L’usage injustifié ou non conforme de médicaments coûterait chaque année plus de 10 milliards d’euros à la France.
Pire, il serait responsable de centaines, voire de milliers de morts. C’est le terrible constat fait par le médecin et professeur Bernard Bégaud dans un livre-choc. Il livre son témoignage à Sputnik.
En matière de médicaments, «la France se distingue par une gabegie particulièrement marquée»: amère analyse que celle de Bernard Bégaud.
Ce docteur en médecine et professeur de pharmacologie à l’Université de Bordeaux est également l’un des meilleurs spécialistes français de l’évaluation de l’impact des produits de santé sur les populations. Il est l’auteur de La France malade du médicament (Éd. de l’Observatoire). Dans ce livre-choc, il décrit une gabegie se chiffrant à plus de 10 milliards d’euros par an. «De l’argent fichu en l’air sans aucune justification et personne ne regarde ça», se désole le professeur dans un entretien avec Sputnik.
Sur le banc des accusés, on trouve notamment l’industrie pharmaceutique, «beaucoup plus puissante aujourd’hui» que quand a commencé à exercer le professeur Bégaud, qui s’appuie sur plus de trente ans d’expérience en pharmacovigilance.
Big pharma, politiques: lobbying et connivences
Ses représentants effectuent un fort lobbying auprès des autorités. «Il y a malheureusement des connivences entre l’industrie pharmaceutique et le politique», regrette le médecin. Il ajoute que «le lobbying ne touche plus le médecin-prescripteur, comme c’était le cas il y a 35 ans, quand on lui faisait un petit cadeau s’il prescrivait bien le médicament de la maison.»
«Maintenant, cela s’adresse plutôt aux décideurs, aux politiques. Il y a tout un jeu assez obscur –dont on ne parle évidemment pas– de relations, de connivences, qui arrive à placer les produits et/ou à défendre des prix qui ne sont pas toujours excusables», poursuit-il.
Cependant, le professeur juge que les acteurs de l’industrie «font leur boulot, c’est-à-dire faire prescrire, faire vendre le plus cher possible et le plus longtemps possible.»
«Le problème est plus le fait des politiques ou de l’absence de politique en matière de médicaments que celui des lobbys», assure-t-il.
Bernard Bégaud appelle à mettre en place «une régulation» qui selon lui fait cruellement défaut. D’après son analyse, «la grande faiblesse française» se situe du côté de l’absence de contrôle au niveau de «la libre prescription» ou de «libre utilisation» de médicaments.
«Cela a des conséquences économiques, sociales et sanitaires très importantes», alerte-t-il.
Sur ce qu’il qualifie d’absence de réaction de la part des autorités face à ces dérives, le médecin s’interroge: «J’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi: qu’est-ce qui coince et qu’est-ce qui pourrait gêner?»
Pas assez de transparence sur les vaccins?
En dehors du gaspillage d’argent, Bernard Bégaud dénonce «des milliers de décès du fait de médicaments dont le patient n’a absolument pas ou plus besoin.» «Un drame dont on parle moins que les accidents de la route ou les suicides des jeunes», regrette le médecin.
«On tue des gens pour rien», lance-t-il.
Le professeur avance le chiffre de 10 à 30.000 morts par an en France par mauvais usage de médicaments: «On peut estimer qu’environ un tiers –et encore je suis gentil– est évitable. Donc cela fait 3.300 à 10.000 morts par an par accident médicamenteux liés à des traitements qui n’auraient jamais dû être faits ou pris.»
Bernard Bégaud parle aussi des séquelles que cause la mauvaise utilisation de médicaments:
«C’est comme pour les accidents de la route. Vous avez tous ceux qui ne sont pas morts, mais qui vont devoir prendre un traitement à vie, ne plus pouvoir travailler ou aller chez le kiné deux fois par semaine. C’est énorme au point de vue social.»
D’après ce ponte de la pharmacovigilance, la France n’a pas tiré les leçons du scandale du Mediator, du nom de ce médicament produit par les laboratoires Servier de 1976 à 2009 et accusé d’avoir provoqué entre 500 et 1.500 morts.
«Nous avons été plusieurs à espérer que ce drame soit salutaire, que l’on dise, “maintenant ça suffit, on va mettre en place des règles qui vont éviter que cela puisse se reproduire”», déplore-t-il.
Du côté de l’actualité, Bernard Bégaud explique que «l’espoir» que représente l’arrivée d’un vaccin contre le Covid-19 se heurte à une défiance particulière en France du fait d’un manque de transparence sur le sujet. D’après un sondage IFOP-Fiducial pour CNews et Sud Radio, 61% des personnes interrogées n’ont pas l’intention de se faire vacciner contre le coronavirus, alors que les premiers vaccins sont attendus dans les prochains mois.
«Cela fait trente ans que je demande à ce qu’on ouvre le dossier vaccins en France, que l’on soit transparents et que l’on donne des explications à la population», explique-t-il.
D’après lui, il faut être «absolument transparent» et la confiance des Français dans les vaccins ne s’améliorera pas «tant que l’on continuera à avoir des positions pas très claires, que l’on continuera à être dans une tour d’ivoire et à prendre des décisions qui ne sont pas comprises, même si elles sont bonnes.»
«Si ce n’est pas expliqué, les gens croient que l’on cache quelque chose», assure Bernard Bégaud.
S’il explique la méfiance de certains Français par un manque de transparence, Bernard Bégaud n’est pas d’accord avec les critiques qui jugent que les vaccins auraient été trop vite développés: «Je ne crois pas que l’on puisse dire cela.»
Sur la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif, Bernard Bégaud juge que «c’est toujours très facile –et certains ne s’en privent pas– de faire des critiques a posteriori.»
«Il faut rappeler que c’est une épidémie liée à un virus que l’on ne connaît pas et qui est extrêmement contagieux, très polymorphe, etc.», souligne le médecin.
Il reconnaît cependant «quelques erreurs» du côté de la France, comme la volte-face du gouvernement sur l’utilisation du masque. «Une idiotie», «absolument grotesque» d’après Bernard Bégaud:
«Il y a eu deux ou trois décisions ou communications particulièrement malheureuses qui ont rendu la chose plus compliquée en France qu’ailleurs.»
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