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Les prénoms sont le caractère visible d’un lien existant parfois entre immigration, délinquance et criminalité

Les prénoms sont le caractère visible d’un lien existant parfois entre immigration, délinquance et criminalité

De Charlotte d’Ornellas dans le Journal du Dimanche :

[…] Lorsque Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, se tient devant la commission des lois du Sénat, le 5 juillet 2023, et qu’une sénatrice l’interroge sur le lien entre l’immigration et les émeutes, c’est avec des prénoms qu’il choisit de relativiser :

« Oui il y a des gens qui apparemment pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de Kévin et de Mattéo si je peux me permettre. »

Ce jour-là, le prénom devient une statistique ethnique déguisée : deux prénoms révèlent, pour le ministre, que tous les émeutiers ne sont pas issus de l’immigration. Qu’il y a aussi des « Français de souche », dont l’existence est parfois contestée… Quatre mois plus tard, la France apprend, sidérée, la mort de Thomas Perotto, 16 ans, poignardé à mort à la sortie d’un bal populaire.

Des jeunes sont interpellés, gardés à vue, présentés au parquet. On connaît leur âge, leur sexe, leur nationalité, leurs lieux de naissance et de résidence. Il ne manque qu’une information : les prénoms, que le parquet est pourtant habilité à donner pour des personnes majeures. Le prénom aurait-il, finalement, un sens ? Mercredi matin, Gérald Darmanin aurait montré à un collègue la liste des suspects placés en garde à vue dans le dossier du meurtre de Thomas. C’est Le Figaro qui rapporte la réaction du ministre en question, anonymement :

« Ils sont français, mais pas un seul ne porte un prénom à consonance française. »

La règle est donc l’omerta.Parce que derrière le prénom se cache finalement la question de l’identité : les suspects de Crépol semblent majoritairement issus de l’immigration. Certains le savent et veulent que cela se sache : ils réclament la publication des prénoms. D’autres le savent et veulent le cacher : pendant huit jours, ce sont eux qui ont gagné. Donner les prénoms serait jeter de l’huile sur le feu. Quel feu exactement ? Pourquoi d’autres prénoms ne jettent aucune huile, sur aucun feu, malgré une même condamnation des actes de délinquance ou de criminalité ? La réponse mériterait d’être formulée par ceux-là mêmes qui utilisent l’expression. Donner les prénoms serait discriminant et raciste. Mais ne pas donner ces prénoms-là, et révéler ceux de Kévin et Mattéo, qu’est-ce exactement ? Pourquoi une telle discrimination, c’est-à-dire distinction, selon que le prénom est « à consonance française » ou étrangère ?

Dans le dossier qui nous occupe, les prénoms sont le caractère visible d’un lien existant parfois entre immigration, délinquance et criminalité. Le voilà, le feu. Il y a la donnée, chiffrée, du nombre d’étrangers incarcérés dans les prisons françaises : 23 %. Il y a aussi le poids, non chiffré, de l’implication de jeunes Français issus de l’immigration, dans la délinquance. Si stigmatisation il y a, ces délinquants aux casiers parfois chargés en sont les premiers responsables. Certains répondent que cette donnée n’a aucune importance, que cela ne change rien à la gravité de l’acte. La deuxième partie de cette phrase est incontestable mais pourquoi, dès lors, refuser de donner ces prénoms s’ils n’ont aucune signification ?

Quand le procureur précise l’âge du suspect principal, personne n’imagine que les gamins de 20 ans se sentent tous discriminés. Mais chacun sait que la jeunesse nécessite une éducation, et des limites. Quand les prisons révèlent une surreprésentation d’hommes dans la criminalité, la moitié de l’humanité ne se sent pas insultée. On peut en revanche poser la question de la différence entre homme et femme dans le recours à la violence. Quand les médias relaient la nationalité française du principal suspect, le citoyen innocent ne se sent pas agressé. Il s’interroge peut-être sur le sens d’une telle information. Il devrait en être de même sur le prénom. Quitte à débattre à l’infini sur les raisons de cette violence pour chercher à la faire taire. Ce n’est pas le cas.

Les prénoms ont donc un sens. Celui de Thomas aussi, d’ailleurs. Dans notre calendrier justement, il est celui d’un homme qui a eu besoin de voir pour croire… 2 000 ans plus tard, certains voient, mais ne croient toujours pas. Ils balaient un « fait divers » et qualifient de récupération toute volonté de constater l’illustration d’un fait de société : c’est-à-dire la face d’un mal que la société porte lourdement en elle. Quand on dénombre des dizaines d’agressions à l’arme blanche par jour, que les centres éducatifs renforcés sont pleins à craquer, qu’un pédopsychiatre qui y a travaillé pendant 40 ans, Maurice Berger, confie avec tristesse qu’il y a vu une jeunesse de moins en moins empathique, désormais incapable de concevoir la valeur de sa vie, et donc de celle des autres, que des agressions « gratuites » endeuillent régulièrement des familles innocentes, que des professeurs s’inquiètent de plus en plus de la violence de leurs jeunes élèves, que des autorités refusent de dévoiler certains prénoms de peur d’alimenter un feu qui couve donc déjà dans le pays, c’est bien que le problème est sérieux et qu’il concerne très largement la société et son avenir.

Il y a alors deux solutions : le voir et chercher à le traiter. Ou refuser de le voir, en diluant le récit dans une falsification malhonnête. La justice, pour s’exercer correctement, a besoin de temps, de précisions, de rigueur, d’auditions, de confrontations, de contradictoire, de compléments d’information et de preuves. Bien heureusement. Le monde médiatique, et derrière lui le monde politique, a décidé depuis bien longtemps de s’affranchir de ce temps judiciaire pour instruire les procès, distiller au compte-gouttes les informations, sans se soucier d’éventuelles contradictions dans le temps. Personne n’a attendu les conclusions de la justice pour déballer des affaires politiques, des accidents de voitures dramatiques, une mort après un refus d’obtempérer, des propos potentiellement délictueux, des accusations sexuelles. Il y a quelques années, un nouveau slogan est même né, dans le sillon du mouvement MeToo, repris par le président de la République au sujet des victimes d’inceste : « On vous croit. » La justice ne peut se permettre de croire qui que ce soit sur parole, pas même les victimes, mais la société médiatique avait décidé de le faire. À condition que le témoignage relève du récit idéologiquement admis. À Crépol, beaucoup n’ont pas voulu croire les victimes.

Dès les premiers témoignages, notamment récoltés par Le Dauphiné libéré, le récit se retrouvait dans la bouche des participants : une attaque inopinée, beaucoup de sang, des blessés, un mort, des « jeunes de cité », des « racailles », certains qui voulaient « planter du Blanc », une immense violence. Dans la dépêche de l’AFP, reprise par toute la presse, l’histoire est racontée différemment : il s’agit d’une « rixe », et les « jeunes » sont qualifiés de « trouble-fête ». Même lorsque le procureur évoque une « attaque programmée », l’information n’est pas traitée. Quand il précise que le principal suspect est de nationalité française et habite le centre-ville, l’information est reprise. Non seulement on ne vous croit pas, mais on ne vous relaie même pas. Certains invisibilisent, d’autres précisent ne pas avoir pu vérifier eux-mêmes l’information. Mais qui peut prétendre avoir vérifié l’information quand la presse relaie une accusation d’empoisonnement, d’agression, de racisme, de contrôle au faciès ou de viol ? Si la presse décidait d’attendre une réponse claire de la justice en toutes circonstances, ce serait un principe. Légitime. Quand elle décide de le faire selon les circonstances, c’est un choix éditorial, idéologique, et par conséquent politique. Même chose avec les minutes de silence. L’Assemblée nationale s’est arrêtée pour Nahel Merzouk, sans attendre d’éclaircissement ni de réponse judiciaire ; simplement pour se taire devant la mort d’un jeune homme. Elle n’a pas encore jugé utile de le faire pour un gamin plus jeune encore, poignardé à mort dans son petit village drômois sans avoir jamais fait parler de lui. Fallait-il l’implication d’un policier ? Un risque d’émeutes ? L’appartenance à une minorité quelconque pour réussir à émouvoir ? Comment expliquer une telle discrimination, c’est-à-dire, encore une fois, une telle différence de traitement ? Même question pour les célébrités adeptes du tweet d’indignation, de soutien, de dégoût : qu’est-ce qui retient exactement leur compassion, si prolixe en d’autres circonstances ? Seuls les gendarmes ont travaillé de la même manière que d’habitude : ils ont enquêté, identifié, arrêté et auditionné dix personnes, en raison de leur potentielle implication dans l’agression, le meurtre ou la fuite des suspects. Sans se soucier de la couleur, des prénoms, des âges, ou de l’huile et du feu. Eux sont obligés de composer avec la réalité, de la regarder bien en face. En garde à vue, certains suspects ont évoqué une première remarque d’un ami de Thomas sur les cheveux de l’un des agresseurs. D’autres une tentative de drague qui aurait dégénéré en bagarre. Cette information-là non plus n’a pas pu être vérifiée, mais elle a été relayée. Vraie ou fausse, la justice tentera de répondre à la question. Ce qui est certain, c’est que des jeunes sont venus en possession de couteaux. Que Thomas est bien mort, poignardé, et que plusieurs suspects étaient en train de fuir. Que l’un d’entre eux, initialement soupçonné d’être l’auteur du coup mortel, avait l’interdiction judiciaire de porter un couteau. Que Thomas et ses amis n’avaient jamais fait parler d’eux alors que la plupart des interpellés, eux, étaient connus des services de police et de justice. Un des gardés à vue a été remis en liberté sous poursuite, les neuf autres ont été mis en examen pour meurtre en bande organisée, tentative de meurtre en bande organisée et violences volontaires commises en réunion avec usage ou sous la menace d’armes. Est-ce que cela dessine déjà la vérité ? Peut-être pas. Le procureur précisait hier soir que « l’élucidation des faits n’est pas achevée ». Mais il est étonnant que les témoignages des seconds soient relayés avec moins de réticence que ceux des premiers. C’est en tout cas un choix, plus qu’engagé.

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