Il est bien sûr stupide de nier le progrès scientifique et technique, et de cacher ce qu’il apporte dans la prise de conscience que l’humanité peut avoir d’elle-même et de sa place dans l’univers. En revanche, est contestable l’idéologie qui se sert de cette évidence pour imposer l’illusion que l’Histoire est à sens unique, que son processus linéaire est muni d’un cliquet qui empêche tout retour en arrière, et qu’un certain nombre d’évolutions localisées dans le temps et l’espace se poursuivront et se généraliseront. Cette idéologie c’est le progressisme, dont l’actuel président français est un adepte halluciné
On pourrait lui faire remarquer, non sans ironie que la colonisation fut en son temps, surtout en France l’une des mises en oeuvre du progressisme, soutenue par la gauche républicaine sous la forme d’un devoir des « races supérieures » envers celles qui le seraient moins, et que la droite conservatrice était au contraire très réticente. Mais la décolonisation souvent trop rapide et aux conséquences désastreuses fut une autre étape de ce progressisme désormais voué à l’émancipation de peuples qui n’existaient pas vraiment dans les limites que l’étape précédente avait tracées. L’un des signes du caractère idéologique du progressisme est de nier ses contradictions tout autant que la réalité.
Les grandes lignes de cette idéologie sont les suivantes : la liberté individuelle, l’égalité entre les membres de l’humanité doivent s’épanouir, conduire à l’installation généralisée de la démocratie comme régime politique, et s’inscrire dans un système juridique universel, les Droits de l’Homme, qui sera à terme la constitution d’un Etat dirigé par un gouvernement mondial. Il n’y a aucun doute que des forces puissantes agissent actuellement dans cette direction, sous trois formes, d’abord celle des organisations liant les Etats, comme l’ONU, ensuite dans l’armada des ONG qui militent en ce sens et dans laquelle figure, comme navire amiral, « l’Open Society Fondations » de George Soros, enfin dans une constellation de rencontres internationales réunissant l’oligarchie mondiale économique et politique, médiatique aussi.
Deux processus semblent toutefois ébranler les certitudes propres à l’idéologie progressiste : l’un est extérieur, et vient de la résistance des identités civilisationnelles, transmises par les traditions, renforcées par l’histoire et qui s’opposent à l’effacement des différences ; l’autre est intérieur et se traduit par des contradictions destructrices. On pourrait prendre deux exemples pour illustrer le premier phénomène. Depuis la fin des années 1980, de nombreuses « révolutions » se sont produites, les unes pour démanteler le totalitarisme soviétique, les autres pour remplacer les dictatures militaristes qui dominaient le monde arabo-musulman. La première vague a renversé l’obstacle, mais on s’aperçoit aujourd’hui que les nouvelles démocraties apparues à l’Est de l’Europe ne reposent pas sur la même idéologie dominante, qu’elles sont plus conservatrices, dès lors notamment que l’on touche aux cadres familial ou national. Mais, pour les progressistes, ce n’est là qu’une question de temps : la démocratie aux frontières ouvertes et à la famille éclatée finira par l’emporter… La seconde vague a connu au contraire un échec consternant : les soulèvements démocratiques voilaient des coups d’Etat islamiques. En l’absence de véritables revendications sur la liberté individuelle ou l’égalité entre les personnes, difficiles dans un contexte religieux musulman, et non chrétien, ne laissant guère de liberté dans le domaine religieux, ni plus d’égalité entre les sexes, le face à face entre régimes autoritaires nationalistes et totalitarisme islamique s’est maintenu et même renforcé. On le voit en ce moment même en Libye où le Maréchal Haftar, soutenu par l’Egyptien Al-Sissi défie les Frères Musulmans épaulés par la Turquie, qui ont eu l’intelligence, coutumière chez eux, de se dissimuler dans les plis d’un gouvernement fantoche, mais reconnu par l’ONU, celui de Sarraj. Le second exemple reposerait sur l’abolition de la peine capitale, exigée par les élites occidentales au nom de l’humanisme, mais refusée par les peuples, dans de nombreux Etats des USA, et plus généralement dans les pays puissants porteurs d’une civilisation non-chrétienne : la Chine, l’Inde, le Japon, ce dernier illustrant la distance entre l’évolution technologique et sociale d’une part, et celle des mentalités d’autre part.
Ce second exemple assure la transition avec les contradictions qui se développent au sein du progressisme. La peine de mort révulse les belles âmes occidentales, mais celles-ci semblent ignorer les « progrès » de la violence, et oublient volontiers les victimes, qui ont le tort d’être mortes. De même, au nom de l’émancipation et du « libre » choix, elles privilégient le droit à l’avortement sans prêter la moindre attention aux milliers de vies censurées, et à la double mort qui s’insinue dans nos sociétés, dont le Japon vieillissant illustre le premier aspect, en se dépeuplant mais sans favoriser le remplacement, et dont la France coche les deux cases : l’effondrement démographique et sa compensation par une immigration, qui introduit dans le pays de façon massive des mentalités rétives au progressisme. La contradiction la plus éclatante est celle de l’écologie, ce progrès moral qui culpabilise le progrès technique, mais surtout qui s’inscrit dans cette mise en accusation généralisée de notre mode de vie et de la civilisation à laquelle nous appartenons. Certes, la solution des problèmes « écologiques » exige un gouvernement mondial, mais bien malin serait celui qui nous dira quelle idéologie guidera celui-ci à partir des forces qui sont actuellement à l’oeuvre dans le monde !