Le parti de Marine Le Pen entretient la rumeur (et, subséquemment, les fantasmes ; les branchés emploieraient volontiers le terme « buzz », cette affreuse onomatopée « globisch »), à proportion qu’il effraye manifestement le système.
S’il fait peur, c’est qu’il est insaisissable, tant pour les « spécialistes » des élections que pour les responsables du parti lui-même, sans oublier les électeurs, finalement les premiers concernés.
Premier parti de France ?
Un récent sondage (à prendre avec les pincettes de rigueur) réalisé pour le Huffington Post et I-Télé fait ressortir que 57% des Français, toutes tendances politiques confondues, considèrent le Front national comme un parti situé à « l’extrême droite » du paysage politique français. 32% proches du FN estiment même que cette étiquette lui convient parfaitement. Pis, seulement 11% des sondés répondent que le FN est un parti « ni de droite, ni de gauche » (20% chez les sympathisants marinistes), résultat qui tend à montrer que la posture gaulliste d’un parti qui se veut au-dessus de la mêlée partisane est inaudible électoralement. Marine Le Pen contribue à opacifier un peu plus cette situation. N’a-t-elle pas déclaré à L’Express (2 octobre), que son parti n’était « absolument pas un parti de droite, ceux qui le pensent [faisant] une erreur d’analyse totale » ? La même, avertissait le lendemain sur RTL, devant un Jean-Michel Apathie blêmissant, qu’elle intenterait des actions judiciaires à l’encontre de quiconque diffamerait son mouvement en le taxant d’« extrême droite ». Dès lors, de deux choses l’une : soit le FN n’assume plus, même lointainement, l’héritage idéologique du père fondateur, Jean-Marie Le Pen, soit il ambitionne une refondation de la gauche, entreprise folle, s’il en est. Car, le parti frontiste est pressé. Il doit remporter un certain nombre de mairies lors des prochaines élections municipales, tout en ravissant, aux européennes, la place enviée de premier parti de France qui lui donnerait la dynamique nécessaire pour la présidentielle de 2017. Néanmoins, c’est cet écart entre la stratégie électoraliste d’un parti dont la vocation naturelle est d’accéder au pouvoir et son positionnement idéologique dès plus vaporeux (y compris pour son partenaire souverainiste du SIEL, prônant clairement l’union des droites) qui risque, à moyen terme, d’entamer son ascension.
Le nouveau parti radical ?
Il convient de reconnaître que la doctrine du FN est frappée du sceau inaltérable de l’ambiguïté. Or, c’est précisément le talon d’Achille d’un parti qui tout en ayant parfaitement diagnostiqué la dilution de la gauche et de la droite dans l’océan du mondialisme, demeure, nonobstant, comme tétanisé au milieu du gué. En d’autres termes, le FN semble englué dans une incapacité intellectuelle à choisir son camp idéologique. Il oublie que, dans un régime ayant la démocratie comme facteur exclusif de légitimité du pouvoir, il est suicidaire de ne pas proposer une « offre » politique à ceux dont on sollicite les suffrages. Même l’élection présidentielle qui implique, paraît-il, la rencontre d’un homme (ou d’une femme) avec son peuple ne peut, sans hypocrisie, s’affranchir d’une telle donnée élémentaire. Ainsi va le régime électif, sauf à le dénoncer comme la source de bien des maux institutionnels, comme le fait inlassablement l’Action française depuis un siècle. C’est que Marine Le Pen n’est pas le roi et qu’on la somme, prestement, de se déterminer.
Osons, modestement, le faire pour elle. Dans son programme présidentiel, Pour que vive la France, elle déplore qu’« il n’y a plus d’alternative à gauche ». Dans le même temps, s’appuyant sur Jaurès elle fait l’éloge de la patrie, seul bien des pauvres quand ils ont tout perdu et se lance dans une défense acharnée de la laïcité et de l’Etat conçu comme « indissociable de la nation ». Ce tropisme centralisateur conjugué à un certain volontarisme gaullien placerait d’emblée le parti frontiste dans la catégorie politique, assez polymorphique, il est vrai, des radicaux1. Ni du centre et encore moins de gauche et de droite, mais farouchement républicain dans une perspective sociale et nationale, certes rénovée mais ancienne puisque s’enracinant dans la fin du Second Empire. Ce faisant, elle emprunterait davantage à Jules Simon ou à Gambetta qu’à Adolf Hitler, n’en déplaisent à ses détracteurs ignares.
Aussi, cette approche doit-elle relativiser le « mouvement dextrogyre » théorisé par le politologue, Guillaume Bernard (s’inspirant d’Albert Thibaudet), selon lequel le peuple français inclinerait à droite. Le FN cherche à se dégager de cette traditionnelle taxinomie « droite » et « gauche » et, partant, oblige les autres forces politiques à rebattre leurs cartes idéologiques. Plus qu’une translation de la gauche vers la droite, c’est à une recomposition profonde de l’échiquier politique à laquelle nous commençons d’assister qui opposera, dans un futur proche, les libéraux mondialistes (PS, UMP, UDI-MOdEM), les étatistes libertaires (PC, Parti de Gauche, EELV) et les souverainistes (FN, SIEL, DLR).
Aristide Leucate - L’AF 2872