Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1874

  • La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    Entretien d’Alexandre Latsa avec Xavier Moreau

    Il est souvent difficile de bien comprendre les bouleversements qu’a connus la Russie, depuis la chute de l’URSS jusqu’à nos jours. Vu de l’extérieur et notamment d’Europe, l’histoire de ce jeune pays européen qu’est la Russie ressemble à un puzzle chaotique et dénué de toute logique.

    Pourtant, l’auteur de “La Nouvelle Grande Russie”, qui dirige également l’antenne russe du Think-tank français Realpolitik TV, a choisi de présenter l’histoire russe en fonction de dates clefs, démontrant ainsi que les événements importants qui ont fait l’histoire récente de la Russie sont en réalité des maillons constitutifs d’un seul et même processus. Un processus ayant abouti au redressement spectaculaire que le pays continue de connaître aujourd’hui.

    ———————————-

    Xavier Moreau bonjour ! Pourriez-vous vous présenter ?

    Je suis un ancien officier saint-cyrien, j’ai servi dans les parachutistes. J’ai suivi également un cursus universitaire puisque je suis doctorant spécialisé sur les relations soviéto-yougoslaves pendant la guerre froide, sous la direction de Georges-Henri Soutou. J’ai travaillé sur les archives soviétiques et yougoslaves.

    J’appartiens à ce que j’appelle “l’Ecole historique française” dont le fondateur est Jacques Bainville et qui met en évidence les tendances lourdes ainsi que l’enchainement logique des évènements. L’Histoire y est décrite comme le laboratoire de la Politique. C’est une analyse au sein de laquelle les considérations morales n’interviennent pas et qui place l’intérêt suprême de la Nation au centre de la réflexion. Cette Ecole a été “modernisée” par Aymeric Chauprade, qui a donné ses lettres de noblesses à la “Géopolitique française”. Il a fait de cette pseudo-science anglo-saxonne et germanique, qui visait avant tout à justifier l’impérialisme et le racisme inhérents à ces deux civilisations, une science rigoureuse et logique.

    J’essaie donc de m’inscrire dans cet héritage intellectuel.

    Qu’est ce qui vous a poussé à écrire ce livre sur la Russie de 1991 à aujourd’hui ?

    La Russie est devenue un modèle alternatif fondé sur les valeurs traditionnelles

    La nouvelle grande Russie

    Aymeric Chauprade m’avait toujours encouragé à écrire sur la Russie contemporaine, j’ai donc sauté sur l’occasion lorsque les éditions Ellipses m’ont proposé de participer à leur collection “Dates clés”.

    Pourquoi avoir choisi d’analyser la Russie selon des dates clefs? Selon des événements clefs ?

    En fait la collection fonctionne selon ce principe, que je trouve excellent, car il oblige à être synthétique et à identifier les évènements réellement fondateurs, tout en en cherchant les causes profondes.

    Vous affirmez que le redressement russe, “le miracle russe” comme vous dites, est en grande partie due aux décisions de l’élite politique du pays plus qu’à un heureux concours de circonstances, à savoir un prix des matières premières en hausse et une demande extérieure et européenne notamment, croissante. Pourriez-vous développer ?

    Les matières premières ont souvent été en hausse en Russie, ça n’a pas empêché le pays entier de basculer dans la banqueroute à plusieurs reprises. La grande différence depuis 2000, c’est que l’État russe à commencer à épargner et à gérer ses ressources en prévision des moments difficiles. La crise de 2008, sous un gouvernement Eltsine, aurait mis la Russie à genoux. Au lieu de cela la Russie a été un des premiers pays à en sortir et sa position en a été renforcée.

    Les ressources ne suffisent pas sans la volonté politique de bien les utiliser. La France a des ressources humaines et industrielles colossales, qui sont gaspillés depuis 40 ans.

    Vous citez le bombardement de la Serbie en 1999 comme un élément décisif et une date clef de l’histoire russe, pourquoi cet événement de politique extérieure entre t-il en compte d’après vous ?

    A la chute de l’URSS, les Russes ont été fascinés et bienveillants vis-à-vis du modèle américain. Ils sortaient du monde du mensonge et croyait sincèrement que la vérité était occidentale. Au fur et à mesure des années 90, ils ont découvert que les États-Unis avaient pris la relève comme “Empire du mensonge”.

    En 1999, le masque est tombé définitivement, les États-Unis sont apparus comme ce qu’ils étaient, c’est-à-dire les ennemis de la civilisation européenne, capables de s’allier avec des mafias, des mouvements terroristes et/ou islamistes, pour parvenir à leur fin.

    Vous analysez un autre événement extérieur, la guerre des 5 jours contre l’armée Georgienne, comme, je vous cite: “l’événement qui marque la fin de l’expansion américaine dans l’étranger proche de la Russie” ?

    Comme prise de conscience de la duplicité mais également de la faiblesse américaine. La “guerre des cinq jours” vient comme la suite logique du bombardement de la Serbie. La différence est qu’en face de l’impérialisme américain, se dresse cette fois la Russie de Poutine, qui humilie l’administration américaine impuissante. En l’espace de deux mois, les États-Unis ont montré au monde, qu’ils étaient incapables de protéger ni leurs alliés, ni leurs banques.

    [...]

    Source et suite de l’article sur Blogs RIA Novosti.

    http://fr.novopress.info/

  • La philosophie saisie par la gauche morale

    L’extrême gauche partage avec la pensée libérale un désir profond, celui de vouloir réduire toute politique soit à de la morale, soit à de l’économie. Alors quand elle tente d’articuler une réflexion sur les liens entre État, politique, souveraineté et paix comme le fait Philippe Hauser dans son dernier essai La désolation du monde, on ne peut que relever l’ampleur de la déformation du phénomène, qui nous semble cependant symptomatique des prétentions (ou de l’absence de prétentions) de la gauche morale en philosophie politique, mais aussi de ses racines théoriques inavouables.
    L’État opprime, la loi triche
    En quelques mots, quelle est la thèse de notre auteur ? D’abord que la politique a essentiellement partie liée avec la guerre, la terreur, la mort. En cela, il se réfère principalement au philosophe allemand Carl Schmitt qui fit de la discrimination ami-ennemi le critère de distinction entre phénomènes politiques et non politiques, critère qui permet également de saisir les contours de la communauté légitimement défendable par l’autorité politique souveraine. Cette distinction ami-ennemi, qui crée de l’identité donc de la différence, vivrait sur la négation de l’Autre, et sur l’éventualité de l’extermination physique, ce que le vocabulaire politique courant retransmet par ailleurs. Cette violence, l’État la monopoliserait indûment sous le masque soit du droit naturel, soit de la prévention de la guerre civile. Le remède positif qui nous est proposé, puisé dans la pensée de Nietzsche et de Heidegger, est la formulation d’une « pensée nomade », libertaire et anti-étatiste radicale. Plutôt que de persister, notamment dans le vocabulaire de la philosophie, à pérenniser les connexions devenues naturelles entre État comme lieu du politique et son corollaire, la guerre et la domination, il conviendrait de penser le lien philosophie et politique d’une autre manière, en dehors des cadres constitués par la tradition philosophique, en la structurant autour de l’idée normative de paix. À l’instar de Ernst Jünger qui proposait à ses lecteurs la figure du Rebelle comme modèle de vie et démarche réflexive, M. Hauser propose celui du nomade, insaisissable à la violence des contraintes externes : « Est nomade celui qui ne tient pas à sa place. Ou ce qui refuse la place assignée. Le nomade ne désassigne pas seulement les identités, il ne recompose pas les identités qu’il a défaites. »
    Neutraliser la Politique
    Avant de vouloir redessiner les contours d’un « autre monde possible » sans guerre, sans conflits, sans inégalités, bref neutralisé, M. Hauser devrait peut- être interroger les catégories et les représentations qu’il manipule. À côté de l’emploi d’un vocabulaire qu’il ne définit que très brièvement voire très caricaturalement ("guerre", "droit" et "politique" !), quelques remarques s’imposent.
    Premièrement, réduire la politique au formalisme schmittien est un moyen commode de ne pas s’interroger sur ce qu’elle est substantiellement - réduction au passage que Schmitt récusait lui-même - ou, osons le mot, sur ce qu’est la politique essentiellement. Politique et domination étatique sont deux domaines qui ne doivent pas être confondus. On peut parier sans prendre de risques que l’affaiblissement de la domination étatique, que les européistes comme les indépendantistes de tout poil réclament, ne se traduirait pas par la disparition du politique comme créatrice d’une identité distinctive mais par sa transmission à un niveau supra ou infra-étatique.
    Le problème, c’est le régime
    Deuxièmement, il aurait peut-être été intéressant de s’interroger sur les formes de l’articulation entre État et société, plutôt que d’énoncer dogmatiquement que tous les États, en tout temps, en tout lieu et sous toutes les latitudes, sont des fauteurs de guerres, des oppresseurs des populations qu’il entend conserver. P. Hauser va même jusqu’’à esquisser une comparaison inadmissible et égarante, entre le régime national-socialiste et ses adversaires d’alors, également coupables d’avoir été « les représentants d’un système terrible de domination, dont on a fini par oublier qu’il fut, autant que d’autres, la négation de la vie humaine, quand celle-ci n’était ni blanche ni occidentale ». N’y a-t-il pas d’États souverains meilleurs que d’autres ? Et si ces états souverains sont hiérarchisables entre eux, quel critère, si ce n’est celui qui permet d’ordonner justement la place de l’État, à la fois en fonction des aspirations de ceux qui lui sont assujettis, mais aussi prenant en compte les autres éléments du vivre ensemble politique pour qu’il ne devienne pas cette machine à opprimer décrite par M. Hauser ? La réponse de la pensée classique était à la fois réaliste et subtile. Quelque soit l’habitat où vit l’Homme, il est socialisé, il est au milieu de ses semblables. Hors du cadre de la famille ou de la tribu qui l’enserrent primitivement correspond la communauté politique, dont les formes varient d’une cité à l’autre. L’organisation politico-sociale, observable par la constante de relations, du moins dans les gouvernement libres, de commandement et d’obéissance, répondait à une question qui n’a rien perdu de son actualité.
    Qu’est-ce qui justifie qu’une minorité d’hommes au sein de la cité gouverne et puisse contraindre la majorité ? Là encore, la philosophie classique faisait d’un ordre constitutionnel, qui ne trouvait comme légitimation que la terreur et le mensonge, un régime corrompu que l’on pouvait tout de même distinguer de régimes plus en aspiration avec l’élément proprement humain dans l’homme, c’est-à-dire sa nature. La question maintenant est de savoir si la naissance de l’État moderne a rendu caduque toute possibilité d’évaluation de cette communauté selon des critères de justice, de ce fameux droit naturel que M. Hauser réduit, par naïveté sans doute, à un discours de dominants masquant les véritables rapports sociaux. On se contentera ici de constater que la philosophie moderne, en cela héritière de Hobbes et de Machiavel, a beaucoup œuvré pour rendre acceptable les modes d’agir politique et juridique de la tyrannie dans le cadre étatique. Seulement, limiter ses potentialités tyranniques est un dessein politique possible et souhaitable, tandis que tenter de dépasser le problème en niant sa nature politique une nigauderie.
    Des racines dans le nihilisme allemand
    Ne percevoir la structure de la réalité politique que comme un lieu de rapports de forces, de dominations, de puissances, de vainqueurs et de vaincus devrait peut-être alerter l’auteur sur la dette qu’il a contracté à l’endroit de la Kulturpessimismus teutonne, qui tout en prétendant dévoiler les véritables mécanismes sociaux sous couvert d’indignation morale, a également contribué à l’amenuisement de tout ce qui aurait pu constituer un remède à la longue marche de la philosophie moderne vers le nazisme. Voilà où la réflexion de l’ultra-gauche en est réduite.
    Puisque nous sommes dans la pensée allemande, restons-y un peu - mais pas trop longtemps tout de même. Autant de raccourcis percutants, de « stylisation » de la réalité sociale aboutissent de la part de notre auteur à la défense d’une attitude qui se voudrait libertarienne, mais qui paradoxalement ne permet pas d’atteindre le rôle de critique sociale qu’elle voudrait s’assigner. Cette posture du nomade n’est pas sans rappeler le penseur romantique dans une critique de C. Schmitt que M. Hauser n’a pas jugé bon de citer. Schmitt décrit le romantisme politique comme une pensée de l’occasion : la politique devient une occasion de s’épancher et de mettre en scène ses rêveries enfiévrées. Seulement, ne percevant les choses politiques que comme des monades dont la seule unité se constitue dans la subjectivité de son auteur, il ne dépasse pas la surface des phénomènes, et reste en cela, sans connexion avec la réalité, bourgeois et stérile. Le romantisme révolutionnaire, même s’il continue à fasciner à droite comme à gauche a été et demeure une impasse politique.
    Pierre CARVIN Action Française 2000 juillet-août 2005
    * Philippe Hauser : La désolation du monde. Politique, guerre et paix, Paris, L’Harmattan, 190 pages, 16,50 euros.

  • Faut-il renoncer à la démocratie ?

    Je crois que certains lecteurs, en voyant ce titre, vont cliquer sur le lien tout en se demandant si Alexandre Latsa est brusquement devenu fou, ou en pensant que la suite va enfin dévoiler le fond de sa pensée. Mais non, pas d'inquiétude, l'idée n'est pas de moi.
    « Faut-il supprimer la démocratie » est une citation du « sage et démocrate » Jacques Attali. Celui-ci a en effet le 18 mars dernier signé un article absolument incroyable où il pose la question de l’opportunité de songer à appuyer, aider et compléter les structures et institutions démocratiques afin de pérenniser leur efficacité.

    Jacques Attali prend l’exemple de l’élection verticale et à vie du pape, puis de l'élection de la nouvelle présidence chinoise pour 10 ans, en remarquant que les deux fonctionnent selon le principe du parti unique, en portant au pouvoir quelqu'un du sérail sans consulter le peuple. Ensuite, il constate les échecs du système démocratique italien incapable de permettre l’émergence d’un gouvernement stable après les élections législatives du mois dernier. L’Italie serait d’après lui l’exemple type de l’échec du fonctionnement des systèmes démocratiques, le politique étant contraint de sacrifier l’avenir à long terme du pays (en aggravant la situation économique) pour assurer sa réélection.

    Serait-il tombé sous le charme des partis uniques parce que la démocratie montre ses limites ?

    Pas du tout, il propose une troisième voie. Construire (en parallèle des institutions démocratiques) de nouvelles assemblées consultatives, composées de gens choisis, qui nommeraient des responsables à des niveaux plus élevés, ces derniers constitueraient une assemblée consultative nationale, en charge de conseiller les pouvoirs démocratiques. Ces assemblées seraient toujours selon lui destinées à équilibrer des pouvoirs politiques qui seraient mieux en mesure d’exécuter leur mission: la gestion de la « cité ».

    Il ajoute qu'il y a urgence à ce que des gens (des « sages » n’en doutons pas NDLR) prennent le relai des politiques élus car les risques seraient réels puisque « les multiples fondamentalismes sont présents et ils rodent autour du lit de la démocratie ». Il conclut : « Si on veut sauver l’essentiel de la démocratie, c’est à de telles audaces qu’il faut commencer à réfléchir ».

    Il faut peut-être lire entre les lignes et traduire : Nous (l’oligarchie) allons devoir un peu plus confisquer la démocratie et permettre à des gens mieux « choisis » de diriger nos pays.

    Utopie ? Usine à gaz avec de nouvelles assemblées commissions et comités divers salariés par les états démocratiques ? Il faut prendre très au sérieux les « audaces » proposées par Jacques Attali, parce qu'il existe déjà des comités qui pensent et décident à la place des élus du monde occidental.

    Le 29 mars 2013, le président de Goldman Sachs a confirmé que le problème principal de l’UE était non pas Chypre (ou un pays comme la Grèce dans lequel le peuple est simplement en train de mourir NRDL) mais l’Italie d’aujourd’hui avec le facteur Grillo. Le troublant italien, sorte de Coluche politique, empêcherait en effet l’honnête establishment financier international d’achever sa prise de contrôle des états en faillite. Un processus qui comme on peut le voir ici est pourtant bien entamé et démontre, s’il le fallait, que c'est un comité d'anciens employés de la banque Goldman Sachs qui a pris les commandes des centres de décision du monde de la finance en Europe. Est-ce la meilleure des solutions pour l’Europe ? Le pauvre Beppe Grillo avait même eu droit au début de ce mois à un billet corrosif à son égard sur le blog de notre « sage » dans lequel il était montré du doigt comme un danger pour l’avenir de l’Europe.

    Etonnante similarité de point de vue, non ?

    Il y a pourtant, en dehors de la troisième voie proposée par Jacques Attali, une autre solution que la confiscation des élections par des « sages », au cœur de social démocraties dont les élites appartiennent à des corporations financières étrangères, et dont les politiciens sacrifient leurs peuples et leurs pays au nom de futiles réélections.

    Dans des pays comme par exemple la Chine de Jintao et Jinping, la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan ou le Venezuela de Chavez, des élites « d’un autre genre » jouissent majoritairement du soutien de leurs peuples pour accomplir la mission qui est la leur : faire de leurs pays des états puissants et souverains, capables de résister tant aux déstabilisations financières que militaires tout en poursuivant et assurant leur développement économique.

    La solution en Europe n’est sans doute pas la confiscation d’une démocratie déjà en phase terminale, mais sans doute plutôt de procéder démocratiquement à un changement radical d’élites, afin de sortir d’un système d’exploitation qui ne fonctionne manifestement plus et de pouvoir enfin rendre aux peuples d’Europe ce qui leur a été confisqué : le pouvoir de décider de leur propre destin.

    Alexandre Latsa http://www.voxnr.com

  • Au secours, les années 30 sont de retour !

    La période que nous vivons est malheureusement comparable aux sinistres années 30. Si les mêmes maux produisent les mêmes effets, le pire est à venir.

    La crise dont on ne voit pas le bout. Le ras-le-bol envers les politiques discrédités. La montée des extrêmes de tout poil...

    De quelle époque parle-t-on ? D’aujourd’hui ou de ces années 30 qui chaque fois qu’on les évoque vous ont un petit air de menace, car l’on sait trop bien comment elles se sont terminées ? Sans jouer la politique du pire, il faut reconnaître que les ressemblances sont assez troublantes pour qu’on y regarde de plus près.

    Un interminable marasme

    Dès 2008, la crise des subprimes et le dévissage incontrôlé et irresponsable des banques, on a brandi le spectre de la crise de 1929 et de son krach boursier. Qu’en est-il cinq ans après ? La France des années 30 a subi, mais moins fortement que ses voisins anglais, italien ou allemand, la répercussion d’une crise mondiale. Les raisons ? La faible industrialisation d’une France encore archaïque et largement rurale (35 % en 1931), moins affectée par une récession qui touchait justement les investissements industriels. La croissance des années 20, très importante ailleurs, ayant été moindre aussi en France, pays de la gestion père de famille, notre pays tombe aussi de moins haut. Cette France-là, qui pratique encore le protectionnisme, ne connaît pas les millions de chômeurs, elle peut compter aussi sur un État fort qui, avec l’arrivée du Front populaire, va mener quelques réformes structurelles, sans rapport certes avec l’amplitude d’un New Deal américain, mais qui témoigne d’un État volontaire. Dans la crise d’un système libéral, proche de la crise des années 2000, on disposait encore d’un gros joker, l’État, qu’on commençait à envisager, dans le cadre d’une intervention lourde sur l’économie.

    La crise est bien plus profonde aujourd’hui : chômage massif, déséquilibre chronique entre la production de richesses, les dépenses et la redistribution, désengagement d’un État exsangue et dépassé - malgré certaines mesures comme la création de la BPI -, dépendance envers les pays étrangers pour les flux, envers l’Europe pour les objectifs de politique économique (déficit...)

    Pourtant, la politique de "déflation" mise en place à la fin des années 30 n’est pas sans rappeler la crise d’austérité que François Hollande impose graduellement à la France sans en prononcer le nom. Et l’on constate que les débats fiscaux actuels sont déjà en place : à droite, on reprochera à un Front populaire prodigue de s’en prendre aux "200 familles" - les 75 % de Hollande - pour nourrir grassement des fonctionnaires pléthoriques ; à gauche, on entend ponctionner les "gros".

    Un même esprit ?

    Il y eut "l’esprit des années 30" tel que le définit l’historien Serge Berstein (La France des années 30, éditions Armand Colin). Refus du libéralisme à la française, constat d’une crise de civilisation, attirance vers d’autres modèles, communiste ou chrétien - en 1932, le personnaliste Emmanuel Mounier fonde la revue Esprit. C’est la décennie d’une avant-garde qui pratique la table rase, veut repenser la société de fond en comble. Mais ce vent nouveau cohabite avec une frange importante de la population, passéiste, protectionniste, qui regarde en arrière, vers la Belle Époque, - son mythe naît dans les années 30 -, une France bourgeoise, jouisseuse et sécurisée, éternelle. Par où l’on voit que la France bloquée, frileuse, ne date pas d’aujourd’hui.

    Cette fin de cycle, mutatis mutandis, évoque certains constats actuels, liant économie et capacité d’innovation, de plus en plus largement relayés : l’Europe est un très vieux continent, en voie de sous-développement ; la richesse, l’avenir, la croissance, sont réservés à d’autres horizons, d’autres civilisations. C’est à une refonte intégrale que la France est invitée : certains avancent déjà d’autres modèles - écologique, participatif -, mais à l’évidence, on semble en France bien plus essoufflé, à court d’idées, que dans les années 30. Pour le moment, les solutions les plus nettes sinon précises sont proposées par des forces protectionnistes, régressives - à droite, avec Marine le Pen, à gauche, avec Jean-Luc Mélenchon qui, par sa véhémence, aurait trouvé sans mal sa place dans les années 30 - chantant une France repliée sur elle-même, variation sur une vieille antienne. L’ambiguïté court au sein même du gouvernement puisqu’un des opposants les plus virulents à la mondialisation, Arnaud Montebourg, est devenu le ministre du Redressement national.

    Le discrédit des élites

    "À bas les voleurs !" : le slogan de la manifestation monstre du 6 février 1934, où se mêlaient dans un joyeux désordre anciens combattants, camelots du roi et forces attirées par le fascisme, visait avant tout les politiques impliqués dans l’affaire Stavisky, qui venait de "se suicider d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant". Ses nombreuses protections auprès des élus, mais aussi auprès des banques, déjà dans le viseur de la presse et de l’opinion publique, exaspèrent une grande partie de la population. Ce n’est pas le premier scandale politico-financier de l’époque (cf. affaire Hanau). Mais avec l’affaire Bettencourt, l’affaire Woerth, l’affaire Cahuzac et un ancien président mis en examen, la France des années 2010 a-t-elle des leçons de morale à donner à son ancêtre ? Ne serait-on pas en droit de crier : à bas les menteurs ! À bas les voleurs ! La colère sociale, doublée d’un écoeurement moral, gronde. Mais petit rappel : cet écoeurement fit aussi jadis le lit d’une idéologie anticapitaliste et antidémocratique qui prit la main sous Vichy, avec une volonté de moraliser à outrance la France à tous les niveaux. Attention avec la vertu : tombée aux mains de fanatiques, elle a souvent débouché sur des lendemains assassins.

    Les années 30 sont donc ce moment de l’histoire de France où la république cesse définitivement d’être une mystique, pour reprendre l’expression de Péguy l’écorché, qui avant tout le monde avait diagnostiqué ce deuil et ce naufrage. C’est une lapalissade, mais les années 30 préparent 1940. Durant cette décennie, les déçus de la République vont rejoindre les ligues, les associations d’anciens combattants : on se détourne des partis, mais on se réunit encore dans des groupes politisés, à la différence des années 2010 où l’engagement est moins politique que citoyen ou social.

    Errances sur la scène internationale

    Dans les années 20, la France avait oscillé entre la fermeté à l’égard de l’Allemagne - l’occupation de la Ruhr - et la conciliation - l’esprit Briand. C’est finalement cet esprit qui l’emporte, notre pays s’alignant sur un allié anglais jouant l’apaisement face au danger hitlérien. Deuxième erreur commise : plutôt que de se rapprocher de l’URSS, un moment intéressée, on joue (Laval) la carte italienne, qui est une carte truquée : en 39, on aura tout faux. L’URSS s’allie à l’Allemagne, de même que l’Italie. Hormis sur le couple franco-anglais, la politique internationale est un désastre qui ne nous protégera pas d’une catastrophe militaire.

    Aujourd’hui, les enjeux sont bien entendu très différents. Mais la France, dans le couple franco-allemand qui menait l’Europe, a perdu complètement la main. De partenaire respecté, elle a rétrogradé au stade de l’élève en faute qui attend la prochaine réprimande. Seul sursaut possible à même de redorer le blason terni en Europe : l’intervention sur le continent africain (Libye, Mali), où le vestige séduisant d’une politique coloniale se combine à l’écho assourdi d’une France défenseur des droits de l’homme. Le bilan, pour l’heure, est moins accablant.

    La montée des extrêmes

    Non, il n’y a pas eu de fascisme à la française dans les années 30. Serge Berstein l’a bien montré : l’essor des ligues n’est qu’une résurgence de l’esprit nationaliste de Boulanger, légèrement repeint au folklore mussolinien, qui a pris racine de l’autre côté des Alpes. Mais idéologiquement, on est loin du compte. Il n’en demeure pas moins une montée très violente des thèmes xénophobes que le gouvernement Reynaud avalisera en prenant en 1938 des décrets-lois très durs envers la population fraîchement immigrée. Ces décisions font écho à un état d’esprit présent dans la population et sont les prémices de la politique xénophobe de Vichy.

    L’insécurité, financière, identitaire, sociale, tarte à la crème de notre époque, est un thème qui surgit, habilement exploité, dans les années 30. Cette droitisation de la vie politique - vraie dérive de ces années 30 qui voit l’Assemblée élue pour le Front populaire en 1936 voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 - a largement été diagnostiquée depuis quelques années, que ce soit à l’UMP, mais même aussi, à présent, au PS. Si les nationalistes des années 30 désignent comme ennemi principal les communistes internationalistes, fossoyeurs de la France, aujourd’hui, le réflexe identitaire a une autre cible : l’Europe et son fédéralisme. La cible a changé, mais le discours et l’objectif sont restés les mêmes. Affaire à suivre...

    François-Guillaume Lorrain - Le Point

    http://www.actionfrancaise.net

  • ANATOLE FRANCE : Une certaine idée de la France

    Lit-on encore Anatole France ? C'est une question à poser au moment où se célèbre le cent cinquantième anniversaire de sa naissance. C'est dire que l'essentiel de son œuvre a déjà vieilli d'un siècle. Quant à l'homme... Académicien, dreyfusard, anticlérical à Légion d'honneur et grand collectionneur de dames, il fait songer à quelque momie à barbe blanche et calotte de velours, personnage de musée Grévin pour XIXe siècle agonisant.
    Pourtant cet écrivain modèle qui se crut anticonformiste, avant de devenir le plus « politiquement correct » des plumitifs républicains surnage des cendres refroidies de son purgatoire grâce à une qualité, qui n'était pour lui que politesse : il écrivait le meilleur français de son temps.
    Tranquillement partisan du paganisme antique, il passa à tort pour sceptique, alors qu'il fut ébloui par quelque soleil interdit.
    Son amitié pour Jaurès n'altéra pas l'admiration que lui vouait Maurras. Heureuse époque où l'amour des lettres classiques pouvait réunir des adversaires acharnés.
    Une courte biographie de Marie-Claire Bancquart, grande spécialiste d'Anatole France, dont elle dirige l'édition des œuvres en quatre volumes dans la Collection de la Pléiade, chez Gallimard, cherche à le remettre dans une perspective actuelle. C'est l'occasion de redécouvrir avec Les dieux ont soif un jugement pénétrant sur une révolution à laquelle le bicentenaire rend des couleurs. On découvre où conduisent intolérance et langue de bois : à la terreur.
     Nul pseudonyme ne convient mieux au personnage : France. C'est déjà une sorte de programme littéraire, politique, héréditaire, ancré dans toutes les traditions antagonistes dont se nourrit une identité nationale particulière, de la monarchie à la république. Son père, Noël-François Thibault, dit Noël France, vient de Luigné, près d'Angers, et s'est établi libraire à Paris. Quant à sa mère, elle est la fille naturelle d'une meunière d'Auneau, près de Chartres.
    Anatole, né le 16 avril 1844, quai Malaquais, au-dessus de la librairie paternelle, est élevé dans les bouquins, les manuscrits et les gravures de l'époque révolutionnaire, dont son père fait commerce.
    De bonne heure bibliophile, érudit et bien entendu poète, il sera lecteur aux éditions Lemerre, puis commis surveillant à la bibliothèque du Sénat.
    Il écrira sans nul doute la meilleure langue classique qui soit, toute nourrie d'antiquité grecque et romaine, ce qui le conduira à un paganisme un peu livresque, où la sensualité va compter bien davantage que la familiarité avec les anciens dieux disparus.
    Pour lui, la clarté prime tout. Aussi fera-t-il écarter d'une anthologie poétique qu'il dirige les vers de Mallarmé et même de Verlaine. Il a composé une ode à Napoléon III en 1870 - c'était bien le moment - et a quitté Paris en 1871 pour ne pas participer à la Commune, alors qu'il était mobilisé dans la Garde nationale.
     Ironique et méfiant
    Journaliste, critique, amateur de beaux livres et de bonne vie, il se fait connaître du grand public à trente-cinq ans, en publiant deux nouvelles : Jocaste et Le chat maigre. Suivent dans la foulée ; Le crime de Sylvestre Bonnard, Les désirs de Jean Servian et surtout Thaïs, dont l'argument est bien le (mauvais) goût de l'époque, puisque c'est l''histoire d'une pécheresse sauvée et d'un ermite damné" !
    Il restitue ensuite avec un indéniable bonheur, le XVIIIe siècle dans La rôtisserie de la Reine Pédauque, où apparaît l'abbé Jérôme Coignard, dont il va faire le porte-parole d'une philosophie fort révélatrice de la mode des soi-disant Lumières. On voit très bien comment toute une tradition libérale de l'Ancien Régime va conduire à la Révolution. Le romancier, sous prétexte de nous faire sourire avec un récit picaresque, montre bien qu'il n'y a pas rupture, mais continuité d'une vieille tentation française - on pourrait presque dire gauloise - de jouissance, d'irrespect, de légèreté.
    France est le témoin, hélas souriant, des méfaits de l'intelligence dans un pays facilement oublieux de son corps tout autant que de son âme. Chez ce Parisien, dont les ancêtres furent façonnés par les paysages "modérés" de l'Anjou ou de la Beauce, le tragique est évacué au bénéfice de la raison raisonnante. D'où une sécheresse, un manque de générosité, un égoïsme transmué en vertu qui lui vaudront plus d'admiration que de sympathie.
    Sa peinture, exacte et habile, d'une société sans élan ni passion a quelque chose de sec qui ne fait certes pas de cet écrivain un "prince de la jeunesse". Ainsi sera-t-il boulangiste puis dreyfusard, passant de la droite à la gauche avec une retenue qui le conduira à se dépendre assez vite de ses engagements.
    L'île des pingouins, livre assez tardif qu'il écrira alors qu'il a largement dépassé la soixantaine, reflète assez bien son itinéraire tout d'ironie et de méfiance.
    Elu à l'Académie française en 1896, France se révèle grand maître d'un genre littéraire lui aussi totalement démodé : les dialogues, où interviennent tour à tour des interlocuteurs bien choisis, représentatifs des "types" d'une société marquée par les soubresauts de la fin de son siècle. Ainsi M. Bergerst, maître de conférences à la faculté des Sciences, qui énonce une opinion particulièrement "francienne" : « Les hommes furent jadis ce qu'ils sont à présent, c'est-à-dire médiocrement bons et médiocrement mauvais ».
     Dénoncé par l'URSS
    Le juste milieu ne se distingue de la médiocrité que par l'emploi d'une langue qui va faire d'Anatole France le champion, condescendant et satisfait, de la plus grande spécificité nationale, à laquelle ne peuvent pas échapper, jusqu'à l'époque contemporaine "tag-rap", les adversaires les plus résolus de tout nationalisme, y compris les plus révolutionnaires.
    À la veille d'une guerre, dont il pressent tout autant que l'horreur les funestes conséquences, le vieux maître, devenu une sorte de directeur de conscience de tout ce que le pays compte d'intellectuels et de littérateurs, va publier, en 1912, Les Dieux ont soif. Ce roman historique montre les ravages de la partisanerie dans l'esprit d'un jeune homme honnête mais sectaire ; Evariste Gamelin est de ceux dont la vertu jacobine va faire un pourvoyeur de guillotine. Jamais le mécanisme de la Terreur ne sera disséqué avec moins de passion ni plus de justesse. Rien n'est pire finalement que les doctrinaires qui veulent le bien du genre humain. L'apparente générosité de l'idéologie des Droits de l'homme devient l'insatiable pourvoyeuse de l'échafaud.
    Sans s'inscrire parmi les nostalgiques de l'Ancien Régime, le républicain Anatole France dénonce la Terreur. Ceux qui le comptaient un peu rapidement au nombre des leurs ne lui pardonneront jamais.
    Il meurt, le 12 octobre 1924, dans sa propriété de "La Béchellerie", à Saint-Cyr-sur-Loire, en Touraine, après avoir épousé la femme de chambre de son ancienne maîtresse, Mme de Caillavet, et reçu le prix Nobel en 1921.
    André Breton écrira alors au nom des surréalistes : « Avec France, c'est un peu de servilité humaine qui s'en va. Que ce soit fête le jour où l'on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme, le scepticisme, le réalisme et le manque de cœur ! »
    En contrepoint, le royaliste Charles Maurras reprendra l'éloge de Maurice Barrès : « Tout ce que l'on voudra ! Mais d'abord Anatole France a maintenu la langue française », ajoutant : « Et le style. Et le goût. Et l'esprit français. Nous lui devons bien cet hommage, Et nous le lui devons deux fois, comme Français et comme attachés de tête et de cœur à la tradition de la France ».
    Son œuvre sera mise à l'index par le Saint-Office, tandis qu'il sera dénoncé en URSS comme ennemi du communisme. Il lui restait le public radical-socialiste bourgeois. Cela faisait encore du monde.
    ✍ Jean Mabire National Hebdo du 21 au 27 avril 1994
    Marie-Claire Bancquart Anatole France, 278 pages, Julliard .

  • Legio patria nostra

    Le Figaro Magazine - 22/03/2013
    Le 150e anniversaire du combat de Camerone sera fêté le mois prochain par la Légion étrangère. Les historiens se penchent à cette occasion sur cette prestigieuse institution militaire.
         Le 19 février dernier, le sergent-chef Harold Vormezeele, du 2e régiment étranger de parachutistes, était tué au nord du Mali. Engagé à la Légion étrangère en 1999, belge d’origine, il avait été naturalisé français en 2010. Le nom de ce soldat de 33 ans a rejoint la longue liste des morts au combat d’une des plus prestigieuses institutions militaires de la France.
         Avec leur képi blanc et leur pas lent, les légionnaires remportent un triomphe, à l’applaudimètre, lors du défilé du 14 Juillet. La littérature, de Pierre Mac Orlan à Jean des Vallières, le cinéma, de Un de la Légion (Christian-Jaque, 1936) à Diên Biên Phu (Pierre Schoendoerffer, 1991), sans compter la chanson (« Il était mince, il était beau, Il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire ! », mélodiait Edith Piaf) n’ont cessé d’entretenir le mythe.
         À la fin du mois prochain sera fêté le 150e anniversaire de ­Camerone. Un combat qui, chaque année, est célébré comme le premier haut fait de la Légion. En 1862, Napoléon III veut fonder au Mexique un empire dont le trône est offert à l’archiduc Maximilien d’Autriche, frère de l’empereur François-Joseph. Un corps expéditionnaire est envoyé là-bas. Après un échec devant Puebla, les troupes françaises, ayant reçu du renfort, repartent à l’assaut au printemps de l’année 1863. L’offensive les mènera à Mexico le 7 juin. Mais auparavant aura eu lieu l’engagement de Camerone (Camarón en espagnol). Le 30 avril, près de ce village indien, à environ 60 kilomètres au sud-ouest de Veracruz, la 3e compagnie du Régiment étranger, repliée dans une hacienda en ruine, affronte pendant toute une journée, à un contre trente, pas moins de 2 000 soldats mexicains.
         À 9 heures, le siège commence. Le chef du détachement, le capitaine Danjou, officier qui a dix ans de Légion et plusieurs campagnes à son actif et qui porte une prothèse de la main gauche, fait promettre à ses hommes de tenir jusqu’à la dernière cartouche. Quand il est tué, à la deuxième heure de la bataille, les légionnaires ne cèdent pas. Vague après vague, les Mexicains attaquent. Sous un soleil de plomb, alors qu’ils n’ont rien à boire, les assiégés les repoussent chaque fois. Mais au fil du temps, leurs rangs s’éclaircissent. A 6 heures du soir, un ­assaut emporte les ultimes défenseurs de l’hacienda. Impressionné par l’incroyable résistance des légionnaires, le commandant mexicain force ses hommes à laisser la vie sauve à ce dernier carré. À la fin de la journée, sur un effectif initial de 61 officiers, sous-officiers et hommes du rang du côté français, il reste 15 hommes valides et 27 blessés : la 3e compagnie a perdu 70 % de son effectif. Mais les Mexicains comptent 300 tués et autant de blessés…
         Depuis, à la Légion, faire ­Camerone, c’est se battre jusqu’au bout, la mémoire de ce combat occupant la première place dans les traditions légionnaires. Dans un petit livre qui se lit d’un trait, l’historien ­André-Paul Comor raconte en détail les tenants et aboutissants de cet épisode glorieux (1). En 1865, la main articulée du capitaine Danjou a été retrouvée. De nos jours, cette relique, pieusement conservée, est mise à l’honneur lors des cérémonies ­célébrant l’anniversaire de ­Camerone, le 30 avril, au quartier général de la Légion, à Aubagne.
         Maître de conférences honoraire à l’IEP d’Aix-en-Provence, André-Paul Comor est un spécialiste reconnu de la Légion étrangère, à l’histoire de ­laquelle, avant ce Camerone, il avait déjà consacré trois livres. Et voici maintenant en librairie, avec une préface d’Etienne de Montety, directeur du Figaro ­littéraire et grand ami de la ­Légion, un remarquable ouvrage collectif, œuvre d’une soixantaine de collaborateurs dirigés par André-Paul Comor. Présenté sous la forme d’un dictionnaire, ce qui correspond à une ligne éditoriale de la collection « Bouquins », l’ouvrage ­décompose sous toutes leurs ­facettes l’histoire, les traditions et la culture de ces soldats en képi blanc qui font rêver les « fana mili » comme les amateurs d’aventures exotiques (2).
         Fondée par une ordonnance de Louis-Philippe, le 10 mars 1831, aux fins d’engager des étrangers dans l’armée française, coutume qui vient de l’Ancien Régime, la Légion participe à la conquête de l’Algérie. Sous Napoléon III, elle est engagée en Crimée, en Italie et au Mexique. Au Tonkin, en Tunisie, au Dahomey, à Madagascar, au Maroc, les légionnaires participent ensuite à la grande aventure coloniale. De Verdun à la Somme, ils combattent sur les fronts principaux de la Grande Guerre. A l’entre-deux-guerres, ils s’illustrent au cours de la guerre du Rif et contre les Druzes au Liban. En 1940, après avoir participé à la prise de Narvik, la 13e DBLE rallie la France libre, mais la plupart des autres unités restent fidèles au maréchal Pétain. En 1941, lors des ­affrontements franco-français de Syrie, les chefs se ménagent mutuellement au nom d’un principe sacré : « La Légion ne tire pas sur la Légion. »

    Le style « para-Légion » marquera l’armée

         Viendront l’Indochine, Suez et l’Algérie. Certains régiments sont devenus des unités parachutistes, imposant un style (« para-Légion ») qui marquera plusieurs générations d’officiers. En 1978, le saut du 2e REP sur Kolwezi entre dans la ­légende.
         Aujourd’hui avec ses 7 000 hommes de 140 nationalités (20 000 hommes à l’époque de la guerre d’Algérie), la Légion, dont trois des onze régiments sont basés outre-mer, reste une des meilleures forces de projection de l’armée française.
         En ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Afrique, les légionnaires sont au rendez-vous de la mission qui leur est confiée. Jusqu’au sacrifice suprême : Français par le sang versé.
     Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
     (1) Camerone, 30 avril 1863, d’André-Paul ­Comor, Tallandier.
    (2) La Légion étrangère. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’André-Paul Comor, préface d’Etienne de Montety, Robert ­Laffont, « Bouquins ».

  • Depuis les druides jusqu'à Byblos

    Ce titre veut accrocher votre attention en reliant l'alphabet phénicien et notre chère langue française. J'essaierai de montrer un cheminement possible. Quoi qu'il en soit, les signes idéographiques, qui auraient pu mieux préciser les variations subtiles de la pensée celtique, furent délaissés. Une possibilité d'écriture disparue.
    A contrario nous pouvons constater que les chiffres arabes ont un dessin unique ; ils se prononcent de multiples façons mais se comprennent très précisément par tous. Que serait notre monde s’il y avait la confusion des chiffres autant que celles des vocables ?
    Quand nous regardons les moyens de communiquer entre les hommes, nous ne pouvons qu'être frappés par l'importance des signes muets. Un geste, une mimique, une attitude sont nos premiers dialogues. En fréquence, en importance, ils sont beaucoup plus nombreux que tout autre moyen d'expression. Il semblerait même qu'avant d'arriver à l'oral, il y ait l'image.
    Cette proposition visuelle faite à l'ensemble du groupe est autre que celle de la parole ; elle sert à poser une relation entre les individus du groupe et le monde extérieur rempli de mystérieuses et formidables puissances. Dans ce monde-là, la langue est ignorée. Elle est sans pouvoir. L'image combine deux données : une surface prélevée sur une portion du ciel comme de la terre, et des figures produites par l’homme-prêtre ou le hasard, signe du destin. Les Aztèques furent un peuple errant jusqu'à ce qu'ils rencontrent un aigle combattant un serpent sur un cactus. Cette vision surprenante fit signe pour y établir leur capitale. Là, maintenant, s'élèvera Tenochtitlan, future Mexico. À travers les siècles cette image est restée le blason de cette mégapole du XXIe siècle.
    Comment interpréter exactement cette image ? À la différence des langues, l'image n'est pas un système. Sans nécessité d'un émetteur et d'un récepteur, il lui suffit d'un observateur. Celui-ci, bien souvent, est un sage au regard bien acéré. L'apparition de la divination constitue l'étape préliminaire à l'invention de l'écriture. À la fondation de Rome le vol de douze aigles fit signification. Les augures, observateurs des oiseaux dans le ciel, se devaient de particulariser leurs bâtons (lituus) sacrés afin de les distinguer. Ils devaient faire sens dans l'objet lui-même - bien que, comme les druides, soumis au secret le plus absolu du « droit augural », ils dussent bien transcrire en langage leurs interprétations. Sur des parties sanglantes du foie entre les mains des haruspices, il fallait bien se rappeler la signification de tel ou tel lobe. On a découvert à Faléries (auj. Civita Castellana, au nord de Rome), une maquette de foie en terre cuite. En 1877, près de Plaisance (Piacenza, en Italie du Nord, près de Milan) on en trouva une autre, en bronze, avec les inscriptions étrusques adéquates. Les devins chinois eurent leurs premiers idéogrammes sur des écailles de tortues. Le devin se contente de lire les signes, contrairement aux mages qui interpellent les dieux ou aux prophètes qui traduisent leurs volontés. Ainsi nous arrivons au pictogramme qui systématise une figure. L'éclair schématisé affirme la foudre. Pour continuer vers l'idéogramme, nous savons qu'elle est le privilège du dieu des dieux, Jupiter.
    Pourtant nous n'avons pas encore en quelque sorte abordé le monde vocal. Mais nous pouvons découper l'idée par une succession de sons ; des voyelles aspirantes comme un esprit pénétrant : IOVA. IOVIS (1) Les mots, les noms sonores suivent en incantations ; précisons les intonations faisant appel. Puis faisons une première périphrase en forme de nom : « Celui qui fait éclater le tonnerre ». Ensuite toute la littérature suit.
    Nous, les Gaulois, nous n'avons pas choisi les signes de notre écriture ; il y eut une période d'alphabet grec avec de l'étrusque par-ci par-là. Puis une assise large et certaine socle de pierre d'un alphabet latin rigide écrit au burin. Si les druides avaient voulu transmettre leurs sciences hermétiques, subtiles, fugaces, ils auraient pu choisir des idéogrammes. Dans telle frise cernant un vase de bronze, telle boucle de ceinture ou sur une simple fibule, nous en devinons l'esquisse. Malheureusement ce savoir occulté s'interdisait toute transcription. Est-il sage de permettre à tout un chacun d'aller parmi les mystères du monde ? La fable de l'apprenti-sorcier en illustre le danger. Grâce à la lecture alphabétique nous devenons aisément scribe et devin. La divinité nous parle avec le langage du commun des mortels. On interpelle, on tutoie la divinité. Pourtant il est intéressant de constater que les fondateurs spirituels, Socrate compris, n'écrivirent aucun mot. Tandis que leurs disciples s'accrochent à chaque lettre d'un texte que leur maître n'a jamais vu.
    L'alphabet vint dans le monde celtique par Massalia (auj. Marseille), colonie de Phocée en Ionie, si proche de l'origine des Étrusque. (600 av. JC) Les marchands partaient à l'aventure vers l'Occident. Mais il fallut attendre Jules César (3) rédacteur de sa propre histoire à la troisième personne, dans un style d'une limpidité extraordinaire, pour connaître, par écrit, la Gaule (50 av. JC). La religion chrétienne, dite en araméen, écrite en hébreu et en grec, nous fut transmise par une transcription latine. Seuls les Evangiles implantèrent vraiment l'alphabet latin dans chaque village par la nécessité de l'Office Eucharistique avec ses paroles sacramentelles nécessaires. Les textes latins vinrent en surcroît. Tout ce bagage culturel était conservé au moyen de l'écriture latine.
    Une écriture transmise de cette manière nous a été, au sens littéral du terme, invisible. Elle nous semblait aussi transparente à l'oral qu'il fut possible. Les Romains, comme l’Église plus tard, se méfiant du monde mental des druides, avaient intérêt à cela. La fonction de l'écriture dans une France en gestation à l'époque barbare était de strictement préserver à des fins pieuses les leçons canoniques d'un Verbe Saint. Il faut dire que les constructeurs de cathédrales, ainsi que les enlumineurs de parchemins, se rattrapèrent pour s'exprimer dans le langage des symboles. Arrivons-nous toujours à en saisir la signification ? Souvent le guide patenté s'arrête aux données techniques. Nous aurions pu, comme le Japonais dans sa langue, associer aux phonèmes (kana) des idéogrammes (kanji), s'il y en avait eu à notre disposition. Les plus proches étaient dans les profonds temples de l’Égypte pharaonique. Mais les hiéroglyphes, partiellement idéographiques, étaient trop hermétiques, trop particuliers au Nil, trop parfaits dans leur tracé pour s'associer avec d'autres expressions écrites alphabétiques.
    Tout être humain se caractérise par la parole. Bien grand mot quand il s'agit souvent d'un simple et léger grognement de satisfaction ou d'insatisfaction. Les sons s'articulent plus ou moins bien suivant les cordes vocales de chacun. Chaque langue parlée possède son propre génie. Faut-il accepter l'avis de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, parfaitement bilingue espagnol/français, sentant que l'espagnol vous forçait à l'héroïsme tandis que le français s'imposait par sa syntaxe ? Beaucoup de personnes constatèrent que la mélodie naturelle de la langue italienne avait favorisé la naissance de l'opéra en 1607 à la cour du duc de Mantoue avec l’Orfeo de Claudio Monteverdi. L'allemand invite-t-il à la technique comme le laisserait supposer le XIXe siècle ? Seul un germaniste éminent pourrait y répondre. Nous qui vivons dans un monde arabophone, nous sommes étonnés par ses particularités vocales ; plusieurs sons nous sont inconnus : le "dad" en particulier. Même ayant deux parents libanais, les enfants élevés à l'étranger perdent par l'oreille et assez rapidement, leurs langues maternelle /paternelle. Le petit-fils venant se ressourcer au Liban doit s'adresser à ses grands parents dans une langue médiane. En poésie, domaine de l'oral jouxtant la musique, Mme Vénus Ghattas-Khoury reconnaissait la difficulté de traduire en français les poèmes en arabe d'Adonis. Elle trouvait plus d'eau dans bahr que dans "mer". Il y avait plus de feuillage dans chajarar que dans "arbre". Personnellement, je trouve plus de vastitude dans bahr, mais « la mer » danse devant mes yeux et m'invite au voyage. Cela vient-il de la chanson de Charles Trenet ? Des sonnets de Charles Baudelaire ? Est-ce un archétype révélé ? Effectivement, le chajarar bruit dans son feuillage tandis que l'arbre nous plonge du fond de ses racines « touchant à l'empire des morts » à la cime « au ciel voisine » (dans « Le Chêne et le Roseau » de La Fontaine). Dès la première syllabe, ce chêne souverain se plante profondément dans le sol, dans la gorge. Avec la seconde, il s'élève dans l'azur.
    Faire un signe, aurait-il été plus parlant ? Quel aspect de la mer choisir ? « La mer, la mer, toujours recommencée ! » selon Paul Valéry ? Quel arbre choisir ? Le cèdre dans sa majesté ? Le cyprès dans son élévation ?
    De toute façon, c'est dans cette région du Levant que s'inventa l'alphabet. Il faut se rappeler que les premiers oracles et prophéties, rencontrés en hiéroglyphes, se font sous Touthmôsis III et la reine Hatshepsout (1500 av. JC). Tandis que des cunéiformes attestèrent des prédictions dès Sargon d'Akkad (2334-2279 av. JC). Entre les hiéroglyphes impeccables, granitiques, solaires, et l'intelligence foncièrement démocratique des cunéiformes de la Mésopotamie, Ougarit (Syrie) tranche le langage en syllabes (1100 av. JC). Byblos (Liban) fractionne encore plus les sons en consonnes (900 av. JC). Le légendaire Cadmos, originaire de Tyr, toujours au Liban, ira à Thèbes, en Béotie, province grecque où il apportera cet alphabet - ce qui est assez paradoxal quand on se remémore l'adjectif populaire "béotien". Le génie grec ajoute les voyelles. Dès lors il s'agit d'être pratique dans les offrandes des dieux. Nous écrirons les offrandes faites, les bienfaits reçus. Mais aussi des chiffres. Que de chiffres ! s'exclama Jules Oppert, le déchiffreur des langues sumériennes. Pour le clergé, il était important de tenir à jour la comptabilité des dons faits aux Dieux. Que d'ingéniosités aux gestes maladroits s'expriment sur l'argile ayant traversé les siècles !
    En vérité, quoique barbares, les Peuples de la Mer, ayant pillé les villes côtières phéniciennes, Ougarit, Byblos et les autres, repartiront vers l'Ouest pour répandre l'alphabet complet. Contrairement aux papyrus s'évanouissant en cendres, le feu des pillages affermit les cunéiformes sur l'argile recuite. Les Grecs avec les voyelles chantent les exploits des héros. Vers 540 av. JC, le noble Pisistrate, gouvernant Athènes en roi avec l'aide de la constitution de Solon, ordonne aux scribes de la Cité d'écrire une version officielle de L'Iliade et de L'Odyssée. Cela permettra aux Achéens d'Athènes de traiter leurs plus proches voisins « d'incultes et lourds Béotiens » (3). Trois siècles plus tard, en Méditerranée, parmi les aventuriers guerriers grecs, certains reconnurent quelques mercenaires gaulois. Ils prenaient plaisir à écouter les aventures de Diomède, d'Ulysse... Certains eurent même envie de raconter (en gaulois ?) puis de transcrire (en grec ?) leur propre épopée. Mais... c'était très difficile.
    Toutefois c'est par la religion que la Gaule apprendra à lire et à écrire. Non par les chamans et autres sorciers, même pas par les bardes ou aèdes des nobles, mais par les clercs du clergé. Il faudra attendre bien longtemps pour que chaque sanctuaire de Gaule, des 36 000 paroisses, ait ses officiants prononçant avec exactitude leurs prières écrites sur un livre avec son papier bible, devenu sacré, au Dieu unique afin de sauver notre âme personnelle. Les mots Bible et Byblos se font ainsi écho dans les sacristies avant de prier pour nos morts. Que de bréviaires imprimés et récités aux heures canoniques, marqués par le carillon ! Les sons du peuple, sans grands supports écrits, se transformèrent en patois, différencié de vallée en vallée. L'un d'eux prit le devant et s'affina à la cour du roi de France pour donner ensuite la norme de la forme avec l'Académie Française.
    Cependant, peut-être que malgré tout, même actuellement, il y a encore au fond d'une campagne, auprès d'un baptistère obscur, un vieil homme étrange. Le latin incompris, le français mal saisi, il regarde. Il suit les gestes d'un prêtre d'autrefois. Ils sont plus importants pour lui que les paroles sacramentelles. Dans le village, en observant, il cherche à comprendre la marche du destin de ses voisins au travers d'indices étranges. Sorte de druide du terroir, ce dernier prendrait pour l'anthropologie moderne le nom de chaman, comme pour tous les autres peuples trop proches de la nature. Ce sorcier-sourcier (certains prononcent l'excellent mot de "sourcellerie") est aussi un peu thaumaturge à l'occasion. Il ne comprend que des signes à lui transmis par son grand-père. Les limites de ses actions ne sont-elles pas plus grandes que celles de qui tente de saisir le monde avec l'alphabet des mots ou même des idéogrammes défilant sous ses yeux sur une étroite page ? Le bonheur de vivre l'heure présente dans toute sa magnificence profonde se raconte difficilement. Le mystère de l'existence reste plus vaste que toute expression.
    Michel ROUVIERE  Écrits de Paris janvier 2011
    1) Nous retrouvons ce même aspect dans Jéhovah ou Yahvé. Rappelons qu'en latin I et J, puis U et V sont similaires
    2) Pour accéder à la charge de Pontifex Maximus, il revendiqua dans son discours la divinité de Vénus du côté de son père et la majesté des Rois du côté maternel.
    3) Vraisemblablement dès le VIIIe siècle av. J.-C, Hésiode, vivant à Ascra en Béotie, avait écrit « Les travaux et les Jours », ainsi que la généalogie des Dieux avec « La Théogonie ».

  • Bobby Sands (Soldats Louis)

    Musique de Soldats Louis sur l’Irlande du Nord avec des images d’archives de différentes manifestations.