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culture et histoire - Page 1870

  • Morale laïque : l’endoctrinement au programme des écoles

    Vincent Peillon a défini hier les modalités d’enseignement de la morale laïque. Il précise à cette occasion que « la morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Nous apprécierons le caractère abstrait de cette morale dont la banalité a priori laisse augurer son inconsistance. Car qui s’oppose à la liberté ? Qui dénonce l’égalité ? Dans le même genre, qui préfère la guerre à la paix, ou bien le mal au bien ?

    En réalité, derrière ses bons sentiments -mais fait-on de la morale avec des lieux communs et des bons sentiments ?-, il faudra s’interroger sur le sens profond que peuvent recouvrir ces mots, qui apparaissent d’abord comme des poncifs. Car il y a différentes conception de la liberté, comme il y a plusieurs conceptions de l’égalité. Sauf à demeurer dans les banalités d’usage, il faudra donc que cet enseignement mette des réalités derrière les mots, et sous couvert d’enseignement de la morale, impose donc une structure de pensée philosophique aux élèves. L’enseignement de l’égalité pourra ainsi se décliner, à titre d’exemple, à travers la promotion du « mariage » homosexuel. Bref, « l’éducation nationale » là encore, fidèle à sa vocation, confisque aux parents l’éducation de meilleurs enfants et compte bien poursuivre son bourrage de crâne…

    Et le ministre poursuit : « D’abord, certains voudraient laisser penser que la morale laïque serait antireligieuse. C’est exactement l’inverse : elle est une morale commune à tous, et c’est justement son respect qui autorise la liberté et la coexistence des croyances individuelles et privées de chacun« . Pardon monsieur le ministre, mais le décalogue n’a-t-il pas non plus une portée universelle ? La loi morale naturelle qu’il traduit n’est-elle pas commune à tous ? A moins que la morale de monsieur Peillon ne fasse l’apologie du meurtre, du mensonge ou du vol, il est à craindre qu’elle n’aura pas inventé grand chose…

    http://www.contre-info.com/

  • Chronique de livre: Frédéric Armand, Les bourreaux en France ; Du Moyen Age à l’abolition de la peine de mort, Perrin, 2012.

    les bourreaux.JPGRécemment, nous avons parlé de la peine de mort dans l’antiquité gréco-romaine avec la recension du livre d’Eva Cantarella ; voici maintenant un ouvrage sur le même sujet mais traitant plus spécifiquement de celui qui exécute la peine de mort : le bourreau. Comme le sous-titre du livre l’indique, c’est à une histoire chronologique des bourreaux en France à laquelle nous avons droit ici. Sont étudiés ici tant les fonctions et le métier de bourreau que la place de ce dernier dans la société, ce qui donne à l’ouvrage de Frédéric Armand un côté sociologique certain, étant entendu qu’on ne considère pas le bourreau de la même façon à toutes les époques et que l’évolution des mentalités joue énormément sur la façon dont est considéré l’exécuteur selon les époques.

    Il a toujours existé des bourreaux mais, pendant des siècles, ils n’étaient pas les seuls à exécuter les condamnés à mort (cas de la Grèce antique et de Rome). Durant une bonne partie du Moyen Age, on trouve bien des bourreaux mais ils sont loin d’avoir le monopole des exécutions car celles-ci sont également du ressort de certains magistrats et de leurs sergents ou peuvent être imposées par les seigneurs à leurs vassaux à titre de corvée. Par ailleurs, il subsiste jusqu’à la fin du Moyen Age une tradition de justice privée équivalant selon les cas au droit de tuer au nom de la légitime défense (une tradition de bon sens évident…) ou à se venger sous certaines conditions. Les « hors-la-loi » peuvent également, à cette époque, être tués par n’importe qui. Contrairement à une idée fort répandue, les exécutions au Moyen Age n’étaient pas si nombreuses que ça et la justice avait souvent recours au bannissement et aux amendes.

    Tout cela change à la fin du Moyen Age : l’Etat moderne commence à prendre racine. La justice est particulièrement visée et la royauté compte bien renforcer son contrôle sur celle-ci. Le roi Charles VII réorganise la justice et fait du bourreau le seul exécuteur des sentences criminelles. Toutes les juridictions de haute justice doivent se pourvoir d’un bourreau. Ce dernier est désormais un officier de justice de l’Etat, un fonctionnaire œuvrant dans une circonscription donnée. Il prête serment de loyauté à l’autorité et se contente d’exécuter les ordres. La première crapule venue ne risque pas d’être engagée car on veille à ne donner la charge d’exécuteur qu’à des gens de bonne moralité et réputés bons chrétiens…

    Cette bonne réputation avalisée par les autorités ne fait cependant pas le poids face au ressenti populaire : le bourreau est un paria et il est méprisé. Mis à l’écart de la communauté, sa vie sociale est très difficile et autant lui que sa famille sont victimes de nombre de préjugés. Il est impur et on ne veut pas avoir affaire à lui ni vivre dans son voisinage. Par tradition, il vit donc en dehors des murs de la ville et il a un banc séparé à l’église. Marginalisé, le bourreau a de grandes difficultés pour scolariser ses enfants et pour ensuite les marier. Cela explique deux faits fondamentaux. Le premier est que les enfants du bourreau deviennent ses aides très jeunes et finissent la plupart du temps par succéder à leur père, ce sont donc dès la fin du Moyen Age de vraies dynasties de bourreaux qui se mettent en place dans de nombreuses villes de France. Par ailleurs, ses enfants n’ont souvent d’autre choix que celui de se marier avec ceux d’un collègue, c’est donc une endogamie sociale (ainsi qu’une relative consanguinité) que la société impose à ses exécuteurs.

    cube bourreau.JPGIl faut bien avouer que les tâches allouées aux bourreaux ne sont pas d’ordre à lui attirer toutes les sympathies. En plus d’exécuter les condamnés par des peines jugées parfois comme infamantes, il est d’usage qu’il chasse des rues mendiants, lépreux et animaux errants. Il touche une taxe sur la prostitution. C’est lui qui nettoie la place du marché une fois celui-ci terminé. Il dispose de plus du droit de havage sur toutes les marchandises entrant dans la ville, c'est-à-dire qu’il prélève une certaine quantité de denrées à chaque marchand venant vendre au marché, ce qui est très mal accepté par ceux-ci en vertu de l’impureté supposée de l’exécuteur. Le bourreau se bat continuellement contre les préjugés et les violences éventuelles dont il peut être l’objet de la part de la population et il a, comme les nobles, le droit de porter l’épée (plus pour se protéger que par honneur…). Certaines personnes passent outre cette marginalité pour aller se faire soigner chez les bourreaux qui, en complément de leur activité, pratiquent la médecine ou la chirurgie, forts de leur connaissance du corps humain. Les cadavres des condamnés leur servent parfois de complément de revenus : ils les revendent aux chirurgiens (pratique longtemps interdite par l’Eglise), en prélèvent la graisse pour la revendre à ceux qui veulent soigner leurs varices…

    Quant aux tâches plus officielles du bourreau, elles sont diverses : amputations, marquage au fer rouge, torture, exécutions, disposition des cadavres. Les peines sont très variées sous l’Ancien Régime et le bourreau se doit d’être un grand professionnel et de savoir utiliser les différentes méthodes de mise à mort dont la plus ardue est certainement la décapitation (réservée aux nobles en général). Les peines les plus en vogue sont la pendaison, le bûcher, la chaudière, la décapitation ainsi que la roue, peine dans laquelle le condamné se fait rompre les articulations à coups de barre de fer avant d’être « replié » sur une roue qui sera ensuite hissée sur un poteau où il agonisera lentement… Les bourreaux sont également garants d’une tradition en vogue depuis l’antiquité et considérée comme pire que la mort : l’interdiction de sépulture. Selon les cas, les corps sont abandonnés ou exposés en public car de nombreux endroits sont destinés à cette exhibition morbide : les fourches patibulaires à la sortie des villes, les gibets des seigneurs, les arbres sur certaines routes... Le lieu le plus notable était l’énorme gibet de Montfaucon, « grande justice de Paris » de son surnom, où plusieurs dizaines de corps pouvaient être exposées, parfois pendant des mois…

    L’ « âge classique » des bourreaux pour reprendre les mots de l’auteur prend fin au 18ème siècle où, les mentalités évoluant, on remet en cause la justice, ses inégalités et la cruauté des supplices. Sur ce dernier point, il faut bien dire que certaines exécutions avaient largement dégoûté l’opinion de l’époque telle celle de Damiens, coupable d’un attentat contre Louis XV en 1757. Après avoir été torturé, entre autres à la tenaille et au plomb fondu, il avait fallu plus de deux heures pour réussir à l’écarteler et les 16 ( !) bourreaux présents avaient dû lui sectionner les tendons pour faciliter le travail des chevaux… A cette époque, la France suit l’air du temps qui souffle sur l’Europe : on remplace de plus en plus la peine de mort par d’autres sanctions telles la galère ou l’enfermement ; on cesse d’exposer les cadavres en public tant par hygiène que par souci « humaniste » ; on devient plus indulgent sur certains types de délits (mœurs par exemple) ; on abolit pratiquement la torture sous Louis XVI etc.

    guillotine.JPGLes grands changements continuent avec la Révolution. La loi du 13 juin 1793 adoptée par la Convention impose un bourreau par département. Celui-ci recevra un salaire fixe et ne pourra plus prétendre à ses anciens droits féodaux, abolis.  Le fait le plus notable est que le bourreau est désormais considéré comme un citoyen comme les autres, ce qui a tendance à faire reculer son statut de paria aux yeux de la population. En 1790, l’Assemblée Nationale décrète l’abolition de la torture, de l’exposition des corps ainsi que l’égalité des supplices, ce qui a comme conséquence de modifier en profondeur les activités des exécuteurs. Ceux-ci utilisent dès 1792 un mode d’exécution unique : la guillotine. Alors que la France est attaquée à ses frontières et que la Révolution se radicalise, le bourreau et sa machine deviennent peu à peu très populaires, ils sont les grands symboles de la libération du peuple et de l’épuration de la société. Le bourreau, qui désormais se salit bien moins les mains avec le nouveau mode d’exécution,  devient le « vengeur du peuple » et sa machine à décapiter le « glaive de la liberté ». Il faut dire que la guillotine fonctionne entre 1792 et 1794 à plein régime. A la différence des procédés anciens, elle permet des exécutions continues voire industrielles. Le célèbre bourreau de Paris, Charles-Henri Sanson, décapite ainsi plus de 3000 personnes en 2 ans (dont le roi Louis XVI et nombre de révolutionnaires)… Finalement dégoûtée par les excès sanglants de la période révolutionnaire, la population va vite reprendre à l’égard des bourreaux son antique mépris.

    A partir du 19ème siècle commence peu à peu le réel déclin de la profession. Le mouvement de substitution à la peine de mort de sanctions différentes, amorcé dès le siècle précédent, continue de plus belle. Le mouvement favorable à l’abolition totale se renforce et la société française s’interroge durablement sur la peine de mort, entre autres sous l’impulsion de Victor Hugo et de son Dernier jour d’un condamné. Les autorités sont de plus en plus embarrassées par la guillotine et les exécutions publiques. Elles cherchent à les rendre plus discrètes car elles sont de moins en moins bien vues par l’opinion publique malgré le fait qu’elles attirent encore, comme les siècles précédents, les foules. Ce sera en 1939, à la suite d’un scandale, que le caractère public des exécutions sera supprimé. Le corps des bourreaux fait, en parallèle, face à de grandes difficultés car on exécute de moins en moins de condamnés au fur et à mesure du temps. Cette baisse du travail se répercute dans les postes disponibles, de moins en moins nombreux : un bourreau par département à la Révolution puis un par cour d’appel (donc 27 en France métropolitaine) en 1849 sur décision de Louis-Napoléon Bonaparte et enfin un seul pour la France entière sous l’impulsion de Crémieux en 1870 (l’Algérie gardera un bourreau propre). Nombre de bourreaux se retrouvent au chômage et doivent être aidés par l’Etat, ne parvenant pas à se reconvertir et ne pouvant se satisfaire des quelques places d’adjoints allouées à la charge de l’unique bourreau métropolitain… La France ne compte plus qu’un exécuteur qui, de 1870 à 1981, va voir sa charge de travail diminuer continuellement (en 25 ans, de 1951 à 1976, seuls 51 condamnés sont guillotinés), tant et si bien qu’il exerce souvent un métier parallèle à son emploi premier ; Marcel Chevalier, dernier bourreau français étant par exemple imprimeur typographe.

    A l’aube de années 1970, alors que la publicité autour des exécutions est inexistante (au contraire du Guatemala où elles sont retransmises à la télévision !!), Valéry Giscard d’Estaing se prononce contre l’abolition, non pas à titre personnel mais parce que 69% des Français restent favorables à la peine capitale. Inscrit dans le programme de Mitterrand pour les élections présidentielles de 1981, l’abolition sera effectuée par le sinistre Robert Badinter par la loi du 9 octobre 1981, mettant ainsi fin en France à une tradition judiciaire immémoriale qui avait su évoluer « avec son temps »…

    Frédéric Armand a réussi à écrire une étude très détaillée, faisant appel à de nombreux documents d’archive, mais néanmoins claire et fort plaisante à lire. Il montre bien comment les bourreaux ont fondé de réelles dynasties autour de leur activité (et ce jusqu’au 20ème siècle, ce sont souvent les mêmes grandes familles que l’on retrouve chez les bourreaux ou leurs adjoints) et surtout comment ceux-ci n’ont toujours été qu’un simple rouage de la justice. Ils exécutent et n’ont aucun pouvoir décisionnel, ce qui explique pourquoi les mêmes bourreaux sont restés en place malgré les changements politiques et ont parfois œuvré à exécuter leurs maîtres de la veille ! Hommes de leur époque, ils ont dû s’y soumettre docilement et laisser, de temps à autres, leurs opinions de côté car « la pitié fait trembler la main ».

    Rüdiger http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • Ecoracialisme (7) – Le retour des Européens en Europe

    Un réancrage dans l’écosystème d’origine.
    Après avoir exposé dans son 6e extrait une géopolitique directement issue des écosystèmes, Frédéric Malaval décrit ici les forces qui poussent les individus à un réancrage dans leur écosystème d’origine, avec pour conséquence pour l’Europe un futur lié non pas au départ des millions de non-Européens qu’elle héberge, mais au retour d’un nombre beaucoup plus considérable d’Européens destinés à revenir vers leur écosystème naturel.
    Polémia

    Limiter l’artificialisation des écosystèmes, rendue vitale par les évolutions démographiques que l’écosphère a connues depuis 1950, passe par le réancrage des individus dans leurs écosystèmes d’origine. Cela signifie le retour de la cinquantaine de millions de non-Européens – les éco-immigrés – vers l’Afrique, l’Asie et toutes les autres parties du monde dont ils sont issus, l’immigré étant conçu comme un individu installé durablement hors de son écosystème d’origine. Cela signifie aussi le retour vers l’Europe des Européens vivant dans le monde. Les enjeux démographiques politiques sont à ce jour incommensurables. Il ne s’agit plus de dizaines, mais de centaines de millions d’individus concernés. Pourtant, sous plusieurs aspects, ce phénomène paraît inéluctable. Il va falloir organiser leur retour. La pression démographique des peuples-souches, l’accès aux ressources et notamment à l’énergie, figurent parmi les principales contraintes à l’origine de ce mouvement. Ceci a d’ailleurs déjà commencé.

    En 2005, un jeune Uruguayen installé en France, marié à une Française, m’avait expliqué son choix justifié par la pression que les Européens subissaient de la part des Indiens en Amérique du Sud. Descendant des premiers conquistadors, il était issu d’une riche famille uruguayenne, la Suisse de l’Amérique du Sud, comportant quelques aïeux originaires du pays Basque en France. Cette dimension était une composante importante de son identité. Le choix de la France s’était imposé naturellement alors que sa langue maternelle était toutefois l’espagnol. Il parlait aussi parfaitement le français et l’anglais.

    Une jeune Etasunienne, dotée d’un patronyme français, définitivement installée en France, m’avait tenu un peu le même discours. La pression des Hispaniques est forte au sud des Etats-Unis. Ils descendent d’Aztèques, de Mayas et d’autres peuples amérindiens plus ou moins métissés. Ainsi, malgré une politique de métissage et d’hispanisation des descendants des Mayas, ceux-ci n’ont pas disparu de l’Amérique centrale. Résultat, leur population a doublé pendant les trente dernières années et connaît désormais une croissances du plus haut niveau. La revendication identitaire suit… La lutte que Hugo Chavez menait au Venezuela, producteur important de pétrole, est généralement analysée comme un conflit entre socialistes et capitalistes – cela rassure – alors qu’une lecture plus audacieuse le verrait comme la reconquête indienne, population pauvre et pléthorique, sur une bourgeoisie européenne, riche et anémiée, ayant accaparé la rente pétrolière. Si les Indiens arrivent à remplacer les Européens comme organisateurs de cette rente, alors il y a de fortes probabilités qu’ils l’accaparent, obligeant ces derniers à changer de vie… Retour vers l’Europe ? C’est ce que font de plus en plus de Russes installés en Sibérie.

    À l’époque soviétique l’émigration était pratiquement inexistante et les flux migratoires à l’intérieur de l’URSS étaient principalement organisés et planifiés par les organismes d’Etat. La population se rendait là où se trouvaient de grands chantiers et où l’on avait besoin de main-d’œuvre. La Russie asiatique accueillit alors une population européenne venue s’ajouter à celle arrivée avant la création de l’URSS. Les gens migraient de leur plein gré. Ces flux relevaient cependant d’une politique appelée « la redistribution de la main-d’œuvre en conformité avec le plan de répartition et de développement des forces productrices ». Les déportations de population étaient également cataloguées comme migrations. La construction de la Magistrale Baïkal-Amour, ligne ferroviaire traversant la Sibérie et l’Extrême-Orient russe ou de la gigantesque Usine d’automobiles de la Volga (VAZ) attiraient une population issue majoritairement de la partie européenne de l’Union soviétique. Après l’éclatement de celle-ci, des masses humaines se sont mises en mouvement, cette fois-ci sans le moindre plan. Depuis, parmi les mouvements migratoires que connaît le territoire russe figure le départ de populations européennes quittant les régions où le climat est le plus rude. Celles-ci affluent dans le District fédéral central de Russie ainsi que dans les deux plus grandes villes du pays : Moscou et Saint-Pétersbourg. Ainsi, l’Extrême-Orient russe, colonisé de manière régulière à l’époque soviétique, s’est mis à se dépeupler. De la même manière, les habitants ont commencé à rapidement « déserter » le Grand Nord. Entre 1992 et 1995, le district autonome de Tchoukotka a perdu 39% des habitants, et la région de Magadan en a perdu 29%. Des chiffres similaires concernent toute la Sibérie. Au sud de cette immensité, les pressions turques et chinoise restreignent, jour après jour, les territoires où les Russes imposent leur manière de vivre. Dans la région de l’Amour, les vieux « khrouchtchevki » (immeubles soviétiques des années 1950) de Blagovechtchensk font face aux récents immenses gratte-ciel de Heihe, côté chinois. Qui va l’emporter ? Le Russe de base ne se fait guère d’illusion et, prudent, retourne en Europe, malgré les discours volontaristes de ses dirigeants.

    En Afrique du Sud, idem. Environ 900.000 Blancs, soit 1/6 de la population européenne, ont quitté le pays depuis 1994. Ils sont majoritairement jeunes et bien instruits. Ce chiffre a été publié en 2006 dans un rapport de l’Institut sud-africain des relations raciales. Une génération entière de Sud-Africains blancs n’est plus là. Au Zimbabwe voisin, les fermiers blancs ont été expropriés. Mais tout n’est pas perdu pour ces gens. Lors d’un voyage en Afrique du Sud, le ministre géorgien de la Diaspora, constatant les tensions au désavantage des Européens, invita ces derniers à s’installer en Géorgie : un grand pas que beaucoup envisagent, malgré le gouffre qui sépare ces Boers des Géorgiens. Pour le combler, le gouvernement géorgien leur offre des conditions très attrayantes : des conseils pour l’achat et le choix de leur future ferme, une fiscalité très faible, une terre vendue à prix cassé, etc.

    D’autres phénomènes similaires existent, mais ils sont mal documentés. Les experts préfèrent se concentrer sur l’arrivée d’immigrés en Europe plutôt que sur le départ des immigrés européens des territoires colonisés.

    Les enjeux du futur pour l’Europe ne sont donc pas liés au départ des 50 millions de non-Européens qui y vivent, mais à l’arrivée prochaine des centaines de millions d’Européens installés en dehors de leur écosystème naturel et que la pression démographique de peuples plus adaptés à leur milieu d’origine va pousser dehors. Les seules zones d’expansion possibles sont à l’est. Quel cadre politique est susceptible d’organiser cette mutation participant à la réalisation du climax de l’humanosphère ? Ouvrons la discussion.

    Frédéric Malaval 12/04/2013 http://www.polemia.com
    À suivre

     

    Voir

    Écoracialisme (1) / Introduction
    Écoracialisme (2) / Un homme, une femme ; un homme/femme, une femme/homme
    Écoracialisme (3) / L’Âge d’or
    Écoracialisme (4) / L’insondabilité de l’origine des peuples
    Ecoracialisme (5) / la réalisation politique de la modernité en France
    Ecoracialisme (6) / Une géopolitique des écosystème

  • Le vert et le brun

    Le Figaro Histoire n° 5 - 21/01/2013

    Le discours nazi a trouvé nombre de relais auprès des populations arabes du Moyen-Orient et de l'Afrique du NOrd. L'historien américain Jeffrey Herf publie sur le sujet une étude pointue qui contient en creux une lourde charge polémique.
     
         « Tuez les Juifs avant qu’ils ne vous tuent ». Tel était, le 7 juillet 1942,  le titre d’une chronique diffusée par une radio nazie. Le speaker, toutefois, ne s’exprimait pas en allemand, mais… en arabe.  Des invectives similaires, toujours en arabe, Jeffrey Herf en a retrouvé des centaines. Professeur à l’université du Maryland, spécialiste de l’histoire intellectuelle et politique de l’Europe, ce chercheur américain a publié, en 2006, un ouvrage dans lequel il étudiait le mécanisme par lequel la propagande hitlérienne avait construit un ennemi fantasmatique – la « juiverie internationale » –, tenu pour responsable de la Seconde Guerre mondiale (traduction française : L’ennemi juif. La propagande nazie, 1939-1945, Calmann-Lévy, 2011). Dans un deuxième livre, paru en 2009 et aujourd’hui traduit en français (1), l’historien creuse ce thème en l’appliquant à un domaine méconnu : la propagande lancée par les Allemands, pendant la Seconde Guerre mondiale, en direction des populations arabes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Dans ces régions, conclut l’auteur, le discours nazi a rencontré des oreilles complaisantes et des relais empressés, en raison de l’antisémitisme récurrent des sociétés islamiques.

         Pour mener son étude à bien, Jeffrey Herf a puisé dans des archives jusque-là inutilisées ou inexploitées. Ainsi a-t-il méthodiquement dépouillé les comptes rendus que, de 1941 à 1945, les diplomates américains au Caire envoyaient à Washington, avec la transcription des programmes en arabe émis par les stations allemandes.

         C’est en octobre 1939 que ceux-ci débutent. Les émissions, réalisées dans des studios installés à Berlin et diffusées jour et nuit sur ondes courtes, mêlent la musique, les informations et le commentaire. Elles visent les populations de pays placés sous la souveraineté ou le protectorat de la France et de l’Angleterre, ou situés dans leur zone d’influence. Après la défaite française de 1940, cette propagande cible les territoires contrôlés par les Anglais. Par une directive du 23 mai 1941, Hitler fait connaître aux chefs militaires allemands sa politique concernant le Moyen-Orient, estimant que « le mouvement de libération arabe est notre allié naturel contre l’Angleterre ». A l’époque, les efforts des propagandistes du Reich se concentrent sur l’Irak où, quelques semaines plus tôt, a eu lieu un coup d’Etat fomenté par les partisans de l’Axe. L’entreprise sera sans lendemain, puisque le gouvernement nationaliste sera balayé par une intervention militaire britannique et que les Anglais occuperont le pays jusqu’en 1945. Elle aura néanmoins permis aux services allemands d’affûter leurs arguments, et de faire miroiter dans une victoire de l’Axe la voie permettant aux Arabes de se libérer des Anglais.

         A Berlin, le ministère des Affaires étrangères du Reich est chargé de cette propagande, en coopération avec le haut commandement de la Wehrmacht, avec les services de renseignement, la direction de la SS et l’Office central de la sécurité du Reich. Rien ne serait possible, cependant, sans la participation active d’Arabes pronazis exilés en Allemagne. Les programmes de radio, notamment, supposent bien plus que le concours d’arabophones sans défaut sur le plan linguistique : speakers et journalistes doivent connaître à la perfection les réalités et les mentalités du monde arabe, et donc en être issus. Il en est de même pour la propagande écrite, puisque, tout au long de la guerre, les nazis ont produit des tracts et des brochures en arabe.

         Jeffrey Herf cite maintes fois un personnage dont la photo figure en couverture de son livre (en compagnie d’Hitler dans l’édition américaine originale, serrant la main d’Himmler dans la version française) : Hadj Amin el-Husseini. Bien connu des historiens, de nombreux travaux lui ayant été consacrés, celui-ci a joué un rôle central dans la liaison entre l’arabisme musulman et le nazisme.

         Né à Jérusalem en 1895, fils du mufti, Mohammed Amin el-Husseini (il ajoutera le qualificatif Hadj à son nom après avoir fait le pèlerinage à La Mecque, en 1913), étudie à l’université Al-Azhar, au Caire, puis sert dans l’armée ottomane pendant la Première Guerre mondiale. En 1917, il retourne à Jérusalem. Après le conflit, quand, sur les ruines de l’Empire ottoman, les Alliés occupent le Moyen-Orient – la France recevant un mandat sur la Syrie et le Liban en 1920, tandis que l’Angleterre prend pied en Jordanie et en Palestine, Palestine où Londres a accordé aux sionistes, par la déclaration Balfour de 1917, la liberté d’établir un « foyer national juif » – Hadj Amin el-Husseini s’engage dans le nationalisme arabe, dont il devient vite le leader en Palestine.

         Hostile à l’immigration juive en Palestine et à la présence anglaise, il est malgré tout nommé grand mufti de Jérusalem par les autorités britanniques, en 1921, titre qu’il détiendra jusqu’en 1948. Instigateur de la grande révolte arabe de 1936-1939 en Palestine, il se réfugie au Liban, puis, placé sous surveillance par les autorités françaises, s’installe en Irak. En 1941, quand les Anglais occupent l’Irak, il se réfugie en Allemagne. A Berlin, Hadj al-Husseini est reçu par Hitler – qui lui accordera d’autres audiences au cours des années suivantes, de même que plusieurs dignitaires du régime. Le Führer promet son soutien au nationalisme arabe, le chef palestinien s’engageant de son côté à inciter les musulmans à œuvrer au côté des Allemands.

         En 1943, alors qu’il vit toujours dans le Reich, Hadj al-Husseini collabore au recrutement de la 13e division Handschar de la Waffen-SS, une unité recrutée parmi les musulmans de Bosnie. Arrêté en 1945 par les troupes françaises, emmené en France, Hadj al-Husseini y est détenu plusieurs mois avant de rejoindre l’Egypte où il restera jusqu’en 1960. Il résidera ensuite au Liban, exerçant la présidence du Congrès islamique mondial, se retirera de la vie publique en 1962, et mourra à Beyrouth en 1974.

         « Arabes, levez-vous comme un seul homme et battez-vous pour vos droits sacrés, proclamait-il sur les ondes de Berlin, le 1er mars 1944. Tuez les Juifs, où que vous les trouviez. Cela plaît à Dieu, à l’histoire et à la religion. » Jeffrey Herf souligne que cette rhétorique ne s’appuyait pas sur les textes de référence de l’antisémitisme nazi, de Mein Kampf aux Protocoles des Sages de Sion, pourtant traduits en arabe avant 1939, mais sur « la lecture sélective du Coran et la focalisation sur les courants antijuifs au sein de l’islam ». Cette propagande, tout en présentant les Juifs comme les ennemis communs de l’islam et de l’Allemagne, s’adaptait donc aux traditions religieuses musulmanes, ainsi qu’aux réalités politiques et régionales du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

         Jeffrey Herf constate par ailleurs que, après-guerre, d’anciens nazis travailleront dans les pays arabes, tel le propagandiste Johann von Leers, recruté par une agence d’information dans l’Egypte de Nasser. L’historien se demande alors dans quelle mesure le nationalisme arabe, des années 1950 aux années 1970, puis l’islamisme, auront hérité quelque chose du nazisme. La question possède une lourde charge polémique, mais il n’est pas interdit de la poser.

         En Israël, la fondation Yad Vashem a reconnu 23 000 « Justes parmi les nations ». Aucun Arabe n’y figure. Le fait a frappé Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro littéraire, qui, ne pouvant s’y résoudre, a mené son enquête personnelle, pendant plus de deux ans, afin de trouver des traces de musulmans qui auraient aidé les juifs persécutés pendant la guerre. Le résultat donne un joli livre intimiste, écrit à la Modiano (2). Mohammed V, le roi du Maroc, ou Si Kaddour Benghabrit, recteur de la Mosquée de Paris et musulman atypique qui aimait les soirées mondaines, le vin et les femmes, sont ici à l’honneur, Mohammed Aïssaoui apportant la preuve de leur action. Mais l’ouvrage témoigne plus de l’attente de l’auteur que d’un résultat vraiment probant. Les bons sentiments méritent toujours  d’être salués, mais l’Histoire, ce juge impitoyable, ne s’en contente jamais.

    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
    Notes :
    1)      Jeffrey Herf, Hitler, la propagande et le monde arabe, Mémorial de la Shoah/Calmann-Lévy. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre-Emmanuel Dauzat.
    2)      Mohammed Aïssaoui, L’Etoile jaune et le croissant, Gallimard.

  • Sans bonnet phrygien, la manif est plus belle

    De Jean Sévillia :

     

    "[...] Le bonnet phrygien, devenu l’emblème du mouvement révolutionnaire en 1790, s’impose fin 1792, son usage culminant jusqu’à la réaction thermidorienne de 1794. C’est-à-dire que ce couvre-chef incarne peu ou prou la Terreur et même la Grande Terreur, qui est sans doute un des moments les plus tragiques de notre histoire.

    Quand je vois un bonnet phrygien, je pense donc à la princesse de Lamballe, assassinée pour crime d’amitié avec Marie-Antoinette, et dont le corps nu, décapité au couteau de boucher, a été promené dans Paris, la vue de son intimité soigneusement exposée suscitant des propos égrillards de la part de délicats militants de la Liberté.

    Quand je vois un bonnet phrygien, je pense à ces prêtres et à ces religieuses que Carrier, à Nantes, déshabillait et liait nus, l’un à l’autre, l’un face contre l’autre pour être précis, sexe contre sexe, avant de les noyer dans la Loire. Ce charmant adepte de l’Égalité appelait cela un « mariage républicain ». Parenthèse : détourner la symbolique du mariage n’est donc pas nouveau…

    Quand je vois un bonnet phrygien, je pense à ce curé vendéen à qui des soldats, sans doute partisans de la Fraternité, avaient tranché les deux mains avant de répandre dans l’auge à cochons le contenu du tabernacle de son église. Ce martyr a été retrouvé accroupi devant l’auge, les deux avant-bras collés contre terre afin de tenter d’arrêter l’hémorragie, et lapant dans l’auge, s’efforçant de disputer aux cochons les hosties consacrées. [...]"

    Michel Janva   http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • La femme au temps des cathédrales avec Regine Pernoud

    La femme a-t-elle toujours été cette perpétuelle mineure qu'elle fut, nous dit-on, à la fin du XIXe siècle ? En France, la Révolution française et le Code Napoléon ont bien marqué une régression juridique des femmes.

    Mais a-t-elle toujours été écartée de la vie politique comme elle le fut notamment dans la France de Louis XIV ? S'appuyant sur son expérience de médiéviste et d'archiviste, Régine Pernoud s'est attachée à l'étude de ces question. Dans La Femme au temps des cathédrales, le lecteur découvre que le plus ancien traité d'éducation a été rédigé en France par une femme, que, au XIIIe siècle, la médecine était couramment exercée par des femmes et qu'aux temps féodaux, les filles étaient majeures à douze ans, deux ans avant les garçons...

    L'historienne Régine Pernoud nous livre ici une étude systématique menée à travers une multitude d'exemples concrets, elle ne laisse échapper aucun aspect des activités féminines au cours de la période féodale et médiévale : administration des biens, métiers et commerce ; domaine de la pensée, de la littérature, de la politique même ; femmes écrivains, éducatrices, suzeraines, celles qui animèrent les cours d'amour et celles qui ont inspiré les romans de chevalerie.

    Il est davantage question dans La femme au temps des cathédrales, maître ouvrage de Régine de Pernoud, des femmes de la société de cour que de celles du peuple même si celles-ci ne sont pas passées sous silence, mais ce parti pris permet d'approcher un monde prisonnier des tapisseries et des enluminures. Belle occasion de couper court à l'image de la femme cloîtrée dans l'espace familial, dans l'ombre de son mari, et de voir au contraire une épouse, une fille, sinon affranchie, du moins évoluant à l'intérieur d'un espace public, influente, instruite et rêvant déjà d'une condition de vie plus libérée.
    Contemporaine de Charlemagne, Dhuoda écrivit, bien avant Rabelais et Montaigne, un manuel d'éducation, le premier du genre, et, au XIIe siècle, Héloïse, abbesse du Paraclet, enseignait à ses moniales le grec et l'hébreu. Si la politique est d'un accès quasi insurmontable (quoique...), la femme au Moyen Âge ne manque pas de talent pour se faire entendre. Historienne de Jeanne d'Arc, Régine Pernoud rappelle ces deux vers de Christine de Pisan saluant l'exploit de la Pucelle à Orléans : « L'an mil quatre cent vingt et neuf / Reprit à luire le soleil. » Hommage d'une femme à une autre femme.

    Comme le faisait remarquer Robert Fossier, « En ces siècles romans où manger est l'essentiel où la maison est la cellule de la survie. Là où s'apaise la faim que tous redoutent, où l'argent perd l'essentiel de son pouvoir tentateur, comment celle qui tient les réserves et prépare la nourriture ne jouerait-elle pas le rôle essentiel ?

    Régine Pernoud commence habilement son développement en plantant devant nous, comme un symbole, la magnifique cuisine de Fontevrault, merveille de technique et centre nourricier d'une immense cité monastique.

    Vient ensuite le domaine de l'amour aux multiples chemins : l'attrait de la féminité tout d'abord, renforcé par les soins de beauté où l'on trouve tant d'étranges préparations. L'auteur s'attarde ensuite sur l'amour courtois et le culte de la dame

    À propos du mariage. R. Pernoud étudie l'histoire de la législation canonique en la matière et fait apparaître ainsi combien l'Église eut de peine à triompher du modèle de mariage qui régnait dans les couches supérieures de la société. Ce n'est qu'au XIIe siècle que s'impose vraiment la théorie consensuelle qui, en faisant de l'échange des libres consentements l'essence du mariage, assurait — au moins en théorie — la promotion de la femme. On s'en donc débarrassé de l'autorisation des parents, promu le consentement et insisté sur la sacralité de l'institution matrimoniale. C'est un énorme progrès pour Mme Pernoud.

    Dans le domaine économique, nous rencontrons les femmes en tant que productrices . Si le labeur et les semailles leur échappent (pour des raisons d'ordre symbolique et physique à la fois), toutes les autres formes d'activité, tant à la ville qu’à la campagne, leur sont accessibles, et c'est ici que la moisson de renseignements et très abondante parmi les textes et la documentation iconographique. Nous arrivons ainsi au sommet de l'échelle sociale, car c'est un fait connu — mais qu'on oublie volontiers — que du XIe au XIIIe de puissantes dames (comtesses, reines, impératrices) ont souvent exercé et parfois sans partage le pouvoir suprême ...

    Le long exposé de R. Pemoud, qui prend parfois l'allure d'une description de la vie quotidienne, est sous-tendu par une thèse : c'est du XIe au XIIIe que la condition de la femme a atteint son zénith ; c'est alors qu'elles ont pu à tous les niveaux imposer leur empreinte sur la société.

    Source H. Platelle
    Régine Pernoud dans une émission d'Apostrophes avec Bernard Pivot en 1980

  • CHARLES MAURRAS ET MAURICE PUJO Une longue amitié

    De tous les fondateurs de l'Action française, Maurice Pujo est celui qui aura été le plus proche de Charles Maurras, et le plus longtemps. Leur première rencontre est de fin janvier 1899 au café Lavenue, près de la gare Montparnasse. Seule la mort de Maurras, en novembre 1952, les séparera. Quand, durant la guerre 1914-18, ou bien après la libération de Maurice Pujo en octobre 1947, ils seront éloignés l'un de l'autre, ils s'écriront de nombreuses lettres en se consultant sur tous les problèmes, grands et petits, qui touchaient à la vie de l'Action française. Durant cinquante-trois ans, ils ont vécu ensemble la création de l'Action française, son essor, ses épreuves. Ils ne cessèrent pas d'être liés par une profonde amitié qui prenait ses racines dans l'adhésion à de hautes vérités, dans une estime réciproque, et dans une même conception de l'action politique. Maurras avait une confiance totale dans le jugement de Maurice Pujo et celui-ci manifestait une admiration et un dévouement sans borne pour Charles Maurras.
    Venus de bords opposés
    Pourtant, combien ces deux hommes étaient différents ! L'un, Maurras, bouillonnant, l'esprit toujours en mouvement, ferraillant avec sa plume comme il aurait combattu avec une épée (rappelons-nous son poème Destinée : « Jamais la gloire du vrai fer n'a brillé dans ta main débile »). L'autre, Pujo, toujours calme et résolu, analysant les événements et cherchant à en prévoir les conséquences, logicien implacable. Au fond, ils se complétaient et c'est pourquoi leur collaboration a duré si longtemps. Ils venaient l'un et l'autre de milieux intellectuels très différents, Charles Maurras, le Provençal, était un disciple de Mistral. Il avait, en 1892, lancé la déclaration des Félibres fédéralistes qui déjà posait la question politique de la décentralisation. Il avait collaboré à la Cocarde de Maurice Barrès et il suivait le courant nationaliste. En 1896 il avait été envoyé par la Gazette de France aux premiers Jeux olympiques reconstitués à Athènes par le baron de Coubertin et il en était revenu royaliste. En septembre 1898, il avait pris la défense de la mémoire du colonel Henry trouvé suicidé dans sa cellule du Mont-Valérien. Il avait intitulé sa série d'articles Le premier sang.
    Maurice Pujo, lui, fréquentait des rivages très différents. Il était imprégné de philosophie allemande et admirait Novalis, champion de l'idéalisme absolu. Il avait lancé à l'âge de vingt ans, en 1892, la Revue Jeune devenue ensuite L'Art et la Vie. En 1894, il avait publié Le Règne de la grâce, un essai qui lui avait valu un éditorial sympathique de Jean Jaurès dans son journal La Petite République, mais aussi une note de lecture aimable de... Charles Maurras, qui ne le connaissait pas encore. Maurice Pujo était grand amateur de musique et admirait Wagner. En 1896, lorsque Maurras séjournait sous le ciel de l'Attique, Maurice Pujo se rendait au Festival de Bayreuth, en Bavière. Peut-on imaginer deux engagements plus opposés ? Pourtant, ils vont se rencontrer et lier une amitié indéfectible. Le déclic sera donné par l'affaire Dreyfus. En avril 1898, Henri Vaugeois et Maurice Pujo quittent l'Union pour l'Action morale qui s'est rangée dans le camp des dreyfusards insulteurs de l'Armée et fondent un premier comité d'Action française. Le 19 décembre 1898, Maurice Pujo publie dans le quotidien L'Éclair un manifeste intitulé L'Action française au nom des intellectuels patriotes. En somme, lorsque Maurras et Pujo se rencontrent, ils ont l'un et l'autre publiquement choisi leur camp dans la grande dispute nationale suscitée par l'affaire Dreyfus.
    Maurice Pujo cependant demeure républicain. Il ne se ralliera à la monarchie qu'en mai 1903 en signant une adresse envoyée au duc d'Orléans. Mais dès 1899, il est séduit par la pensée maurrassienne qui, racontera- t-il plus tard, lui apporte alors une « illumination intérieure ». Maurras, en effet, lui fait découvrir le réel, lui qui était perdu dans les nuées de l'abstraction. Maurras lui révèle l'homme concret, celui qui est inséré dans des communautés naturelles et historiques et en fonction de qui il importe de traiter des choses politiques.
    L’éloignement de la guerre
    En janvier 1915, Maurice Pujo, qui est un réserviste âgé de quarante-trois ans, est mobilisé au 30e Territorial comme simple soldat. Il restera sous les drapeaux jusqu'à l'armistice de 1918. Commence alors une correspondance très suivie entre Charles Maurras et lui. Elle montre la place qu'occupait déjà Pujo dans la vie du journal et du mouvement. Les lettres courtes et précises de Maurras (un Maurras très lisible encore !) traitent de problèmes pratiques touchant l'A.F. Elles demandent l'avis de Maurice Pujo sur des décisions à prendre. Ainsi, que faire pour le Cortège de Jeanne d'Arc de mai 1915 ? Il est décidé de le supprimer en raison du nombre important de Camelots du Roi et des cadres de l'A.F. qui sont mobilisés. De simples dépôts de gerbe aux trois statues parisiennes seront opérés, mais on veillera à ce que les couronnes déposées par les républicains ne comportent aucune insulte ni pour la monarchie ni pour les prêtres, comme ç'avait été le cas les années précédentes. Dans la correspondance Maurras-Pujo il est aussi question des amis tombés au Champ d'Honneur.
    Quelque temps après la mobilisation de Maurice Pujo, Maurras lui écrit : « Ma mère se désole de votre départ. Elle trouve cet argument supplémentaire : "Oui, vous vous entendiez très bien tous deux..." Je vais la détromper de ce pas. Mille amitiés en toute hâte. Charles Maurras ». Une indication précieuse sur la communauté de pensée qui existe déjà entre les deux hommes et qui n'a pas échappé au regard perspicace de Mme Maurras.
    Après la guerre, Maurice Pujo devient rédacteur en chef de L'Action Française. Il est en même temps le délégué des Comités directeurs auprès des Étudiants d'A.F. et des Camelots du Roi. Sa collaboration avec Maurras va se resserrer. Ils partagent le même petit bureau au premier étage de l'imprimerie de la rue du Jour où Pujo relit les épreuves tandis que Maurras écrit sa Politique. Il arrive que Maurras s'attarde, compromettant la sortie du journal à l'heure requise pour l'expédition en province. Maurice Pujo a la tâche délicate de rappeler à Maurras les exigences de l'horaire.
    Maurice Pujo pouvait surmonter la surdité de Maurras en lui parlant au milieu du front, sans élever la voix. Néanmoins les deux hommes correspondront souvent, par commodité, sous forme de notes rapides, notamment sur les enveloppes du courrier adressé par les correspondants. Maurras communique à Pujo une lettre reçue en donnant brièvement son jugement (parfois à l'emporte-pièce) sur son auteur ou son contenu et le charge éventuellement d'y répondre. Une totale confiance réciproque règne entre eux.
    En été Charles Maurras prend des vacances en août car il est amateur de bains de mer dans le golfe de Fos, non loin de sa maison familiale de Martigues. Maurice Pujo, lui, part en septembre pour se livrer à sa passion favorite, la cueillette des champignons, soit en Aveyron, soit dans le Loiret. Maurras ou Pujo : l'un d'eux doit toujours demeurer à Paris.
    Sous l’Occupation
    La Seconde Guerre mondiale va rapprocher davantage Charles Maurras et Maurice Pujo. Ils prennent ensemble la route de l'exode en juin 1940, Maurice Pujo étant accompagné de sa famille. En juillet ils font ensemble reparaître L'Action Française à Limoges puis, à partir de novembre, à Lyon où Léon Daudet, demeuré dans le Gers durant l'été, les rejoint. Les angoisses de la guerre, les menaces résultant de l'occupation allemande, enfin la disparition du bâtonnier Marie de Roux (en 1941) et de Léon Daudet (le 1er juillet 1942), qui appartenaient à la première équipe de L'A.F. quotidienne, resserrent encore la solidarité entre les deux amis.
    Le 5 novembre 1943, Charles Maurras adresse à Maurice Pujo une longue lettre testamentaire sur les dispositions à prendre pour assurer la continuité de l'Action française au cas où il viendrait à disparaître. En effet, en avril précédent, il a eu une syncope lors du congrès des étudiants d'A.F. réuni à Montpellier et il considère qu'il doit tenir compte de cet avertissement de la nature. Charles Maurras désigne Maurice Pujo pour être le chef indiscuté de l'A.F. après lui. Il définit aussi l'organisation du mouvement pour plus tard. Il estime que l'Action française doit être organisée sur le modèle de la monarchie, son président étant entouré de conseils, mais demeurant le seul maître des décisions. L'.A.F. ne saurait devenir une démocratie... Maurras termine sa lettre en demandant à Maurice Pujo : « À quand le second livre des Camelots du Roi ? » Le premier en effet s'arrête à 1909, et les Camelots ont mené bien d'autres actions par la suite. Hélas, le second livre ne sera jamais écrit...
    À plusieurs reprises, durant l'Occupation Charles Maurras vient dîner chez nous. L'occasion en est fournie par l'arrivée d'un colis envoyé par des amis de l'Ouest contenant une dinde, une oie, un chapon. Lyon est l'une des villes les plus mal ravitaillées et ces volatiles permettent à ma mère d'organiser ce qui nous apparaît alors comme un véritable festin. Outre Maurras y sont conviés les collaborateurs et collaboratrices du journal repliés sur Lyon. Le maître de l'A.F. y apparaît détendu, s'intéressant, par exemple, aux études de ma sœur (sa filleule) et aux miennes (il m'appelle Pétros depuis que j'ai commencé l’étude du grec et m'a donné un exemplaire du gros dictionnaire Bailly). Un jour il s'amuse d’un poème composé par Maurice Pujo dont tous les vers riment en inde... et destiné à remercier une bienfaitrice qui a envoyé la dinde que nous dégustons.
    Michel Déon, alors jeune secrétaire de rédaction de L'Action Française, doit se souvenir de la soirée où je recherchais tous les textes de Évangiles que nous pouvions posséder afin de les comparer, car une controverse était née au cours du repas pour savoir si le vin que le Christ a promis à ses disciples de boire avec eux au Paradis serait le fruit de la vigne ou bien un nectar tout à fait différent...
    Le 22 juin 1944, Maurice Pujo et Georges Calzant, l'un des principaux collaborateurs de l'A.F., sont emprisonnés par la Gestapo au Fort Montluc. Maurras multiplie les démarches auprès du maréchal Pétain pour qu'il obtienne leur libération. Celle-ci survient le 10 juillet sans qu’ils aient été interrogés. Maurice Pujo revient auprès de sa famille installée dans le Loiret, en dépit de mille difficultés, car, depuis le débarquement allié les trains fonctionnent de plus en plus mal. Il retourne à Lyon fin juillet car il ne veut pas laisser Maurras seul face aux troubles auxquels la libération du territoire peut donner lieu.
    En septembre 1944 ils sont arrêtés ensemble et traduits devant la Cour de justice du Rhône. Après le procès qui se déroule du 24 au 27 janvier 1945, ils sont emprisonnés à la centrale de Riom où ils sont placés à l'infirmerie en raison de leur âge. À partir de mars 1947, ils sont conduits à la prison de Clairvaux. Ils y sont installés dans un bâtiment auquel on accède après avoir franchi trois enceintes. Y sont détenus déjà les amiraux Esteva et de Laborde.
    Communion de pensée
    Durant ces années de prison, Maurice Pujo ne sera jamais séparé de Charles Maurras. En raison de la surdité de celui-ci, il était l'interprète obligé avec l'administration pénitentiaire, car lui seul pouvait se faire entendre de Charles Maurras en lui parlant.
    Lorsque Maurice Pujo, bénéficiant d'une libération conditionnelle, quitte Clairvaux en octobre 1947, il est remplacé par Xavier Vallat, vieil ami de Maurras. Mais Vallat sera à son tour libéré en 1950. La santé de Maurras, demeuré seul, commence alors à se détériorer jusqu'à sa libération en mars 1952.
    De 1947 à 1952, Charles Maurras et Maurice Pujo entretiendront une correspondance suivie. Elle traite de la ligne politique de l'A.F., de la vie du journal, de ses rédacteurs, des améliorations à lui apporter. Elle révèle une entière communion de pensée. Elle est fort instructive. Maurras s'intéresse à tout. Il va même jusqu'à complimenter mon père pour un tract que j'ai rédigé et diffusé à l'Institut d'Études politiques où je suis alors étudiant... Charles Maurras et Maurice Pujo se reverront au printemps 1952 lorsque Maurras est placé en résidence surveillée dans une clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours. Ils passeront toute une journée ensemble au mois d'août dans la propriété de Georges Calzant, directeur d'Aspects de la France, en compagnie de Mmes Maurice Pujo et Georges Calzant et d'un fidèle Camelot du Roi André Prudhomme. Ce sera la dernière sortie de Maurras qui décède le 16 novembre suivant.
    Lors de ses obsèques sous la neige le 19 novembre à Tours, Maurice Pujo déclare : « Toute sa vie, tout son labeur considérable ont été une longue œuvre de charité à l'égard des Français. » Il ajoutera : « Si Maurras est mort, sa pensée est toujours vivante ; elle l'est plus que jamais. Il faudra bien qu'un jour justice lui soit rendue parce qu'elle est la vérité. La vérité ne meurt pas. »
    L'hommage d'un compagnon, d'un ami, à celui dont durant plus de cinquante ans il avait partagé les luttes pour la France et le Roi.
    Pierre PUJO L’Action Française 2000 du 1er au 14 septembre 2005