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Faut-il sortir de l'euro ? 3/3

Mais, là encore, les politiques ne produisent leurs effets que dans la mesure où certains États se détachent des autres et pour ceux-là seulement. Si tous les États appliquent les mêmes politiques - ce qui, empressons-nous de le dire, est non seulement improbable mais illusoire -, l'effet de ces politiques sera nul pour la part des échanges entre les États de l'UE ex-membres de la zone euro. Là encore, les politiques mises en œuvre ont pour conséquence de faire apparaître des gagnants et des perdants en Europe. C'est, in fine, la politique du chacun pour soi.

La procédure de sortie de l'euro par la France justifie, selon Jacques Sapir, le recours au secret et aux pouvoirs d'exception. La phase préparatoire, la sortie de la France de la zone euro, écrit-il en substance, devrait s'effectuer dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 16 de la Constitution pour une période de six mois, c'est-à-dire de la dictature provisoire du Président de la République, afin de limiter l'ampleur des retraits et des spéculations qui pourraient compromettre la réussite de l'opération. La sortie de l'euro se traduirait par une poussée inflationniste et présenterait le risque de voir la nouvelle monnaie prise dans le tourbillon de la spéculation qui viendrait alors rapidement effacer les effets de la sortie de l'euro. L'État doit être en mesure de lutter efficacement contre la spéculation en exerçant toutes ses prérogatives, à commencer par la prise de décision rapide que permet l'état d'urgence ou l'état de nécessité. À vrai dire, la proposition ne paraît pas très réaliste. L'article 16 ne s'applique pas du tout au contexte décrit par Jacques Sapir. Plus encore que l'objection constitutionnelle, assez formelle, c'est surtout la possibilité même du recours à un gouvernement autoritaire qui ne manquerait pas de soulever tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays des objections et des pressions qui en ruineraient l'efficacité. Mais il faut souligner que l'exercice auquel se livre Jacques Sapir n'est pas un programme politique, mais une tentative de formuler des choix rationnels dans une situation d'incertitude et de confusion.

Faire de l'euro une monnaie complète

D'autres économistes ont une analyse opposée et pensent que la véritable alternative à l'ultralibéralisme est précisément l'Union européenne et la zone euro. L'économie internationale est dominée par une conception ultralibérale contre laquelle les États européens ne peuvent pas lutter seuls, sauf à sortir du système de l'économie mondiale pour en revenir à une économie fermée, une forme d'autarcie.

La sortie de l'euro serait, selon Olivier Pastré, serait un véritable suicide. Le gain de compétitivité par une dévaluation dégagée serait anéanti par une forte augmentation du prix des importations qui pénaliserait directement les Français les plus fragiles. Elle entraînerait une inflation qui ne pourrait être combattue que par une hausse des taux d'intérêts rendant impossibles les investissements des entreprises. Au final, la compétitivité escomptée serait rapidement engloutie dans le marasme économique généré par la sortie de l'euro. Il en résulterait une baisse de la recette fiscale et l'obligation d'adopter un nouveau plan de rigueur, sans équivalent avec ceux que nous avons connus. Olivier Pastré dresse un tableau aussi noir de la sortie de l'euro que Jacques Sapir le fait de notre maintien dans l'euro. Les banques seraient fragilisées par le coût de leur endettement à long terme qui pourrait leur être fatal et conduire les plus fragiles au dépôt de bilan.

La solution est alors, selon Michel Aglietta et Thomas Brand, de faire de l'euro une monnaie complète et organiser la souveraineté économique de l'Union monétaire. La crise actuelle est la manifestation des limites des politiques intergouvemementales qui ne parviennent pas, dans une zone économique hétérogène, à mettre en place des politiques de transfert, de solidarité fiscale sans lesquelles il n'y a pas d'union. La monnaie européenne n'est encore qu'un système international défini par un traité intergouvernemental. Il faut franchir le pas et penser la monnaie européenne comme un contrat social. Cela veut dire que la monnaie européenne ne doit plus être pensée dans les seuls termes de l'économie mais aussi en termes politiques. Ce n'est pas l'euro qui est responsable de nos malheurs mais la dépolitisation de la monnaie à travers l'euro. Il existe par nature un lien organique entre l'État et sa monnaie qui doit lui permettre d'exercer sa souveraineté monétaire en monétisant la dette. Or c'est précisément cette faculté qui a été perdue avec la constitution de l'euro dans sa forme actuelle. La solution par le haut à la crise consiste à instituer une souveraineté monétaire européenne et à placer la Banque centrale européenne sous son autorité. La première réforme institutionnelle consisterait à mettre en place une union budgétaire. Le budget européen, en l'état actuel, représente à peine 2 % du PIB des États européens, alors que, à titre de comparaison, il représente 20 % du PIB des États-Unis. La seconde réforme serait de modifier le statut de la BCE qui ne définirait plus elle-même sa doctrine monétaire mais serait subordonnée à une autorité politique européenne. La troisième réforme serait de constituer une union bancaire qui permettrait la définition d'une réglementation commune. Les solutions préconisées parles auteurs sont largement inspirées de l'expérience américaine et vont dans le sens d'une centralisation des institutions monétaires, budgétaires et bancaires dans un État fédéral souverain. Elles présentent deux inconvénients majeurs. Tout d'abord, si elles devaient être mises en œuvre, elles prendraient du temps, au moins une décennie. Il n'est pas certain que l'Union européenne dispose de ce temps. En second lieu, ces politiques se heurtent aujourd'hui à la défiance des peuples européens. Près de 70 % des Européens éprouvent aujourd'hui de la méfiance ou de l'hostilité à l'égard des institutions européennes en général, et le pourcentage global des Européens défavorables à l'UE est constamment supérieur à celui des Européens qui lui sont favorables, et cela depuis 2010, comme le révèlent les enquêtes de l'Eurobaromètre. À moins de recourir à des moyens autoritaires - mais il n'est pas certain que des questions aussi complexes relèvent de la souveraineté du peuple -, on ne voit guère comment ces politiques pourraient être mises en œuvre.

Les deux scénarios de sortie de l'euro ou de création d'une Union politique de l'euro semblent impliquer le recours à des moyens et des méthodes non démocratiques. C'est sans doute un constat à méditer à l'heure où la démocratie s'insinue dans tous les rouages du fonctionnement de la société, le plus souvent pour en neutraliser l'efficacité.

Éric Maulin éléments N°151 Avril-Juin 2014

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