Le débat concernant le projet de loi relatif à la bioéthique s’est tenu en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre pour s’achever par son adoption le 15 octobre par 359 voix contre 114.
Une série de présentations issues de la lecture de toutes les séances consacrées à son examen vous est proposée avec comme objectifs d’une part de faire ressortir une ambiance parlementaire, d’autre part de mieux comprendre quelques enjeux, en particulier associés à la PMA sans père.
Vous sont successivement proposés ;
- Une introduction
- Le projet parental, ou l’enfant comme produit
- Le mensonge à tous les étages
- La foire aux incohérences
- Quand les mots n’ont plus de sens
- Respirons : un peu d’humain
- L’embryon, un « amas de cellules » ?
- Elargissement du DPI ou non ?
- Quand la GPA s’invite par la fenêtre
Il s’agit là de l’épisode un peu médiatisé de l’adoption de l’amendement 1591 puis du vote de sa suppression en seconde délibération.
Le 3 octobre, M.Touraine présente son amendement n°1591 :
« Il est proche de celui de M. Mbaye. Je pense que nous sommes tous réunis par la nécessité de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant. Or l’intérêt d’un enfant est bien que ses parents soient reconnus comme tels.
Cet amendement consacre et étend, par voie législative, la jurisprudence désormais constante du tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci déclare en effet exécutoires les jugements étrangers par lesquels la filiation d’un enfant né par GPA a été établie, et regarde alors cette filiation comme une filiation adoptive.
Laissons l’adoption aux enfants adoptés, et conférons la filiation classique aux enfants nés auprès de leurs parents.
J’entends l’argumentation des membres de l’opposition qui font état de l’illégalité de la GPA. Ils ont raison : en France, la GPA est illégale. Mais elle ne l’est pas dans de nombreux pays et il n’est pas illégal pour des couples français d’y avoir recours à l’étranger.
Surtout, les enfants ne sont pas responsables de leur mode de procréation : ils n’ont rien choisi et ne doivent pas être pénalisés. Ils doivent être reconnus comme les autres. Nous ne sommes plus au temps où l’on définissait des catégories d’enfants appelés « bâtards » qui n’avaient pas les mêmes droits que les enfants légitimes. ».
L’amendement est adopté.
Réaction de M.Patrick Hezel :
« Ce soir, je suis très triste pour mon pays, car ce que je redoutais le plus pour ce débat est arrivé. Avec l’adoption de l’amendement no 1591 de M. Jean-Louis Touraine, vous venez de mettre délibérément le pied dans la porte de la légalisation de la GPA en France.
Juridiquement, nous rendons automatique la transcription, en droit français, de l’acte d’état civil d’enfants nés d’une GPA à l’étranger. Cela équivaut à dire que certes la GPA n’est pas autorisée sur le sol français, mais que si on veut en pratiquer une, il n’y a aucun problème, il suffit d’aller à l’étranger.
Jusqu’à présent, lorsqu’on évoquait la question de la GPA, le Gouvernement s’exclamait : « Fantasme de l’opposition ! Que nenni ! Il n’en est nullement question ! » Mais disons les choses clairement : avec l’adoption, ce soir, de l’amendement Touraine, nous créons un appel d’air »
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.
Bien entendu, je suis en total désaccord avec ce que vient d’affirmer M. Hetzel. Avec Mme Agnès Buzyn, j’annonce que le Gouvernement demandera, en application de l’article 101 du règlement de l’Assemblée nationale, une seconde délibération sur l’amendement no 1591 relatif à la GPA.
Nous sommes heureux que le Gouvernement demande une seconde délibération. Je répète ici que notre groupe est opposé à la GPA, qu’il considère que la GPA éthique n’existe pas, et qu’il entend bien voter contre l’amendement lors de la seconde délibération.
Le 10 octobre a lieu la seconde délibération demandée par le Gouvernement comme la Constitution lui en laisse la possibilité. Le Garde des sceaux présente un amendement de suppression de l’article qui avait été créé par l’adoption de l’amendement 1591.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.
Je vais effectivement vous présenter un amendement de suppression de l’article 4 bis, qui a été créé par l’adoption d’un amendement en première délibération. Je fais observer, à titre liminaire, que l’article 4 bis est sans lien, même indirect, avec le texte en discussion. Comme le Gouvernement l’a dit à plusieurs reprises, le présent projet ne comporte et ne comportera aucune disposition relative à la GPA.
L’article 4 bis est donc nécessairement, de mon point de vue, un cavalier législatif.
Cet amendement présenté par Jean-Louis Touraine, pour lequel j’ai un clair respect (Exclamations sur les bancs du groupe LR) – je peux le redire sans aucune hésitation –, concerne uniquement la filiation des enfants nés d’une GPA ayant été établie sur le fondement d’un jugement. Il prévoit que ce jugement est assimilé, de plein droit – ce sont les mots clés –, à un jugement ayant, en droit français, les mêmes effets qu’un jugement d’adoption plénière. Concrètement, cela signifie que le procureur de la République, en l’espèce celui de Nantes, devra transcrire ledit jugement dans l’état civil français comme s’il s’agissait d’un jugement d’adoption.
L’interdiction de la GPA dans notre pays ne lui sera absolument pas opposable. À partir de cet état de fait, quelles sont les raisons pour lesquelles je m’oppose à l’amendement qui a été adopté en première lecture ? Elles sont au nombre de trois.
Première raison, les dispositions qui ont été adoptées ne résolvent qu’une partie des difficultés posées par les situations des enfants nés d’une GPA. C’est donc, d’une certaine manière, un système injuste qui est proposé…puisqu’il laisse de côté les enfants dont la filiation n’a pas été établie par un jugement, soit parce que l’État n’a rien prévu – cela peut arriver lorsque la GPA est simplement tolérée –, soit parce que l’État acceptant la GPA a prévu un autre système d’attribution de la filiation que le jugement. En toute hypothèse, le dispositif présenté n’est pas complet.
Nous avons signé des engagements internationaux en matière d’adoption dont le principal objectif – qui est également un objectif de valeur constitutionnelle – est la protection des enfants. Ces conventions internationales, dont la France est partie, garantissent l’effectivité des contrôles et des vérifications qui sont opérés par les autorités centrales du pays de l’adoptant, donc de l’adopté.
Ce qui fonde la nécessité d’un tel contrôle, celui du juge français en l’occurrence dans la procédure d’adoption, c’est l’intérêt de l’enfant. La prise en compte de celui-ci permet au juge de contrôler tant la rupture du lien entre l’enfant et la mère biologique que l’établissement du lien avec la famille qui veut l’accueillir. Or l’amendement de Jean-Louis Touraine interdit tout contrôle par le juge français autre qu’un contrôle formel sur le jugement étranger. Compte tenu de la rédaction proposée, on peut tout imaginer, par exemple des jugements de complaisance rendus dans certains pays qui seraient ipso facto intégrés directement dans le droit français. Je ne peux pas l’accepter.
Enfin, dernière raison pour laquelle je m’y oppose, ces dispositions entrent en contradiction avec nos principes éthiques et juridiques qui interdisent la GPA. En effet, elles autorisent la reconnaissance de plein droit d’une filiation d’un enfant né d’une GPA dès lors que celle-ci aurait fait l’objet d’un encadrement juridique garanti par un jugement, encadrement dès lors supposé acceptable par l’auteur de l’amendement. On voit bien là le glissement qui pourrait s’opérer et qui nous mettrait en contradiction avec nos principes éthiques constamment réaffirmés dans notre droit de la filiation et de la bioéthique.
On le voit bien, le fait de distinguer, dans la loi, une GPA qui serait considérée comme acceptable, parce que découlant d’un jugement, et une autre qui ne le serait pas, faute de jugement, fait peser des risques juridiques et ouvre une brèche dans la prohibition absolue de la GPA que nous avons posée.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de voter l’amendement de suppression déposé par le Gouvernement.
De quoi s’agit-il ? Ces enfants voient leur filiation reconnue dans le pays où ils naissent, ce qui établit des liens nécessaires et protecteurs avec leurs parents. Or, lorsque les enfants arrivent en France, leur mère n’est plus reconnue, celle-ci devant abandonner son statut et, éventuellement, entreprendre une procédure d’adoption
Je voterai cet amendement, qui tend à supprimer celui qu’ont défendu les députés de la majorité et qui visait à instaurer la transcription automatique de la filiation des enfants nés d’une GPA à l’étranger.
Devons-nous faciliter les choses à ces parents, alors qu’ils ont, de leur plein gré, recouru à une pratique interdite en France ? Nous parlons ici de la marchandisation du corps de la femme.
Ne soyons pas hypocrites, cet amendement du Gouvernement – j’espère qu’il sera adopté – n’est pas suffisant pour écarter définitivement la légalisation de la GPA. Nous sommes profondément préoccupés, car nous voyons ce à quoi M. Touraine, le rapporteur de la PMA sans père, veut nous amener : la facilitation de la location du ventre d’une femme pendant neuf mois, pour le moment à l’étranger, afin de répondre au fameux « projet parental », dont la toute-puissance peut justifier l’utilisation du corps d’autrui.
S’agissant des enfants déjà nés d’une GPA, il faut bien sûr les accueillir, et un examen au cas par cas par la justice est possible, dans l’intérêt de l’enfant.
Cela étant dit, évoquons les enfants qui ne sont pas encore nés. Quel monde souhaitons-nous pour demain ? Soyons clairs avec ceux qui réfléchissent actuellement à louer le corps d’une femme ! Voulons-nous les en dissuader ? Quelle effectivité et quelle portée donnons-nous à l’interdiction de la GPA ? Rien ne figure dans ce projet de loi pour mieux lutter contre cette pratique. Ce « en même temps » n’est pas éthique. Le message que vous adressez est le suivant : « Allez à l’étranger, nous faciliterons vos démarches à votre retour ! »
Je déplore ce double discours : vous proclamez l’interdiction de la GPA et, en même temps, vous œuvrez pour faciliter les démarches post-GPA. Vous ne dites rien, ne prévoyez rien pour éviter la GPA à l’avenir. Or tel est le combat que nous devons mener. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Quelle est votre action au niveau international ? Le Président de la République avait affirmé que la France serait chef de file dans la marche vers une abolition universelle de la GPA. Qu’a fait le Gouvernement, concrètement ?
Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? » C’est la question rhétorique que Pierre Bergé a posée dans un entretien accordé au Figaro en décembre 2012 ; une formule volontairement provocante, mais qui laisse présager la logique irréversible à l’œuvre dans l’ouverture d’un marché international de la gestation pour autrui.
Le problème majeur de la gestation pour autrui est qu’elle aboutit à la création d’un marché de l’enfant. En témoignent évidemment ces catalogues permettant de choisir les particularités physiques de la mère qui portera l’enfant, comme ces usines à bébé qui se sont, par hasard, rappelées à notre bon souvenir au moment même où vous votiez la légalisation des conséquences de la GPA.
Depuis le début de la discussion sur ce texte, vous avez juré vos grands dieux que la GPA est et resterait interdite en France ; qu’il n’en était nulle part question dans ce texte. Vous avez dénoncé nos fantasmes, notre mauvaise foi même.
Et puis voilà : l’amendement no 1591 de M. Touraine a été présenté et voté ; la GPA a fait son entrée dans le projet de loi.
La marchandisation du corps de la femme et celle de l’enfant s’invitent dans le débat. Pourquoi s’en étonner ? La GPA ne fait que développer la logique de la PMA. Sous prétexte d’égalité et de droit à avoir des enfants, on assiste au renversement de la logique de l’accueil de l’enfant dans une famille. L’enfant n’est plus reçu, il est produit.
Madame la ministre, lorsque sera revendiquée devant la Cour européenne des droits de l’homme la légalisation d’une GPA en France sur le fondement du seul principe d’égalité, nous n’aurons même plus besoin de voter un texte de loi. La GPA entrera en France par le biais des tribunaux, tout simplement parce que son principe même est contenu dans les bases de votre projet de loi.
Alors, je voterai bien évidemment l’amendement du Gouvernement, mais je crains malheureusement qu’il ne soit trop tard. Votre texte n’a décidément plus rien d’une loi de bioéthique.
M. Touraine, cohérent avec ses positions très libertaires, parle de « disparités régionales ». S’agit-il d’une façon pudique de désigner une sorte de forum shoppingou de dumping éthique ? En bon français, cela s’appelle une distorsion de concurrence ! Osons utiliser les termes du marché, lequel se frotte d’ores et déjà les mains.
Tels seront en effet les arguments qui seront utilisés pour légaliser une GPA que l’on qualifiera, bien entendu, d’« éthique ». L’amendement no 1591 restera comme le cheval de Troie de la GPA dans notre pays. Nos digues sont de sable, elles se fissurent déjà ; ce colmatage ne tiendra pas.
L’amendement supprimant l’article 4bis qui avait été introduit à la faveur de l’amendement n°1591 a été adopté et donc, par voie de conséquence, l’amendement 1591 supprimé.