Il arrive que la vérité se retire du monde, comme une mer en reflux. À l’origine de ce reflux, il y a parfois une intention. La proposition de loi déposée par des députés de gauche et écologistes, dont Sandrine Rousseau et Clémentine Autain, visant à « réfléchir » à la place des faits divers dans les médias publics, n’a rien d’anodin. Il signe le retour d’une vieille tentation totalitaire : contrôler non seulement ce que l’on pense, mais ce que l’on a le droit de savoir.
Cette proposition, au prétexte de lutter contre la « panique morale » et la «racialisation» des faits divers, vise en réalité à effacer ce que la gauche ne veut pas voir. On comprend vite que les noms de Lola, de Thomas, ou plus récemment celui de Pierre-Alain Cottineau, doivent disparaître du débat public, non parce qu’ils ne choqueraient pas, mais parce qu’ils dérangent la fiction du Bien.
Il faut ici saluer le travail patient et rigoureux du quotidien Le Parisien, et en particulier celui du journaliste Ronan Folgoas, qui a révélé l’affaire Cottineau dans toute son horreur. Militant LFI, ancien professeur, Cottineau est accusé d’avoir violé au moins 25 enfants, en France et à l’étranger. Il aurait agi dans des orphelinats, des structures scolaires, des campings, des familles d’accueil, usant de son image d’éducateur engagé pour endormir la vigilance de son entourage. L’enquête évoque un mode opératoire clinique, une logistique planifiée, une double vie sordide. Des milliers d’images pédopornographiques ont été retrouvées. Il aurait même écrit des carnets dans lesquels il consignait les moindres détails de ses agressions.
La justice le soupçonne d’avoir agi en réseau. Pourtant, Libération n’a à ce jour publié strictement aucun article sur cette affaire. Le silence. L’oubli. L’ignorance feinte. À croire qu’un pédophile, s’il est de gauche, cesse d’être un criminel pour devenir un camarade en déroute.
Ce silence est plus qu’une erreur : c’est une complicité morale. Car Libération, en matière de complaisance pédophile, n’en est pas à son coup d’essai. Comme le rappelle l’Ojim dans un dossier accablant, le journal se fit, dès les années 1970, le porte-voix d’une certaine élite intellectuelle défendant la pédophilie au nom de la libération sexuelle. En janvier 1977, il publiait une pétition signée par Gabriel Matzneff, Louis Aragon, Jack Lang, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Foucault, et tant d’autres, demandant la dépénalisation des rapports sexuels entre adultes et enfants. En mai de la même année, Libération allait jusqu’à relayer un appel du Front de libération des pédophiles. En 1978, le journal défendit Jacques Dugué, condamné pour prostitution de mineurs. Guy Hocquenghem, journaliste et pédophile notoire, prit sa plume pour relativiser les faits, les qualifiant de simples «attentats à la pudeur».
Et ce n’était pas que de l’idéologie. Un journaliste de la rédaction, Christian Hennion, violait depuis des années un jeune garçon qu’il présentait à ses collègues comme un «protégé». Personne ne broncha. Serge July, directeur de la publication, déclara plus tard : « Je n’avais pas cherché à approfondir. » Ce n’est pas là du laxisme ; c’est une démission morale.
Dans l’affaire Cottineau, aucun député écologiste ne s’est ému publiquement. Pas un mot de Jean-Luc Mélenchon. Aucun micro-trottoir de France Inter. Aucun bandeau chez Franceinfo. À l’inverse, qu’un prêtre touche une épaule dans un pensionnat, et c’est la matinale de France Culture qui sonne le tocsin pendant une semaine.
L’Observatoire du journalisme, l’Ojim, fait œuvre de salubrité publique en documentant depuis des années ce traitement inégal. Il le fait avec méthode, avec une froideur d’entomologiste. On y trouve, dans ses dossiers, les preuves patentes que certains crimes, selon qui les commet, n’intéressent pas les rédactions. Ainsi, l’affaire Cottineau est totalement absente de Libération, ce même journal qui, en 1977, publiait une pétition en faveur de pédophiles condamnés, aux côtés de Matzneff, Aragon ou Derrida.
Le problème n’est pas que la gauche morale défende la pédophilie, ce serait une outrance. Le problème est qu’elle ne sait pas s’en indigner quand le coupable est de son bord. Ce deux poids, deux mesures, cette hypocrisie, cette sélection idéologique de l’indignation : voilà ce qui ronge l’âme du journalisme contemporain.
On dira que les faits divers alimentent les fantasmes. Peut-être. Mais ils révèlent aussi les fractures profondes de notre société. Ils ne sont pas un résidu d’actualité, mais une épreuve de réalité. Les censurer, comme on enterre un cadavre politique, c’est refuser au peuple le droit de regarder son époque en face.
Ils ne prétendent pas défendre les victimes, mais le Bien. La censure n’est pas un accident du progressisme : elle en est le cœur battant. Son moteur. Sa fin. Et son masque. On ne cache pas les faits pour les comprendre, mais pour les faire disparaître. C’est ainsi que naissent les véritables barbaries : dans l’obstination à nier le réel.
Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —
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