Dans La peau sur la table, Marion Messina présente le point de vue de la France périphérique, des gilets jaunes, des « sans-dents », des perdants de la mondialisation, face au parti de l’ordre ; et nous projette dans une France d’après inhumaine qui prend déjà forme sous nos yeux.
La France de 2025 est au bord de l’effondrement, gratte-ciels surprotégés pour les ultra-riches, bidonvilles et système D pour le bataillon toujours grandissant des pauvres, et une classe moyenne, en plein déclassement, de plus en plus écrasée. La déliquescence s’accélère : viellards obligés de travailler toujours plus et qui ne peuvent plus se chauffer faute de moyens, réseau hospitalier réduit au strict minimum, développement de l’illettrisme, effondrement culturel, explosion de la mortalité infantile.
Dans ce roman, on suit Sabrina, institutrice issue de l’immigration et du contingent des nouveaux pauvres : elle vit seule dans un minuscule appartement avec sa fille dont elle partage la garde avec son ex-mari et compte au centime près ses quelques dépenses. Paul, lui, est issu de la bourgeoisie aisée de l’ouest parisien. Son doctorat en littérature en poche, il décide de quitter son confort pour la France périphérique et devient boucher pour le Super U du Cheylard (3000 habitants) en Ardèche.
« Dans ce coin, on ne fait plus de gosses. Il n’y a pas de travail, pas d’hôpital, bientôt plus d’école et le déracinement est inenvisageable. Autant rester ici, sans mômes – il y a déjà les vieux dont il faut s’occuper. »
La crudité de l’existence est exposée sans fard, le ridicule et le pathétique s’entremêlent. Découragement, lassitude, tristesse, bienvenue chez les Français toujours en lutte contre un flot continu d’emmerdes sans cesse renouvelées, sans jamais pouvoir sortir la tête de l’eau, avec ce « goût de la défaite malgré les efforts et les sacrifices » toujours présent.
On ne fait pas de bonne littérature en collant à l’esprit du temps, Marion Messina est en colère et tout le monde en prend pour son grade : des cadres relégués à la périphérie des grandes agglomérations qui s’accrochent aux branches pourrissantes de la mondialisation heureuse, aux parents bobos persuadés d’avoir enfanté Einstein (cette fameuse épidémie d’HPI), aux adultes frivoles des métropoles qui ont gardé des préoccupations adolescentes… tous soutenant un régime plus que jamais hors-sol.
A commencer par une Présidente de la République à l’image de nos gouvernants actuels : méprisante, cynique, abhorrant le peuple et jurant en anglais (« fuck »), chantre d’un libéralisme « hybride de laisser-faire et despotisme administratif » où l’état vient s’immiscer dans le moindre aspect de la vie des Français, pour le réguler et le contrôler. La gestion de l’épidémie de Covid et des différentes crises qui ont suivies a permis à l’extrême-centre au pouvoir de mettre en place une série de mesures liberticides : traçage, fichage, confinement, suppression de l’argent liquide… pour le bien de la population.
Et puis un étudiant s’immole devant l’Assemblée nationale, symbole de cette France mise de côté par un pouvoir qui a depuis longtemps cessé de se soucier du bien-être de sa population, et des élites horsolistes, grotesques et méprisantes. Une révolte croissante prend forme sans autre revendication que de faire part de son ras-le-bol : « Vous naîtrez pour être enlevés à vos parents qui travaillent. Vous apprendrez à être utiles à l’économie et à ne pas vous plaindre. Vous ne ferez pas d’enfants. Vous crèverez seuls au travail et une voiture-balai vous nettoiera. »
Ce roman au style sec et sans fioritures, placé sous le patronage de Pasolini, Weil, Bernanos et Ellul, anti-élite et défenseur d’une France délaissée, adopte un style résolument populiste et présente les prémisses d’une révolte qui sourd… Prémonitoire ?
Photo : capture vidéo Hachette.
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