde ses sots d’avoir voulu l’intimider. La juge Gerhards a tellement bien soutenu le barbu plantureux qu’il lui avait proposé de rejoindre son cabinet. Après avoir défendu son ex mari dans une affaire couverte par le secret professionnel.
Les copinages entre membres du barreau et magistrats ne sont pas a priori illicites. Mais ils étaient jusqu’alors presque aussi rares que les bonnes relations des juges avec des truands.
Une carrière donnée en exemple à l’École de la magistrature
Hélène Gerhards, née en 1975, magistrate à 28 ans, s’est faite connaître des médias quand elle était juge d’instruction à Albertville dans une affaire de pollution à la dioxine par l’incinérateur de Gilly-sur-Isère. Mettant en cause en 2003 des élus locaux et deux préfets pour leur laxisme sinon leur complaisance envers l’entreprise chargée de l’exploitation de l’incinérateur.
Le 21 mars 2005, le procureur d’Albertville veut la dessaisir de ce dossier sensible. Elle refuse et le 11 mai, la Cour de cassation décide que cette jugesse pugnace peut garder l’affaire. Mais la dissolution du syndicat gestionnaire de l’incinérateur et des non-lieux pour vices de formes empêchent toute condamnation. En a-t-elle ressenti de l’amertume ? Au point de flirter désormais avec les zones grises ?
Nommée juge d’instruction à Ajaccio en 2010 elle est placée en 2016 sous protection rapprochée suite à des menaces de mort réitérées. La police affirme, sans le prouver, qu’elle s’est mise à dos des voyous dans une histoire de guerre des gangs, où elle aurait pris parti pour certains protagonistes.
On l’exfiltre à Toulouse, puis à Agen deux ans plus tard. Il est intéressant de noter que la Ripoublique a tellement confiance dans ses juges et ses préfets qu’elle les déplace fréquemment, pour leur éviter la tentation d’entretenir des contacts ambigus avec des corrupteurs éventuels.
En toute hypothèse, elle a conservé des liens avec la Corse, dont sa somptueuse villa rénovée à bas prix par un truand notoire. Et ses imprudences vont la rattraper en 2024. Affaire à suivre…
Des juges gratinés sur tranche, on en a vu passer de sacrés spécimens !
Tout commence après 1968 avec le juge Henri Pascal qui en 1972 avait envoyé en prison un notaire qu’il accusait d’avoir assassiné une adolescente. Sans indices, ni preuves, ni témoignages. Parce que c’était un notable. Donc un ennemi de classe. Il sera par la suite disculpé par deux fois. Mais le mal était fait. Un innocent déconsidéré, traumatisé, ruiné. Et un téléfilm subventionné prenant parti ouvertement pour le petit juge. Entre gauchistes, on se soutient.
La suite sera en 1974 la harangue du procureur Baudot qui invitait à juger et condamner non pas en fonction des faits et des lois, mais de la position sociale du justiciable. « Soyez partiaux ! Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour le voleur contre la police. » Les militants du Syndicat de la magistrature ne se le feront pas dire deux fois.
En 2003 un juge d’Angoulême, Philippe Zamour se masturbait en pleine audience du tribunal correctionnel. Ostensiblement. Devant des femmes. Certes c’est très incorrect, mais il a été jugé par ses pairs, pénalement irresponsable. Comme on ne peut ni le sanctionner ni le virer, il a été «condamné » en 2005 à rester chez lui à ne rien faire, tout en percevant sa paye. Selon une indiscrétion de la Chancellerie, il ne serait pas le seul dans ce cas.
En 2009, Patrick Keil procureur à Montpellier fut révoqué pour corruption et violation du secret professionnel. Il avait sombré dans l’alcoolisme et le surendettement, et pour payer ses dettes, il monnayait des infos sur les procédures en cours visant des justiciables et intervenait moyennant finances dans des dossiers pénaux. Mis à la retraite et sanctionné d’un an de prison avec sursis.
En 2012, procureur à Bayonne et prédateur pédophile multirécidiviste, Christian Goy en a pris pour 15 ans. Une exception dans un microcosme où les obstructions à l’instruction, les poursuites abandonnées, les vices de forme et les sanctions légères sont la règle. D’ailleurs ce détraqué disait à ses victimes, dont beaucoup ont été écartées grâce à la prescription, qu’on ne les croirait jamais.
Quant à Olivier Bailly président du tribunal de Dijon, il fut condamné en mars 2022 à deux ans de prison, dont un avec sursis, l’autre aménageable, et retraite d’office, pour avoir proposé sur Internet à des pervers de violer sa propre fille de 12 ans. Combien de justiciables ordinaires s’en tireraient avec une condamnation aussi légère s’ils invitaient des tordus à « s’y mettre à plusieurs pour déniaiser la gamine, lui filer des baffes, lui arracher les vêtements et l’humilier jusqu’à ce qu’elle se pisse dessus. » (sic)
Christian Navis