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culture et histoire - Page 1460

  • FIAC : la fiente en frac

    De Fabrice Hadjadj, écrivain et philosophe :

    "Toutes les époques, il y a eu des nuls et des imposteurs. Mais le nom de FIAC m'a toujours indisposé: les acronymes sont déjà des échecs artistiques et n'augurent rien de bon, d'autant que mon oreille tend à n'y entendre que le mot-valise de la «fiente en frac». Cela foire, effectivement. Aujourd'hui chacun sait qu'il n'y a rien de plus ringard que de militer sous la bannière des avant-gardes. Quant aux partis-âneries, comme vous dites, elles tombent toujours dans les affirmations massives: l'accueil en masse ou la condamnation en bloc. On veut s'épargner un vrai travail de discernement, quelque chose qui ne soit pas que de l'adhésion mondaine ou du rejet épidermique, mais qui se pense à partir de la considération des recherches formelles et d'une mise en perspective dans l'histoire de l'art. Parmi les contemporains, il y a des charlatans, certes, mais il y a aussi de vrais artistes, dignes des grands de jadis. Je pense à Gerhard Richter, à Bill Viola, à James Turell, à Yuri Ancarani, à Rineke Dijkstra et tant d'autres. Tous ceux-là ne prétendent pas à un avant-gardisme en complète rupture avec le passé. Ils entendent au contraire s'inscrire dans la plus pure tradition, revendiquant même un lien avec le Quattrocento ou le Moyen-Âge. [...]

    L'art contemporain est vu par ses contempteurs tantôt comme l'apothéose du potache, tantôt comme le comble du cynisme. On perd de vue les grands drames qui sont à l'origine de ces tendances. En 1915, à Zurich, est fondé le mouvement Dada, qui décide de se moquer de l'académisme et de tourner en dérision les chefs-d'œuvre. Pourquoi cette dérision? Parce qu'il y a la Première Guerre Mondiale. Les grandes civilisations, avec leurs beaux musées, leurs beaux théâtres à l'italienne, n'ont pas empêché la tuerie de masse. Cette soudaine désillusion face à la «religion de l'art», dont on voit les traces dans la dernière partie de la Recherche du Temps perdu, est le premier choc, qui conduit à une première défiance. Il y en aura une seconde, avec la Deuxième Guerre, et le pouvoir nazi. Il ne faut pas oublier que le nazisme fut un esthétisme. Il n'y a pas en lui que les chambres à gaz. Il y a aussi Hugo Boss, les opéras de Wagner, le philharmonique de Berlin, les grands sons et lumières de Nuremberg qui pousseront Drieu La Rochelle, hésitant encore avec le communisme, à pencher finalement pour le pseudo-renouveau hitlérien… Dès lors, toute beauté «grand public» peut devenir douteuse, suspectée de complicité hypnotique avec le fascisme. Et comme Hitler avait aimé la grande musique tonale et méprisé le dodécaphonisme, comme il avait vanté l'art populaire ou antique et condamné l'art «dégénéré», on a cru faire acte de résistance en vantant l'art dégénéré et les compositions atonales. Si vous ajoutez à cela Mai 68, et la crainte désormais du petit bourgeois de paraître en dehors du coup, vous pouvez mieux comprendre pourquoi la transgression est devenue une norme, et pourquoi la subversion bénéficie de subventions d'État… [...]

    Michel Janva

  • 4 novembre 1956 : intervention soviétique à Budapest

    Ce jour, les chars soviétiques entrent à Budapest, après que le nouveau gouvernement – amené par une révolte populaire spontanée contre la tyrannie communiste débutée le 23 octobre – a fait savoir qu’il voulait quitter le Pacte de Varsovie.
    L’aviation et l’artillerie bombardent des poches de résistance ou supposées telles.

    Avec le soutien tacite des démocraties occidentales, l’URSS va écraser l’insurrection dans le sang et entamer une sévère répression.

    Ci-dessous 15 minutes de séquences vidéos tournées par des amateurs le 23 octobre 1956. Elles montrent que cette journée a commencé par une manifestation pacifique d’étudiants, avant que les communistes ne tirent sur la foule.

    Les nouvelles s’étaient répandues rapidement et des émeutes avaient éclaté dans toute la capitale.
    La révolte s’était étendue rapidement en Hongrie et avait entrainé la chute du gouvernement.
    Des milliers de personnes s’étaient organisées en milices pour affronter l’Autorité de protection de l’État (ÁVH) et les troupes soviétiques.

    Source : hungarianambiance.com

    http://www.contre-info.com/

  • Et on voudrait que j’obéisse aux gestapettes de la pensée ?

    Et l’on croit que je vais céder à cette nouvelle intimidation ? Je n’accepte pas la gestapo stalino-talmudique qui assimile à la haine raciste tout refus de la submersion démographique mais absout les insulteurs des Français, de la France et du catholicisme. Avec humilité, je me considère comme un Résistant dans mon pays occupé. 

    Pupille de la Nation, j’aime la France comme ma mère (pas la république, qui est sa caricature en putain). Pour défendre sa mère, on a tous les droits et si on ne les a pas, on les prend. 

    Au surplus, j’ai été élevé dans une famille et un milieu où l’on n’est pas très impressionnable. Mon père, sous-officier de Légion Étrangère, est mort pour la France il y a cinquante ans. 

    Quand les pourris qui livrent aujourd’hui notre pays apprenaient, à l’Ena, à Sciences Po ou à l’École de la Magistrature, à faire et à appliquer les lois dictées par leurs maîtres ténébreux, il donnait sa vie pour garder à la France un empire. 

    Et l’on prétend aujourd’hui m’interdire de défendre l’ultime pré-carré que n’ont pas bradé les Mendès, DeGueulle et autres salauds ? 

    Mes deux grands-pères ont versé leur sang au feu. L’un, jeune officier de l’Armée impériale, aide de camp du général Dénikine, a tout perdu dans une guerre sans merci contre le communisme : parents, frères et soeurs, propriétés, biens. Arrivé en France avec sa jeune épouse, ruinée elle aussi, et un enfant né pendant l’exil, il a poursuivi son combat jusqu’au jour où il est mort pauvre. 

    Et un Gauberg espère me bâillonner à coups d’amendes, comme il a juré de le faire pour toute la presse nationale ? Il n’y a que dans les contes talmudiques qu’on tire du lait en pressant une pierre. 

    Mon autre grand-père était à Verdun à vingt ans. A quarante-cinq ans, il participait à la Résistance. La vraie, pas celle des maquereaux qui ont mis leurs médailles usurpées au tapin. 

    Et l’on voudrait m’interdire d’appeler à libérer, aujourd’hui comme hier, notre pays envahi, occupé, humilié ? 

    Mon enfance a été peuplée de récits de batailles, de prises d’armes, de saluts aux couleurs, de défilés, de remises de médailles, de célébrations du 8-Mai, du 11-Novembre. En famille, nous vivions sous le regard de nos héros. 

    L’école militaire où j’ai passé mon adolescence porte le nom d’un ancien, tombé à 15 ans dans les combats de la Libération : Jacques Lorenzi. Aujourd’hui encore, j’écris entouré de photos de combattants de toutes les résistances. Aux occupants d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi aux flics de la pensée, au lobby, au communisme et à la connerie. 

    Et on voudrait que j’obéisse aux gestapettes de la pensée ? Jeanne d’Arc est omniprésente chez nous et l’on espère me forcer à aimer les étrangers chez moi plus que chez eux, et à respecter des cultes imbéciles qui sont autant de célébrations de la Mort ? 

    N’ayant ni l’argent, ni l’entregent des Imbert, éditorialiste au Point, Houellebecq, écrivain couronné, ou Oriana Fallaci, journaliste internationale, fous islamophobes proclamés mais épargnés par une Justice aussi indulgente aux puissants que dure aux humbles, je suis, je le sais, condamné d’avance. Cela ne me fera pas taire. Je continuerai à dire et à écrire que l’immigration est une colonisation de peuplement et l’islamisme un totalitarisme dont les Français ont le droit de se libérer.

    Serge de Beketch

    http://www.oragesdacier.info/

  • A lire : La gauche et le peuple, de Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa

    LaGaucheEtLePeuple_CouvBandeau.jpgS’il fallait se convaincre de l’incroyable modernité de ce développement socialiste de la vieille idée aristotélicienne selon laquelle l’homme est, par essence, un animal politique, il suffirait de considérer un seul instant la question, devenue emblématique, du travail dominical (est-ce d’ailleurs tout à fait un hasard si le premier essai politique de Proudhon – écrit en 1839 – était une célébration du dimanche ?) Comment ne pas voir, en effet, que c’est précisément au nom du droit absolu de chacun (considéré – pour reprendre la formule de Marx – en tant qu’individu « séparé de l’homme et de la communauté ») à organiser son temps et sa vie quotidienne en fonction de ses seuls intérêts privés qu’on nous presse désormais d’en finir avec ce terrible « tabou » d’un autre âge ? Au nom, par conséquent, du vieux dogme libéral selon lequel tous les contrats peuvent nouer, à titre privé, deux individus adultes et consentants (qu’il s’agisse, par exemple, d’une prostituée et de son client ou d’un employeur et de son employé) ne devraient en aucun cas « regarder » la collectivité ni, a fortiori, légitimer le moindre contrôle ou la moindre intervention de sa part. Et cela, quand bien même il serait possible de pointer à l’avance toutes les retombées négatives que ces choix – présentés comme entièrement « libres » et strictement « individuels » – auront inévitablement, à terme, sur la forme, le contenu et la qualité de la vie collective (à commencer par ce fait économique élémentaire : le jour où le dimanche sera effectivement devenu un jour comme les autres, il n’existera plus la moindre raison – d’un point de vue patronal – pour continuer à prélever sur le travail dominical une plus-value inférieure à celle qui est prélevée sur celui des autres jours). Or une telle logique – indissociablement économique et culturelle – ne peut, par définition, s’arrêter en si bon chemin. C’est bien elle, par exemple, qui permet déjà de légitimer aussi bien la spéculation boursière et l’exil fiscal (« je fais ce que je veux de mon argent, ça ne vous regarde pas ») que l’idée selon laquelle la prostitution est un métier comme un autre ou l’addiction à la drogue la seule affaire du drogué (« je fais ce que je veux de mon corps, ça ne vous regarde pas »). Et c’est, bien sûr, encore elle – quoique très peu d’esprits à gauche, aient eu le courage politique et intellectuel de l’admettre – qui devait nécessairement sous-tendre l’étrange revendication d’un « mariage pour tous » (en lieu et place d’un pacte d’union civile destiné à donner enfin à tous les couples – quelle que soit leur orientation sexuelle – les mêmes droits protecteurs, notamment après un divorce ou un décès) dès lors qu’on avait préalablement pris soin de réduire l’institution du mariage – conformément au dogme furieusement girondin d’un Noël Mamère – à « un simple contrat passé entre deux personnes par consentement mutuel ». Pur arrangement privé, par conséquent, entre deux individus supposés « séparés de l’homme et de la communauté » et censé n’avoir, à ce titre, aucun effet particulier sur les structures de la vie collective. Alors même qu’il aurait dû être évident – du moins pour quiconque a été initié aux mystères biologiques de la reproduction – que l’institution sociale du « mariage » dépasse toujours le seul point de vue privé du couple dans la mesure où elle met officiellement en jeu la question anthropologique de la filiation et donc, a fortiori, celle du mode de production et d’échange des enfants. Double question philosophique dont on saisira sans doute mieux les enjeux ultimes en se reportant au film prémonitoire d’Andrew Niccol – Bienvenue à Gattaca – qui, dès 1997, décrivait avec la plus grande lucidité les implications inexorablement inégalitaires – enfants de la nature versus enfants perfectionnés de la techno-science et de l’industrie génétique – d’un monde livré aux fantasmes foncièrement eugénistes d’une Christiane Taubira (ou de son mentor Francis Fukuyama).

    http://www.oragesdacier.info/

  • Lucien Cerise " Ingénierie sociale du conflit identitaire"

  • [PARIS] Vendredi 07 novembre 2014 : PIERRE DE LA COSTE AU CERCLE DE FLORE

    A Paris, vendredi 07 NOVEMBRE à 20h00, ne manquez pas le nouveau Cercle de Flore.

    Pierre de la Coste, écrivain, viendra présenter son dernier ouvrage "L’Apocalypse du progrès "

     

    VENEZ NOMBREUX À CETTE SOIRÉE EXCEPTIONNELLE !

    Vendredi 07 novembre 2014, à 20h00

    10 rue Croix des Petits Champs 75001 Paris, Escalier A, 2 ème étage

    M° Palais-Royal

    PAF : 3€ , gratuité pour les adhérents.

    Renseignement : cercledeflore@actionfrancaise.net

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?PARIS-Vendredi-07-novembre-2014

  • Propos sur la littérature, la connaissance de soi et des autres par Pierre LE VIGAN

    Laurence Sterne, l’auteur de Tristram Shandy (1767) explique que pour « les habitants de cette terre, les âmes ne brillent pas à travers le corps, mais sont entourées d’une épaisse couverture de sang et de chair opaque. » C’est aussi le sens de  la remarque que le fabuliste Momus faisait à Vulcain dans la mythologie grecque : dans l’homme conçu comme une statue d’argile, on ne voit pas le cœur humain.  C’est sans doute pour cela qu’a été inventée la littérature : pour mieux comprendre les autres et le monde des autres. Lévinas appelle cela « être gardien de son frère ». Être humain, c’est savoir se mettre à la place de l’autre. La littérature participe ainsi d’un processus de nettoyage : se désidentifier un temps, s’oublier un temps pour se mettre à la place de l’autre. Baudelaire écrit ainsi : « - hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère (Les fleurs du mal, 1857). »  Victor Hugo a des mots d’une totale justesse sur cette question : « Une destinée est écrite là jour à jour. Ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! (Les contemplations, 1856) »

     

    Paul Ricoeur remarque : « L’appropriation des propositions de monde offertes par le texte passe par la désappropriation de soi (Soi-même comme un autre, Seuil, 1990). » Tout lecteur fait cela, il s’oublie pour se mettre à la place de l’autre. Parce que l’autre est bien souvent une autre possibilité de lui-même. C’est pourquoi ne pas pouvoir lire de romans aboutit exactement à devenir fou, et seul au monde, et fou car seul au monde. Ne pas pouvoir lire de roman, c’est ne pas pouvoir envisager autrui mais qu’est-ce qu’autrui dans ce cas ? C’est une figure du changement de soi. Ne pas pouvoir lire de roman, c’est donc ne pas pouvoir envisager que l’on puisse changer. Les romans – et les pièces de théâtres – donnent ainsi figure au monde de l’autre. Albert Camus avait bien vu cela : « Si tu veux être philosophe, écris des romans. » (Carnets I). « Un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en image » affirme-t-il encore (Carnets II). Lire des romans ou a fortiori en écrire c’est croire que « rien de ce qui est humain ne m’est étranger » selon la formule du poète latin Terence. Même si l’autre est un barbare, quel barbare est l’autre ? C’est la question que pose Montaigne dans « Des cannibales (Essais I, 31) ». En d’autres termes le contraire de la discrimination ce n’est pas la tolérance c’est la curiosité.

     

    Barbare/non barbare : c’est tout simplement dire que nous avons une peau, un envers et un endroit de la peau. C’est dire aussi que la peau, des hommes et des peuples, se transforme (metabolé). Comme le dit François Hartog, l’altérité « se redistribue (Anciens, Modernes, Sauvages, Éditions Galaade, 2005) ». L’autre ce n’est pas seulement l’étranger, c’est celui dont les catégories mentales sont différentes : l’empereur oriental, le Perse, l’Asiate et sa démesure (hubris). Choc de la rencontre. « Notre monde vient d’en trouver un autre » écrit Montaigne dans « Des Coches (Essais, III, 6) ».

     

    Mais l’autre est parfois en soi, le barbare est parfois «  à l’intérieur ». L’autre « c’est surtout tout ce qui est voilé en soi-même » (Mathilde Bernard). Diogène le cynique avait cette requête : il appelait à « ensauvager la vie. Cela voulait dire faire l’expérience d’une sagesse sans la culture et sans la raison. Faire l’expérience d’une sagesse barbare. C’est là introduire le doute sur soi et en soi. C’est prendre le risque de la négation de soi ou de l’envie de mélanger tel le conquérant Alexandre loué en cela par Plutarque (Vie des hommes illustres). Se mélanger pour se dépasser. À l’écart de ce dionysisme nous voyons Ératosthène, géographe et mathématicien; il ne glorifie pas la distinction barbare/non barbare, il ne médit pas non plus son peuple. Pour lui seule compte la vertu, qui est répandue partout, chez les Grecs comme chez les Barbares, tout comme la médiocrité peut concerner des Grecs et des barbares.

     

    L’identité est protéiforme, il y a toujours de l’autre en nous. « Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà ». indique Montaigne (Essais, I, 3). « Nos affections s’emportent au-delà de nous » note-t-il encore. Dans cette perspective, l’autre proche est souvent le plus inquiétant. C’est parce qu’il est le plus proche de soi. Ce sont les « sorcières de voisinage » dont parle Montaigne. Proximité de soi au point d’en devenir soi. Cela peut finir comme les époux Potard, qui préparaient une poêlée d’intestins de leur fille (Jean de Léry au siège de Sancerre). Mais l’autre ce peut être aussi la rencontre d’un autre soi, à la fois différent et ressemblant, un soi élargissant son soi originel. C’est Marcel Griaule, découvrant Ogotemmêli et le système de monde Dogon, aussi riche que celui d’Hésiode (Dieu d’eau, entretien avec Ogotemmêli, 1948, Fayard 1975), c’est Michel Leiris, homme du grand voyage (L’Afrique fantôme) et de la mise en boucle de soi (L’Âge d’homme, La Règle du jeu), c’est Régis Bastide, c’est Claude Lévi-Strauss découvrant que l’autre est aussi humain que moi, un autre soi mais différent de moi.

     

    Claude Lévi-Strauss remarque que bien souvent les peuples sauvages agissent comme si l’enfer, c’était eux-mêmes – au rebours de la fameuse formule de Sartre, « l’enfer c’est les autres (Huis clos) ». « On nous a habitués dès l’enfance à craindre l’impureté du dehors, écrit Claude Lévi-Strauss dans Mythologiques III. Quand ils proclament, au contraire, que “ l’enfer, c’est nous-mêmes ”, les peuples sauvages donnent une leçon de modestie qu’on voudrait croire que nous sommes encore capables d’entendre. » Leçon de modestie des « sauvages » : au-dessus de nous, il y a la vie, et au-dessus de la vie, il y a le monde. Michel Leiris écrit à propos du pays Dogon : « Formidable religiosité. Le sacré nage dans tous les coins. » Il y a d’autant plus de sacré qu’il y a de l’autre. Asie, sage et grave, Afrique, fantôme et mutante. Que cherche l’écrivain voyageur ? « Élargissement et oubli de soi dans la communauté d’action » disait Michel Leiris. Programme parfaitement cohérent : se connaître ne se mettant à l’épreuve de l’autre, en « respirant l’homme » comme disait Georges Dumézil, ce qui est rappeler qu’il y a deux façons de le respirer, dans la dimension historique et dans la dimension géographique.

     

    Montrer l’homme plutôt que le démontrer voilà l’objet de la littérature. Car en démontrant l’homme la science finit par le démonter et ainsi par oublier de le montrer. À quoi sert la littérature ? À faire apparaître l’homme. La science veut savoir. La littérature n’est pas obscurantiste mais elle ne veut pas tout savoir à tous prix, elle ne veut pas conclure. Elle est complexe comme la vie, contradictoire comme la vie, comme les Japonais peuvent être shintoïste à la naissance et bouddhiste face à la mort, comme bien des Celtes peuvent être à la fois païen et chrétien. Toute littérature est par définition un « éloge de l’ombre » (Junichiro Tanizaki), l’ombre qui manifeste que les choses sont doubles qu’elles incluent l’autre d’elle-même.

     

    Mais comment connaître l’autre ? L’amitié est-elle un moyen de le mieux connaître ? À quel autre l’amitié donne-t-elle accès ? « Un Dieu conduit toujours le semblable vers son semblable (Odyssée, XVII, 218). » Mais dans le même temps Hésiode remarque dans Les travaux et les jours que l’on n’est pas attiré vers le semblable et c’est la thème de la rivalité mimétique qui nous oppose souvent aux plus ressemblants par rapport à nous. Marcel Proust, de son côté, ne croit guère à la connaissance de l’autre par l’amitié : « Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée […]. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment. (Albertine disparue, 1925). » (Il faut ici ouvrir une scolie. À la limite, Proust nie la connaissance possible d’autrui. L’autre existe-t-il ? semble s’interroger Proust, pas loin de répondre non. Cela évoque le sophisme de Jean-François Gautier dans L’univers existe-t-il ?À cela il faut répondre que l’univers existe – de même que autrui existe – parce que c’est une hypothèse absolument indispensable au développement de la  connaissance du réel. L’univers existe quand bien même cet univers serait-il un plurivers, quand bien même serait-il plein de vide, car le vide existe. L’univers existe au même titre que – Dieu merci – Jean-François Gautier existe, et que nous existerons encore quand nous serons poussière car tout ce qui a existé existe et continuera d’exister. Il y a heureusement de la place entre la croyance que le boson de Higgs serait la « particule de Dieu » et la position de Jean-François Gautier qui est certes stimulante mais relève avant tout d’une idéologie de l’anti-métaphysique voire d’une radicalisation à l’absurde de l’interprétation de Copenhague).

     

    À quoi il faudrait ajouter que la haine est aussi parfois une façon de connaître l’autre, ce qui n’est pas loin d’être le point de vue d’Henri Michaux (Passages, 1950, et encore Poteaux d’angle, 1978) qui souligne son aspect hygiénique et l’infortune de ceux qui ne la connaissent pas. « L’élan que l’on peut prendre à partir d’une personne est double. Pas décider prématurément si ce sera l’amour ou la haine » écrit Michaux. Les insuffisances de l’amitié – et plus encore celles de l’amour – peuvent pousser à un isolement comme désapprentissage des autres mais aussi à une tentative de dépasser l’amitié vue comme un isolement à deux. Comment ? Par le groupe en fusion. Par la « communauté inavouable » (Maurice Blanchot). Par l’esthétisation de la communauté jetée dans le feu politique. C’est la bande, ce sont les copains, les camarades, la « grande famille » du Parti. C’est justement contre le leurre de cet enchantement, qui passe en outre par la tyrannie de la majorité, que Milan Kundera réagit et réhabilite l’amitié, celle-ci qui n’est ni transparence, ni évidence (« parce que c’était lui, parce que c’était moi »…) mais est un effort et n’en existe pas moins (lire l’extraordinaire dialogue sur l’amitié dans L’identité de Kundera, Gallimard, 1998).

     

    De même que l’amitié relève à la fois de la morale et de l’aventure humaine, la littérature nous apprend sur nous-mêmes, y compris sur notre propre aveuglement, sur ce que nous ne voulons – ou ne pouvons – pas voir, comme l’a montré Martha C. Nussbaum (La connaissance de l’amour. Essai sur la philosophie et la littérature, 1990, Cerf, 2010). Cela pose une question radicale : comment se connaître en connaissant de plus en plus le champ de ce que nous ne connaissons pas ? Stanley Cavell pose la question en ces termes : « la philosophie peut-elle devenir littérature et encore se connaître elle-même ? » (Les voix de la raison. Wittgenstein, le scepticisme, la moralité et la tragédie, Seuil, 1979).

     

    L’autre, c’est le dehors. Arthur Rimbaud l’avait bien vu. User de différents pseudonymes – l’hétéronymie chère à Fernando Pessoa – est une façon de rencontrer l’autre en les faisant sortir de soi. Étonnant jeu de présence et d’absence à soi. « Je ne suis rien/Jamais je ne serai rien/Je ne puis vouloir être rien/Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. » (Pessoa, Bureau de tabac, 15 janvier 1928). Et encore : « Il me semble que c’est moi, le créateur de tout, qui fus le moins présent. » (L’Ode triomphale, 1915). Pessoa nous dit aussi : « Loin de moi en moi j’existe/À l’écart de celui que je suis/Ombre et mouvement en lesquels je consiste. » (poème, 1920, in Cancioneiro, 1911 – 1935). L’autre est notre propre ombre, comme Giordano Bruno en avait eu l’intuition. Le poète ainsi est toujours « caméléon » selon le mot de John Keats. Pour sa part, Walt Whitman écrit : « je suis immense, j’ai contenance de foules en moi. […] Qui dégrade autrui me dégrade. Et rien ne se dit ou se fait, qui ne retourne enfin à moi (Chant de moi-même, 1855). » La multiplicité des pseudonymes est une façon de ne pas laisser réduire son soi à un trop pauvre moi. Henri Michaux remarque aussi : « Moi se fait de tout; une flexion dans une phrase ? Est-ce un autre moi qui tente d’apparaître ? Si oui est mien, le non est-il un deuxième moi ? […] On n’est peut-être pas fait pour un seul moi (postface à Plume, 1930). » « On n’est pas seul dans sa peau », écrit encore Michaux (Qui je fus ?, 1927). Fernando Pessoa (dont il faudra un jour expliquer qu’il est le Walter Benjamin portugais), sous le pseudonyme de Bernardo Soares, écrit de son côté : « Je me suis multiplié, en m’approfondissant […] je suis autre dans la manière même dont je suis moi. Vivre c’est être un autre (Le livre de l’intranquillité). » Mais la grande leçon de Pessoa est que l’on reste soi-même même quand on est « un des autres » de soi-même : « J’ai mis bas le masque et je me suis vu dans le miroir./J’étais l’enfant d’il y a quarante ans./Je n’avais changé en rien./Tel est l’avantage de savoir retirer le masque./ On est toujours l’enfant,/Le passé qui demeure,/L’enfant. » Mais dans Bureau de tabac, Pessoa écrit : « J’étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n’avais pas ôté. » En d’autres termes, et c’est aussi la leçon de Proust, la recherche de l’authenticité absolue est un leurre, ce qui veut dire aussi que se dissimuler est tout aussi illusoire.

     

    L’existence de l’autre pose la question de la mise à l’épreuve, et parce que l’autre est toujours aussi en soi, il y a toujours l’épreuve du Dedans et l’épreuve du Dehors. Dedans/Dehors : c’est dièse/bémol c’est-à-dire que c’est toujours de la musique. Nicolas Bouvier en a fait l’expérience. Cet écrivain-voyageur, l’auteur de L’Usage du monde et de maints récits qui parle tout autant de la descente de l’Inde que de la descente en soi, était « l’œil qui écrit ». Quand il voyage il s’expose. Il est « en garde basse » comme on dit dans le langage de la boxe. Il connaît « l’émoi érotique d’être parti », vertige du dessaisissement, jamais loin, en fait, d’un effroi, et qui, par cela même, rend douloureux, et crucial, et vital de savoir se ressaisir. Pour Nicolas Bouvier, disparu en 1998, dans le voyage, le rapport à soi ne réside plus que dans le corps, mais le corps devenu total, corps marchant, corps souffrant, corps pensant, corps luttant contre ce qui le mine ou le détruit, et parfois corps exultant. « Je voyage pour apprendre et personne ne m’avait appris ce que je découvre ici » écrit-il en 1955, au Sri Lanka, après une immense traversée continentale. Partout l’informe et la névrose et la décomposition de l’esprit menacent. Par quoi se ressaisir ? En se mettant à faire l’inventaire du monde ? Mais c’est là l’illusion : celle d’un rassemblement possible des choses du monde. Il suffit de faire indéfiniment « la poste entre les mots et les choses », il suffit de laisser entrer le monde dans la littérature. Le voyage est toujours voyage vers l’autre tout autant que vers soi. Bouvier le définit ainsi : « C’est une attention fébrile aux êtres et aux choses, une impatience d’absorption qui permet, pour de brefs instants, de saisir le monde dans sa polyphonie (Le poison-scorpion, 1982). »  On ne peut mieux dire.

     

    Pierre Le Vigan

    http://www.europemaxima.com/

  • L’Afrique Réelle N°59 - Novembre 2014

    Sommaire :

    Actualité :

    - L’Algérie est-elle au bord du précipice ?

    - Mozambique : la coupure nord-sud s’accentue

    Livres :

    Afrique : la guerre en cartes

    Rwanda :

    Le TPIR confirme sa jurisprudence : le génocide n’était pas programmé.

    Préhistoire :

    L’Afrique n’est pas le berceau de toute l’humanité

    Editorial de Bernard Lugan :

    A en croire les médias, l’Afrique serait sur le point de « démarrer » puisque son taux moyen de PIB est supérieur à celui du reste du monde. Or, il ne s’agit là, hélas, que d’une illusion fondée sur des chiffres qui ne tiennent aucun compte des tensions, des problèmes politico-ethniques, des héritages et des divers blocages que connaît le continent.

    En dépit des effets d’annonce, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, la situation africaine est en réalité apocalyptique :

    - la « bonne gouvernance » n’y a pas mis fin aux conflits,

    - la démocratie n’y a résolu aucun problème,

    - les crises alimentaires sont de plus en plus fréquentes,

    - les infrastructures de santé ont disparu,

    - l’insécurité y est généralisée,

    - la pauvreté y atteint des niveaux sidérants. En 15 ans, le nombre de pauvres est ainsi passé de 376 millions à 670 millions ; il a donc doublé.

    Nous voilà loin de la « méthode Coué_ ». Quatre grandes raisons expliquent ces échecs :

    1) La priorité donnée à l’économie. Dans tous les modèles proposés ou imposés à l’Afrique sud saharienne, l’économie est toujours mise en avant. Or les vrais problèmes du continent ne sont pas fondamentalement économiques, mais politiques, institutionnels, ethniques et sociologiques.

    2) Le refus d’admettre la différence car les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire. Comme le dit le proverbe congolais : « l’arbre qui pousse sur les bords du marigot ne deviendra jamais crocodile ».[...]

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