
Vouloir briguer des fonctions pour lesquelles on n’est pas fait, que ce soit en politique ou en d’autres domaines ? Comme si certains ignoraient leurs seuils de compétences respectifs. Pour les plus savants, on évoquera le principe de Peter. Plus communément, ce syndrome peut aussi être ainsi qualifié : flatuler plus haut que son séant. Explications.
Il y a cette phrase de Clint Eastwood incarnant l’inspecteur Harry dans le Magnum Force (1973), de Ted Post : « L’homme sage connaît ses limites ». On ne saurait mieux dire. Éric Ciotti, ancien président de LR et désormais celui de l’UDR, sa faction patriote ayant rejoint le Rassemblement national de Jordan Bardella, n’est peut-être pas connu pour sa cinéphilie ou son goût inné pour la philosophie; il n’empêche qu’à en juger par son parcours, la sentence eastwoodienne ne semble pas être tombée dans l’oreille de Beethoven.
Ces barons qui se prennent pour des rois…
D’ambition élyséenne, il n’a pas, n’a jamais eu, n’aura jamais. Car le charisme nécessaire à cette aventure, il sait qu’il ne l’a pas non plus. En revanche, maire de Nice, il se verrait bien. Et pourquoi pas la communauté de commune et/ou la présidence du Conseil général des Alpes-Maritimes ? Éric Ciotti est de l’espèce des barons, pas de celle des rois. Un baron qui a d’ailleurs fait allégeance à une reine, Marine Le Pen, tout en mettant son épée au service du dauphin, Jordan Bardella. Gageons qu’il y ira bientôt plus haut qu’un Bruno Retailleau, son successeur à la tête des Républicains ; lui, l’ancien valet qui se rêve en tête couronnée.
Pour Retailleau, le Front national n’a jamais existé…
Interrogé par le JDnews du 9 novembre, l’éphémère ministre de l’Intérieur montre néanmoins que la couronne en question est un poil trop grande pour lui. Surtout lorsqu’il évoque son passage place Beauvau : « Ce qui m’a le plus marqué, c’est la submersion de la France par la violence – notamment juvénile – et l’entrisme islamiste. Deux visages d’une même faillite : celle de l’autorité ». Sans blague ! Mais où donc habitait-il ces dernières décennies ? Au Puy du fou ou sur la planète Orion ? Et après, quelle hauteur de vue, quelle ambition stratégique… Pour commencer : « Depuis combien d’années, y compris à droite, n’osait-on parler d’assimilation ? » Personne, en effet, hormis le Front, puis le Rassemblement national, Dugenou… Puis, son grand dessein : « Je veux rassembler tous les patriotes sincères qui croient encore à la France ». Le doute n’est plus permis : c’est Hibernatus qu’on vient de décongeler. On n’a pas encore osé lui apprendre l’existence des Le Pen, père et fille qui, justement, poursuivent le même but depuis… 1972.
Un sous Philippe de Villiers…
Si l’on résume, Bruno Retailleau, c’est une sorte de sous Philippe de Villiers. Ce dernier, lui aussi, autre baron, mais de Vendée, s’est senti pousser des ailes présidentielles. Et par deux fois s’est vautré à l’élection suprême. Être devenu le Marcel Campion du bocage avec son parc d’attractions et avoir redynamisé sa terre natale, c’était déjà bien : mais pourquoi en vouloir plus ? Comme quoi il n’est pas impossible d’avoir à la fois la tête bien faite et une cervelle d’alouette. Dans le registre, il y a évidemment Laurent Wauquiez, président du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, là où il paraît à l’évidence réussir, mais demeure, lui, un sous Bruno Retailleau au destin présidentiel plus hypothétique encore. Après le baron, le baronnet.
Xavier Bertrand, un baron de bonneteau…
Mais, on peut tomber plus bas encore avec Xavier Bertrand, président du Conseil régional des Hauts-de-France. Encore un autre baron ; mais de bonneteau, celui-là. Vous savez, ces complices des escrocs qui attirent votre attention tandis qu’on vous fait les poches. La preuve par un entretien accordé à Radio J, ce 9 novembre, à l’occasion duquel il accuse Jordan Bardella d’être « creux ». Certes. Mais si le président du RN est « creux », Xavier Bertrand serait donc « plein ». Plein de quoi ? À part de vanité satisfaite, on ne voit pas.
Des gens qui, à droite, se sont déjà laissés tenter par un éventuel destin présidentiel, il y en a eu pléthore, convaincus qu’ils étaient capables, enivrés de leur intelligence – ou, tout au moins, de l’idée qu’ils s’en faisaient. Édouard Balladur, le premier, qui, en 1994, persuadé qu’il serait élu dès le premier tour, ne fut même pas capable d’accéder au second, un an plus tard. Il est vrai qu’en face se trouvait une bête politique nommée Jacques Chirac. Sept ans après, Bruno Mégret, autre brillant second se prenant pour un premier de la classe, mais dont les brillants calculs de polytechnocrate se résumaient à peut-près à ceci, à en croire Christophe Bourseiller dans son brillant ouvrage, Les Le Pen, un famille française (Perrin) : « Le Pen fait 15 %, mais on sait que 30 % des gens partagent nos idées et n’hésitent à nous rejoindre qu’à cause des conneries de Le Pen. Or moi, je suis Le Pen sans les inconvénients de Le Pen, sans les petites phrases. Donc, je ferais forcément 30 %, question d’arithmétique. » Voilà qui est touchant. On sait le résultat final, Bruno Mégret ayant piteusement appelé à voter Jean-Marie Le Pen au second tour, ce fameux 21 avril 2002, pour ensuite repartir à ses chères études.
Éric Zemmour : Zorro ou zéro…
Comme si les élections, surtout la présidentielle, pouvaient se résoudre à de savantes équations. Comme si le charisme et, surtout, l’instinct politique n’existaient pas, talents dont Mégret était à l’évidence totalement dépourvu. Un Éric Zemmour, pourtant fin observateur de la chose politique, est exactement tombé dans le même panneau, se fiant à sa seule intelligence et aux avis de ses brillants conseillers, jeunes têtards tout plus ou moins issus d’écoles de commerce lui ayant vendu ce plan de génie : un premier sondage flatteur + une maîtrise des réseaux sociaux + ouverture permanente de la fameuse fenêtre d’Overton, consistant à amener l’adversaire sur son champ sémantique = second tour contre Emmanuel Macron + victoire assurée, sachant que EZ a lu + de livres que EM. Résultat ? 0 + 0 = la tête à Toto. Et, toujours à propos de fenêtres overtoniennes, il faut bien convenir que l’équipe de campagne du polémiste ne saurait même pas en laver les carreaux.
À gauche aussi, Glucksmann comme Zemmour…
Après, soyons justes, il n’y a pas qu’à droite que pullulent les baltringues. Car au contraire d’un Pierre Moscovici, bien conscient d’avoir atteint son zénith en tant que Premier président de la Cour des comptes, une Anne Hidalgo s’est presque vue en haut de l’affiche. Même s’il n’est pas chrétien de rappeler son résultat à la dernière élection présidentielle, il ne le serait pas non plus de bouder ce menu plaisir à peine coupable : 1,75 %. Si Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste, demeure lucide quant à son avenir élyséen, que dire d’un Raphaël Glucksmann, qui s’y voit déjà un peu, même si point de vue charisme, c’est une sorte de sous Éric Zemmour de gauche ; les ventes de livres en moins ?
Et puis, honneur aux dames, il y a encore Marine Tondelier, qui semble y penser chaque matin, lorsqu’elle s’épile. Mais un maillot, fut-il bien fait, n’en devient pas maillot jaune pour autant.
Éric Ciotti a donc bien raison de rester là où il est, manifestement imperméable à l’hubris de nombre de ses collègues, tant l’acceptation de ses propres limites demeure un indubitable signe de sagesse. Certains seraient sûrement moins nigauds s’ils s’en inspiraient.
© Photo : Victor Velter / Shutterstock. François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau et Eric Ciotti, le 24 janvier 2023.