Retour en France loin des grands conflits géopolitiques du moment avec la publication de cet ouvrage de Klaus Kinzler, ce professeur de langue et civilisation allemande qui, en quelques mois, au gré d'échanges de mails et d'une campagne extraordinairement violente sur les réseaux sociaux, a vu sa tête mise à prix pour « islamophobie » au sein même de l'IEP de Grenoble.
Nous sommes le 4 mars 2021, il y a tout juste un an, jour où étudiants et enseignants découvrent des affiches placardées sur la façade de l'établissement avec ces mots « Des fachos dans nos amphis, Klaus Kinzler et Vincent Tournier démission, l'islamophobie tue. » Une campagne relayée par l'UNEF Grenoble sur Twitter. La suite d'un long calvaire pour Klaus Kinzler et son collègue qui a débuté en novembre lors de la mise en place d'un groupe de travail pour la « semaine de l'égalité édition 2021 » avec une table ronde intitulée « Racisme, antisémitisme et islamophobie ». Pour avoir douté de la pertinence de ce concept d'islamophobie et tenté d'ouvrir un débat avec leurs étudiants, les deux enseignants se trouveront inéluctablement entraînés dans une spirale infernale.
Pour Klaus Kinzler, l'islamophobie (un concept scientifiquement contestable et non juridiquement défini) est une arme de propagande pour extrémistes islamiques. Il le dit et l'écrit. Et provoque dénonciations, plainte d'une de ses collègues, abandon de sa direction, déchaînement d'une minorité d'étudiants et campagne de haine sur les réseaux sociaux. De nos jours, « ce n'est pas l'islamophobie qui tue mais l'accusation d'islamophobie ». Chacun le sait désormais dans cette France de Samuel Paty et de Charlie Hebdo. Des affaires suffisamment récentes pour que les autorités prennent l'affaire de l'IEP de Grenoble très au sérieux : quatre mois durant, Klaus Kinzler sera placé sous protection policière nuit et jour.
Difficile, alors, de comprendre l'attitude de la direction de l'IEP, son silence et son manque de soutien pour l'enseignant, sans les explications de Klaus Kinzler qui décrit ce climat de terreur installé par une minorité d'étudiants avec la complicité d'enseignants acquis à la cause. Et l'affaire « #sciences porc » qui éclate au même moment n'arrange rien : les révélations d'une étudiante toulousaine victime de violences sexuelles et qui accuse le corps enseignant d'indifférence achèvent de tétaniser toutes les directions de tous les instituts de sciences politiques de France.
Une prise de pouvoir sidérante par une génération dite « offensée » adepte du « je bloque donc je suis » à « un rythme insupportable » à l'IEP de Science Po Grenoble comme ailleurs. Peu importent les causes, certaines ne la concernent même pas (réformes des retraites ou précarité des personnels infirmiers, par exemple). Mais son terrain de prédilection demeure le wokisme, tout problème lié à la justice sociale et à l'égalité raciale : écriture inclusive (adoptée par l'administration de l'IEP de Grenoble, abandonnée depuis), féminisme et genre, décolonialisme et, bien sûr, islamophobie. Et parce qu'elle est « hyper sensible », cette jeunesse qui vit dans « une ère douillette » (selon l'expression de l'écrivain Frédéric Beigbeder) ne supporte pas la contradiction à ses « propres valeurs ». Au risque de la fin programmée de l'université, lieu de débat par excellence...
À la faveur, sans doute, de l'ultra médiatisation de l'affaire IEP Grenoble, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, et Jean-Michel Blanquer ont paru, un temps, prendre conscience de cet « islamo-gauchisme qui gangrène l'université et la société dans son ensemble ». Au point de commander une enquête interne IEP Grenoble.
Objectif atteint pour Klaus Kinzler qui espère qu'avec son livre, « peut-être commençons-nous lentement mais sûrement à réaliser que les clowns qui nous terrorisent avec leur jargon à dormir debout songent sérieusement à remplacer nos libertés par une tyrannie » ? Rien n'est moins sûr.
Car depuis, les étudiants poursuivis pas la commission de discipline ont été relaxés sans que la direction de l'établissement ait songé à faire appel. Les individus responsables du collage d'affiches ne sont, à ce jour, pas identifiés. Klaus Kinzler lui, est toujours interdit d'enseignement, sous le coup d'une suspension hiérarchique pour « propos diffamatoires ».
Quant à la ministre Frédérique Vidal, citée par Vincent Tournier, elle s'est expliquée à la télévision : « La polémique sur l'islamo-gauchisme qu'elle a elle-même lancée juste avant l'affaire des collages est désormais close. » Dans le JDD, cette semaine, la directrice de l'IEP brise le silence pour dire que « plusieurs facteurs ont joué. Le premier, c’est la pandémie, qui nous a obligés, comme tout le monde, à travailler à distance. » Autant dire qu'on n'est pas sorti de l'auberge...
Sabine de Villeroché