Deux France face à face
Tout commence le soir du 18 novembre 2023. Thomas et ses amis ont prévu de se rendre au bal organisé à Crépol (Drôme). « Les garçons portent des jeans roulés au chevilles, des pantalons cargo beiges, des baskets blanches, polo Eden Park et doudounes sans manches », rappellent les auteurs. Ces jeunes, dont les « prénoms fleurent bon la IIIe République », se retrouvent régulièrement sur les terrains de rugby ou lors de chasses organisées dans la région. Ils viennent pour danser, se retrouver et s’amuser. Vers minuit, un autre groupe arrive devant la salle des fêtes. Pour eux, pas de polo, ni de jean, mais « des survêtements Lacoste ou aux couleurs d’équipes de foot », « des sacoches en bandoulières » et une « capuche ou casquette vissée sur la tête ». La plupart viennent du quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, ou y ont habité par le passé. Pour les auteurs, il ne fait aucun doute que les jeunes de la Monnaie sont, eux aussi, venus pour s’amuser. Pourtant, certains étaient armés de couteaux… « Mais qui va à une fête armé de couteaux ? » s’interroge Marie-Hélèe Thoraval, maire divers droite de Romans-sur-Isère, contactée par BV.
Déni du racisme anti-Blanc
Dès les premières pages, les auteurs laissent entendre que les jeunes de Crépol ont eu un comportement méfiant, voire menaçant. « Quelques villageois regardent entrer [les jeunes de la Monnaie]. Deux ou trois se placent à petite distance, mains dans les poches, air menaçant, pour leur faire sentir qu’ils ne sont pas les bienvenus. Il y en a même qui les filment », écrivent-ils. Alors que la soirée s’achève, la tension monte, les coups commencent, des couteaux sont sortis des poches des jeunes de la Monnaie, Thomas s’effondre, blessé au cœur. Il décèdera quelques instants plus tard, dans l’hélicoptère qui le conduit à l’hôpital. Les jeunes de Romans prennent la fuite.
Dès les premiers jours, quelques témoignages mentionnent des propos anti-Blancs. Les auteurs, eux-mêmes, font référence à ces propos - tout en mentionnant également des propos hostiles aux jeunes de la Monnaie. Un chapitre entier est même consacré à un « procès-verbal oublié » lors de l’instruction, dans lequel une adjudante de gendarmerie écrit, sur la base de témoignages recueillis : « Les auteurs des faits pourraient être venus au bal de Crépol afin de tuer des personnes de couleur blanche ». Mais pour les auteurs, il s’agit là d’une lecture instrumentalisée par l’extrême droite. En promotion pour leur livre, ils expliquent ainsi : « Trop vite, dès le début de l’enquête, on a parlé d’un raid anti-Blancs, de jeunes qui venaient d’un quartier sensible. On a fait croire qu’ils venaient tuer du Blanc, ce qui n’est pas le cas […] Ce n’est pas parce qu’ils disent des insultes anti-Blancs au moment de la rixe, qu’ils veulent tuer du Blanc ». Un autre ajoute : « Le racisme anti-Blanc est un concept d'extrême droite, […] ça n'existe pas devant les tribunaux ». Une argumentation « scandaleuse » pour Marie-Hélène Thoraval. « Les familles des victimes ne comprennent pas et n’acceptent pas que le racisme anti-Blancs n’ait pas été retenu dans le cadre de l’enquête », nous explique l’édile.
La pauvreté comme excuse de la délinquance
Pire, au fil des pages, les auteurs finissent par fournir des excuses aux jeunes dits de la Monnaie. S’ils prennent la fuite après la soirée de Crépol, c’est parce qu’ils « sont dépassés par la situation ». S’ils ne collaborent pas avec les forces de l’ordre pour tenter d’établir la chronologie des faits et les responsabilités, c’est parce qu’ils « jou[ent] les idiots ». S’ils ont mal tourné, c’est parce qu’ils n’ont pas tous eu le privilège de partir en vacances, que leur mère est célibataire ou que, de leur chambre, ils ont vue sur une friche… De là à dire que, s'ils ont sorti des couteaux, c'est parce qu'ils ont été provoqués, il n'y a qu'un pas...
In fine, les auteurs d’Une nuit en France réussissent même à faire le procès de CNews. A les lire, la chaine d’informations aurait artificiellement gonflé ce « fait divers ». Les auteurs affirment ainsi : « [Sur CNews], chacun croit savoir ce qui intéresse le patron, Vincent Bolloré : "Il n’en a rien à foutre des faits, il est là pour faire de l’idéologie" ».
L’association des victimes du bal de Crépol dénonce un « ramassis de conneries », un livre « honteux » et une « enquête à charge contre les vraies victimes ». De la même façon, Marie-Hélène Thoraval pointe du doigt « une tentative de manipulation de l’opinion ». « C’est vraiment une douleur qui vient s’ajouter à la douleur de tout un territoire. Ces auteurs n’en sortent pas grandis ».