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  • Le tandem Hollande-Valls perd toute crédibilité aux yeux des Français

    Selon un sondage de l’IFOP/JDDle Président Hollande perd encore un point dans les sondages avec seulement  17% d’opinions favorables, et le Premier ministre, Manuel Valls, est en chute libre avec 36% de bonnes opinion seulement. 

    Le chef de l’Etat en dépassant pour la cinquième fois les 80% de mécontents est minoritaire dans toutes les catégories y compris chez les sympathisants socialistes (-13%).

    Manuel Valls perd neuf points, sa plus forte baisse depuis qu’il est Premier Ministre, il chute de quinze points en deux mois., mais de 20 en trois mois. Comme Hollande, il perd dans toutes les catégories d’âges et catégories sociales,  y compris au Parti Socialiste.

    Emilie Defresne

    http://medias-presse.info/le-tandem-hollande-valls-perd-toute-credibilite-aux-yeux-des-francais/14425

  • Que reste-t-il des Lumières ? (2de partie) par Pierre LE VIGAN

    II – Le déploiement des Lumières en Allemagne, en Italie et les premières critiques

    En Allemagne, Les Lumières sont l’Aufklärung, la clarté. Ce sont les Lumières dans les Allemagnes, souvent francophones, et anglophiles au nord, italophiles au sud. Johann Christoph Gottsched, grammairien, Friedrich Nicolai, éditeur et écrivain, Christian Wolff, philosophe et juriste, sont les figures des Lumières allemandes. Il s’agit d’élaborer un système global du savoir, à la manière de Leibniz mais pas forcément avec les mêmes postulats.

    L’Aufklärung en Allemagne

    En Allemagne ne se joue pas une partie à deux, comme en France, avec les philosophes et les hommes d’Église. C’est une partie à trois, avec les philosophes, l’Église protestante, l’Église catholique. Sans compter la judaïté et l’émergence des Lumières en son sein. Les Pages Provinciales, Le Plus Vieux Document du genre humain, les Éclaircissements pour le Nouveau Testament de Herder (1744 – 1803) en 1774, La Grèce de Christoph Martin Wieland (1733 – 1813), Der Vogelsang du même, le critique et philosophe Gotthold Ephraïm Lessing (1729 – 1781), ce sont aussi les Lumières allemandes. Et Kant. Tous sont partie prenante du grand mouvement européen des Lumières, mais généralement sont si loin de toute croyance au progrès qu’ils ne sont jamais loin, en même temps, des anti-Lumières.

    Christian Wolff (1679 – 1754), « le maître des Allemands » disait Hegel, conçoit la philosophie comme une sagesse pratique. Il veut renouveler le concept de « raison suffisante », déjà présent chez Leibniz. Selon C. Wolff, la civilisation chinoise (Discours sur la morale des Chinois, 1721) montre que la raison est suffisante pour guider les peuples et qu’il n’est nul besoin de la piété. C’est une opinion qui le fera expulser de Prusse par Frédéric-Guillaume Ier. Si Voltaire détestait C. Wolff, son système ne fut pas sans influence sur L’Encyclopédie, par le biais de Johann Heinrich Samuel Forney (1711 – 1797), pasteur et homme de lettres allemand, issu d’une famille de huguenots français.

    Johann-Joachim Winckelmann est l’auteur d’une des premières vraies histoires de l’art. Elle est consacrée à l’Antiquité et est fondée sur une idée de la beauté qui est à l’origine du néo-classicisme. Surtout, elle associe vitalité de l’art et climat de liberté. « Grâce à la liberté, l’esprit du peuple s’élève comme un rameau noble surgi d’un tronc sain  (dans Histoire de l’art dans l’Antiquité, 1764, préface). »

    Christoph-Martin Wieland fonda Le Mercure allemand en 1773, périodique dans lequel écrivirent Goethe et Schiller. Il créa le genre des romans de formation ou roman d’apprentissage (Bildungsroman selon le terme forgé par le philologue Johann Carl Simon Morgenstern) avec son Histoire d’Agathon (1767). Les personnages ne sont pas idéalisés, ils connaissent des échecs et apprennent de ceux-ci. Il s’agit de s’éloigner du mysticisme pour concilier sensibilité, raison et pragmatisme. En un mot : pour apprendre la vie. C’est un éloge de « l’homme policé ». L’Histoire de Tom Jones, enfant trouvé, de Henry Fielding, paru en 1749, a pu inspirer Wieland. « Il savait enfin que la vie ressemble à la navigation d’un vaisseau, où le pilote est obligé de diriger sa course selon le ciel et les vents, que des courants contraires peuvent à chaque instant le détourner de sa route, et qu’il s’agit de se diriger au milieu de mille écueils, de façon à atteindre le but désiré promptement et sans avaries (Histoire d’Agathon). » Le genre du « roman de formation » aura une grande postérité et sera illustré à la même époque par Les Souffrances du jeune Werther (1774) de Goethe.

    Lessing (1729 – 1781), ami de Friedrich Nicolai, est l’auteur de la pièce de théâtre Nathan le Sage (1779). C’est un éloge de la tolérance et de la liberté de croyance. Dans L’Éducation du genre humain (1780), Lessing critiquera encore la vanité de se croire être détenteur d’une « révélation ». Il a influencé Herder, sa non croyance au progrès et son idée de la valeur propre de chaque culture. L’important pour Lessing, c’est la raison et son bon usage.

    L‘ambition de Moses Mendelssohn (1729 – 1786), juif allemand, est de montrer que le judaïsme est le socle de la raison humaine. Il veut en ce sens réconcilier la foi et la raison (Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme, 1783). « Le judaïsme ne se glorifie d’aucune révélation exclusive de vérités éternelles indispensables au bonheur; il n’est pas une religion révélée dans le sens où on a l’habitude de prendre ce terme. Une religion révélée est une chose, une législation révélée en est une autre (Jérusalem…). » Toutefois, Mendelssohn ne croit pas au progrès – ce qui l’éloigne de l’optimisme des Lumières.

    Quand, en 1784, Emmanuel Kant répond à l’enquête du Berliner Monatsschrift sur les Lumières, il a déjà publié la Critique de la raison pure. Les Lumières sont pour Kant « la sortie de l’humanité de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser). Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. (dans Qu’est-ce que les Lumières ?) ». Les Lumières sont donc sous le signe de la formule d’Horace, « Ose savoir » (ou « Ose penser »). Elles sont pour Kant une maïeutique. Elles consistent à élucider les règles qui nous guident. Mais nous ne pouvons connaître que ce dont nous pouvons faire l’expérience. Les Lumières sont donc un processus qui concerne chacun et tous, et pas seulement les élites.

    Deux ans après le débat sur la définition des Lumières éclate en Allemagne la « querelle du panthéisme ». Il s’agit de s’interroger sur l’athéisme de Spinoza (sommairement, c’est une controverse entre d’une part Jacobi, « anti-spinoziste », d’autre part Lessing, Mendelssohn et Kant). Cette querelle aboutit à une critique du rationalisme abstrait des Lumières. Pour Friedrich Heinrich Jacobi (1743 – 1819),  tout vouloir expliquer par la raison substitue une liberté abstraite aux libertés concrètes. La déclaration des droits de l’homme aboutit selon Jacobi à une abstraction qui ne voit pas l’homme réel et, au nom d’une certaine  idée de l’homme, ne fait pas grand cas des hommes – ce qui sera aussi la position de Hegel. Pour Jacobi, la Terreur révolutionnaire illustre ce processus. Comme le remarque le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, auteur du Crépuscule des Lumières (Cerf, 1995), « sa critique [de Jacobi] est beaucoup plus radicale que la réaction religieuse habituelle. Lui ne prétend pas seulement que la raison est une menace pour la religion, mais aussi pour le réel. C’est la réalité même que la raison met en péril, alors qu’elle entend l’expliquer ! Sa critique est interne à la raison (entretien dans Le Point hors série, « La pensée des Lumières », mars – avril 2010) ».

    Cette critique de Jacobi – une critique libérale au sens de Tocqueville – prépare le romantisme allemand. Celui-ci n’est toutefois pas l’exact contraire des Lumières. Il garde l’ambition d’une universalité. Le romantisme ne renie pas la raison, il veut la réconcilier avec la sensibilité et avec la connaissance. Les romantiques veulent aller au-delà des Lumières, pas contre. Même le nationalisme, quand il apparaît (avec Fichte), se veut une quête d’universalité, l’Allemagne étant un « phare de l’humanité », comme la France avait pu l’être.

    À certains égards, Nietzsche se relie aussi, à sa façon, aux Lumières. Il le fait dans Aurore (1881), avec la critique de l’idée de causalité morale et de punition et avec l’accent mis sur la recherche nécessaire de l’autonomie. Il est encore héritier des Lumières quand il valorise l’autocritique de la raison par elle-même. Si Nietzsche est particulièrement proche d’un homme des Lumières, c’est de Voltaire et de sa critique du christianisme. Mais Nietzsche est aussi proche des Lumières par son « progressisme » paradoxal puisqu’il souhaite l’avènement d’un type humain supérieur. Il valorise aussi la connaissance mais avec lucidité. « L’instinct de la connaissance parvenu à sa limite se retourne contre lui-même pour procéder à la critique du savoir. La connaissance au service de la vie meilleure. Il faut vouloir soi-même l’illusion – c’est le tragique (dans Le crépuscule des idoles, 1888). » « La morale n’est qu’une interprétation – ou plus exactement une fausse interprétation – de certains phénomènes (dans Le crépuscule des idoles). »

    Les Lumières en Italie : l’Illuminismo

    Les Lumières italiennes sont illustrées avant tout par Cesare Beccaria (1738 – 1794). Son plaidoyer  pour un droit pénal libéré de la tutelle de la religion fait date : Des délits et des peines (1766). L’Italie est attentive au mouvement des idées et aux événements comme la Révolution américaine. Le dictionnaire d’Ephraïm Chambers (Cyclopaedia, 1728) est traduit en italien en 1748. Le « Discours préliminaire » de L’Encyclopédie française, de d’Alembert est traduit dès 1753. Pietro Verri publie des Méditations sur le bonheur (1763) qui se dégagent de l’empreinte religieuse. Dans l’Italie du Nord dominée par l’Autriche autoritaire mais moderniste de Joseph II, Empereur du Saint-Empire, les Lumières italiennes s’accompagnent d’un important mouvement de législation, de réglementation concernant le commerce, l’hygiène, la justice, les statistiques. L’Italie est aussi fortement marquée par la pensée de Giambattista Vico (1668 – 1744) même s’il n’a pas été perçu comme un penseur des Lumières. Sa théorie historique des cycles, avec l’âge des dieux, l’âge des héros, l’âge des hommes (La science nouvelle, 1725), mêle poésie, mythologie et histoire et valorise l’assomption de la raison et l’avènement de l’égalité. Giambattista Vico analyse l’histoire en philosophe, ainsi que le fait Voltaire.

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    Le rapport entre les Lumières et la religion dans les différents pays européens est un point fondamental. Il est en partie déterminé par la place de la religion dans la vie publique. Dans le catholicisme, la religion est moins qu’ailleurs une affaire privée. C’est de ce fait en réaction face à l’emprise de l’Église que les auteurs français, qu’ils soient athées ou déistes, s’opposent à l’emprise du clergé sur la diffusion des idées. Pourtant, malgré l’influence de l’Église en Italie, les Lumières italiennes sont moins antireligieuses que celles de France. Les spécificités nationales sont prédominantes.

    Aussi, peut-on parler d’un esprit européen des Lumières ? On peut le faire uniquement sous le registre d’un aspect précis : quand les Lumières substituent à la question du salut celle du bonheur sur terre. C’est la sécularisation. Progressistes, libéraux, autoritaires, pré-nationalistes, universalistes, relativistes : les penseurs des Lumières sont multiples et leurs conceptions souvent incompatibles entre eux. On ne peut faire la synthèse entre Rousseau et Voltaire. Mais un tournant s’opère, et qui est irréversible : on peut être « pour » ou « contre » les Lumières. Mais c’est désormais toujours au nom d’une certaine conception de la raison.

    Contre les Lumières

    Contre les Lumières, Charles Palissot de Montenoy s’illustra tôt, non sans essuyer les critiques de nobles hauts placés et amis du « parti des philosophes » et des critiques de la Cour. Sa pièce Les philosophes (1760) est essentiellement dirigée contre Diderot. Cet ennemi des Lumières mais qui fut pourtant proche de Voltaire accueillit avec faveur la Révolution et prononça des discours contre la religion avant de se faire verser une pension sous le Directoire et de tenter d’entrer à l’Institut.

    Élie Fréron (1718 – 1776), de son côté, fonda le journal L’année littéraire en 1754 et le dirigea jusqu’à sa mort. Il y défendit la religion et la monarchie. Il entretint une polémique, au demeurant brillante de part et d’autre, avec Voltaire. Son journal fut suspendu à plusieurs reprises par le pouvoir ami des philosophes, et fut finalement interdit par le Garde des Sceaux du roi en 1776. Fréron mourut peu de temps après.

    Edmund Burke (1729 – 1797), dans ses Réflexions sur la Révolution en France (1790) défend l’idée qu’« il n’y a pas de découvertes à faire en morale, ni beaucoup dans les grands principes de gouvernement, ni dans les idées sur la liberté ». Johann Gottfried von Herder (1744 – 1803) critique de son côté La Philosophie de l’histoire (1765) de Voltaire dans Une nouvelle philosophie de l’histoire (1774). C’est l’ethnie et la culture qui déterminent l’individu, soutient Herder. Le libéral Benjamin Constant, de son côté, est en un sens homme des Lumières. Il croît à la raison. Il critique néanmoins Rousseau et sa théorie de la volonté générale. « Toute autorité qui n’émane pas de la volonté générale est incontestablement illégitime. […] L’autorité qui émane de la volonté générale n’est pas légitime par cela seul […]. La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commence l’indépendance de l’existence individuelle, s’arrête la juridiction de cette souveraineté. Si la société franchit cette ligne, elle se rend aussi coupable de tyrannie que le despote qui n’a pour titre que le glaive exterminateur. La légitimité de l’autorité dépend de son objet aussi bien que de sa source (dans Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs, 1815, livre II, chapitre 1). »

    Le débat est resté ouvert tout au long du XIXe siècle. En critiquant la modernité, Baudelaire n’épargne pas non plus les Lumières, non plus qu’Ernest Renan, Hyppolite Taine, Charles Maurras, Georges Sorel. Tous s’opposeront à l’individualisme des Lumières, au mythe de l’autonomie de l’individu, au dogme inconditionnel de la raison, à la croyance au progrès. Mais au vrai, beaucoup de penseurs ne peuvent être classés ni pour ni contre les Lumières. C’est le cas de Chateaubriand, homme des « Lumières sournoises » disait Charles Maurras. C’est le cas de Nietzsche, évoqué plus haut, trop voltairien pour être anti-Lumières, et appelant, dans Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux (1881), à allumer de « nouvelles Lumières ». Des Lumières moins naïves que celles des philosophes du XVIIIe siècle mais toujours plus lucides, claires et nettes, et éloignées de tous les obscurantismes et de leurs serviteurs (les Finsterlinge, « gens des ténèbres »).

    Plus récemment, Adorno et Horkheimer (Dialectique de la raison. Fragments philosophiques, 1944) attribueront les délires criminels du XXe siècle à un certain rationalisme abstrait amenant à ne plus voir l’homme concret. Un rationalisme héritier des Lumières.

    Notre époque hypermoderne voit, paradoxalement, le retour des croyances les plus archaïques : occultisme, théories du complot, spiritualités de pacotille… « Quand il n’y a plus de symbolique de référence, on a besoin d’inculpation, au lieu de rationaliser, on retourne au religieux, au magique, c’est-à-dire à la sorcellerie, aux bûchers, aux lynchages » écrit Régis Debray (dans Le Monde des religions, mars – avril 2006). Si cela plaide contre notre modernité schizophrène, technophile et obscurantiste à la fois, cela ne plaide pas pour les Lumières telles qu’elles ont existé historiquement. Car les Lumières ne furent pas seulement la critique des crédulités, que l’on ne peut qu’approuver. La « supposition de base des Lumières » fut l’idée « selon laquelle le progrès du savoir entraîne toujours celui de la civilisation » note Rémi Brague. C’est la formule de Victor Hugo : « ouvrir une école, c’est fermer une prison. » Or la lucidité oblige à reconnaître qu’il n’y a pas d’automaticité entre progrès des connaissances et de l’éducation, et progrès des mœurs. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas souhaitable d’ouvrir des écoles et d’œuvrer à la formation des hommes par l’éducation. Cela veut dire que le tragique et la faillibilité sont inhérents à la condition de l’homme. Tocqueville avait constaté que les philosophes des Lumières « expliquaient d’une façon toute simple l’affaiblissement graduel des croyances; le zèle religieux, disaient-ils, doit s’éteindre à mesure que la liberté et les lumières augmentent. Il est fâcheux que les faits ne s’accordent point avec cette théorie ». Au contraire, la technique et la mondialisation augmentent le besoin de croyances parfois les moins rationnelles, et les plus déracinées, dissociant foi et raison, espérance et rationalité.

    L’idée de Coménius, qui était d’apprendre les uns des autres, reste un bel idéal et contient une part de vérité, mais d’une part les hommes n’ont pas attendu les Lumières pour avoir cette ambition, d’autre part, il n’est plus possible d’ignorer que le monde n’est pas seulement une école. C’est aussi un champ de bataille. Peter Sloterdijk remarque à propos de l’optimisme des Lumières : « cette conception progressiste effarante de naïveté, s’est cristallisée au XIXe siècle, et est à l’origine des idéologies destructrices du XXe qui assuraient suivre le cours inexorable de l’histoire. Nous devons refuser cette partie de l’héritage des Lumières ». De surcroît, nous ne vivons plus tout à fait dans l’ère du livre, des récits, de la typographie, et nous sommes entrés dans l’ère du numérique et des réseaux. C’est pourquoi les Lumières ne nous parlent plus comme le grand récit du progrès. Notamment parce que ce grand récit du progrès a montré qu’il pouvait lui-même exacerber les conflits, créer des mythes insensés, rendre inexpiables des guerres et plonger les hommes dans le désarroi. L’idée que la raison est toute puissante et transparente, qu’elle peut établir la compréhension et l’harmonie entre les hommes n’est plus tenable. L’idée que l’usage de la raison rend la société bonne s’est avérée absurde. À la raison unique et donc totalitaire, à la raison « occidentale », il faut opposer les raisons différenciées des peuples. Il faut bien sûr viser  à une certaine et toujours fragile universalité des compréhensions mais refuser l’universalisme des pratiques, des façons de faire, des éthiques et des esthétiques  du monde.

    Pierre Le Vigan

    http://www.europemaxima.com/?p=2112

  • Que reste-t-il des Lumières ? (1re partie) par Pierre LE VIGAN

    Plus de 250 ans après le lancement de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751), que reste-t-il des Lumières ? Un mythe et beaucoup d’ambiguïtés.

    Le mythe, c’est l’idée que l’usage de la raison a été inventé par les Lumières. C’est très excessif. C’est faire peu de cas de Grecs, des Romains, des Renaissants et même des théologiens. Mais il reste un acquis de la pensée des Lumières : c’est l’idée que les hommes font leur histoire. Qu’ils ont la responsabilité de leur histoire. Les Lumières le disent et l’intègrent dans le développement de leur pensée. « Bien et mal coulent de la même source » dit justement Jean-Jacques Rousseau. Cette source, c’est l’homme, avec sa grandeur et avec ses limites. En outre, les Lumières n’ont pas inventé la notion de bien commun mais elle fut présente chez la plupart de ses penseurs. Ceci distingue les Lumières d’un certain libéralisme individualiste.

    Le mythe des Lumières doit donc être ramené à ses justes proportions : les Lumières n’ont pas été une préfiguration de la Révolution française mais un mouvement qui a d’abord séduit les élites du royaume. « Les penseurs des Lumières n’ont rien compris à la Révolution » remarque Jean-Marie Goulemot, professeur à l’Université de Tours (dans Adieu les philosophes. Que reste-t-il des Lumières ?, Le Seuil, 2001). C’est justement la grande faiblesse des Lumières :  leur culte du progrès, à la notable exception de Rousseau, s’est accompagné d’une incompréhension ou mécompréhension de l’histoire – peut-être à l’exception, elle aussi plus que notable, de Voltaire. En d’autres termes, les penseurs les plus importants du XVIIIe siècle sont irréductibles à la catégorie des Lumières.

    Ambiguïté des Lumières. Au nom de la tolérance, les penseurs des Lumières poursuivent l’objectif d’un rapport de force idéologique et social. Nombre de penseurs des Lumières appellent à ne respecter que la raison mais déplorent de possibles « abus » des Lumières, comme « la dureté, l’égoïsme, l’irréligion et l’anarchie » (Moses Mendelssohn). Les Lumières critiquent l’arbitraire du pouvoir mais, en expliquant que tout pouvoir vient du peuple, elles légitiment en un sens les abus et l’arbitraire d’un pouvoir qui prétendrait avoir une légitimité absolue car venant du peuple. Un inventaire est nécessaire.

    I – Les origines des Lumières et la France

    On assimile souvent les Lumières à la pensée de la Révolution française, et plus largement à la genèse de la modernité. Les Lumières, ce serait Voltaire, et ce serait aussi Rousseau, et ce serait Diderot, et d’Alembert, voire un peu Benjamin Franklin, et tout de même aussi Kant, ce qui n’est pas une mince affaire. Si les Lumières sont un mot-valise, il est à craindre qu’elle soit lourde à porter. Et qu’une telle étendue de la notion n’aide pas à y voir clair. Et si le plus important dans les Lumières était ce dont on parle le moins, ce que le libéralisme des temps hypermodernes tend le plus à occulter, à savoir la notion de bien commun ?

    La novation constituée par les Lumières est sans doute d’articuler, comme l’a relevé Tzvetan Todorov, le rationalisme et l’empirisme, d’une part Descartes, Leibniz et d’autre part Francis Bacon, John Locke, George Berkeley, David Hume.

    Les Lumières partent d’Angleterre, de Locke et Berkeley, de la Cyclopaedia de Ephraïm Chambers et culminent avec l’Encyclopédie Britannique de 1768. On a d’ailleurs souvent fait commencer les Lumières à la crise de la première Révolution anglaise, celle de 1641 -1649, qui aboutit à la décapitation du roi Charles Ier. Les Lumières passent par la France et se terminent en Allemagne. Elles sont l’effet des liens de plus en plus étroits – mais qui restent conflictuels – entre les pays d’Europe, et d’une connaissance mutuelle croissante due au développement des échanges. Les Lumières ne se conçoivent pas sans l’amélioration des voies de communication et le développement de la poste. Ainsi, Voltaire aura environ un millier de correspondants.

    Quelle est l’idée centrale des Lumières ? C’est d’émanciper la connaissance de la tutelle des religions. L’idée, c’est l’autonomie du peuple et de chacun : deux idées pas toujours compatibles au demeurant. Mais les Lumières, c’est aussi l’aspiration au bien commun qui pose des limites aux désirs de chacun. Les Lumières, c’est encore  non pas exactement les droits de l’homme mais les droits humains, un principe d’universalité des droits de chaque homme, même s’il s’agit essentiellement… des droits de l’homme blanc et européen.

    Les Lumières se sont heurtées à des adversaires externes, les « obscurantistes » mais aussi à des adversaires internes, les réductionnistes, ceux qui croient à l’inéluctabilité des Lumières, réductionnistes dont Rousseau, quoi que l’on puisse lui objecter par ailleurs, ne faisait pas partie. Il n’a en effet jamais évacué le tragique de la condition humaine.

    À l’origine des Lumières, il y a souvent à la fois un mouvement social et un mouvement national, comme le soulèvement hollandais contre la domination espagnole de Philippe II. Loin de se vouloir révolutionnaires, les philosophes des Lumières se voulaient généralement porteurs d’idées visant à une plus grande stabilité, sur le plan de l’équilibre social (Hobbes) ou de la prévention des catastrophes naturelles (Descartes). Ce qui ouvre réellement la voie aux Lumières, c’est de s’opposer, comme Hobbes, et surtout comme Spinoza et Pierre Bayle, à toute censure. Pour Spinoza (1632 – 1677), « la raison à elle seule peut nous conduire à la béatitude, et fonde une religion naturelle, indépendante de la révélation historique » remarque le philosophe Ariel Suhamy (dans Spinoza, Ellipses, 2008). C’est pourquoi Spinoza est un partisan de la « lumière naturelle » de la raison. Mais il ouvre aussi la voie au panthéisme, au romantisme, bien au-delà des Lumières et parfois… contre les Lumières. Cela ne veut pas dire un rejet de tout esprit religieux. C’est en outre une position « avancée » qui ne fait pas l’unanimité. De fait, Locke et Leibniz croient pour leur part encore à la providence divine.

    Ainsi s’esquisse une coupure entre les Lumières radicales – les ultras des Lumières – et les Lumières « modérées ». À l’origine des Lumières, il y a encore les doctrines du droit naturel, issu de la nature elle-même et de sa compréhension par la raison. Ce sont les doctrines du Hollandais Hugo Grotius et de l’Allemand Samuel Pufendorf (1632 – 1694). Tous deux défendent le principe de la distinction entre l’État et la société, cette dernière étant régie par l’ordre naturel. « Le droit naturel est immuable, jusque-là que Dieu même n’y peut rien changer » (Grotius, Du droit de la guerre et de la paix, 1625). Pour John Locke (1632 – 1704), le gouvernement civil est issu de la loi naturelle. C’est un contrat par lequel les hommes acceptent l’autorité politique en échange de la sécurité. Cela n’a aucun rapport avec la foi et si des restrictions à la liberté de croyance sont possibles ce ne peut être que pour la cohésion de la nation et non pour des motifs intrinsèquement religieux : « notre entendement est d’une nature qu’on ne saurait le porter à croire quoi que ce soit par la contrainte » (John Locke, Lettre sur la tolérance, 1686).

    On rattache souvent les Lumières au culte du progrès. Ce n’est pas toujours vrai. Ainsi Pierre Bayle (1647 – 1706) ne croit pas au progrès; il cultive un doute systématique. La croyance au progrès de l’esprit humain caractérise par contre Fontenelle (1657 – 1757) qui défend aussi l’idée, dans la lignée de Copernic et Galilée, que l’homme ne peut plus se considérer comme le centre de l’univers. Fontenelle fut raillé par Voltaire (Micromégas). Pour Leibniz, le principe de la raison ne relève pas d’une intercompréhension entre les hommes mais est surplombant : c’est une harmonie préétablie d’origine divine (Monadologie, 1714). C’est le principe de raison suffisante.

    Voltaire mettra aussi en scène Leibniz pour le ridiculiser dans Candide, non sans le caricaturer. Pour Mandeville, le vice et l’égoïsme sont les conditions de la prospérité (La Fable des Abeilles, 1705). « Seuls les fous veulent rendre honnête une grande ruche ». Friedrich von Hayek, au XXe siècle, verra en Mandeville un précurseur du libéralisme qu’il défendra contre les collectivistes et aussi contre les nationalistes.

    Selon Peter Sloterdijk, le véritable ancêtre des Lumières est, à côté de Spinoza, le Tchèque Coménius (1592 – 1670), le « Galilée de l’éducation » dira Michelet. Selon Coménius, l’éducation peut rendre les êtres humains meilleurs. « Tout doit être enseigné à tout le monde, sans distinction de richesse, de religion ou de sexe », écrit-il. Coménius reprenait l’idée platonicienne de l’élévation de l’âme (Via Lucis. La voie de la lumière, 1642). La condition de cette élévation est l’éducation dont fera l’éloge même Rousseau, pourtant réservé quant à l’idée de progrès.

    Les Lumières dans les Îles britanniques (ou îles anglo-celtes)

    Si les Lumières ont pris naissance outre-Manche, elles ne sont pas seulement anglaises, elles sont britanniques. L’Écosse y a une grande part. Ce sont en effet les Écossais Francis Hutcheson, David Hume, Adam Smith, Adam Ferguson et d’autres, professeurs à l’Université d’Édimbourg, qui l’illustrent. Pour Hume, le commerce, le droit, la politique, l’État sont des artifices nécessaires pour donner plus de force à l’homme, animal plus fragile que les autres animaux. L’ordre social n’est pas le fruit d’une providence divine. Il est contingent. James Dunbar s’interroge : « Tout ce qui m’entoure n’est-il pas désordre, confusion, chaos ? Existe-t-il alors quelque principe de stabilité, d’ordre ? » (Essai sur l’histoire de l’humanité dans les époques violentes et cultivées, 1781). James Harrington défend l’idée (Oceana, 1656, destiné à Cromwell, puis L’art de légiférer, 1659) que l’économique détermine le politique. En d’autres termes, les rapports économiques, et notamment la propriété, détermineraient la nature du pouvoir politique, celui-ci n’étant qu’une superstructure – ce qui représente une préfiguration du matérialisme historique de Marx. L’histoire relève donc d’une sociologie historique et non des desseins de la Providence comme le pensait Bossuet.

    Les Lumières écossaises constituent une tendance radicale des Lumières. La théorie du droit naturel de Hobbes et Locke est renversée au profit d’une étude des « circonstances » – le contexte – socio-historiques et d’un matérialisme économique. Pour Francis Hutcheson, nous disposons d’un sens moral donné par Dieu – une idée déjà développée par Lord Shaftesbury (1671 – 1713). Ce sens moral, s’il est naturel, peut néanmoins être mieux éduqué par la raison, indique Francis Hutcheson (Recherche sur l’origine de nos idées de beauté et de vertu, 1725). Cette conception sera attaquée par Kant comme ne faisant pas pleinement jouer son rôle à la raison.

    L’époque des Lumières est loin d’être univoque. Les Lumières ne sont pas une doctrine. Elles ne sont définies qu’à la fin du processus, par Kant, et encore la définition n’est-elle pas forcément convaincante du point de vue rétroactif. C’est plutôt la définition d’un projet. Les Lumières sont une dynamique, et surtout un climat. Pas une pensée unique. Le rapport au monde devenant moderne, au monde « se modernisant », est ainsi complexe en fonction des penseurs. Il n’y a pas un rapport unique des Lumières à la modernité, ni au progrès et à la « souhaitabilité » ou « désirabilité » de ce l’on appelle alors le progrès.

    Ainsi, l’Irlandais d’origine anglaise Jonathan Swift illustre, dans Les voyages de Gulliver (1726) les méfaits du monde moderne où le culte de l’argent s’allie souvent au culte du pouvoir. Contre l’idée d’un progrès possible dans l’art de gouverner, Jonathan Swift se réfère à des valeurs connues de tout temps. Pour Swift, la « science de gouverner [doit rester] dans des bornes très étroites, la réduisant au sens commun, à la raison, à la justice, à la douceur, à la prompte décision des affaires civiles et criminelles ».

    Pour David Hume, les choses n’existent qu’en tant qu’elles existent pour nous, qu’elles sont quelque chose pour nous,  que nous en avons fait l’expérience. C’est l’empirisme. Comme nous ne pouvons faire l’expérience de l’essence des choses, cette philosophie conduit au scepticisme, à la suite de Pyrrhon et de Montaigne, un scepticisme qui trouvera un nouveau souffle avec la philosophie analytique au XXe siècle.

    Samuel Johnson est une autre figure qui, pour être rattachée aux Lumières, est surprenante et au vrai inclassable. Conservateur au sens sociétal du terme, il critique les Whigs, rivaux des Tories, et leur modernité qui consiste, selon lui, dans la valorisation de l’argent et l’appel au renversement des anciennes hiérarchies. Il avait créé un journal intitulé The Idler (le désoeuvré, le fainéant), se faisant notamment le défenseur des gens condamnés à de la prison pour dette.

    L’Écossais Adam Smith, élève de Francis Hutcheson, écrit sa Théorie des sentiments moraux (1759) avant sa célèbre Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776).  Son idée est que la morale vient de la sympathie que l’on éprouve ou non pour autrui. Si j’apprécie quelqu’un, je me comporterais de manière bienveillante vis-à-vis de cette personne. La bienveillance n’est pas un préalable aux relations sociales, c’est une conséquence de la sympathie. Sur le plan des décisions et des comportements des agents économiques, l’Enquête d’Adam Smith prétend démontrer que la marché s’autorégule et aboutit à ce que la recherche par chacun de son intérêt profite à l’intérêt général. Ceci suppose toutefois deux vertus selon Adam Smith : la prudence et la justice.

    Si l’homme est au départ une table rase, comme le soutenait Locke, comment se forge-t-il une personnalité ? C’est le sujet du roman d’éducation de Laurence Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme achevé en 1768.

    Les Lumières en France

    En France, il y a deux périodes des Lumières : l’une va de la période de la Régence, cette « révolution tranquille », jusqu’à Montesquieu et L’esprit des lois (1748), et il y a la deuxième période, celle, plus doctrinaire, des philosophes, à partir de 1750, avec les débuts de L’Encyclopédie (1751). C’est une période marquée par des penseurs aussi différents que Voltaire, Rousseau, Diderot.

    Montesquieu défend le principe d’un ordre naturel contre le contractualisme, qui est aussi un constructivisme, de Hobbes. Mais l’ordre naturel selon Montesquieu n’est pas le prolongement d’un ordre divin, c’est un ordre humain et donc faillible. Les lois sont particulières aux habitudes humaines et ne peuvent donc être universalisées.

    Pour La Mettrie (1709 – 1751), le corps est une machine mais surtout une chimie complexe. La pensée est elle-même une machine productrice de signes. Pour La Mettrie, les grandes aspirations humaines ne doivent pas être idéalisées, elles correspondent  tout simplement à des fonctions chimiques et biologiques. « Le corps n’est qu’une horloge dont le nouveau chyle [résultat de la digestion] est l’horloger » (L’homme-machine, 1748).

    Le comte de Buffon, anobli par Louis XV, n’est pas un théoricien des Lumières mais son projet dans le domaine de l’anatomie le rattache à l’ambition encyclopédique de son temps : rassembler toutes les connaissances, décrire les espèces, comprendre les différences de mœurs et d’habitat. Il partage cette ambition notamment avec Daubenton, et avec le Suédois Linné.

    L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le second ayant une autorité scientifique, se voulait au départ une traduction de l’encyclopédie anglaise (Cyclopaedia ou Dictionnaire universel des arts et des sciences) de Éphraïm Chambers (1728). Pierre Bayle avait ouvert la voie des encyclopédies critiques avec son Dictionnaire historique et critique (1697), L’Encyclopédie est engagée : il ne s’agit pas seulement de décrire; les jugements critiques abondent sur tous les sujets. Les auteurs plaident pour une monarchie parlementaire à l’anglaise, et contre le principe de légitimité absolue du pouvoir royal. La puissance du roi vient du consentement du peuple et est soumise à des conditions, comme la puissance paternelle l’est. C’est en fait un contrat avec des obligations réciproques. « Le prince ne peut pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation, et indépendamment du choix marqué dans le contrat de soumission. » Et encore : « Le gouvernement est […] un bien public qui par conséquent  ne peut jamais être enlevé au peuple (Encyclopédie, article « Autorité politique », tome I, 1751) ».

    Claude-Adrien Helvétius (1715 – 1771), né Schweitzer, considère que l’intérêt est le critère essentiel de nos conduites et de nos jugements. Helvétius est le père de l’utilitarisme. Ce sont pour lui les sens qui nous révèlent tout. Sa doctrine est aussi un sensualisme. « Toute idée qu’on nous présente a toujours quelque rapport avec notre état, nos passions, nos opinions. » La presque totalité des hommes, explique encore Helvétius, « ne peuvent estimer dans les autres que des idées conformes aux leurs, et propres à justifier la haute opinion qu’ils ont tous de la justesse de leur esprit (De l’esprit, discours II, chapitre 3) ».

    Voltaire est un esprit universel : historien, poète, conteur, philosophe (sans la lourdeur de beaucoup de ceux-ci). C’est tardivement qu’il exprime réellement une pensée personnelle. Et cette pensée est pessimiste, notamment dans Candide (1759)  – un état d’esprit peut-être dû en partie au bouleversement de l’auteur face au terrible tremblement de terre de Lisbonne de 1755 (plus de 50 000 morts) et face aux guerres européennes incessantes. Voltaire appelait ses contes des « couillonneries », ceci pour indiquer qu’il n’y attachait pas une importance excessive. Ils n’en sont pas moins pleins de finesse. La morale de Candide est que, dans un monde dont il ne faut pas attendre de grands bonheurs, le mieux est encore de travailler sans se faire d’illusions. Voltaire s’opposait ici à Leibniz et à son optimisme philosophique. « Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes […]. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse […]. Vous savez… – Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. – Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. – Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable (Candide, chapitre XXX). »

    Autre ouvrage de Voltaire, le Dictionnaire philosophique portatif – on dirait aujourd’hui « de poche » –, paru en 1764 d’abord de manière anonyme, systématise et synthétise sa pensée émancipée vis-à-vis de toutes les crédulités. Le ton en est volontiers polémique. L’ouvrage est mis à l’index par le Vatican en 1765 et brûlé dans plusieurs villes. On a beaucoup souligné l’opposition de Voltaire à l’Église et aux autorités religieuses manifestée par sa formule « Écrasez l’infâme ! ». Toutefois, Voltaire est déiste – c’est-à-dire croyant en Dieu mais rejetant tout surnaturel et toute tradition religieuse. Il n’est pas athée ; c’est pourquoi il oppose la religion naturelle, pacifique et saine, aux religions « artificielles » qu’il voit comme stupides et meurtrières.

    Rousseau (1712 – 1778), pour sa part, se fait connaître par un Discours sur les sciences et les arts (1751) dans lequel il critique l’idée qu’il y aurait un progrès de la moralité en même temps que des progrès des connaissances et des techniques. À la même époque, il collabore à L’Encyclopédie (article « musique »). Dans la Nouvelle Héloïse (1761), il critique les développements de la « civilité », de la politesse, et en somme de la civilisation. Pour Rousseau, politesse et civilisation représentent une insincérité foncière. Dans la Lettre à d’Alembert (1758), il avait déjà mis en question les vertus du théâtre – un des modes de la civilité – en lequel il voyait une école d’affectation préjudiciable à la perpétuation des mœurs sincères et franches.

    C’est ainsi toute la stratégie des Lumières que récuse Rousseau : faire passer des idées nouvelles par le moyen de conversations mondaines, « de salon ». Pour Rousseau, la forme en dit long sur le fond, et de ce fond, il ne veut pas.

    Du contrat social, que publie Rousseau en 1762, est un éloge du politique. Rousseau entend démontrer que l’homme n’étant pas naturellement apte à vivre en société, il faut un pouvoir politique pour empêcher les guerres permanentes. C’est ici une analyse assez proche de celle de Hobbes. Mais pour Rousseau, le pouvoir politique doit être étroitement dépendant de la société. Il doit être son émanation. Partant de là, le pouvoir a une très forte légitimité, qui peut justifier des dérives que l’on appellerait de nos jours totalitaires. Rousseau considère qu’il faut accepter dans le cadre du contrat social des clauses qui « bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres. De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle ne peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer (Du contrat social, Livre I, chapitre 6) ». « À l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. À l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participants à l’autorité souveraine, et sujets comme soumis aux lois de l’État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l’un pour l’autre; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision… » (ibid., Livre I, chapitre 6).

    Diderot (1713 – 1784) se distingue tant de Rousseau que de Voltaire par son athéisme. Dans Le rêve de d’Alembert écrit en 1769, (une œuvre en trois parties : « Entretien entre d’Alembert et Diderot », « Le Rêve de d’Alembert », « Suite de l’entretien précédent »), Diderot met en scène, sous forme de dialogues, ses conceptions matérialistes antichrétiennes mais n’excluant pas de reconnaître de la valeur aux religions « naturelles ». C’est ce qu’il exprime dès l’écriture de ses Pensées philosophiques, publiées anonymement (1746). Dans le corps humain, Il n’y a pas d’âme, il n’y a qu’un cerveau et des neurones.

    C’est un développement radical de la pensée des Lumières, dans lequel sont valorisées les expérimentations de tous ordres, tandis que Diderot appelle à rompre avec toutes les servitudes y compris l’esclavage (ainsi dans Contribution à l’histoire des deux Indes, 1772, sous la direction de l’abbé Raynal). Dans Le rêve de d’Alembert (« Suite de l’entretien précédent »), un personnage exprime le point de vue de Diderot en affirmant : « c’est que nous ne dégraderions plus nos frères en les assujettissant à des fonctions indignes d’eux et de nous. […] C’est que nous ne réduirions plus l’homme dans nos colonies à la condition de la bête de somme. » Il n’y a pas de morale révélée ni universelle, affirme encore Diderot dans le Supplément au voyage de Bougainville (1796, posthume). Avec cette pensée non systématique et différentialiste du point de vue culturel, les Lumières françaises culminent dans bien autre chose que l’optimisme et le culte du progrès qu’on leur attribue bien souvent.

    Le baron d’Holbach, d’origine allemande, contributeur de L’Encyclopédie, présentait deux faces. L’une était celle d’un homme de débat. L’autre était celle d’un propagandiste déterminé de l’athéisme et du matérialisme philosophique. Ses coups de butoirs matérialistes se manifestent par Le système de la nature en 1770 – qui fut condamné à être brûlé cette même année – et Le bon sens, ou idées naturelles opposées aux idées surnaturelles (1772). Ses idées étaient fort appréciées par Diderot. Hostile à tout déisme, à la différence de Voltaire et Rousseau, d’Holbach nie l’intérêt de l’hypothèse de Dieu même comme simple Grand Architecte de l’Univers, dépourvu de dimension sacrée. D’Holbach ne se contente pas de prôner le matérialisme athée. Il développe ses conceptions sociales dans Système social ou principes naturels de la morale et de la politique (1773) et La politique naturelle ou discours sur les vrais principes du Gouvernement (1773). Selon d’Holbach, le système physique détermine le système politique, d’où le déterminisme et ce qu’on a appelé le « fatalisme » de d’Holbach. La souveraineté repose selon d’Holbach sur un pacte social et non sur un droit divin et la volonté générale est son fondement. D’Holbach, mort quelque temps avant la prise de la Bastille, le 21 janvier 1789, est peut-être l’auteur qui a le plus influencé les révolutionnaires et constituants de 1789 – 1791. Voire le seul qui les ait réellement influencés.

    Il faut sans doute rattacher à d’Holbach et aux Lumières radicales le curé Jean Meslier (1664 – 1729), dont le Testament, en tout cas celui qui lui est attribué, fut publié par Voltaire en 1762. Ce texte est empreint de matérialisme, de libertinage au sens philosophique, d’athéisme et même d’anarchisme social. Il ne critique pas l’existence d’une morale mais veut lui donner un autre fondement que la religion. D’Holbach s’abrita derrière Meslier pour défendre ses propres thèses (Le bon sens du curé Meslier, 1772). De même, Morelly (Code de la nature ou Le Véritable esprit des lois, 1755) appartient aux Lumières radicales, voire aux Lumières « ultra » et développe des idées communistes (abolition de la propriété privée, collectivisme…). « I – Rien dans la Société n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne, que les choses dont il fera un usage actuel, soit pour ses besoins, ses plaisirs, ou son travail journalier. II – Tout Citoyen sera homme public sustenté, entretenu et occupé aux dépens du Public. III – Tout Citoyen contribuera pour sa part à l’utilité publique selon ses forces, ses talents et son âge; c’est sur cela que seront réglés ses devoirs, conformément aux Lois distributives (dans Lois fondamentales et sacrées qui couperont racine aux vices et à tous les maux d’une Société) ».

    La Révolution française s’est-elle réclamée des Lumières ? Elle s’est réclamée un peu de Voltaire et surtout de Rousseau, mais il ne faut pas surestimer l’influence des publications intellectuelles : les livres politiques étaient les moins lus. Ce qui est sûr, par contre, c’est que la plupart des penseurs des Lumières, quand ils étaient encore vivants durant la Révolution, ne lui ont manifesté aucune sympathie. L’abbé Raynal, co-auteur avec Diderot de L’Histoire des deux Indes, écrit à l’Assemblée constituante en mai 1791 une lettre dans laquelle il défend la monarchie constitutionnelle et s’insurge, après avoir des années auparavant rappelé « les devoirs des rois », contre ce qu’il voit maintenant, et appelle « les erreurs du peuple ».

    Pierre Le Vigan

    http://www.europemaxima.com/?p=2109

  • Des Suisses dans les milices chrétiennes en Irak

    Lu ici :

    "Une dizaine de Suisses seraient partis en Syrie et en Irak pour rejoindre les milices chrétiennes qui s'opposent notamment aux djihadistes de l'Etat islamique, selon une enquête du Matin Dimanche.

    Des Suisses se battraient aux côtés de milices chrétiennes en Syrie et en Irak, affirme Le Matin Dimanche. Selon le journal dominical, ils seraient une dizaine et certains exerceraient des fonctions dirigeantes.

    Les auteurs de l'enquête affirment avoir rencontré en Syrie plusieurs Suisses membres du Syriac Military Council, une milice qui défend les populations chrétiennes face aux djihadistes de l'Etat islamique. Cette organisation aurait déjà formé plus de 1000 soldats.

    Parallèlement, les quelque 1500 familles suryoyes - comme se nomment les Araméens, les Assyriens et les Chaldéens - présentes en Suisse se mobiliseraient aussi financièrement."

    A propos de ces milices chrétiennes, voir ce reportage du Monde.

    M

    Michel Janva

  • Une affaire de géométries variables... par Frédéric Lordon Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com L'affaire de l'amende infligée à la BNP Paribas par la justice américaine a suscité de nombreux commentaires au début du mois de juillet. Nous revenons dessus

    Une affaire de géométries variables...

    par Frédéric Lordon

    Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

    L'affaire de l'amende infligée à la BNP Paribas par la justice américaine a suscité de nombreux commentaires au début du mois de juillet. Nous revenons dessus avec cet article incisif de l'économiste Frédéric Lordon, qui aborde cette fois-ci la question non pas sous l'angle géopolitique, des relations entre les Etats-Unis et l'Europe, mais sous l'angle des relations des banques avec la puissance publique, lorsque celle-ci existe... L'article a été cueilli sur La pompe à phynance, le blog de l'auteur.

    BNP-Paribas, une affaire de géométries variables

    On peut bien, si l’on veut, reparcourir l’affaire BNP-Paribas à la lumière de la saga crapuleuse des banques à l’époque de la libéralisation financière. Il faut bien admettre, en effet, que la série a de quoi impressionner, et jusqu’au point de vue défendu depuis le début ici-même, qui tient plutôt la ligne de ne pas céder à la diversion fait-diversière pour maintenir les droits de l’analyse, telle qu’elle doit rendre compte des crises financières non par l’« hypothèse du mal » — Madoff, Kerviel ou qui l’on voudra —, mais par les fonctionnements structuraux, réguliers, intrinsèques, des marchés de capitaux déréglementés. Dans un élan de sensationnalisme irrépressible autant qu’irréfléchi, les médias, toujours pressés de se rendre au plus gros, et au plus bête, se jettent sur tous les délinquants à chemise rayée comme sur des providences — il est vrai que les occasions sont rares de rafler simultanément les bénéfices de la colère populaire, de la belle image du perp walk [1] des puissants — manière d’attester une souveraine indépendance d’avec les « élites » —, et de la critique de la finance. Mais qui ne critique rien.

    La fraude comme business model bancaire ?

    Car il est bien certain qu’un défilé de traders en combi orange et cadènes aux poignets ne dira jamais rien d’intéressant sur la finance. Obnubilation — par l’image —, et oblitération — de tous les mécanismes ordinaires de la finance —, sont donc les produits les plus certains du barnum systématiquement monté par les médias sur les « grandes affaires » dûment étiquetées « en col blanc ». Prendre la mesure de l’inanité analytique du point de vue criminologique-médiatique requiert, par exemple, de se livrer à une simple expérience de pensée contrefactuelle demandant si la crise financière aurait été évitée si Monsieur Madoff-père s’était retiré ou si Jérôme Kerviel avait fait un BEP de plombier-chauffagiste — bref si les fâcheux n’avaient pas été là. Sauf passion du bouc émissaire et paranoïa en roue libre, la réponse est évidemment non, et les individus délinquants par conséquent renvoyés à leur juste statut : même pas épiphénoménal, simplement secondaire.

    Il s’ensuit surtout que comprendre, et puis prévenir, les crises financières exige un peu plus qu’un programme de redressement moral des traders : s’intéresser aux structures mêmes des marchés de capitaux et des institutions bancaires, telles que, dans leur fonctionnement nominal, elles produisent immanquablement ces séquences : surtension spéculative mimétique, renversement brutal des anticipations, crise de liquidité se propageant de proche en proche, pour gagner potentiellement tous les compartiments de marché par le jeu de la course à la réalisation de détresse [2] et de la ruée au cash [3].

    Le fait-divers divertit, donc, mais il faut bien avouer qu’au rayon « banque et finance » la récurrence fait-diversière commence à impressionner. Entre Goldman Sachs (spéculation contre ses propres clients), HSBC (blanchiment d’argent, fraude fiscale), Crédit Suisse (fraude fiscale), Barclays (manipulation du Libor), RBS (Libor également), et l’on en passe, la généralisation des comportements crapuleux finirait presque par faire croire à l’existence non pas de simples déviations récurrentes, idée en soi tendanciellement oxymorique, mais à un véritable business model, où une partie du dégagement de profit est très délibérément remise à l’exploitation de situations frauduleuses. Champion bancaire national, mais fier de sa surface globalisée, il n’était que justice — ou bien nécessité — que BNP-Paribas vînt ajouter son nom à ce très illustre palmarès. Six milliards et demi de prune tout de même — il va y avoir du bain de siège au conseil d’administration.

    Pertes normales, pertes intolérables

    On peut cependant résister à la pente « délictuelle » et considérer l’affaire BNP-Paribas sous un autre angle. Et même deux.

    Le premier interroge la perception extrêmement variable que prennent les entités capitalistes de leurs pertes selon leurs origines. Car il y a bien quelque chose comme une hiérarchie dans l’acceptabilité, ou la « normalité », des pertes, dont le sommet est évidemment occupé par les « pertes de marché », verdict incontestable d’une quasi-nature à laquelle il est à peu près aussi vain d’objecter que de demander une diminution de l’accélération de la pesanteur. On notera au passage que les « pertes de marché » sont assez souvent l’effet de spectaculaires conneries des équipes dirigeantes, mauvais choix d’investissement ou management déplorable — on pense ainsi, mais comme un exemple parmi tant d’autres, à Boeing qui, à la fin des années 1990, avait cru malin de céder à la mode du downsizing et avait largement licencié, pour se trouver confronté à peine quelques années plus tard à un retour de croissance… et devoir ré-embaucher en catastrophe, mais en s’apercevant que tous les salariés précédemment virés étaient porteurs d’une longue et irremplaçable expérience, et qu’il allait falloir consentir longtemps des coûts monumentaux d’apprentissage, de sous-productivité, et de sous-qualité [4]. Et l’on tiendra pour l’un des symptômes les plus caractéristiques du néolibéralisme qu’on y fustige sans cesse « l’incurie de l’Etat », quand celle du capital engage des sommes non moins considérables, et aussi le destin direct de salariés qui payent de leurs emplois perdus ou de leurs revenus amputés — mais les élites privées de la globalisation, à l’image du « marché », ont été déclarées par principe les insoupçonnables instances de la rationalité, en fait les seules [5].

    Or les « élites » économiques sont plus souvent qu’à leur tour à la ramasse, quand elles ne sont pas carrément incapables de comprendre ce qui se passe vraiment dans leurs entreprises, cas d’incompétence spécialement spectaculaires dans le secteur bancaire, comme l’a prouvé la crise des subprimes — des présidents ventripotents, façon Daniel Bouton, n’ayant pas la moindre idée de la tambouille qui se réchauffe dans leurs propres salles de marché [6], ni des risques réels dont ils laissent se charger leurs bilans. Il en est résulté des pertes consolidées pour le système bancaire international dont le FMI avait tenté l’estimation – entre 2 000 et 3 000 milliards de dollars, soit tout de même le plus imposant bouillon de toute l’histoire du capitalisme —, de sorte que « l’élite » s’est révélée nuisance aux intérêts de ses propres mandataires, pour ne rien dire de ceux de la société dans son ensemble.

    Rien de cet exploit retentissant cependant n’a conduit à la moindre remise en question de la compétence générale des banquiers néolibéraux à diriger les banques, et pas davantage à chuchoter à l’oreille des gouvernements, deuxième compétence supposément adossée à la première. Rien non plus n’a perturbé le moins du monde le gros mouvement de glotte qu’a nécessité tout de même d’avaler pertes aussi astronomiques, elles également versées au registre de la loi naturelle du marché contre laquelle il n’y a rien à dire.

    Ainsi lorsque « le marché » lui impose la sanction, fut-elle colossale, de sa propre incompétence, le capital ne moufte pas. Mais qu’on vienne lui arracher 0,1% de cotisation supplémentaire et il hurle à la mort. Car voilà le bas, le tout en bas, de la hiérarchie de l’acceptabilité des pertes, et en l’occurrence simplement des coûts : ceux qui sont imposés par l’Etat. Procédé décidément d’une puissance heuristique incomparable, il faut là encore se livrer à une expérience de pensée contrefactuelle pour en prendre la mesure, par exemple en partant du montant de l’amende à payer par BNP-Paribas, 6,5 milliards d’euros, en considérant ensuite de celui de son impôt sur les sociétés de 2013, 2,5 milliards d’euros, pour mettre l’un en rapport avec l’autre. Et puis imaginer ceci : un gouvernement de gauche est élu et dit : « la responsabilité des banques privées dans la crise de 2007-2008, dans la récession et les déficits publics qui s’en sont suivis, étant manifeste et incontestable, elles s’acquitteront de la dette qu’elles ont contractée envers la société par une contribution exceptionnelle que nous fixons à trois fois (2,6 fois…) leur dernier impôt payé ». A ce moment ouvrir les micros et bien enregistrer le concert : Michel Pébereau hurle à la mise à mort d’un champion national, Pierre Gattaz déclare l’assassinat de l’esprit d’entreprise, Nicolas Baverez annonce la phase finale du déclin, Bernard Guetta bafouille que nous tournons le dos à l’Union européenne, les Pigeons menacent d’un exode définitif de tous les cerveaux entreprenants, Franz-Olivier Giesbert déclare qu’il faut crever l’Etat obèse, Christophe Barbier que le mur de Berlin a été remonté dans la nuit et que nous nous réveillons du mauvais côté, Jean-Marie Le Guen que trente ans de conversion de la gauche à l’économie de marché viennent d’être rayés d’un trait de plume, Laurent Joffrin pas mieux, etc. Et pourtant, rafler d’un coup trois fois l’impôt annuel, soit à peu de choses près la totalité de son profit, d’un des plus grands groupes mondiaux, les Etats-Unis l’ont fait, et sans un battement de cil.

    Puissance publique et puissances privées : la possibilité d’un rapport de force

    Pays du marxisme-léninisme, comme il est connu de soi, les Etats-Unis ont pris un gros bâton et poum. Disons tout de suite qu’il n’y a pas lieu de pousser des cris d’enthousiasme pour autant. La re-régulation des marchés et des institutions bancaires y est aussi en carafe que partout ailleurs, et pour les mêmes raisons que partout ailleurs — l’infestation de la vie politique et des pouvoirs publics par le lobby financier. Aussi le traitement judiciaire à grand spectacle, par amendes faramineuses interposées, n’est-il que le symptôme de cette impuissance mêlée de mauvais vouloir. Mais au moins y a-t-il quelque chose plutôt que rien. Et même en l’occurrence quelque chose assortie d’assez bonnes propriétés révélatrices. La première tient donc à l’aperception des jugements extraordinairement contrastés auxquels peuvent donner lieu les mêmes événements comptables, selon qu’ils sont le fait de la crasse incurie managériale elle-même — rebaptisée « le marché » —, de la pénalité judiciaire — quand elle est étasunienne —, ou du prélèvement fiscal, pourtant légitime.

    La deuxième propriété révélatrice joue formellement d’un semblable effet de contraste, toujours par la simple comparaison avec les Etats-Unis Soviétiques d’Amérique, en remettant d’équerre la nature des rapports, et notamment des rapports de force possibles, entre la puissance publique et les puissances privées du capital. Là encore pour s’en apercevoir, il faut imaginer pareille sanction infligée par la justice ou quelque pouvoir réglementaire français à une très grande entreprise, à plus forte raison étrangère, pour entendre, sans le moindre doute possible, les discours de l’attractivité, ou plutôt de la répulsivité du territoire français, la fuite annoncée des « investisseurs », le devenir nord-coréen du pays. Car il est maintenant reçu comme une évidence que les puissances publiques doivent abdiquer toute velléité de souveraineté, qu’elles ne sont finalement que les ancillaires des seules puissances qui comptent vraiment, les puissances du capital.

    Par un renversement caractéristique de la pensée économiciste, le néolibéralisme a mis cul par-dessus tête les rapports de souveraineté réels, pour finir par ancrer dans les esprits que l’état normal du monde consiste en ce que le capital règne et que la puissance publique est serve : elle n’a pas d’autre fonction, et en fait pas d’autre vocation, que de satisfaire ses desideratas. Assez logiquement, en pareille configuration, la liste de ces derniers ne connaît plus de limite, et ceci d’autant plus que, encouragé par le spectacle des Etats se roulant à ses pieds, le capital se croit désormais tout permis.

    Affirmation ou démission

    Par ce paradoxe bien connu qu’on pourrait nommer « le zèle du converti de fraîche date », c’est probablement en France que cet état des choses fait les plus visibles ravages et, paradoxe dans le paradoxe, à « gauche », on veut dire à la nouvelle droite, où le devoir d’expiation s’élève pour ainsi dire au carré. Que la volonté politique puisse prévaloir contre le marché, qu’elle ne se borne pas à simplement ratifier ses injonctions, qu’elle puisse même avoir l’ambition d’arraisonner les puissances d’argent, ce sont des idées désormais jugées si épouvantables qu’on est coupable de les avoir seulement considérées. Et ce rachat-là est interminable, à proportion de la croyance antérieure, qu’il ne suffit pas de récuser comme une simple erreur mais dont il faut reconnaître, et puis compenser rétroactivement, l’exceptionnelle abomination. Aussi depuis les 3% maastrichtiens de Bérégovoy jusqu’au « pacte de responsabilité », la Gauche repentie, par là vouée à devenir Droite complexée, n’en finit pas de se couvrir la tête de cendre, dans une surenchère de démonstration qui veut prouver à la face du monde l’irréversibilité de sa conversion — et le Medef a très bien compris qu’il pouvait compter sur elle pour en faire plus que n’importe qui.

    Notamment, donc, pour se faire la stricte desservante de l’idée néolibérale par excellence qui pose la souveraineté de « l’économie » — et la subordination à elle de tout ce qui n’est pas elle. Ainsi, par exemple, est-il devenu presque impossible de faire entendre qu’il n’y a rien d’anormal à ce qu’une entreprise de service public soit déficitaire, et endettée, précisément parce que les servitudes de sa fonction, l’universalité par exemple, emportent des coûts spécifiques qui l’exonèrent des logiques ordinaires de l’économie privée.

    L’Etat est donc désormais enjoint d’abandonner toute logique propre pour n’être plus, fondamentalement, que le domestique de « l’attractivité du territoire », entreprise de racolage désespérée, car la concurrence est sans merci sur les trottoirs de la mondialisation, d’ailleurs dirigée aussi bien vers l’extérieur — faire « monter » les investisseurs étrangers — que, sur un mode plus angoissé encore, vers l’intérieur — retenir à tout prix notre chère substance entrepreneuriale. Il est bien vrai que dans les structures de la mondialisation néolibérale qui lui a ouvert la plus grande latitude possible de déplacements et d’arbitrages stratégiques, le capital a gagné une position de force sans pareille, et la possibilité du chantage permanent : le chantage à la défection, à la fuite et à la grève de l’investissement [7].

    Le rapport de force réel cependant ne s’établit pas seulement d’après ses données objectives, mais plus encore peut-être d’après le degré d’amplification que leur font connaître un certain état de soumission et une propension à baisser la tête — à leur maximum dans le cas de la Droite complexée. Si le cas BNP-Paribas, donc, est bien une affaire de géométrie variable, c’est parce qu’en plus de montrer les variations auxquelles peuvent donner lieu les « jugements de pertes », il met en évidence, par la comparaison la plus irrécusable — celle avec les Etats-Unis —, la différence dans les degrés de fermeté, ou d’abdication, des puissances souveraines face aux puissances privées du capital.

    Là où l’Etat de François Holande s’humilie chaque jour davantage devant le patronat français, l’administration étasunienne, à qui on peut reprocher bien des choses mais certainement pas de méconnaître ses propres prérogatives de souveraineté, sait de temps en temps rappeler aux entreprises les plus puissantes à qui vraiment revient le dernier mot en politique. En ces occasions — évidemment exceptionnelles, car on présenterait difficilement les Etats-Unis comme le lieu sur Terre du combat contre le capital… —, en ces occasions donc, le gouvernement US se moque comme de son premier décret des possibles cris d’orfraie, de la comédie de l’Entreprise outragée, de la menace du déménagement et de la porte claquée. Etonnamment d’ailleurs, de cris d’orfraie, il n’y a point. BNP-Paribas s’est fait copieusement botter le train, mais BNP-Paribas s’écrase, relit de près Rika Zaraï, fait des frais d’herboristerie… et n’attend, en se faisant petit, que le moment d’avoir le droit de faire retour à ses chères opérations dollars. BNP-Paribas pourrait bien monter sur ses grands chevaux et promettre le boycott des Etats-Unis, les Etats-Unis s’en foutent comme de l’an quarante, et ils s’en foutraient même si ça leur coûtait. Car il s’agit d’affirmer un primat.

    Ne plus se rouler au pied du capital

    Que les raisons diplomatiques qui ont commandé en dernière instance la décision étasunienne soient les plus critiquables du monde, la chose n’est pas douteuse, mais ça n’est pas là qu’est le problème en l’occurrence. Le problème est de principe, et tient à la réaffirmation de la hiérarchie des puissances. Il n’y a certainement pas que des motifs de réjouissance dans l’affirmation de l’imperium étatique, dont on sait à quel point il peut se faire haïssable, le cas des Etats-Unis étant d’ailleurs spécialement gratiné sous ce rapport. Mais s’il n’y a à choisir qu’entre l’imperium de l’Etat et celui du capital, alors la décision est vite faite. Pour toutes ses distorsions et ses pantomimes, il arrive que la chose appelée (par charité) « démocratie », dans le cadre de laquelle l’imperium d’Etat est contraint de s’exercer, il arrive donc, parfois, que la « démocratie » impose des commencements de régulation, voire laisse passer quelque chose de la voix populaire si celle-ci finit par le dire suffisamment fort. Dans l’espace du capital, en revanche, nul ne vous entendra crier.

    S’il s’agit de capitalisme, tout ce qui vient des Etats-Unis est réputé insoupçonnable, répète en boucle le catéchisme néolibéral. Pour une fois profitons-en. Les occasions de faire jouer en notre faveur les fausses hiérarchies de la légitimité sont trop rares pour ne pas être exploitées jusqu’au trognon. S’il y a bien une leçon à tirer de l’affaire BNP-Paribas, ça n’est pas tant que les banquiers néolibéraux sont des fripouilles, aussi bien au sens du code pénal que de la nuisance sociale, c’est que la puissance publique, pourvu qu’elle le veuille, n’a ni à passer sous le tapis ni à céder à tous les ultimatums du capital. La vérité c’est que les capitalistes sont assez souvent de grosses nullités ; qu’on ne compte plus les désastres privés comme publics auxquels ils ont présidé ; que leur départ outragé aurait assez souvent moins d’une catastrophe que d’un opportun débarras ; qu’il ne manque pas de gens, derrière, pour prendre leur place — et pourquoi pas sous les formes post-capitalistes de la récommune [8] ; que si c’est le capital local lui-même qui fait mine de s’en aller, il y a d’abord quelques moyens juridiques très simples de l’en empêcher ; que si c’est le capital étranger qui menace de ne plus venir, il n’y a pas trop de mouron à se faire pourvu qu’on n’appartienne pas à la catégorie des eunuques « socialistes » : la rapacité du capital sait très bien s’accommoder même des conditions les plus « défavorables » — le cas BNP-Paribas ne démontre-t-il pas précisément qu’on fait la traque aux entreprises qui se précipitent, mais clandestinement, pour faire des affaires en Iran, au Soudan, etc., pays pas spécialement connus pour leurs ambiances business friendly…

    S’il y a un sou de profit à faire plutôt que zéro, le capital ira [9]. Et si, d’aventure, offensé, il prend ses grands airs un moment, il reviendra. L’éternel retour de la cupidité, ne sont-ce d’ailleurs pas les marchés financiers qui en font le mieux la démonstration : là où la théorie économique vaticine, le doigt tremblant, qu’un défaut sur la dette souveraine « ferme à tout jamais les portes du marché », l’expérience montre que les Etats ayant fait défaut font surtout… leur retour sur le marché à quelques années d’écart à peine, et qu’ils sont bien certains de trouver à nouveau des investisseurs pour leur prêter, d’autant plus si les taux sont un peu juteux.

    Sagesse du (très) gros bâton, exemplarité de la saisie

    Que la puissance publique ait ainsi les moyens de réaffirmer le primat de la souveraineté politique et de tendre le rapport de force avec le capital, comme l’atteste spectaculairement la décision des Etats-Unis contre BNP-Paribas, mais contre bien d’autres groupes, étrangers ou pas, bancaires comme industriels, c’est un aspect du dossier qui, curieusement, n’a pas traversé l’esprit d’un seul éditorialiste. On se souvient en revanche de la tempête d’indignation qu’avait soulevée la nationalisation par le gouvernement argentin de YPF, filiale du groupe pétrolier espagnol Repsol. N’étaient-ce pas les lois du marché, peut-être même les droits sacrés de la propriété, qui étaient ainsi foulés au pied ? Indépendamment de toute discussion du bien-fondé de la décision économique en soi, qui est sans pertinence pour le présent propos, on rappellera tout de même que cette nationalisation s’est faite dans les règles, par rachat monétaire de leurs titres aux actionnaires — le droit de propriété n’a donc pas trop souffert. Il n’y a d’ailleurs aucune raison pour qu’il en aille toujours ainsi. Il est des cas où la violation de bien public est telle que la saisie pure et simple est une solution d’une entière légitimité politique — c’est bien ce qu’il aurait fallu infliger au secteur bancaire privé dans sa totalité, responsable de la plus grande crise financière et économique de l’histoire du capitalisme [10].

    Il faut rappeler ces choses élémentaires pour prendre à nouveau la mesure des pouvoirs réels de la puissance souveraine, contre tous les abandons des démissionnaires — vendus ou intoxiqués. Et l’occasion est ainsi donnée d’offrir au paraît-il insoluble problème de la re-régulation financière sa solution simple, simple comme le « dénouement » du nœud gordien, une solution en coup de sabre : les règles — c’est-à-dire les interdictions — de la nouvelle régulation posées [11], toute infraction sérieuse sera aussitôt sanctionnée par une nationalisation-saisie, soit une expropriation sans indemnité aucune des actionnaires.

    Comme l’a définitivement montré la crise ouverte depuis 2007, crise généreusement passée par la finance privée aux finances publiques et à l’économie réelle, et qui s’est payée en millions d’emplois perdus, en revenus amputés et en innombrables vies détruites, la position occupée par le système bancaire dans la structure sociale d’ensemble du capitalisme le met ipso facto en position de preneur d’otages — à laquelle la théorie économique, bien propre sur elle, préfère le nom plus convenable d’« aléa moral » —, et par là même en position d’engendrer impunément, et répétitivement, des dégâts sociaux hors de proportion. La tolérance en cette position névralgique d’un secteur privé, abandonné à la cupidité actionnariale, ne peut avoir moindre contrepartie que la reconnaissance de la très haute responsabilité sociale des banques qui s’ensuit, assortie des sanctions les plus draconiennes en cas de manquement, la saisie-nationalisation en étant la plus naturelle — position en réalité d’une grande, d’une coupable, tolérance, car la conclusion qui suit logiquement de pareille analyse voudrait plutôt que, par principe, le système bancaire soit d’emblée, et en totalité, déprivatisé [12].

    En tout cas, comme le montre à sa manière l’affaire BNP-Paribas, et le profil bas aussitôt adopté par ses dirigeants, le rapport de force a ses éminentes vertus, le seul moyen de faire plier une puissance, comme celle du capital, étant de lui opposer une puissance contraire et supérieure. Il suffit donc de sortir les contondants de taille suffisante pour (re)découvrir que le capital n’est pas souverain, et qu’il peut être amené à résipiscence. Gageons que les conseils d’administration bancaires, dûment informés du nouveau « contexte régulateur » qu’on se propose de leur appliquer, ne manqueraient pas — désormais — de surveiller avec un peu moins de laxisme, peut-être même de très près, les agissements des directions qui sont en fait leurs mandataires. Et que, sous la menace d’une expropriation sans frais, ils se montreraient des plus attentifs au respect par leur banque des nouvelles règles en vigueur.

    Le capital, dit-on, s’y entend comme personne pour trouver les défauts de la cuirasse, tourner les réglementations et faire fuir tous les contrôles. A leur corps défendant sans doute, les Etats-Unis viennent de prouver que non, en montrant en acte qu’il suffit de taper suffisamment fort pour que le capital se tienne tranquille. Nul ne sera assez égaré pour voir dans cette décision à l’encontre de BNP-Paribas autre chose qu’une de ces éruptions réactionnelles de souveraineté étatique [13] sans suite ni cohérence, en tout cas sans le moindre projet politique d’ensemble. Mais peu importe : la démonstration est là, il appartient ensuite à qui voudra de la prolonger en un projet, le projet que le capital ne soit plus le souverain dans la société, le projet d’une déposition en somme.

    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 8 juillet 2014)

    Notes

    [1] Perpetrator walk, ou perp walk, est le nom donné à l’exhibition médiatique des accusés, menottes aux poignets, encadrés par deux policiers.

    [2] C’est-à-dire la vente en panique des actifs vendables.

    [3] Voir à ce sujet André Orléan, Le Pouvoir de la finance, Odile Jacob, 1999, et De l’euphorie à la panique. Penser la crise financière, Editions Rue d’Ulm, 2009 ; ainsi que Frédéric Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Raisons d’agir, 2008.

    [4] On trouvera un catalogue d’erreurs managériales bien fourni dans l’ouvrage de Christian Morel, Les Décisions absurdes, Gallimard, 2009.

    [5] De ce point de vue le numéro de Marianne en date du 19 juin 2014 qui pose la question « Les grands patrons français sont-ils nuls ? » tranche agréablement.

    [6] Ce qui ne veut certainement pas dire en l’occurrence que Kerviel était seul au monde, l’hypothèse que nul dans sa hiérarchie n’ait rien connu de ses agissements étant proprement rocambolesque.

    [7] Au sujet des prises d’otages du capital voir « Les entreprises ne créent pas l’emploi », 26 février 2014.

    [8] Sur l’idée de « récommune », voir Frédéric Lordon, La crise de trop, Fayard, 2009 ; Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La Fabrique, 2010.

    [9] En ces temps de capitalisme actionnarial, la formulation la plus juste dirait : « s’il y a une opportunité de passer la barre de la rentabilité financière d’un sou plutôt que de zéro… »

    [10] Voir « Pour un système socialisé du crédit », 5 janvier 2009.

    [11] Dont on pourra trouver les éléments dans « Si le G20 voulait… », septembre 2009.

    [12] Voir « Pour un système socialisé du crédit », 5 janvier 2009.

    [13] Qu’on nous épargne les distinctions en l’occurrence byzantines entre « l’Etat », stricto sensu, et « la Justice ». Ce qui compte ici c’est la puissance publique lato sensu, en tant qu’elle oppose sa logique propre à celle des puissances privées.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/08/22/bnp-paribas-une-affaire-de-geometries-variables-5432360.html

  • État islamique en Allemagne et en Suisse aussi ?

    "Et si Al-Qaïda recrutait au marché ?", s’interroge-t-on fort opportunément sur les bords du lac Léman.   

    Des djihadistes en armes de l’État islamique distribuent des exemplaires du Coran, dans les rues des villes irakiennes et syriennes dont ils ont pris le contrôle. La kalachnikov en moins, leurs partisans les imitent, sous nos latitudes européennes, voulant « propager la parole d’Allah dans tous les ménages », comme l’a annoncé pour l’Allemagne l’un de leurs prédicateurs salafistes berlinois. Chez nos voisins d’outre-Rhin, les activistes musulmans ont lancé en 2011 une campagne sans précédent de promotion du Coran.

    L’ambition affichée par la fondation salafiste qui finance cette opération est que dans chaque foyer d’outre-Rhin (25 millions) parvienne à terme un exemplaire gratuit en allemand du « Livre saint ». L’affaire est en bonne voie. 

    Lire la suite

  • Démission du gouvernement !

    Manuel Valls a été chargé lundi de constituer un nouveau gouvernement après avoir présenté la démission de l’équipe de « combat » formée il y a moins de cinq mois et qui a implosé en raison de divisions sur la politique économique menée.

    « Sa composition sera annoncée dans la journée de mardi« , précise un communiqué de l’Elysée.

    Les hostilités ont été lancées par le ministre Arnaud Montebourg .  Mercredi, à l’issue du Conseil des ministres, celui-ci avait annoncé : «Dimanche, je passe à l’attaque!» . Dans son discours de la fête de la Rose, dimanche, il a indiqué: «Devant la gravité de la situation économique, le ministre de l’Économie que je suis a le devoir de proposer des solutions alternatives».

    François Hollande avait quelques jours plus tôt dans une interview au « Monde », annoncé qu’il poursuivrait quoiqu’il advienne, la politique qu’il avait entamée.

    Emilie Defresne

    http://medias-presse.info/demission-du-gouvernement/14432

  • Faut-il pousser du 6e étage celui qui en ferait la demande ?

    Jean Fontant, président-fondateur de Soigner Dans la Dignité, écrit dans Le Figaro :

    "Il n'est pas dans nos habitudes de nous arrêter sur des cas particuliers. Quelle qu'elle soit, la maladie est toujours une étape douloureuse dans la vie d'une personne et d'une famille, et elle ne doit pas être exposée aux yeux de tous. Nous ne pouvons que déplorer la publicité accordée sans retenue à certains cas difficiles, qui relève parfois de tentatives de manipulation de l'opinion publique. Madame Boucheton, vice-présidente de l'ADMD, a voulu toutefois, dans ce qui semble être un ultime acte de militantisme, donner à sa propre maladie un caractère public. Tout en regrettant cet état de fait, nous nous devons de réagir à ce billet, quelque pénible que soit le commentaire d'un tel cas.

    La liberté d'une personne malade doit être respectée. Le droit français encadre et protège cette liberté, renforcé par les lois de 1999 et 2002. Le médecin se doit d'écouter, de prendre en compte et de respecter la volonté d'une personne malade, même lorsque celle-ci va à l'encontre de sa santé. À la lecture du billet de Madame Boucheton, on comprend qu'elle a pu faire usage de cette liberté, puisqu'elle a refusé le traitement chirurgical qui lui a été proposé, et que les conséquences ont été douloureuses. On a du mal à saisir la teneur du reproche fait aux médecins, qui semblent avoir respecté la volonté de la patiente, en conformité avec la loi et selon l'étendue de leurs connaissances médicales, limitées quand il s'agit de déterminer un pronostic. Ceux-ci se retrouvent alors dans l'impossibilité de donner des réponses précises à ces questions douloureuses.

    Ayant fait le choix d'aller mourir en Suisse, profitant de la flexibilité des lois helvétiques sur le cas du «suicide assisté», Madame Boucheton s'emporte à l'encontre de cette inégalité qui ne permet qu'aux plus riches de profiter de ce dispositif, eu égard à son coût certain. Il est utile de rappeler que l'égalité entre les citoyens que garantit la constitution française est une égalité devant la loi, et non devant la transgression. Qu'il soit plus facile aux plus aisés de se mettre au-dessus des lois n'est pas nouveau, ce n'est pas pour autant qu'il faille autoriser en France tout ce qui est permis dans l'un ou l'autre pays étranger. Que l'on s'avise par exemple de transposer en droit français certaines dispositions législatives mauritaniennes ou saoudiennes relatives aux droits des femmes…

    Pour en rester sur des bases juridiques, la fraternité affirmée par notre constitution et portée au fronton de nos monuments ne peut s'appliquer lorsqu'il s'agit de justifier ou de faciliter une transgression de la loi. Si la France fait preuve de fraternité dans ces situations de fin de vie, c'est en facilitant l'accès aux soins palliatifs, qui soulagent les douleurs physiques et les souffrances morales. Cette même fraternité est au cœur du devoir d'assistance à personne en danger, qui régit notamment la prévention du suicide. Comment qualifier de fraternelle l'attitude d'un homme qui, en réponse à l'appel à l'aide d'un ami traversant une passe difficile, le pousserait de sa fenêtre du sixième étage? La fraternité s'exerce également au sein des services hospitaliers où, chaque jour, l'équipe soignante met ses compétences et qualités humaines au service du patient.

    C'est avec des regrets que nous observons cette affaire inutilement médiatisée, et s'il ne nous appartient pas d'en juger les protagonistes, nous devons faire savoir que le principe et les enseignements qui en sont tirés nous semblent fallacieux."

    Michel Janva

  • Pourquoi Hollande n’achèvera pas son quinquennat

    Chronique de Serge Federbusch.

    L’essayiste et président du Parti des Libertés Serge Federbusch considére que l’aggravation de la situation économique et politique de la France peut entraîner un changement de régime.

    Ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, Serge Federbusch est magistrat administratif. Il a travaillé pour le ministère des Finances, le quai d’Orsay et la ville de Paris. Président du Parti des Libertés, ancien élu du Xe arrondissement de Paris, Serge Federbusch anime Delanopolis, site d’information satirique consacrée à la vie politique dans la capitale.

    «Il faut que rien ne se passe pour que rien ne bouge», aurait pu écrire le prince de Lampedusa en attribuant cette maxime immobile à François Hollande, guépard tombé de son scooter. Car tel est le drame que vit ce pauvre président: dans tous les domaines, économique, financier, culturel, politique, il s’est mis dans la situation de n’espérer qu’en l’inertie, de ne compter que sur la pesanteur des choses.Ainsi en va-t-il d’abord des déficits qui prennent l’État à la gorge. Il faut à tout prix que Bruxelles et Francfort continuent de faire mine d’ignorer le non-respect de nos engagements budgétaires. L’actuelle stagnation conduira pourtant à un déficit public proche des 5 % du PIB. Faites vos calculs: depuis plusieurs années, le chiffre définitif est systématiquement supérieur de 1 % à celui prévu en juin. Comme le gouvernement n’annonce, depuis quelques semaines, que de miraculeux cadeaux fiscaux, telles la sortie de millions de contribuables de l’impôt sur le revenu ou de nouvelles aides au logement étudiant, l’impasse budgétaire ne pourra que croître. Pour que la mascarade continue, il faudra que nos partenaires acceptent de voir leur crédibilité sombrer avec la nôtre.

    Pour durer, il sera également nécessaire que la bonne finance amie, doctoresse Jekyll connue du seul Sapin, ne se laisse pas corrompre par l’odieuse finance ennemie, sa Mrs Hyde, qui fait trembler MM. Hollande et Montebourg.

    Pour durer, il sera également nécessaire que la bonne finance amie, doctoresse Jekyll connue du seul Sapin, ne se laisse pas corrompre par l’odieuse finance ennemie, sa Mrs Hyde, qui fait trembler MM. Hollande et Montebourg. Que cette gentille fée continue d’acheter de la dette française en acceptant des taux d’intérêt très bas. Donc, que les Chinois épargnent toujours autant et que les Arabes des pays pétroliers et autres nantis se disent que la France, surveillée par l’Allemagne, reste un meilleur risque que l’Argentine ou le Brésil.Pour durer, il faudra que la situation diplomatique ne dégénère ni en Ukraine, ni au Pakistan, ni à Taïwan, ni en Israël, ni au Japon, ni en Iran. Car le niveau très élevé de Wall Street n’attend qu’un prétexte pour inciter des gestionnaires plus avisés que les autres à vendre les premiers. Pour durer, il faudra aussi que le prix de l’énergie ne monte pas, réduisant encore plus l’activité dans les pays importateurs, dont la France, sans gaz de schiste et avec une industrie nucléaire placée dans le formol, est une figure de proue.Pour durer, il faudra que la police évite la moindre bavure réelle ou supposée à l’encontre d’un membre d’une minorité visible dont le sort enflammera les banlieues. Ou qu’une manifestation pro palestinienne ne dégénère pas pour de bon.Pour durer, il faudra que les intermittents du spectacle se résignent à leur sort, que les étudiants et les lycéens n’aient pas envie de battre le pavé dès les premiers frimas venus pour oublier la médiocrité de leur environnement et la cruelle perspective du chômage ou de stages à n’en plus finir.

    Pour durer, il faudra que l’UMP continue de se ridiculiser en combats intestins.

    Pour durer, il faudra que les 5 millions de chômeurs dont ils vont gonfler les rangs continuent de ronger leur frein, rêvant de RSA, d’invalidité et de fin de droits.Pour durer, il faudra que les 50 à 80 députés rebelles socialistes ne se décident pas à franchir le Rubicon, tombant «à gauche» pour tenter de sauver leur réélection, menés par Montebourg, Hamon ou Aubry avec comme prétexte la prochaine loi dont ils prétendront qu’elle impose l’austérité.Pour durer, il faudra que la zizanie de la réforme territoriale ne s’étende pas, que le Parti socialiste, syndicat d’élus locaux, ne finisse pas par oublier purement et simplement qu’il fait aussi de la politique nationale.Pour durer, il faudra que l’UMP continue de se ridiculiser en combats intestins, qu’aucune réforme sociétale ne ressoude la Manif pour tous, que les «bonnets rouges» ne deviennent pas écarlates, que tous les volatiles qui composent le mouvement protestataire patronal ne reprennent pas leur envol, que les timides appels à la grève des impôts ne fassent pas tache d’huile, que les prisons ne s’enflamment pas, que les DOM-TOM rongent leur os et se tiennent à carreau, que les portiques Écotaxe soient remisés, etc., etc., etc.Pour durer, il faudra enfin que les médias si indulgents pour le pouvoir continuent à le prendre au sérieux et qu’aucun nouveau Cahuzac ne se fasse remarquer au sein du gouvernement.Car le gros problème, si un de ces éléments vient à bouger, est qu’il entraînera, de proche en proche, tous les autres. C’est la thermodynamique de la politique, le cruel dilemme des situations d’inertie: elles ne se perpétuent qu’à condition d’être totales. L’immobilisme dans un corps vivant n’est jamais autre chose que la maturation de changements brutaux. J’ai montré dans mon récent ouvrage, Français prêts pour votre future révolution ?, les enchaînements possibles et même plausibles d’une révolution à venir. Le système politique français est historiquement victime de son incapacité à concilier extrême centralisation à Paris, scrutin de circonscription et économie ouverte. Le pouvoir exécutif s’enferre alors dans un tête-à-tête paralysant avec les grandes corporations qui le conduit soit à l’effondrement intérieur (1830, 1848), soit à l’incapacité de faire face à une menace extérieure (1870, 1940, 1958), les deux hypothèses étant d’ailleurs liées. En 2014, une combinaison de facteurs extérieurs et intérieurs, crise de l’euro et tension sociale se renforçant l’une l’autre, est devenue probable.

    François Hollande, le placide pépère du dernier 14 Juillet, est dans une nasse et a fort peu de chances de terminer son quinquennat.

    Ceux qui pensent que les Français sont définitivement inaptes à la rébellion devraient se poser la question des scénarii alternatifs: la perpétuation de la situation actuelle ne peut tout simplement pas s’écrire si on veut tenter de le faire. Car, même à environnement constant, tout ne fera que se dégrader. Un nœud coulant entoure bel et bien le cou du pouvoir socialiste.Face à ces menaces, François Hollande n’aura d’autre solution que de tenter de dissoudre l’Assemblée pour passer le mistigri déchaîné à la droite. Elle serait bien stupide de se laisser griffer et aura certainement la sagesse de demander la démission présidentielle tandis qu’un nombre important de députés du Front national, du fait de triangulaires généralisées, ne lui donneront de toute façon que peu de marge de manœuvre. François Hollande, le placide pépère du dernier 14 Juillet, est dans une nasse et a fort peu de chances de terminer son quinquennat. A ceci près que cette crise politique se fera dans un contexte de faillite financière, précipitant un changement de régime. N’oublions pas que les révolutions sont aussi et peut-être avant tout l’habillage politique de la banqueroute. Français, préparez-vous: votre histoire est bientôt de retour !
    Serge Federbusch
    Serge Federbusch est l’auteur de Français, prêts pour votre prochaine révolution ? Aux éditions Ixelles, 11/06/2014, 288 pages.