Jour après jour, le temps de la parenthèse estivale, olympique et vacancière se consume.
Jusqu’au 8 septembre, on cherchera sans nul doute à distraire un public hexagonal, sous assistanat généralisé et protection policière. Cependant ces modernes jeux du cirque ne doivent pas nous faire perdre de vue les conséquences à venir d’une situation financière de plus en plus grave, qui menace le pays.
À cet égard, l’addition à venir, pharamineuse et mal contrôlée, des Jeux de Paris 2024 ne fait qu’aggraver un peu plus la dette de l’État. Celle-ci avait dépassé depuis mars 2023 les 3 000 milliards d’euros, 3 180 en mars 2024, contre 2 218 en l’an de grâce 2017, qui vit l’avènement de la Macronie et l’arrivée de Bruno Le Maire au ministère des Finances. La dette de l’État pèse donc désormais pratiquement deux fois plus que le maximum autorisé par les traités organisant la monnaie européenne.
La seule Ville de Paris, de son côté, a déjà vu sa dette plus que doubler en moins de 10 ans. Elle représentait 4,18 milliards en 2014. Elle atteignait 8,2 milliards d'euros en 2023. Elle pèse déjà 8,8 milliards en 2024, et Bercy prévoit officiellement 9,9 milliards en 2025. Elle a donc déjà plus que doublé en moins de dix ans.
Et maintenant, les quatre partis de gauche associés se proposent de confier les clefs du pouvoir à Mme Lucie Castets. Or, très officiellement investie par le Nouveau front populaire, cette ancienne élève de l'ENA âgée de 37 ans, qu’on présente généreusement comme une « économiste », n’hésite pas à se féliciter de cette brillante réussite des finances parisiennes dont elle assume la direction.
Par ailleurs, depuis le 7 juillet au soir, chacun a pu constater, d’une part, l’absence de majorité au Palais-Bourbon ; d’autre part, l’acceptation de la démission du Premier ministre a plongé le pays dans la prolongation inédite d’une situation, que n’avait pratiquement pas prévue la constitution de la cinquième république. La, France n’est plus dirigée, et le président n’est plus assisté, que par une équipe sortante, désavouée par le suffrage universel. Cet ensemble fantomatique de ministres, la plupart peu connus du grand public, demeure ainsi chargé de l’expédition des affaires courantes. On pourrait être tenté de ne pas s’en préoccuper et de citer l’exemple des crises belges de plusieurs mois, périodes pendant lesquelles nos cousins Gaulois du nord sont demeurés sans un ministère réputé « de plein exercice ». Il paraît que l’attelage fédéral y a survécu. D’excellents libertariens iraient même jusqu’à s’en réjouir, cherchant à systématiser que le meilleur des gouvernements est celui qui gouverne le moins.
Or, il existe une limite à ce théorème paradoxalement dogmatique et l’exemple d’outre Quiévrain nous en donne déjà la démonstration.
Parmi les décisions urgentes qui ne relèvent, ni de la routine administrative, ni même d’une simple mais véritable exécution des lois, deux dossiers nécessitent une intervention étatique ferme adossée à un pacte législatif clair.
Par absence de décisions sérieuses, l’un au moins s’est vu singulièrement aggravé dans le royaume de Belgique, plus encore qu’en France, ce qui n’est pas peu dire : celui des vagues migratoires incontrôlées et, pour dire le vrai, inassimilables. Pour qui a pu connaître naguère, et aimer, le Bruxelles d’autrefois, débarquer aujourd’hui gare du Midi ferait presque, d’un trajet dans le métro de Paris, une plongée rupestre dans la France profonde. Le chef de file des sociaux-démocrates flamands suscita certes, en avril 2022, un tollé mais il put déclarer, dans une interview à l'hebdomadaire flamand Humo : « Quand je roule dans Molenbeek, moi non plus, je ne me sens pas en Belgique. »
Actuellement les longues tractations entre les 5 partis, flamands et wallons, sur les 12 représentés à la Chambre, susceptibles de se coaliser portent aussi dans le royaume du Nord sur une autre question essentielle, qui menace, désormais à court terme, de déterminer le sort de la France. La Macronie, en 7 ans de régime présidentiel, malgré ses promesses, ne l’a pas résolue : celle du redressement des finances publiques. Celles-ci sont, en fait [presque] aussi dégradées en Belgique, que les nôtres, et pour une raison identique : l’absence d’une volonté politique consciente de la nécessité et capable de diminuer la dépense publique.
Le Bureau belge du Plan évalue ainsi à 23 milliards d’euros sur 5 ans les économies qu’il faudra trouver et que la coalition des 5 partis, désignée sous le terme pittoresque Arizona, se propose de réaliser. Rapportée à l’économie française un tel chiffrage représenterait un programme de 163 milliards d’euros. Or, en vue de nouvelle loi de finances, qui devra être présentée et débattue cet automne, Bruno Le Maire s’est exprimé en avril dernier. Il parlait alors d’un effort budgétaire nécessaire de 20 milliards, rallongés en juillet de 5 autres milliards. Quant au gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, il appelle à un nécessaire « sérieux budgétaire » et à une « augmentation de la production » car un « autre choc menace ». En effet, ni les marchés financiers ni la Commission européenne n’accordent plus guère de crédit aux annonces gouvernementales parisiennes : fin mai le processus de dégradation de la note financière a commencé et le 26 juillet une procédure de sanctions pécuniaires contre les mauvais élèves de la zone euro était décidée à l’encontre la France.
Quelques jours plus tôt, ce 15 juillet même la Cour des Comptes, présidée par le socialo-centriste Moscovici, habituellement si mou et si consensuel, avait très prudemment mis en garde, en des termes feutrés, le futur gouvernement. Il s'agira donc pour la nouvelle équipe de faire face à l’ouverture d’une procédure pour « déficit excessif » que la Commission européenne s’apprête à proposer contre l'État central parisien.
Or, on doit remarquer que Moscovici prétend mettre en garde… mais qu’il ose suggérer la solution de facilité, celle des hausses d’impôts : « Je ne suis pas un maniaque de la fiscalité, mais il ne faut pas s'interdire le levier fiscal ». Lui qui parlait naguère de ras-le-bol fiscal sait très bien que c’est le recours au fiscalisme qui a conduit la France à son taux record de 57 % de dépenses publiques. Il rejoint ainsi la rhétorique de gauche, le « taxez les riches » de Thorez avant-guerre repris par Manon Aubry, la « priorité aux services publics » réchauffée ces derniers jours par Lucie Castets.
Les magistrats de la rue Cambon n'ignorent pas, à cet égard, que les instances européennes seront renouvelées au 1er novembre et que Paris n'est absolument plus en position d'y conserver son influence. Pire encore : depuis l’arrivée au ministère allemand des Finances de Christian Lindner en 2022 le partenaire d’outre Rhin n’accepte plus de fermer les yeux sur les entorses faites, depuis plus de 30 ans par Paris, au pacte monétaire.
Il ne suffit pas de rappeler ici que tous nos déficits sont en effet financés par des emprunts. Ils rendent bel et bien la France de plus en plus dépendante de ses créanciers internationaux, qu'il s'agisse des amis arabes de M. de Villepin, des fonds de pension américains ou des amis chinois de M. Raffarin.
Les petits et grands technocrates parisiens, institués juges des finances publiques, se préoccupent certes de ce qu’ils appellent trajectoire budgétaire en appelant les gouvernants à une modération du délire dépensier. Ils poussent donc à certaines coupes de nature à conforter l’illusion d’un retour à l’équilibre à l’horizon 2027. Ils se réfèrent ainsi au financement de ce qu’ils croient pouvoir mentionnent pour essentiel. Et ils citent les investissements qu’ils jugent indispensables : dans la décarbonation de l’économie et la transition écologique, les seuls programmes qu’ils ne veulent pas voir compromis, de peur de voir s’évanouir le soutien de la bien-pensance écologiste.
Ceci nous confirme dans la désolante certitude d’un accord de fond, quant aux objectifs, entre la défunte majorité présidentielle, la haute administration et les forces de gauche, quant aux objectifs. Ils ne différent que sur la radicalité des moyens.
JG Malliarakis