Le 7 janvier 2015, cette dessinatrice survit à la tuerie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo par des tueurs islamistes. À l’époque, tout le monde « est Charlie », François Hollande le premier, qui défile cinq jours plus tard flanqué d’une palanquée de chefs d’État, en plein Paris.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et presque plus personne « n’est Charlie ». Le dessin incriminé ? Il nous montre un Palestinien de Gaza, tant affamé qu’il court après un rat pour le manger, avant de se faire gourmander par une femme voilée lui rappelant qu’en plein ramadan, il faut attendre le coucher du soleil pour enfin manger. Voilà qui n’est pas de très bon goût ; mais nous sommes dans Libération, après tout.
Pour sa défense, Corinne Rey affirme : « Ce dessin souligne le désespoir des Palestiniens, dénonce la famine à Gaza, mais moque aussi l’absurdité de la religion. » Un argumentaire qui se tient. Mais manifestement pas assez pour des personnalités telles que Sophia Chikirou, députée LFI du XVIe arrondissement parisien connu pour abriter les damnés de la Terre et, par ailleurs, plus que proche de Jean-Luc Mélenchon, qui poste illico ce message, sur X, avant de le supprimer : « Vous n’aurez pas notre haine, mais vous la méritez. »
Libération toujours du mauvais côté du manche ?
À croire que les temps puissent changer tandis que l’époque tendrait à devenir de plus en plus ironique. En effet, il n’y a pas si longtemps, en 2018, Willem, autre dessinateur de Libération, dont Coco est une sorte de fille spirituelle, était en butte aux mêmes critiques, menaces de mort en moins, pour d’autres dessins évoquant ledit conflit israélo-palestinien.
Ainsi, pour le site Israël Magazine, « le caricaturiste Willem y montre la colombe de la paix tenue dans les crocs d’un molosse au visage de Donald Trump, pour la plus grande joie de son maître, Benyamin Netanyahou. […] La relation chien-maître renvoie à un thème bien connu de l’antisémitisme : le Juif maléfique et maître du monde, surpuissant, qui tire les ficelles et manipule tout. Accusation suprême, il détruit la paix (comme si le terrorisme palestinien et les lointains lanceurs de pierres du dessin n’y avaient aucune responsabilité). »
Bref, le même procès, mais alors instruit à l’envers, Libération étant manifestement passé, en moins de dix ans, du rang de torchon antisioniste à celui de brûlot anti-palestinien. Quel pilpoul !
Liberté d’expression, un « droit » qu’on a le « devoir » de ne pas forcément exercer…
Au-delà des fluctuations politiques et des élégances humanistes de façade demeurent, côté jardin, des préoccupations autrement plus prosaïques, puisque liées aux problématiques démographiques et électorales, sachant qu’en France, il y a désormais plus de musulmans que de Juifs à glisser un bulletin dans l’urne. Comme si certains réseaux, naguère offensifs, en étaient aujourd’hui réduits à adopter un jeu plus défensif.
Après, un fait demeure : la liberté d’expression est-elle véritablement une fin en soi ? Vaste interrogation. En 2005, elle se posait déjà quand il fallait savoir si, oui ou non, il était pertinent de relayer ces caricatures anti-musulmanes publiées par un journal, aussi danois que confidentiel, Jyllands-Posten.
À l'époque, j'avais écrit que si la liberté d’expression peut faire figure de « droit inaliénable », ne pas exercer ce même « droit » peut être aussi un « devoir ». Juste histoire de ne pas blesser inutilement des centaines de millions de Terriens dans ce qu’ils ont de plus sacré - leur foi - tout en ajoutant que ce qui valait pour les musulmans l’était tout autant pour les Juifs. Et aussi pour les catholiques, ces éternels oubliés, majorité silencieuse et perpétuellement négligée. Je ne vois rien à ajouter depuis.
Nicolas Gauthier