Jusqu’à la Révolution Française, quiconque voulait entrer dans une ville avec des marchandises devait s’acquitter d’une taxe qui se nommait « octroi ». Cet octroi servait, au début, à financer l’entretien des fortifications des villes. C’est attesté depuis Philippe Auguste au moins. Bien évidemment, il s’agissait d’une noble cause : protéger les habitants des villes (bourgeois : étymologiquement, celui qui vit dans un bourg) contre les atteintes extérieures et empêcher l’assaillant d’envahir la ville et de s’y livrer aux joyeusetés habituelles du temps (pillages, incendies, viols et meurtres). L’avantage de l’octroi, c’est qu’il ne frappait pas celui qui habitait à l’intérieur de la ville, mais seulement celui qui venait de l’extérieur y apporter les marchandises nécessaires au bon fonctionnement de la Cité.
Sans que cela ne soit explicitement dit, ni pensé (la conscience de classe n’existait pas clairement en ces temps-là), l’octroi et les autres taxes, permettaient aussi d’empêcher les pauvres et les nécessiteux d’errer au sein des villes. Une sorte de tri social s’opérait, bien que les choses soient plus complexes dans la réalité, puisqu’il y avait aussi des clochards et vagabonds dans les villes. Encore que : les peines exécutées contre les voleurs, ou vagabonds permettaient de les reconnaitre aisément. Par exemple Armans Alexis Monteil, dans le tome 1 de l’histoire des Français au cinq derniers siècles qui narre la vie des français au XIVème siècle, suit, un temps, les pérégrinations d’une de ces personnes qui avait eu l’oreille coupée en guise de sentence, ce qui l’obligeait à garder les cheveux longs pour ne pas être expulsé mais l'exposait à une reconnaissance immédiate par les sergents de ville.
Ce tri social permettait une certaine stabilité dans les villes dont les habitants se voyaient comme une sorte de caste privilégiée qui ne craignait qu’une catastrophe extérieure, mais que les mesures de leurs représentants étaient à même d’éviter. C’est parmi les plus mercantiles de ses membres qu’étaient sélectionnés ces représentants, lesquels rêvaient d’une autonomie totale vis-à-vis de l’Etat (on dirait aujourd’hui qu’ils souhaitaient faire sécession), et dont l’exemple du prévôt des marchands Etienne Marcel est l’exemple le plus emblématique. C’est surtout cette bourgeoisie qui reprendra à son compte les doléances lors des Etats Généraux de 1789 pour les pervertir et faire de la Révolution une prise de pouvoir par la bourgeoisie contre la Noblesse et le Clergé. Le peuple étant, comme toujours, le grand oublié, lui qui pourtant avait expliqué et mis sur papier ce qu’il souhaitait. Détail oublié : ce n’était pas la fin de la monarchie qui était souhaité, mais précisément la fin de tous ces impôts, taxes et discriminations imposées depuis des siècles sans que l’on se souvienne exactement pourquoi, et dont l’octroi, taxe injuste par excellence, était l’exemple parfait, tant la destination (maintien en l’état des fortifications des villes) ne servait plus à rien au XVIIIème siècle.
Deux siècles après la Révolution et la fin de l’octroi et de toutes les taxes du même ordre, voici que l’on nous impose une taxe sur l’entrée dans les villes. Ici aussi, le motif de cette taxe est une prétendue menace extérieure (le changement climatique) contre laquelle le bourgeois devrait se défendre en excluant les gueux qui viendraient menacer l’air de leurs beaux quartiers. Ce sont toujours les pauvres qui menacent les riches, jamais l’inverse. A la différence du moyen-âge, ce n’est plus une taxe sur les marchandises (lesquelles arrivent par camions entiers qui polluent comme trente voitures réunies) mais sur les services, puisque ceux qui vont être taxés sont les petites entreprises qui viennent réparer et s’occuper des maisons des bourgeois (plombiers, électriciens, maçons, couvreurs…), et qui devront soit changer de véhicule pour répondre à la lubie actuelle des bourgeois (disposer d’une voiture électrique pour lutter contre le prétendu changement climatique), soit s’acquitter d’une taxe, laquelle sera nécessairement reportée sur le prix de vente de leur service, ce qui ne manquera pas d’exciter la fureur du bourgeois.
Mais l’artisan n’est pas le seul visé par cette loi de régulation sociale : le pauvre et la classe moyenne le sont aussi. L’argument a été repris vingt fois, mais comment conduire son enfant à l’école (si celle-ci se trouve en ZFE) si l’on a un véhicule « crit’air 3 ou 4 » et que l’on n’a pas l’argent nécessaire pour changer sa voiture ? Pareillement pour le mari ou la femme divorcé qui sera empêché d’aller prendre son enfant pour exercer son droit de garde, s’il ne dispose pas du véhicule ad’hoc. A titre personnel : une personne très proche doit voir son cancérologue et pour se faire aller dans une ZFE alors que sa voiture est crit’air 4 (au minimum), et elle m’a dit : « s’ils mettent de caméras, tant pis je paierais l’amende ». Je lui ai expliqué que non et qu’elle devrait faire comme tout le monde : demander un taxi payé par la Sécurité sociale (c’est-à-dire nous) afin d’éviter l’amende. Et après, on se demande pourquoi la France est endettée…
Alexandre Jardin qui a protesté avec véhémence, et raison, contre les ZFE, a raconté à la radio que déjà les habitants de son petit village en étaient à trouver des voies détournées pour entrer dans la ville. C’est du niveau de la fraude qui devait exister à l’octroi et de l’entrée nuitamment par le soupirail pour échapper à la taxe.
S’imagine-t-on le monde que l’on est en train de créer ? Au nom d’un pseudo bon sentiment, basé sur rien, on en vient à recréer la société des castes de l’Ancien Régime, voire pire, bien pire. Car au moins dans le monde d’avant la Révolution numérique, il était possible d’échapper au contrôle, quitte à frauder. Mais dans le monde actuel, c’est une réalité dystopique ressemblant à un mélange de Nous autres, 1984 et du meilleur des mondes qui nous guette. Tout est désormais automatisé, et des caméras surveillent vos moindres faits et gestes ; quand ce ne sera pas le petit citoyen (collaborateur dans l’âme) qui vous mettra une amende pour arrondir ses fins de mois. Plus aucune échappatoire ne sera possible dans ce monde totalitaire qui vient. Plus aucune voie de sortie. Plus aucune pensée contradictoire (et cet article n’échappera pas à la règle : nombre y verra une charge contre ce qu’ils nomment « l’écologie » et le taxeront de « complotiste ») ne sera permise, en dehors de la pensée mal dégrossie des imbéciles qui ont fait des études et qui « croient » en la science (comme on croyait à la scientificité de la victoire du marxisme-léninisme en Union Soviétique, et sans voir l’aporie qui en résulte).
Si nous étions encore des citoyens, c’est-à-dire des personnes intéressées par le souverain bien, et conscient de leur histoire, nous devrions manifester massivement contre ces ZFE. Mais le peuple français se désintéresse la Politique (c’est-à-dire de la vie de la Cité) et ne voit dans ces contestations qu’une énième manœuvre rébarbative de ceux qui sont contre tout, de ces complotistes qui voient le mal partout, alors que c’est pour « sauver la planète » et préserver la sacro-sainte « qualité de l’air ». On répondra à ces imbéciles qu’une Ferrari qui fait 34 cv fiscaux et consomme 25 litres d’essence aux 100 kilomètres est classée crit’air 1, ce qui devrait leur faire tomber les écailles des yeux quant à la prétendue portée « écologique » de ces ZFE.
Continuez à dormir en paix et vous finirez dans un monde où ce seront vos propres enfants qui vous enverront en enfer au prétexte d’une prétendue pureté inatteignable (clin d’œil à la fin du roman 1984 pour ceux qui l’ont lu).