Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’État de droit, la loi suprême ?

Ici, un article écrit dans la droite ligne de « la Politique » quotidienne de Maurras dans l’Action française…

Par Philippe Roch

Madame Sophie Primas, porte-parole de ce qui nous sert encore — très provisoirement — de gouvernement, nous a expliqué que le Tunisien qui a poignardé cinq personnes dans la rue à Marseille, dans notre chère Provence, presque à peu de distance de la maison de Martigues, ce Tunisien qui vient d’être heureusement tué par la police après ses forfaits était « en situation régulière ».

Et qu’il était connu, répertorié, fiché, sérieusement surveillé. Nous voilà pleinement rassurés. En somme, tous les papiers étaient en ordre et bien tamponnés, et l’on imagine que c’est pour les victimes et leurs familles une puissante consolation que la régularité administrative dont madame Primas semble se contenter avec le misérable esprit de bureaux qui caractérise aujourd’hui nos responsables publics. Osera-t-on demander à madame Primas si le préfet avait bien aussi sur la tête, au moment où il signait l’admission sur notre territoire du Tunisien égorgeur, sa casquette d’uniforme réglementaire ? Il faut savoir se priver, peut-être, de telles insolentes facilités à l’égard du gouvernement…

Madame Primas doit pourtant se rendre vaguement compte que ce contentement des victimes et d’une opinion qui sent bien qu’elle pourrait à son tour le devenir, victime, n’est pas véritablement complet ni même faiblement rassurant.

Aussi convoque-t-elle la notion d’État de droit. C’est là que les choses deviennent sérieuses, passent du fait divers multiplié en fait de société à une question qui sort du champ de la politique facile, quotidienne et toute circonstancielle pour entrer dans le champ plus élevé du politique, celui-là même que nous plaçons d’abord suivant notre vieille maxime.

L’État de droit a été respecté. Mieux : il faut le respecter. Cela vous a un faux-air de ces idées reçues dont M. Flaubert avait jadis entrepris de faire un spirituel petit dictionnaire. « État de droit : doit être respecté. »

Je ne me souviens pas, voilà seulement dix ans, qu’on nous rabattait les oreilles de cet État de droit dont on ne peut plus trouver une seule déclaration gouvernementale qui en soit exempte aujourd’hui. Il est vrai qu’il faut faire sa part au panurgisme, qui, ayant trouvé une expression nouvelle, s’en va parcourir le vaste monde en se l’entre-répétant aussi souvent qu’il peut, sans même voir qu’on la lui a imposée ni se demander les raisons de cette novation dans le vocabulaire. Mais enfin, même les mots les plus prématurément usés ont un fond.

J’ai interrogé nos meilleurs amis du côté de la chicane : ni Marie de Roux, ni Guy de La Grange, ni André Vincent, ni Marcel Guitton n’ont pu m’éclairer sur cet État de droit. Il ne semble pas qu’il leur ait beaucoup manqué dans leur pratique d’éminents juristes certes d’un autre temps, mais pas si lointain. Et puis les principes du droit ne sont-ils pas éternels ? Cet État de droit même, ne nous le fait-on pas descendre tout armé du ciel constellé d’hermines, comme l’égide évidente et incontestable de tous les criminels et fauteurs de trouble contre de plus sévères rigueurs dont on voudrait — dans un mouvement encore bien timoré il me semble — réarmer nos lois et nos tribunaux ?

D’où vient donc cet État de droit ? À défaut d’en faire la généalogie ou de le déconstruire, comme disent nos philosophes actuels, faisons-en plus simplement la rapide histoire : né au XIXe siècle dans les universités allemandes sous le nom de Rechtsstaat, l’État de droit se voulait d’abord une précaution doctrinale contre l’arbitraire policier des monarchies autoritaires telles qu’elles sont fréquentes chez nos voisins d’outre-Rhin. Outre-Manche, le même esprit prit la forme du rule of law, inscrit depuis fort longtemps dans les coutumes anglaises, comme garantie que nul n’est au-dessus de la common law. Ces deux traditions étrangères, l’une kantienne, l’autre empirique et insulaire, finirent par converger au XXe siècle pour produire un vocabulaire à la mode, repris dans les institutions européennes et répandu à coups de traités et de sentences judiciaires péremptoires. En France, il fallut attendre les années 1970 et les audaces nouvelles du Conseil constitutionnel pour voir poindre cette expression, encore mal assurée. Mais c’est l’Union européenne qui l’a vraiment imposée à Paris dans la première décennie de notre siècle, sous forme d’un dogme nouveau : l’État de droit est inscrit dans les traités, proclamé comme valeur fondatrice, invoqué comme munition politique. C’est donc de l’étranger, et de l’étranger le plus contemporain et le plus contraire depuis Bruxelles à la nation française, que nous vient cette importune nouveauté.

On le comprend, rien là de français. Rien là de latin si l’on me permet de parler du droit un instant avec une sensibilité de poète. Plus rien même là du vieux droit romain qui fait le plus solide de notre édifice juridique depuis les préteurs et leurs chaises curules devant lesquels plaidait l’avocat Cicéron.

Voilà pourquoi nous ne reconnaissons dans cet État de droit barbare ni la solidité latine ni l’ancienne raison française. Chez nous, la loi a toujours tiré sa majesté d’une source visible et humaine : hier la personne sacrée du roi, aujourd’hui, même si l’on peut le déplorer, la nation assemblée en son législateur qui du moins sauvegarda un peu ce principe-là. Transférer cette majesté à une abstraction toute verbale, confiée à des juges irresponsables et à des institutions supranationales, c’est déposséder le peuple de son autorité, héritée des rois, et effacer le vieux règne de la loi.

Le procédé n’est pas juridique : il est idéologique. Car l’accusation de « ne pas respecter l’État de droit » n’est jamais qu’un anathème, une excommunication lancée pour disqualifier l’adversaire, non dans un débat de droit ou de politique, mais dans un procès d’opinion. C’est une arme de parti, un stigmate commode, qui dispense de discuter les choses honnêtement et permet de frapper quiconque ne se plie pas au conformisme de l’heure. Il rappelle en cela l’accusation de racisme.

Prenons garde que dans le cercle même du kantisme allemand, l’État de droit est un monstre. C’est en somme le symétrique de l’impératif catégorique pratique, au sens où cet État de droit toujours invoqué, mais sans que son contenu positif soit seulement identifié, devient non une abstraction morale, mais bien pire : un vide, une nullité qu’on remplira de ce qu’on veut, en fonction des temps et des besoins de la polémique juridique et politicienne servie par des principes devenus mouvants, définis par des juges nommés eux-mêmes par le pouvoir en place parmi leurs amis et leurs affidés de l’heure, comme dans le cas de notre présent Conseil constitutionnel et de son président.

Devenu ainsi un principe intangible autant que flou, au-dessus de la loi elle-même, au-dessus même du législateur, l’État de droit devient la loi suprême. Suprema lex esto. On reconnaît la vieille formule du senatus-consulte ultime : salus populi romani suprema lex esto. Que le salut du peuple soit la loi suprême.

De qui donc, pourrait-on demander, cet État de droit fera-t-il le salut ? Qui sauvera-t-il ? Pas le peuple qu’on pille, tue, viole souvent presque impunément sous la protection de l’État de droit invoqué pour empêcher tout amendement un peu sévère à la pratique des tribunaux et à la loi même, formule pieusement rabâchée pour justifier les criminels contre le corps social. Posons tranquillement la question à madame Primas : de qui cet État de droit est-il là pour faire le salut ? À qui profite-t-il ? Elle nous répondrait sûrement qu’il profite à tout le monde. Eh, c’est bien là le problème ! Tout le monde est sujet de la loi et doit bénéficier de ses garanties, de ses sûretés, certes. Mais quand le peuple au nom duquel on rend la justice est lui-même la victime de cet État de droit reconnu aux meurtriers et aux criminels de toute espèce sans qu’il soit reconnu aux honnêtes gens des garanties symétriques, de l’autre côté de la barrière du crime ? Quand le peuple lui-même crie à la justice contre l’injustice de l’État de droit ? Quand enfin le législateur lui-même, déjà défaillant par construction démocratique, se retrouve impuissant à écrire le droit car lui aussi on le musèle avec l’État de droit ?

Autant dire que l’État se divise contre lui-même, dans la décomposition finale de la république démocratique. Si l’on osait une pauvre et veille astuce, on dirait que le droit lui-même s’y courbe sous les contradictions de la forme républicaine du régime, aggravée d’engagements internationaux qui la minent dans des proportions encore jamais vues — et pourtant l’on en a vu depuis que le démocratisme, l’idéologie démocratique voulant tenir lieu de toutes vertus civiques et même religieuses, nous a infectés.

Parvenus à ce point, redisons notre conviction ; mieux : ce que nous savons. La fin des maux publics, comme ces assassinats qui se multiplient du fait d’étrangers accueillis trop généreusement et qui n’ont aucun titre moral à être chez nous, passe par la fin du régime actuel de gouvernement de la France. Et le régime ce n’est plus seulement la république, son gouvernement, ses assemblées, ses conseils de grands juges. C’est aussi, aujourd’hui, l’Union européenne, les accords internationaux qui entravent à dessein toute décision, et c’est surtout cet abstrait État de droit qui les surplombe tous et a pour seul usage de nous fermer d’autant plus la bouche qu’il est répété, psalmodié comme le nom d’un fétiche juridique sorti de quelque mauvais droit. Fidèles à nos maîtres et à ce qu’ils nous ont légué de droit national, nous ne voulons pas de ce fétichisme, fût-il fondé par les meilleurs raisonnements juridiques — or il l’est par les pires.

Notre conclusion est alors toujours la même : si la France dans cet État de droit se défait sans loi, c’est qu’elle se défait sans roi.

https://www.actionfrancaise.net/2025/09/10/letat-de-droit-la-loi-supreme/

Écrire un commentaire

Optionnel