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Accord commercial UE / Ukraine : les agriculteurs français en grand danger

Photo Pexels / Tom Fisk
Photo Pexels / Tom Fisk
« Quand c’est flou, il y a un loup ». Et la question se pose d’emblée après l’annonce d’un accord de principe sur les échanges commerciaux à long terme de produits agricoles entre l’Union européenne et l’Ukraine : pourquoi annoncer un accord sans en dévoiler le contenu ? Là où il est question de quotas et de normes, silence radio de la part de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dont le communiqué s’est contenté d’asséner qu’avec cet accord, « nous sécurisons les flux commerciaux de l’Ukraine vers l’Europe. […] Dans le même temps, nous continuons à protéger les intérêts de nos agriculteurs ». Lundi 30 juin, les deux commissaires européens concernés, Maroš Šefčovič (Commerce), et Christophe Hansen (Agriculture), n’ont guère été plus précis, qualifiant l’accord avec Kiev de « prévisible » et « réciproque », et annonçant que les détails seraient finalisés « dans les prochains jours ».

Rappelons ici que ce nouvel accord doit se substituer aux mesures commerciales qui autorisaient depuis 2022 les importations agroalimentaires ukrainiennes sans droits de douane, leur validité ayant expiré le 5 juin dernier. Il fallait donc bien faire des annonces, mais Bruxelles se sait en terrain miné. Le site euractiv.fr relève d’ailleurs que l’Union européenne a été accusée de retarder les discussions « pour éviter de contrarier les agriculteurs avant l’élection présidentielle du 1er juin en Pologne, pays voisin de l'Ukraine où les agriculteurs étaient particulièrement défavorables aux importations ukrainiennes ».

Les agriculteurs français vigilants

Si l’intention était de rassurer les parties concernées, et notamment les agriculteurs européens et surtout français, qui ont tout à craindre d’une libéralisation des échanges avec l’Ukraine, alors l’objectif n’est à l’évidence pas atteint. « Depuis des années, on sait très bien que tout va être fait » dans ce sens, a réagi au micro de BV Édouard Legras, membre du Comité directeur de la Coordination rurale. Peu étonné par cette stratégie des petits pas où se succèdent les annonces qui n’annoncent pas grand-chose, il constate d’ailleurs que « c’est pour cela qu'au niveau de la PAC [Politique agricole commune], on dit qu’on va annoncer des choses, puis on reporte, puis on annoncera une partie, puis une autre ». Pourquoi cet attentisme permanent ? « Bruxelles ne sait pas comment nous faire avaler la pilule. Ils ne peuvent pas avouer qu’en fait, les industriels veulent des prix, que la traçabilité, ils n'en ont rien à faire ». Les opérations de contrôles surprise réalisées récemment encore par les adhérents de la Coordination Rurale sur des camions en provenance d’Ukraine a permis de confirmer que le respect des diverses normes qui contraignent les agriculteurs français n’est pas une préoccupation majeure du côté de Kiev. Pour Édouard Legras, l’équation est toujours la même : « on va chercher le produit au moins cher, et en plus, comme on fournit des armes, il faut bien se faire payer. Le problème est là, c'est tout simple ». Chez les agriculteurs français, l'Ukraine est depuis longtemps un sujet d'inquiétude.

Des quotas en hausse

Des petits pas, donc, et surtout pas de chiffre donc. Mais à défaut, Christophe Hansen a dévoilé une nouveauté : dans le nouvel accord, le contingent des produits concernés serait divisé en trois groupes. Le premier, dans lequel se trouvent les produits les plus « sensibles » aux yeux des États membres de l’UE, comme les œufs, la volaille, le blé, le maïs, le sucre, et le miel, les volumes seraient plafonnés, avec des quotas en légère augmentation, sans plus de précision. Dans le second groupe, qui rassemble notamment l’avoine, l’orge, le beurre, le lait écrémé en poudre, le malt et le gluten, les quotas augmenteront beaucoup plus, à hauteur des niveaux les plus élevés atteints depuis le début de la guerre avec la Russie. Le troisième groupe sera lui entièrement libéralisé. Ses produits (le lait entier en poudre, le lait fermenté, les champignons et le jus de raisin), ne seront donc soumis à aucun quota lors de leur importation dans les pays de l’UE. Christophe Hansen a par ailleurs indiqué que les mesures permettant un accès plus large de l’Ukraine aux marchés agricoles de l’UE seraient conditionné par son alignement « sur les normes agricoles de l’UE d’ici 2028, notamment en matière de bien-être animal et d’utilisation des pesticides ».

Distorsion de concurrence

Mais d’ici-là, quid de ces contraintes qui valent distorsion manifeste et importante de concurrence ? On en revient toujours au point central : « Ils veulent aider l'Ukraine en lui fournissant des armes qu’elle ne peut payer qu'avec des produits agricoles », insiste Édouard Legras, qui rappelle que « La Coordination rurale ne s’oppose pas au principe d’aider les Ukrainiens à vendre leurs produits ». Une aide, pourquoi pas, mais pas sur le dos des agriculteurs français : « ce que nous ne voulons pas, c'est qu'il y ait davantage de produits agricoles ukrainiens qui rentrent chez nous sans traçabilité, avec un mauvais bilan carbone et sans aucune exigence de qualité, en employant des produits qui sont interdits en France et en Europe ». Quelle suite donner à ce petit jeu relevant autant du dialogue de sourd que du poker menteur ? La Coordination rurale donne rendez-vous à la fin de l’été, quand les moissons seront terminées et que les chiffres et dispositions précises de l’accord ukrainien seront sans doute connus.

Etienne Lombard

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