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culture et histoire - Page 1208

  • Le cheval solaire dans les steppes de l’Eurasie

    De l’Atlantique à la Sibérie - Le cheval solaire dans les steppes de l’Eurasie
    Parmi les multiples cultures qui nous ont précédés sur notre espace ethno-culturel, il en est une qui est délicatement abandonnée dans un profond oubli : la culture des Scythes. Certes, ces sédentaires-nomades ont vécu à l’Est de l’Alsace et leurs incursions sur nos terres françaises sont relativement rares, si ce n’est quelques traces fort discrètes en Auvergne et en Bretagne. Ils ont pourtant occupé un territoire qu’un simple coup d’œil sur une carte de l’Eurasie permet d’évaluer depuis l’Autriche jusqu’en Mongolie. En proportion inverse de l’intérêt suscité dans les milieux “cultivés”. Hérodote en a parlé de manière fort attrayante, compétente et fiable dans son Histoire (IV). Nous savons qu’ils s’exprimaient dans une langue indo-iranienne, donc indo-européenne, donc de la famille qui est la nôtre au sens large du terme. Nous nous bornerons à évoquer ici un aspect très particulier de la culture de ces hommes et de ceux avec lesquels ils entretenaient des contacts.
    L’idée de steppes eurasiennes s’associe tout naturellement et spontanément dans notre esprit à l’image du cheval : Mongolie, cheval de Prjévalski et autres images d’Épinal. Le cheval a été le vecteur qui a porté l’homme dans ses multiples déplacements, c’est lui qui a permis la grande extension des Indo-européens à partir du foyer d’origine. Quoi donc d’étonnant si ces hommes ont voué un culte à leur monture, qu’ils l’aient identifié au Soleil et, au-delà, à l’Esprit suprême qui se révèle de façon exotérique aux humains à travers le disque de lumière.
    Le cheval a été aussi le protecteur de l’humain. En témoignent de nombreuses légendes sibériennes qui font état d’un preux chevalier attaqué par des ennemis qui ne peuvent en venir à bout tant que son cheval demeure en vie. Les anciens Iraniens ont une version de cette vieille légende : c’est Rostam dans le Shāh-nāme (Livre des Rois). Le héros se rend à Kaboul tandis que son propre frère et le roi de Kaboul complotent contre lui : ils font creuser un trou où sont cachés des pieux très pointus. Le cheval du héros sent le piège, renâcle, mais le héros l’oblige à avancer : cavalier et monture disparaissent dans le piège perfide qui leur est tendu. Pour le spécialiste russe Vladimir Loukonine, dans ses commentaires du Shāh-nāme, cette légende iranienne trouverait en réalité son origine chez les Scythes de Sibérie.
    Le symbolisme du cheval est probablement antérieur aux Scythes. Il est admis que le symbolisme zoomorphe a précédé le symbolisme anthropomorphe : l’humain s’est d’abord perçu comme un élément de la nature où il était dominé par les créatures de “l’Architecte de l’Univers”, dans lesquelles il a eu la modestie d’incarner les forces de l’univers avant de se glisser dans la place, pour finir, avec les temps modernes, pour se prendre pour le nombril du cosmos.
    Chez les Aryens, dans le Rig-Véda, Sūrya, dieu du Soleil et Agni, dieu du feu, sont conçus sous les traits de chevaux. Dans l’Avesta, ce sont également des chevaux qui incarnent Mithra, Siyāvush (Siiāuuaršan), Verethragna, Vayou et Tichtrya. L’ancien Iran connaît des traditions qui peuvent rappeler des souvenirs aux Français : notamment celle du Farn, cette force surnaturelle qui descend sur le roi, symbolisant la royauté, la grandeur et la puissance : elle se manifeste sous la forme d’un cheval, et non sous celle de la “Sainte Ampoule”. 
    Nous connaissons bien la tradition d’Hélios sur son char traîné par un attelage. Les contes russes font état de chevaux blancs ou noirs qui apportent respectivement le jour et la nuit sur Terre. L’ancienne Edda n’est pas avare d’évocations du cheval solaire. On sacrifie le cheval à la divinité suprême, médiatisée par le Soleil chez les éleveurs des steppes de l’Eurasie (Scythes, Saces, Massagètes), en Inde et chez d’autres Indo-Européens. L’image du cheval ailé est également fréquente : c’est le Pégase des Grecs, mais aussi l’Arasch [monture d’Abrskil] des Abkhazes. Le Manas[ou épopée de Manas], ce vieux recueil de légendes kirghizes, évoque également un cheval ailé.
    Le cheval solaire est fréquemment représenté sur les objets mis à jour par les archéologues en Sibérie. On a ainsi trouvé en Khakassie, dans la région de Bograd, des dessins de chevaux accompagnés de signes solaires et datant du Ve siècle avant notre ère.
    Le miroir orné d’un centaure appartenait assez souvent au costume du chaman evenk ou yakoute. Autrefois, les Youkaghirs portaient des pendentifs en argent ou en cuivre qui représentaient des chevaux et qu’ils qualifiaient de “soleils de poitrine”. La tradition des peuples sibériens a conservé de profondes traces du cheval solaire. Chez les Kètes, le héros de la légende reçoit un cheval du Soleil pour descendre sur Terre combattre un monstre diabolique avant de regagner les cieux.
    Dans un passé encore récent, le cheval était consacré au Ciel chez tous les peuples des monts Saïan et de l’Altaï. On trouve même la trace d’un culte du cheval solaire chez les populations de l’extrême Nord sibérien : la roue avec croisée en cuivre est le signe solaire le plus répandu chez les Nganassanes. Elle est liée au thème du héros. Les Scythes ont probablement véhiculé ces éléments d’une culture à l’autre, dans les sens les plus divers : ils ont été un trait d’union positif entre les différents points de l’immense espace que la Providence leur avait confié entre steppe et forêt sibérienne. C’est certainement grâce à leur influence que les populations du Baïkal étaient armées et chamarrées à la manière des Scythes. Certains affirment même que des Scythes ou des populations apparentées auraient atteint le Nord de la Chine où ils auraient exercé une influence déterminée. Des travaux le confirment tant sur le plan archéologique qu’anthropologique. Des pages fort intéressantes à cet égard sont consacrées par Vladimir Soloukhin dans son ouvrage Pamiat qui a donné le nom au mouvement patriotique russe que l’on sait et qui est traduit en français sous le nom de Memoria (Éditions du Progrès, Moscou). Un dernier mot, enfin, pour rappeler que dans son livre An Essay on the Druids, the Ancient Churches and the Round Towers of Ireland paru en 1871, Richard Smiddy estimait que les Celtes étaient nés d’une colonie scythique. L’art celte et l’art scythe sont très apparentés.
    Plusieurs ouvrages russes très compétents traitent de ces questions. Donnons leurs coordonnées en français
    • V. P. Alexeyev : « Données nouvelles sur la race européenne en Asie centrale », in :Geografija chelovecheskih ras (Géographie des races humaines / Geography of Human Races), éd. Nauka, Novossibirsk, 1974.
    • M. V. Krioukov, M. V. Sofronov, and N. N. Tcheboksarov, Drevnie Kitaitsy : problemy etnogeneza (Les anciens Chinois : Problèmes d’ethnogénèse / The ancient chinese : problems of ethnogenesis), Moscou, 1978.
    • R.V. Nikolaiev, R.V. 1987. « Solnechnyi kon' (k voprosu o kul'te konia u narodov Evrazii) » (Le cheval solaire : le culte du cheval parmi les peuples eurasiens / The sun horse : on the horse cult among peoples of Eurasia) in : Skifo-sibirskii mir : iskusstvo i ideologiia (Le monde scytho-sibérien : art et idéologie / The Scythian‐Siberian World : art and ideology), éd. Nauka, Novossibirsk, 1987. [Notons que p. 157 est mentionné la légende populaire des Kètes où un héros reçoit un cheval du soleil (ou de la fille du soleil) et le ramène sur terre afin de combattre quelque malfaisant adversaire (contre le démon forestier lytis, contre Qoseda la force terrestre jeteuse de sorts, etc.). Cette légende est mise en parallèle avec le folklore des Indo-Iraniens et d’autres peuples d’Asie centrale]

  • Armand de Melun (1807-1877)

    Politiquement, il ne variera pas. Quand il mourra sous la IIIème République, il sera aussi royaliste qu’au temps où, jeunes écoliers, son frère jumeau Anatole et lui refusaient au Champ de Mars, malgré les sommations de leurs petits camarades. De crier : « Vive l’Empereur ! » La chute du trône de Charles X avait affligé son esprit autant que son cœur. Son attachement privé et public à la dynastie des Bourbons ne lui permettait pas de prêter serment à la monarchie de Juillet ; il renonça à la magistrature et à la diplomatie. Heureuse intransigeance, qui le rendait libre pour une longue carrière dans la bienfaisance !

    Armand de Melun ne sera jamais un théoricien. Ses contacts quotidiens avec le malheur lui serviront de maîtres ès-sciences politiques. Il y découvrira la question sociale, mais se préoccupera moins de lui donner une réponse générale et doctrinale que de lui trouver des solutions fragmentaires concrètes.
    Il conte avec humour – car il a de l’esprit, et du meilleur – qu’il fut mandé un jour, dès potron-minet, par le R.P. Gratry qui lui déclara : « Mon ami, j’ai eu envie de vous appeler cette nuit à deux heures. Je venais enfin de trouver la vraie solution du problème social. Il s’agit simplement de bâtir, autour des usines et des ateliers, des maisons d’ouvriers, avec facilité pour ceux-ci d’en devenir petit à petit propriétaires. »
    Du moment où il fallait construire, il était naturel que l’on songeât à lui. Et il restera tel toute sa vie. Un an avant sa mort, un incendie dévorera en entier le village de Bouvelinghem dont il est maire depuis 1865 et où il a bâti l’église, le presbytère et l’école. Il se fera frère quêteur pour ses administrés et, tandis qu’il habite lui-même une maisonnette de bois toute délabrée, il reconstruira pour chaque famille une maison flanquée de sa grange et de son étable.
    Son activité est prodigieuse. Pendant un demi-siècle, on le trouvera mêlé, comme fondateur ou comme animateur, à toutes les œuvres, à tous les mouvements, à tous les groupements, durables ou éphémères, qui ont pour objet la bienfaisance privée ou publique, ou l’amélioration de la condition des classes laborieuses.
    Certes, son horizon ne sera pas bouché par les seules misères individuelles qu’il visite et soulage directement ; il découvre vite lui aussi, à côté de la pauvreté accidentelle, le paupérisme que l’industrialisation entretient comme un chancre dévorant. Et cela le conduira à réclamer d’abord la suppression du délit de coalition afin que l’association ouvrière soit possible, puis à souhaiter la création de Chambres syndicales mixtes, et enfin de Chambres ouvrières et patronales séparées.
    « Il faudra tôt ou tard, écrira-t-il un jour, en revenir à ces vieilles corporations qui se chargeaient d’avoir du bon sens, de la prudence et de la moralité pour tous les membres. » Lorsqu’une réforme lui apparaît à la fois souhaitable et possible, il en adopte l’idée, sans se soucier de savoir si elle emportera ou non avec elle l’approbation de ses amis : il se déclarera ainsi partisan de la participation de tous les producteurs aux bénéfices de l’entreprise un siècle avant que cela ne devienne la marque d’un esprit avancé.
    Mais, depuis le jour où Sœur Rosalie l’aura envoyé visiter les pauvres, il préfèrera toujours l’action à la doctrine : Pendant quarante ans, il ne se rencontrera pas une œuvre de bienfaisance à laquelle le nom d’Armand de Melun ne soit attaché à titre actif.
    D’abord, évidemment, les Conférences Saint-Vincent-de-Paul ; comme simple confrère dès 1838, comme membre du Conseil Général de la Société à partir de 1841.
     
    En 1839, il prend en mains la Société des Amis de l’Enfance, qui est destinée aux apprentis et aux jeunes ouvriers. Ce sera le premier patronage, ce mot ayant alors le sens plein qu’il a perdu depuis. Il ne s’agit pas seulement d’une œuvre réunissant dans une atmosphère saine, soit le dimanche, soit en semaine aux heures de loisir, des enfants qui, sans cela, seraient laissés aux hasards de la rue ; le patronage – et cette idée dominera toutes les réalisations qui tenteront l’activité de Melun -, c’est plus que cela : c’est le devoir social qu’ont les classes élevées de travailler à l’amélioration du sort des classes populaires en fraternisant avec elles et en leur servant de conseil et d’appui. Armand de Melun a fait sienne avant la lettre la noble et juste définition que Le Play donnera des classes supérieurs :
    «Classes supérieures : celles qui doivent leur dévouement aux classes inférieures ».
    Les Amis de l’Enfance ont été d’abord confiés à la société de Saint-Vincent-de-Paul. Mais Armand de Melun se rend compte bientôt que la Société n’est pas à même de donner à cette œuvre les cadres permanents qu’elle exige. On se sépare à l’amiable, et, en 1843, Melun demande aux Frères des Ecoles  Chrétiennes de l’assister dans l’Œuvre des Apprentis. C’est ainsi qu’avec l’aide totale de Frère Philippe, Supérieur Général des Frères, s’ouvriront en 1843 les patronages des Francs-Bourgeois et de la rue de Charonne, en 1844 ceux des quartiers Saint-Jacques et Saint-Marcel, en 1845 celui de la rue Saint-Lazare, en 1846 celui de la rue d’Argenteuil. En 1848, l’Œuvre des Apprentis groupera 1200 jeunes ouvriers. Le légitimiste Melun n’aura eu aucun scrupule à y intéresser les ministres du « roi citoyen» qui lui accorderont des subventions officielles allant jusqu’à 20.000 francs.
    En 1838, il s’est occupé aussi de la Colonie Agricole du Mesnil-Saint-Firmin, dans l’Oise, consacrée à des orphelins ; de l’Œuvre de la Miséricorde, destinée à secourir les pauvres honteux ; de l’Œuvre de Saint-Nicolas de l’abbé de Bervanger.
    En 1844, il rêve d’une sorte de confrérie de laïques se dévouant entièrement au service des pauvres. L’année suivante, Myonnet réalisera ce rêve en fondant les Frères de Saint-Vincent-de-Paul.
    Homme de méthode, Melun est frappé par la nécessité de coordonner, en vue d’une action collective sur le plan social, d’innombrables efforts dispersés et qui s’ignorent.
    En 1845, il fonde les Annales de la Charité qui serviront de lien entre tant d’œuvres diverses, et publieront des études sur « toutes les immenses questions que soulève l’exercice de la charité », et les principes qu’il y affirme d’entrée de jeu doivent fort scandaliser M. Guizot : « ... l’Etat peut seul atteindre l’ensemble des misères et améliorer d’une façon permanente et générale le sort de ceux qui souffrent. » Il faut « ériger en justice générale ce qui n’était que charité partielle ».
    Un an plus, tard, il crée la Société d’Economie Charitable ayant pour but exclusif l’étude et la discussion de toutes les questions qui intéressent les classes pauvres.
    A la suite du Congrès Pénitentiaire International qui se tient à Bruxelles en 1847, Melun propose la création d’une Société Internationale de Charité où seraient mis en commun les efforts, les expériences et les lumières, pour l’amélioration morale et physique des classes laborieuses et souffrantes de tous les pays. La Révolution de 1848 ruinera les amorces de cette œuvre, mais l’idée en sera reprise en 1853 avec les Congrès Internationaux.
    Depuis 1840, Melun s’occupe de la Société Saint François-Xavier qui est à la fois une œuvre d’évangélisation ouvrière et une société de secours mutuel, dans le cadre paroissial. Les réunions mensuelles ont lieu dans les églises ; des orateurs laïques et ecclésiastiques y prennent la parole. Moyennant une cotisation mensuelle de 50 centimes, on a droit aussi à dix sous par jour de maladie, si elle se prolonge au-delà de sept jours.
    En 1844, la Société de Saint-François-Xavier comptera 10.000 membres.
    C’est cette même année que Melun fonde l’Œuvre des Familles qui absorbera en 1848 les Fraternités dont il a eu l’idée au lendemain de février 1848 et qu’il a recommandées à la protection de Lamartine d’abord, puis de Ledru-Rollin. Le principe est toujours celui du « patronage » au nom de la fraternité chrétienne ; au lieu qu’un visiteur charitable s’occupe de plusieurs familles malheureuses, pourquoi dix associés n’adopteraient-ils pas un foyer pauvre, pour constituer avec celui-ci une Famille ? Cent Familles réunies formeront une Fraternité ; cent Fraternités une Communauté. Mais les désordres de l’année 1848 seront peu propices à la réalisation de cette charité décimale. « L’Œuvre des Fraternités, écrira Melun plus tard, avait un péché originel ; elle était née avec la République et lui avait emprunté son nom ; elle devait périr avec elle, au moins dans sa vitalité et dans son expansion ». Cependant, le nom et l’idée se retrouveront de nos jours dans l’une des modalités de l’apostolat des Petites-Sœurs de l’Assomption.
    A cette époque se place l’activité parlementaire d’Armand de Melun. Au lendemain de la Révolution de 1848, il espère un instant que l’état des esprits va amener le législateur à s’occuper sérieusement des misères sociales, et, en avril, il est candidat à Paris, aux côtés de Lacordaire, - qui sera finalement élu à Marseille sur la liste légitimiste ! - du socialiste chrétien Buchez. Du provençal Agricol Perdiguier, bien connu dans le compagnonnage sous le sobriquet d’Avignonnais-la-Vertu, du vicomte de Cormenin, etc … Il ne sera pas élu, et les journées de mai et de juin auront vite balayé ses illusions. «Il a suffi qu’il (le socialisme) se montrât dans sa nudité pour arrêter la révolution sur la pente des améliorations qu’elle annonçait et qu’elle doit poursuivre sous peine de mort ».
    Mais chez Melun, l’optimisme n’est pas nécessaire à l’action : on doit toujours entreprendre ! Lamartine se révèle impuissant. Melun demande à Arnaud de l’Ariège d’essayer d’obtenir de Cavaignac la création d’une «Commission extra-parlementaire pour le développement des institutions de prévoyance et de secours ». Ce sera Dufaure qui la constituera à la fin de l’année, et cette Commission comprendra presque uniquement, autour de Melun, des membres de la Société d’Economie Charitable. Elle élaborera un projet de loi sur l’assistance publique, que la Constituante n’aura pas le temps de discuter.
    Aux élections de 1849, Armand de Melun est élu en llle-et-Vilaine tandis que son frère Anatole, son ombre jumelle, discrète et agissante, devient député du Nord. Il n’aura plus besoin de truchement pour porter ses idées et ses projets à la tribune de cette Assemblée à majorité conservatrice.
    Il propose d’abord – et obtient – la création de la Commission dont il rêvait et qui sera chargée de préparer des lois sociales. Elle est présidée par Mgr Parisis, et Melun en est le secrétaire. Mais la majorité en sera manœuvrée par Thiers dont le libéralisme économique s’accommode mal de la philanthropie d’Etat ; pour lui, la bienfaisance ne doit être qu’individuelle. C’était également l’avis de Mgr Parisis, et Montalembert tenait, lui aussi, qu’il n’y avait « de véritablement utile et fécond que la charité privée ». C’est l’échec. Mais Dufaure revient à l’Intérieur, et, d’accord avec Melun, reprend son projet d’une loi d’ensemble sur l’assistance publique. Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 emporta le projet et l’Assemblée. Mais, d’autres lois furent votées, qui témoignent de l’activité inlassable du représentant des royalistes d’Ille-etl-Vilaine. Il interviendra avec succès pour l’adoption de toute une série de textes visant des problèmes sociaux :
    - loi du 12 août 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus ;
    - loi du 22 avril 1850 sur les logements insalubres, déposée par son frère Anatole ;
    - loi du 18 juin 1850 sur la Caisse des Retraites,
    - et loi du 15 juillet 1850 sur les Sociétés de secours ; mutuel, rapportées toutes les deux par son ami Benoist d’Azy ;
    - loi du 12 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire ;
    - loi du 22 février 1851 sur les contrats d’apprentissage, concertée dès 1849 avec son ami Falloux ;
    - loi sur les Monts-de-Piété.
    Après le coup d’Etat qui met fin à la Législative, Melun continuera sans s’émouvoir sa carrière d’homme de bien.
    Son hostilité au régime napoléonien ne l’empêchera pas d’aller dîner chez le Prince-Président le 17 mars 1852, avec Mgr Sibour puisqu’il s’agit de discuter, à l’heure du cigare, sur l’extension de la mutualité à travers toute la France. Melun refuse en souriant la candidature officielle que lui offre son voisin de table, Persigny, mais accepte aussi simplement de travailler avec Rouher, président du Conseil d’Etat, à la rédaction du décret-loi organique du 28 mars 1852 qui prévoit la création de Sociétés de secours mutuel dans toutes les communes dont le Conseil Municipal le désirera.
    Armand de Melun est nommé rapporteur de la Commission Supérieure de dix membres, chargée d’encourager et de surveiller ces Sociétés. Son influence visera, pendant dix-huit ans à placer la Mutualité dans un cadre chrétien (la plupart des Sociétés ont une fête patronale), à combattre – avec succès – les tendances étatistes au sein de ce mouvement, et à ne pas laisser dévier le mutualisme vers des opérations commerciales sous le couvert de coopératives de consommation. Quand Jules Favre supprimera, le 19 octobre 1870 la Commission Supérieure de la Mutualité, les sociétés de secours mutuels, qui étaient en 1852 au nombre de 2.438 avec 271.077 sociétaires, seront au nombre de 6.139 et grouperont 913.633 membres.
    Bien entendu, la Mutualité n’aura pas, et de loin, absorbé sous le Second Empire, l’activité inlassable d’Armand de Melun.
    En 1851, l’Œuvre des Apprentis s’étend aux jeunes filles et devient l’Œuvre des apprentis et jeunes ouvrières ; en 1867, elle groupera 9.000 apprenties.
    En 1855, l’Exposition Universelle lui suggère l’idée d’une Galerie d’Economie Domestique où seront exposés les objets bon marché nécessaires à un ménage ouvrier.
    En 1860, il fonde les Annales de la Charité qui deviendront la Revue d’Economie Chrétienne, puis le Contemporain, et ranime le Messager de la Charité qu’il rachète à son fondateur.
    En 1861, il crée la Société Catholique pour L’amélioration et l’encouragement des publications populaires, pour laquelle, en 1869, Mgr Mermillod viendra faire à Sainte-Clotilde, un sermon de charité, dont les hardiesses sociales feront sursauter au banc d’œuvre les vénérables marguilliers du faubourg Saint-Germain.
    En 1863, il présidera à son tour la Société d’Economie Sociale dont Le Play est le fondateur et le secrétaire général.
    En 1864, nous le trouvons à la fondation de la S.B.M., section française de la Croix-Rouge.
    En 1867, il s’occupe de la Société d’Education et d’Enseignement qui deviendra, sous la IIIème République, un véritable ministère des écoles libres.
    1870. La guerre. Melun s’occupera de l’organisation des ambulances et de l’aumônerie militaire.
    1871. La Commune. Ce sont d’autres malheureux qu’il faut secourir. Et le vicomte Armand de Melun catholique et royaliste, fonde l’Œuvre des Orphelins de la Commune !
    En 1872, Albert de Mun l’invite à entrer au Comité de l’Œuvre des Cercles Catholiques d’Ouvriers, afin que Melun soit associé à ses premiers efforts.
    En 1874, il ne pense pas qu’il soit au-dessous de son rang de s’occuper de l’Œuvre des Fournaux Economiques, et, en 1875, il patronnera l’Œuvre du Vénérable de la Salle.
    Quand il mourra, le 24 juin 1877, l’âme de Sœur Rosalie pourra se réjouir : aucun de ses élèves n’aura mieux retenu ses leçons, nul n’aura mieux enrichi de sa foi chrétienne le « res sacra miser » du païen Sénèque.
    Quarante années entièrement vouées aux œuvres charitables par ce gentilhomme à qui sa position sociale, sa naissance, son esprit, promettaient tous les succès mondains, cela mérite bien qu’on évoque à son propos les noms de Vincent-de-Paul et de François d’Assise et qu’on lui accorde le reflet de leurs vertus, comme l’a fait M. Ernest Seillière dans le livre qu’il a consacré au Cœur et à la Raison de Madame Swetchine.
    Et cependant, combien de jeunes Français connaissent seulement le nom du Vicomte Armand de Melun ? Parmi les militants les plus ardents de la démocratie chrétienne – qui se prétend seule héritière du catholicisme social -, combien savent grosso modo la part prépondérante qu’il prit pendant près d’un demi-siècle à l’action sociale catholique ?
    La même école sociale, qui réclame l’honneur des autels pour l’âme de Frédéric Ozanam, a jeté aux oubliettes le souvenir de l’éminente et efficace charité d’Armand de Melun. Pourquoi ? Eh ! nous le répèterons encore et encore. Parce que Melun était demeuré à soixante-dix ans le royaliste qu’il était à sept ans … Non pas royaliste sentimental mais royaliste de raison, capable d’approuver le manifeste du comte de Chambord sur le drapeau blanc. Parce que, écrivait-il, « l’association de la légitimité et de la souveraineté nationale que l’on espérait réunir, pour que l’une fit accepter l’autre, n’aurait, je le crains, abouti qu’à l’explosion qui résulte inévitablement du mélange des substances qui s’excluent et se combattent ».
    Et il est parfaitement possible aujourd’hui de laisser entendre aux jeunes catholiques de ce début du XXIème siècle, que l’on peut à la fois être partisan de la monarchie et s’intéresser du sort des déshérités de ce monde, à commencer par nos frères français.
  • Julius Evola : « Contre la démocratie »

    « Le démocratisme vit sur un vieux préjugé optimiste tout à fait gratuit. Il ne se rend pas du tout compte du caractère irrationnel de la psychologie des masses […] La masse est portée non par la raison, mais par l’enthousiasme, par l’émotion, par la suggestion. Comme une femme, elle suit qui sait mieux la séduire, l’effrayer, l’attirer, par des moyens qui n’ont rien de logique en soi. Comme une femme, elle est inconstante, et passe de l’un à l’autre, sans qu’un tel deuil puisse être expliqué uniformément par une loi rationnelle ou par un rythme progressif. »

    Impérialisme païen

    « Le système qui s’est établi en Occident avec l’avènement de la démocratie – le système majoritaire à suffrage universel – impose d’emblée la dégradation de la classe dirigeante. En fait, la majorité, libre de toute restriction ou clause qualitative, ne peut être que du côté des classes sociales les plus basses ; et pour gagner de telles classes et être porté au pouvoir par leurs votes, il faudra toujours parler la seule langue qu’elles comprennent, celle qui met en avant leurs intérêts prédominants, les plus grossiers, matériels et illusoires, celle qui promet et jamais n’exige. Ainsi toute démocratie est, dans son principe, inscrite à l’école de l’immoralité ; Elle est une offense à la dignité et à la stature qui convient à une véritable classe politique. »

    Les Hommes au milieu des ruines

    « Dès les temps antiques on a reconnu qu’il existait une analogie entre l’être humain et cet organisme plus grand qu’est l’État. La conception traditionnelle de l’État  conception organique et articulée  a toujours reflété la hiérarchie naturelle des facultés propres à un être humain au plein sens du terme, chez lequel la partie purement physique et somatique est dominée par les forces vitales, celles-ci obéissant à la vie de l’âme et au caractère, tandis qu’on trouve au sommet de tout l’être le principe spirituel et intellectuel, ce que les stoïciens appelaient le souverain intérieur, l’egemonikon. En fonction de ces idées, il est évident que toute forme de démocratie se présente comme un phénomène régressif, comme un système dans lequel tout rapport normal est renversé. L’egernonikon est inexistant. La détermination vient du bas. II y a carence de tout centre véritable. Une pseudo-autorité révocable et au service dé ce qui est en bas  à savoir l’aspect purement matériel, « social », économique et quantitatif d’un peuple  correspond, selon l’analogie signalée plus haut, à la situation suivante dans le cas d’un être individuel : un esprit et un principe spirituel qui n’auraient d’autre raison d’être que de représenter les besoins du corps, qui seraient en somme au service de celui-ci. L’avènement de la démocratie est quelque chose de bien plus profond et bien plus grave que ce qu’elle paraît être aujourd’hui du seul point de vue politique, c’est-à-dire l’erreur et la prétention infiniment stupide d’une société qui creuse sa propre tombe. En effet, on peut affirmer sans nul doute que l’atmosphère « démocratique » est telle qu’elle ne peut exercer, à la longue, qu’une influence régressive sur l’homme en tant que personnalité et jusque sous les aspects proprement « existentiels » : précisément parce qu’il y a, comme nous l’avons rappelé, des correspondances entre l’individu comme petit organisme et l’État comme grand organisme. »

    La race de l’homme fuyant, dans L’arc et la massue 

    « La « démocratie » n’est pas un simple état de fart politique et social ; c’est un climat général qui finit pas avoir des conséquences régressives sur le plan existentiel. Dans le domaine particulier des sexes, peut sans doute être favorisé ce fléchissement inférieur, cet affaiblissement du pouvoir intérieur sexualisateur qui, nous l’avons dit est la condition de la formation et de la propagation du « troisième sexe » et, avec lui, de nombreux cas d’homosexualité, selon ce que les mœurs actuelles nous présentent d’une façon qui ne peut pas ne pas frapper. D’un autre côté, on a pour conséquence la banalisation et la barbarisation visibles des relations sexuelles normales entre les jeunes des dernières Générations (à cause de la tension moindre due à une polarité amoindrie). Même certains phénomènes étranges qui, à ce qu’il semble, étaient très rares précédemment, ceux du changement de sexe sur le plan physique  des hommes qui deviennent somatiquement des femmes, ou vice-versa , nous sommes portés à les considérer selon la même grille et à les ramener à des causes identiques : c’est comme si les potentialités de l’autre sexe contenues en chacun avaient acquis, dans le climat général actuel, une exceptionnelle possibilité de réapparition et d’activation à cause de l’affaiblissement de la force centrale qui, même sur le plan biologique, définit le « type », jusqu’à saper et à changer le sexe de la naissance. »

    Le troisième sexe, dans L’arc et la massue

    Julius Evola

    Source : Front de la Contre-Subversion

    https://la-dissidence.org/2014/12/27/julius-evola-contre-la-democratie/

  • Hyacinthe de Gailhard-Bancel (1848 - 1936)

    Hyacinthe de Gailhard-Bancel était né, le jour de la Toussaint de l’an de grâce 1848, à Allex, dans cette partie de la Drôme qui sert de Marche commune à la Provence et au Dauphiné. Le village repose dans un lit de la rivière, à mi chemin entre son confluent avec le Rhône et la ville de Crest dont le fier donjon commandait la porte du Diois.

    C’est dans ce cadre villageois que grandira Hyacinthe ; c’est à l’école communale, alors dirigée par des Frères, qu’il apprendra à lire et à écrire. Mais l’enfant inquiète ses parents par une trop grande nervosité qui semble l’épuiser ; ils se demandent s’il pourra supporter le régime, alors assez rude, de l’internat pendant ses études secondaires. A quel conseiller sûr s’adresser autre que le saint prêtre dont la réputation de visionnaire prodigieux attire alors de véritables foules vers un misérable hameau des Dombes ?

    La mère, en compagnie de l’enfant trop fluet, prend donc le chemin d’Ars, et s’en revient rassurée. L’abbé Jean-Baptiste Vianney a posé sa main sur la jeune tête blonde, et a dit simplement : « Madame vous pouvez mettre cet enfant au collège. Il guérira et il vous donnera beaucoup de consolations.»
    Une fois de plus l’homme de Dieu aura été bon prophète, Hyacinthe deviendra exceptionnellement robuste ; il vivra longtemps, et ce n’est pas seulement pour sa mère qu’il sera une source de consolations.

    Le voilà donc élève à Montgré, près de Villefranche-sur-Saône, dans le célèbre collège que la Société de Jésus à créé pour la jeunesse du Sud-Est. H. de Gailhard-Bancel y fera connaissance avec toute l’élite de sa génération et y nouera bien des amitiés qu’il retrouvera plus tard toutes prêtes à faire équipe avec lui. Généreux, ouvert, vif, cordial, incapable de feindre, intrépide aussi, l’adolescent promet déjà tout ce que l’homme fait tiendra.

    Après le baccalauréat, c’est la Faculté de Droit de Grenoble, puis l’inscription au stage du Barreau de Paris. Nous sommes en 1872, à l’heure où La Tour du Pin et Albert de Mun, sous l’impulsion de M. Maignen, décident de faire de l’œuvre des cercles Catholiques d’Ouvriers l’instrument pratique de la doctrine sociale catholique, et ce sera la grande chance de la vie de H. de Gailhard-Bancel que sa rencontre avec ces deux hommes dont il deviendra le disciple, l’ami et le compagnon de luttes. C’est la Tour du Pin qui le marquera le plus de son influence et qui le poussera vers les réalisations sociales pratiques dans le cadre de la profession et du terroir ; et, lorsque, trente ans plus tard, la fragilité de sa gorge obligera Albert de Mun à ne plus aborder la tribune que pour de rares et brèves interventions, H. de Gailhard-Bancel, devenu son collègue, prendra le relais du grand parlementaire catholique. Mais nous n’en sommes pas encore là.  Brusquement, la mort soudaine du chef de famille met fin à cet apprentissage providentiel. Hyacinthe de Gailhard-Bancel dépouille la toge et abandonne la chicane pour venir remplir à Allex la tâche que Dieu avait dévolue aux siens : guider tout un petit monde rural, le conseiller, l’aider, l’entraîner vers le mieux, être enfin ce que Frédéric Le Play a défini une « autorité sociale », ne tenant son ascendant que des services rendus.

    Comme il prend dès le début son nouveau rôle au sérieux, il s’affilie dès ce moment à la Société d’Agriculture de France qui vient d’être reconnue d’utilité publique et qui s’applique à développer et à répandre dans tout le pays les meilleures méthodes de culture. Mais cette action générale, il voudrait la décentraliser, la faire pénétrer dans les campagnes les plus reculées grâce à des associations locales de paysans.

    …Mais M. le préfet de la Drôme, en rappelant à M. Gailhard-Bancel que la loi française interdisait les associations de plus de vingt personnes et en lui refusant l’autorisation demandée, eut tôt fait de le ramener à une vue plus exacte des possibilités que la IIIè République offrait aux chimériques de son espèce !
    Par bonheur, le vote de la loi du 21 mars 1884 allait lui permettre de reprendre espoir.
    Ce n’est pas que les auteurs de cette loi aient eu le moins du monde l’intention de permettre aux paysans de se grouper pour la défense de leurs intérêts professionnels : lorsque son texte parvint sur le bureau du Luxembourg, aucun député n’avait songé, au cours des longs débats qu’il avait suscités au Palais-Bourbon, d’y insérer une clause qui intéressât les agriculteurs.

    Dans l’ouvrage attachant où il a réuni les souvenirs de sa vie syndicale et parlementaire. Les Syndicats Agricoles aux champs et au Parlement, M. de Gailhard-Bancel nous conte par quel heureux hasard un modeste sénateur, qui n’eut pas, au cours de sa vie parlementaire, d’autre occasion de passer à la postérité, devint le père du syndicalisme agricole :

    « Ce sénateur, M. Oudet, entrait dans la salle des séances au moment où le Président donnait lecture du texte de l’article 3 de la loi, qui était ainsi conçu : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux. »
    - Et pourquoi pas agricole ? demanda M. Oudet, dans une interruption.
    - Pourquoi pas, en effet ? Et le Sénat à l’unanimité décida que le mot agricole serait introduit dans le texte de l’article 3. »

    Il faudra un second hasard, non pas pour que M. de Gailhard-Bancel songe à utiliser ce texte pour créer un Syndicat Agricole à Allex, mais pour qu’il s’y décide. Le jeune maître des Ramières passe ses journées dans les champs à cette époque printanière, et, le soir venu, n’a guère le loisir de lire ce qui s’est déjà fait ailleurs dans cet ordre d’idées, ni l’envie de jeter sur le papier des projets de statuts. Heureusement, la Providence intervient à nouveau : un cheval ombrageux et effarouché, une voiture qui verse dans le fossé, un bras gauche cassé…, et voilà réunies les conditions de quinze jours d’arrêt forcés à la chambre, au bout desquels la rédaction des statuts du Syndicat Agricole d’Allex sera achevée ! Ils seront déposés le 6 décembre 1884, trois mois après ceux des Syndicats Agricoles de Poligny et de Die qui leur ont servi de modèle ; et c’est le moment de prendre acte que les trois premiers fondateurs de syndicats agricoles : MM. Louis Milcent, de Fontgalland et de Gailhard-Bancel sont trois catholiques et royaliste fervents.

    Grâce à sa réussite dans le cadre de sa paroisse, il ne fut pas difficile à M. de Gailhard-Bancel de faire proliférer le syndicalisme agricole en Bas-Dauphiné. Dès 1885, le village voisin de Grane crée son syndicat; en 1886, toutes les communes appartenant aux deux cantons de Crest se constituent en sections syndicales du syndicat de Crest. En 1881, la contagion gagne les cantons voisins, si bien que cette année-là est marquée par la fondation de l’Union des Syndicats de la Drôme, sous la présidence de M. de Fontgalland.

    M. de Gailhard-Bancel avait une autre idée de la doctrine sociale chrétienne. Etant partisan, au contraire, d’une organisation corporative unitaire, il ne lui fût pas venu à l’esprit d’accoler l’épithète de catholique aux Syndicats Agricoles qu’il préconisait. Mais, il trouvait naturel que ces Syndicats, fondés dans n pays où le catholicisme était la religion très largement dominante, fussent imprégnés de la même atmosphère chrétienne que les villages où ils s’instituaient. Un esprit aussi profondément croyant que le sien ne pouvait imaginer qu’il en fût autrement. C’est dans sa foi que lui-même trouvait le jaillissement intarissable de son dévouement envers son prochain ; comment eût-il pu penser qu’il en fût autrement chez autrui ? :
    « Quand le bon Dieu, se plaisait-il à redire, donne à un homme de l’influence, de la fortune, de la vigueur, des loisirs, ce n’est pas uniquement pour son profit personnel qu’il les lui donne, c’est pour qu’il les mette au service de ses citoyens. »

    Exigeant pour lui, indulgent pour les autres, il n’eût jamais songé à imposer à son entourage, comme une obligation, ce qui lui était nécessité personnelle. Mais il n’avait pas besoin d’exhorter pour entraîner, il lui suffisait d’obéir à sa règle de vie.
    Ce n’est pas lui qui proposa aux syndiqués de son terroir de faire une retraite fermée annuelle, c’est un des membres du syndicat d’Allex qui lui en donna l’idée en lui écrivant :
    « Vous nous avez rendu beaucoup de services matériels grâce au Syndicat, et nous vous en sommes bien reconnaissants ; mais vous ne nous en rendez pas au point de vue religieux, et pourtant ce serait bien nécessaire. Pensez-y ; nous sommes quelques-uns qui attendons de vous ce service. »

    De cette requête devait naître ces retraites réservées aux membres des Syndicats et auxquelles la Trappe de N.D. d’Aiguebelle offrait son cadre discret et ombragé ; et aussi ces pèlerinages paysans à N.D. de l’Osier et à N.D. du Laus où l’exposé du conférencier agricole succédait au sermon du prédicateur.

    M. de Gailhard-Bancel avait les dons naturels de l’orateur populaire : la voix chaleureuse dont un léger blèsement ne gâtait nullement le charme, la phrase ample, harmonieuse et bien construite, l’éloquence simple et imagée, et, par-dessus tout cela, un accent de conviction ardente qui enflammait son auditoire. 
    Rapidement, il devint le conférencier attitré des Congrès cantonaux catholiques où une place était toujours réservée aux problèmes ruraux.

    Le Dauphiné, la Provence, le Velay, le Lyonnais faisaient à l’envi appel à lui, et sa renommée devint si grande dans tout le Sud-Est que, lorsque les catholiques du Haut-Vivarais (où paradoxalement, il n’avait jamais été appelé !) cherchèrent, en 1898 un candidat capable d’enlever la première circonscription de Tournon à la franc-maçonnerie, c’est à M. de Gailhard-Bancel qu’ils firent appel.
    L’apôtre du syndicalisme agricole s’était toujours défendu d’avoir des visées politiques, afin de garder à son action corporative un caractère totalement désintéressé. L’argument du danger grandissant que  
    faisait courir à la France la politique de décatholicisation méthodique poursuivie par le gouvernement de la République n’eût pas suffi à le déloger de cette position de principe. Il y fallut les instances pressantes du saint évêque de Viviers, et, finalement l’ordre formel donné à sa conscience de fils de l’Eglise par Mgr Bonnet. Vainement objecta-t-il : « Mais, Monseigneur, je suis royaliste ! » Il s’entendit répondre : « Pas plus que moi, cher M. de Gailhard ! Je ne vous demande pas de ne plus l’être. Je vous demande simplement d’être candidat de défense religieuse et d’action sociale dans le cadre des institutions que la France s’est donnée. »

    Cette formule édulcorée de ralliement est la seule qu’il accepta jamais ; encore fut-elle pour lui un sacrifice méritoire !       
    Sa candidature de 1898 fut un très honorable échec, qui eut bientôt sa revanche, à l’occasion d’une élection partielle. Le 31 décembre 1899, Hyacinthe de Gailhard-Bancel était élu député de Tournon. Il devait représenter jusqu’en 1924 cette pittoresque région des Boutières, peuplée de montagnards rudes et énergiques que, depuis les guerres de religion, le dualisme confessionnel fait s’affronter farouchement.

    Les catholiques du Haut-Vivarais, qui retrouvaient en lui leur foi intransigeante, l’adoptèrent avec enthousiasme et lui vouèrent une fidélité dont le temps n’usa point la ferveur. Chaque année, au premier dimanche d’août, ils accouraient par milliers sur le haut sommet où repose le corps de Saint-Jean-François Régis qui garda leurs ancêtres de l’hérésie huguenote, et, après la messe, célébrée en plein air dans le site grandiose de Lalouvesc, ils acclamaient passionnément leur député exaltant en termes magnifiques leur métier et leur croyance. C’est là que nos yeux et nos oreilles d’enfant ont vu et entendu celui dont le nom éveille encore chez nous l’écho d’une reconnaissante admiration.

    Tel fut le précurseur de l’Action Catholique Rurale.
    La Providence devait lui envoyer des épreuves à la mesure de sa grade âme : la Grande Guerre lui prit trois de ses fils et sa fille unique, religieuse en exil. Cependant, la mort miséricordieuse, qui venait le prendre, après quatre-vingt-six ans de vie bien remplie, le 22 mars 1936, épargnerait à ses yeux de chair l’affreux spectacle de la mort de son fils Henry, ancien officier de marine, devenu à son tour le maître des Ramières et l’animateur des Syndicats de la Drôme, arrêté par les F.F.I. à la Libération pour le crime majeur d’être syndic départemental de la Corporation Paysanne, arraché à la prison de Valence par un assaut de P.T.P. communistes, sauvagement abattu sur une place de la ville, avec défense à quiconque de recueillir le pauvre corps martyrisé et livré pendant vingt-quatre heures aux outrages de la populace…

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