"Vous avez invoqué votre clause de conscience pour refuser d’indiquer à la patiente de votre hôpital un médecin avorteur comme l’exige la loi polonaise. Comment concilier la conscience des médecins et la possibilité offerte par la loi polonaise d’avorter, lorsque l’enfant conçu souffre de déficiences incurables ?
Il faudrait tout simplement que les autorités en charge des questions de santé publient une liste des établissements où il est possible de se faire avorter. Seulement, le ministère de la Santé et le NFZ [l’organisme qui finance les dépenses de santé des assurés sociaux en Pologne, ndlr] s’y opposent. Peut-être ont-ils peur que les hôpitaux de la liste ne soient alors stigmatisés. Mais d’un autre côté, dans la position où je me trouvais, moi, en tant que médecin et directeur d’hôpital, je ne pouvais pas donner le nom et les coordonnées d’un médecin qui accepterait de faire un avortement, car je ne connais pas les noms de ces médecins, je n’ai pas de liste de médecins avorteurs dans ma ville. Que fallait-il que je fasse ? Que je téléphone à mes collègues médecins et que je leur demande : « Vous ne feriez pas des avortements, par hasard ? » On pourrait alors m’accuser de harcèlement.
Comment expliquez-vous le contraste en Pologne entre, d’une part, la population qui s’oppose très majoritairement à l’avortement et, d’autre part, une partie importante de la classe politique, et surtout les plus gros médias, qui semblent plutôt en faveur d’une libéralisation de l’accès à l’avortement ?
Il y a plusieurs causes à cela. Il y a cette chape du politiquement correct qui remplace aujourd’hui efficacement la censure de l’époque communiste. Il y a la pression des organisations à sensibilité de gauche. Il y a l’action du lobby des sociétés qui produisent les contraceptifs, les pilules abortives et les produits utilisés dans les avortements. Et il y a aussi la pression exercée par l’Union européenne.
Je me souviens encore très bien de l’époque où les yeux des Polonais étaient tournés vers Moscou et où l’on se demandait toujours ce que notre « grand frère » communiste allait penser ou dire. Les Polonais ont une mauvaise estime d’eux-mêmes et, de la même manière, nos yeux sont aujourd’hui tournés vers Bruxelles. Nous nous demandons ce que l’Europe va penser de nous, ce que nos « grands frères » européens, réputés plus mûrs que nous, vont penser… Je crois que cela vient de notre caractère national, qui veut que nous nous sous-estimions souvent. Nous souffrons d’un véritable complexe d’infériorité. On parlait autrefois sans arrêt de l’aide de l’URSS, de l’exemple de l’URSS, et ainsi de suite.Aujourd’hui la situation est identique, sauf que l’UE a remplacé l’URSS.
Une autre chose, c’est que pendant les campagnes électorales beaucoup de candidats se disent chrétiens ou favorables aux valeurs chrétiennes mais, une fois élus, ils oublient leur discours et considèrent que leur conscience doit rester dans la sphère privée. Cela montre la volatilité de leur conscience, leur immaturité, mais aussi la fragilité de leurs valeurs et de leurs convictions. Ces personnes ne devraient pas être réélues.
En France, le gouvernement a créé un site internet soi-disant pour informer sur l’avortement, où il n’est question que du « contenu » de l’utérus, et pas d’un enfant ni même d’un fœtus. Du reste, en France, on préfère parler d’IVG pour ne pas dire le mot « avortement ». Vous êtes médecin gynécologue obstétricien. Que pensez-vous des termes qu’on utilise pour ne pas parler d’enfants ?
Il faudrait qu’on puisse nous dire quand ce « contenu » devient un enfant. Quel est le moment du changement radical qui transforme un simple contenu en être humain ? La réalité, c’est que ce moment n’existe pas. Le fil de la vie n’a que deux bouts : la conception et la mort. Il n’y a pas plusieurs commencements.
Ces techniques de langage dont vous parlez, le fait de parler de « contenu de l’utérus », ce sont des méthodes sociotechniques qui visent à nous insensibiliser. Ce sont des techniques de propagande. Il y a eu autrefois un monsieur dont le nom commençait par « G » [Goebbels, ndlr] et qui faisait ça très bien. Ces méthodes ne font pas honneur à ceux qui les utilisent encore aujourd’hui."