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culture et histoire - Page 1124

  • Les deux tranchants de la souveraineté

    Coupez, hachez, sciez, tranchez, déracinez sans vergogne, et ne vous étonnez point de n'avoir face à votre pouvoir à la puissance illusoire qu'une foule, qu'une masse d'anonymes allant de-ci de-là au gré de leurs infortunes et de leurs envies. Ainsi est donc né l'individu « atomisé » : d'une volonté de créer un peuple soumis ! Nouveaux rois de pacotille d'un nouveau monde où l'autorité s'est dilué dans un tout indifférencié. Autorité, maître mot, qui ne recouvre plus désormais d'autre sens que celui décrivant les états d'âmes aussi divers que sont divers les délires psychotiques des « solitaires » autorisés, par la tyrannie utilitariste, en sous-main. Autorité : se donner « bonne raison », tel est le sens aujourd'hui partagé par la masse sans que rien ne semble plus pouvoir en faire un ensemble, une cause commune. Pourtant, si la survie de l'Europe est à ce point menacée, et elle l'est, il faudra bien que nous fassions la généalogie - que nous en fassions la dissection - du pouvoir qui petit à petit s'est dévêtu de l'autorité jusqu'à montrer aujourd'hui toute la nudité de son inconséquence ! 

    2.

    Depuis que les hommes furent déclarés pécheurs, le pouvoir s'est peu à peu soumis à la Loi de Dieu. Il en a perdu son innocence. Il est devenu redevable d'une caste de prêtres, tout d'abord chrétiens, puis « laïcs ». Les vertus viriles, le courage et l'héroïsme, qui furent en d'autres temps l'apanage de ceux qui incarnaient l'autorité, de ceux qui en faisaient une voie, qui en traçaient le sens, entrèrent de plus en plus en contradiction avec la féminité des principes chrétiens. Aujourd'hui, nos principes humanitaristes ne sont pas moins « chrétiens », pas moins féminins. Ils n'en sont que les conséquences. Du moins, est-ce une façon d'interpréter le christianisme, car les chevaliers et aristocrates d'antan avaient la leur qui ne fit pas fortune au regard de l'histoire : « Tout en se reconnaissant les mêmes principes d'honneur et de service que les samouraïs, la noblesse d'épée (française) ne réussit pas à faire triompher ses valeurs, car depuis l'échec de la Fronde, c'est une version bourgeoise de la bienfaisance chrétienne qui s'affirme. Elle s'en consolera en brocardant le pharisaïsme, en riant des tartufes et de leurs dupes... » précise Maurice Pinguet dans son ouvrageLa mort volontaire au Japon. 

    3.

    La diversité des points de vue, des inspirations spirituelles et des façons de s'offrir au destin se heurtèrent donc au monothéisme de la pensée, à la religion du salut. L'autonomie ne peut plus être admise dans un monde où l'Église n'oriente plus les hommes qu'à une seule destinée. Ce qui fut ouvert ne peut plus qu'être fermé désormais : la liberté élevée sur les braises ardentes de l'autorité. Ainsi est née la « liberté » conditionnelle. Le pouvoir, soumis au principe spirituel de l'Ordre divin, ne peut plus que soumettre, et non plus guider, libérer les énergies. Après les interprétations toutes personnels et empreintes d'héroïsme païen par l'aristocratie du Moyen Âge d'un christianisme encore mal assuré – une chrétienté toute européenne -, il vînt un temps où s'imposa une pratique rigoureuse du dogme par le pouvoir lui-même. 

    4. 

    Parce qu'il fut un temps où cette nécessité s'imposa comme d'une survie pour l'État. Au XVIème siècle, le conflit faisait rage entre catholiques et protestants. L'autorité du monarque s'était édifiée sur une entente entre l'Église et le pouvoir temporel : assurer de la part de ce dernier le « bonheur » de ses sujets, la voie sacrée de leur Salut. En ce faisant, l'État dû prendre partie en se mêlant de ce qui concernait au premier chef le choix individuel des sujets, leur choix confessionnel, attaché par conséquent à la vie civile et non point à la vie politique. Du moins, est-ce qui fit qu'un juriste nommé Jean Bodin opposa une conception nouvelle de la souveraineté. « Mais s'il advient au prince souverain, de se faire partie, au lieu de tenir la place de Juge souverain, il ne sera rien plus que chef de partie, et se mettra au risque de perdre sa vie, quand l'occasion des séditions n'est point fondée sur l'État, comme il est advenu pour les guerres touchant le fait de la religion [...] » comme il l'exprime dans son maître ouvrage Les Six Livres de la République écrit en 1576. Il fallait, selon le concepteur d'une souveraineté absolueéchue au monarque, que celui-ci se tînt au-dessus de la mêlée des sujets et ne dicte sa loi que pour y faire régner l'Ordre.

    5.

    Mais quel est donc la nature de cet Ordre ? À partir du moment où la décision a été prise de transposer la souveraineté vers ce qui doit représenter la « tête » chapeautant l'organisme social - l'absoluité du pouvoir – il importe à ce pouvoir d' « ordonner les ménages », c'est-à-dire d'organiser la société humaine de telle sorte que chacune des individualités la composant se doivent de maintenir l'ensemble par son arrangement avec les autres, par ses diverses contractualisations qui participent au maintien de l'échafaudage hiérarchique. Une hiérarchie, ce dit en passant, qui prend sa source « d'en-haut », et déverse le flot de son despotisme au travers de ses strates administratives. S'en suit nécessairement, comme par répercussion, une dépossession lente mais certaine de la capacité inhérente aux communautés humaines à l'autonomie, de leur résilience. Une dépossession de la souveraineté en faveur d'un pouvoir qui accumule dictat et autorité, potestas et auctoritas !

    6.

    Cette vision de la souveraineté eut une destinée heureuse, de Bodin à l'Union Européenne, mais au prix de la dévalorisation d'une force contenue dans ce que les communautés humaines transmettaient à leurs descendants depuis des millénaires : une puissance vers l'autonomie, une volonté vers la puissance. Le besoin de circonscrire au mieux la résilience humaine ainsi que l'instinct anthropologique de s'assembler afin de pouvoir accroître sa propre puissance et trouver en une culture commune l'assise nécessaire au maintien de toute élévation collective et personnelle, tend à saper la dynamique civilisationnelle qui nous unit bon gré mal gré en Europe depuis des temps immémoriaux. Nous avons parfaitement raison de nous plaindre d'une « gouvernance » qui nous réduit à l'image d'entités soumis à une gestion rationaliste de l'espace et du temps. Mais encore nous faut-il comprendre qu'en vérité nous ne sommes pas là face à une déchéance du pouvoir absolu, plutôt qu'à sa forme la plus administrative et tyrannique, la plus lointaine et implacable. L'impératif, économique ou autre, mais surtout économique, est la nouvelle souveraineté. Elle est le nouvel absolu. 

    7.

    Le pouvoir est dans l'État-nation, l'autorité dans l'économisme. La souveraineté s'yconfond. L'individu aujourd'hui feint de régner mais son pouvoir n'est qu'illusion, reposant sur une prétendue autarcie, inatteignable. Mais, tout comme la nature qui ordonne un ensemble disparate d'atomes épars afin de se constituer et finir par se donner un sens en l'homme, le pouvoir absolu des modernes, même paré du doux nom de « libéral », contraint et ordonne et décide et soustrait. L'une tire donc sa force de ce qu'elle contient en elle-même, l'autre de ce qu'elle enlève à tous. Chez la première la puissance perdure dans le devenir, chez le second elle devient orpheline et se glace ; elle se transforme lentement en impuissance. Comment se traduit cette impuissance ? Par l'imposition catégorique qui est faite au monde de se soumettre aux conditions morales d'une linéarité progressiste, mais toujours dans l'intérêt d'une pensée matérialiste et hédoniste à la remorque d'une « autorité » rationaliste et autoritariste. Qu'est-ce qu'une « autorité » après tout qui passe pour être imprévisible et inconséquente ? Un manque d'autorité ? Ou un renversement de la signification de l'autorité ? Une autorité qui se devrait de fédérer, et dont sa négation ne fait plus qu'assembler les individus déracinés. Celle-ci a le soucis de faire société, alors qu'une réelle autorité issue du corps social se démarque de par son assurance – de securus :sine (sans) et cura (soucis) -.

    8.

    Mais il ne peut échapper que la souveraineté bodinienne, dès lors que l'on limite son regard à l'époque où elle a été enfantée par cet esprit tourmenté, n'en est pas moins une affirmation. L'affirmation d'un pouvoir nécessaire face à la déliquescence d'un temps, mais aussi surtout celle de l'autorité en éclaireuse d'une transcendance qui trouvait ainsi à s'exprimer de nouveau. C'est aussi une certaine affirmation du politique, de la Res Publica, du pouvoir de décision, de trancher ! N'est-ce pas là le premier tranchant de l'épée de la souveraineté ? Celui qui symbolise le pouvoir ? 

    9.

    Mais pour qu'épée il y eût, il fallût aiguiser un deuxième tranchant. C'est ce que fît Johannes Althusius au début du XVIIème siècle, jurisconsulte allemand qui réagît à l'absolutisme monarchique croissant de son temps par l'écriture savante de son maître ouvrage Politica methodice digesta. Opposée aux principes exposés par Bodin en ce qui concerne le lieu où la souveraineté devait trouver à s'exprimer et s'affirmer, sa thèse, comme l'écrit Gaëlle Demelemestre, « d'une souveraineté nécessairement possédée par le peuple n'entrait pas assez dans l'esprit de son temps pour se voir relayée par des disciples et prendre sa place légitime dans notre patrimoine intellectuel. » (Introduction à la Politica methodica digesta de Johannes Althusius, éditions du Cerf, p. 7). Malgré cela, Althusius a encore le pouvoir d'aiguiser notre attention, particulièrement en notre époque de grande incertitude et de totale incapacité de discerner entre pouvoir et autorité. Car le deuxième tranchant de l'épée de la souveraineté, c'est l'autorité ! Et c'est bien elle qu'Althusius désirait séparer, en la réhaussant, du pouvoir. Son but ultime ne fût-il pas en effet de redonner du sens autant à l'un qu'à l'autre en distinguant nettement les lieux d'où chacun d'entre eux devait émaner. Le pouvoir, selon lui, devrait émaner du peuple lui-même, et l'autorité, de ses représentants jusqu'au plus hautes sphères. Le rôle, et la puissance, dévolus aux représentants, aux gouvernements associatifs, locaux et fédéraux, jusqu'au gouvernement impérial, fruits d'une délégation nécessaire de la souveraineté détenue par le peuple fédéré, préservent, dans la thèse d'Althusius, le maillage énergétique des arrangements sociaux au sein d'une race d'hommes.

    10.

    Le pouvoir, selon Althusius, ne saurait donc se confondre avec l'autorité, tant en un même lieu qu'en un même homme ou gouvernement. Le pouvoir est une énergie qui émane des nécessités inhérentes à la vie humaine, à sa vie en communautés, Il prend naissance dans les entrailles du « social » et s'élève par nécessité vers des instances gouvernementales qui deviennent les garantes de la liberté et de la pérennité de l'organisation « symbiotique » du peuple. L'autorité, détenue par les sphères dirigeantes, est un continuum, c'est-à-dire un devoir sacré de maintenir la cohésion de l'ensemble par l'obtention de la part nécessaire de la souveraineté pour ce faire. Cela implique forcément un pouvoir de contrainte détenu par les chefs, mais un pouvoirdélégué. Ils sont l'autorité, le peuple leur prête alors le pouvoir indispensable à l'exercice de leurs fonctions, dont la première d'entre elles est de gouverner en vertu duBien commun, et pour l'intérêt général jusqu'au plus haut niveau, celui de l'Empire, ou de la Res Publica.

    11.

    Lorsque l'autorité s'identifie au pouvoir jusqu'à ne faire qu'un, jusqu'à ne plus permettre que l'on puisse reconnaître deux lieux distincts, deux polarités de la souveraineté partagée entre l'être de la communauté et sa dynamique créatrice, l'on forge alors un couteau de boucher ! Un couteau n'a qu'un tranchant, fait pour tailler sur pièce, pour décider seul au nom de Dieu quelle doit être la part maudite et quelle doit être celle, divine, des deux morceaux n'en faisant qu'un au fond. Couteau sans garde parce que sans immanence ; souveraineté imbue de transcendance dont l'état « normal » finit par s'identifier avec un état d'exception sans fin. Le lieu de la politique n'est pas forcément celui de la décision finale, à moins de faire un mélange des genres. L'autorité est la garante des possibilités et de l'ordre, c'est-à-dire qu'elle se doit, au nom de l'éternité qu'elle symbolise, de pouvoir rendre pérenne la pratique du pouvoir au sein de l'organisme symbiotique d'une communauté humaine. La politique nourrit et dynamise cet organisme, sépare le bon du mauvais en son sein, et les décisions finales doivent être prises par ceux dont il convient de trancher afin que puisse perdurer la condition même de toute vie : la création. Avoir autorité ne devrait donc pas être « avoir le pouvoir » mais en affirmer le sens ! 

    12.

    L'autorité ne peut qu'être confiée qu'à ceux qui la méritent. En d'autres termes, l'autorité est une confiance déposée sur un sommet qui éclaire chaque homme de sa lumière éternelle, et ses dépositaires sont leurs obligés. C'est en retour une créance. L'épée est ainsi, par l'immanence et la transcendance de la garde et de la lame, comme par son double tranchant, le symbole parfait d'une souveraineté qui est, en fait, le corps, l'âme et l'esprit d'un peuple... et d'un Empire.

    http://www.in-limine.eu/2016/02/les-deux-tranchants-de-la-souverainete.html

  • Carl Schmitt, la politique et la puissance (par Julien Freund)

    Ce texte est un extrait de la préface à La notion du politique, Carl Schmitt, éd. Flammarion, 2009, pp. 14-17

    Quel est le centre de gravité de sa philosophie politique ? Je crois l’avoir saisi, un jour que je me promenais avec lui à Plettenberg et que je l’interrogeais sur sa position à l’égard de la République de Weimar. « La Constitution de Weimar, me dit-il, fut belle, presque parfaite juridiquement, mais trop belle pour être encore politique. Elle a évacué la politique au profit d’une constitution idéale, abstraitement idéale. Par la nature des choses une constitution doit être politique. Que faire politiquement d’un texte qui élimine d’emblée la politique, c’est-à-dire le plein exercice du pouvoir ? » Pour avoir longuement réfléchi à ces paroles, j’avance à titre d’hypothèse une interprétation de la pensée de C. Schmitt qui montre son actualité. Il est impossible d’exprimer une volonté réellement politique si d’avance on renonce à utiliser les moyens normaux de la politique, à savoir la puissance, la contrainte et, dans les cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement, c’est exercer l’autorité, manifester de la puissance, sinon on risque d’être emporté par une puissance rivale qui entend agir pleinement du point de vue politique. Autrement dit, toute politique implique la puissance ; elle constitue un de ses impératifs. Par conséquent, c’est agir contre la loi même de la politique que d’exclure d’emblée l’exercice de la puissance, en faisant par exemple d’un gouvernement un simple lieu de concertation ou une simple instance d’arbitrage à l’image d’un tribunal civil. La logique même de la puissance veut qu’elle soit puissance et non pas impuissance. Et, puisque par essence la politique exige de la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par juridisme cesse aussi d’être réellement de la politique, parce qu’elle cesse de remplir sa fonction normale du fait qu’elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Le problème n’est donc pas pour un pays de posséder une constitution juridiquement parfaite ni non plus d’être en quête d’une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable de répondre aux difficultés concrètes, de maintenir l’ordre en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surgissent inévitablement dans toute société. De ce point de vue, la critique de la République de Weimar faite par Carl Schmitt ne procède pas du tout d’une intention hostile à ce régime, mais du souci de lui donner l’autorité suffisante pour mener une politique efficace. C’est ce qui ressort clairement de l’ouvrage Legalität und Legitimität publié à peine quelques mois avant la venue au pouvoir de Hitler. Il s’agissait comme Schmitt le déclare lui-même d’une « tentative désespérée pour sauver le système présidentiel, la dernière chance de la République de Weimar, face à une jurisprudence qui refusait de poser le problème de la constitution en termes d’amis et d’ennemis ». Au fond, c’est au nom d’une fausse conception de la légalité que les défenseurs attitrés de la Constitution de Weimar ont finalement permis à Hitler de venir de venir légalement au pouvoir.

    Pour comprendre les conceptions de Carl Schmitt il faut donc se replacer à l’époque où sa pensée politique s’est formée, au contact de Max Weber1, et où il a publié ses premiers ouvrages d’analyse politique. C’était justement le temps où le gouvernement allemand, faute de se donner les moyens de la politique, était à la merci de putschs successifs et de pressions extérieures qui ont conduit à l’occupation de la Ruhr. Le pouvoir essayait de compenser l’impuissance à laquelle il s’était lui-même condamné en multipliant les vagues promesses tendant à substituer à la démocratie politique la démocratie sociale, , celle-ci étant présentée comme la démocratie idéale, celle qui devrait exister et dans laquelle l’éthique réglerait mieux les difficultés que l’autorité et la puissance. Pour Carl Schmitt, une démocratie ne pouvait être sociale que si d’abord elle était politique, c’est-à-dire si elle acceptait pleinement les impératifs et les servitudes de la politique. Il n’a cependant jamais été partisan d’une puissance illimitée – il était trop juriste et spécialiste du droit constitutionnel pour soutenir une pareille aberration – mais il refusait une politique qui excluait le vrai jeu politique et espérait s’en tirer avec des mots d’ordre creux concernant la paix, le progrès social ou l’avenir du socialisme. Il s’agissait d’une politique de la non politique (Politik des Unpolitischen) qui ne pouvait que conduire à la pire des politiques, faute de prendre ses responsabilités. La problématique de la politique, C. Schmitt l’a posé dans les catégories de Hobbes, comme le montre de façon caractéristique le texte suivant : « Pourquoi les hommes donnent-ils leur consentement à la puissance ? Dans certains cas par confiance, dans d’autres par crainte, parfois par espoir, parfois par désespoir. Toujours cependant ils ont besoin de protection et ils cherchent cette protection auprès de la puissance. Vue du côté de l’homme, la liaison entre protection et puissance est la seule explication de la puissance. Celui qui ne possède pas la puissance de protéger quelqu’un n’a pas non plus le droit d’exiger l’obéissance. Et inversement, celui qui cherche et accepte la puissance n’a pas le droit de refuser l’obéissance2 ». Cette façon de poser le problème de la politique suscite évidemment d’autres problèmes que nous ne soulèverons pas ici, puisque notre objet est de présenter la pensée de Carl Schmit.

    1  Il n’y a pas de doute que C. Schmitt est le véritable fils spirituel de Max Weber. Même ses adversaires le reconnaisse, malgré leur ironie, par exemple J. Habermas lors du congrès Weber à Heidelberg en 1964.

    2  C. Schmitt, Gespräch über die Macht und den Zugang zum Machthaber, Pfullingen, 1954, p. 11.

    In Limine

    http://www.voxnr.com/3311/carl-schmitt-politique-puissance-julien-freund

  • Jean-Claude Rolinat sur TV Libertés

    1951304001.jpgNotre ami et collaborateur Jean-Claude Rolinat sera l'invité de Philippe Conrad dans l'émission Passé/Présent sur TV Libertés le mardi 6 septembre pour, notamment, évoquer ses derniers ouvrages cliquez là.

    TV Libertés cliquez ici

    http://synthesenationale.hautetfort.com/

  • Compte-rendu: Conférence de Gabriele Adinolfi à Québec

    C’est dans le quartier Limoilou, quartier « à risque » pour les immigrants selon nos bonnes et consciencieuses autorités, qu’une assistance nombreuse eut le privilège d’entendre l’auteur et militant italien Gabriele Adinolfi sur le thème le plus brûlant de notre époque, celui de la terreur comme stratégie de domination. Une conférence présentée par notre organisation en collaboration avec Atalante Québec, un groupe militant qui sut se faire remarquer par la jeunesse et la vigueur de ses rangs.

    Il transparut que M. Adinolfi fut bien vite insatisfait de la direction que prenaient la politique et le destin de sa nation et des autres patries d’Occident. Il s’engagea à combattre ce pouvoir oligarchique qui prenait contrôle et migra politiquement de la gauche vers la droite à mesure que les tendances antinationales s’affirmaient de plus en plus. Impliqué d’abord très jeune au MSI et dans différents autres groupements politiques tels que Terza Positionne, par la suite recherché par la police et exilé en France, M. Adinolfi continua son combat jusqu’à aujourd’hui et il dirige maintenant la revue « Orion », le centre Polaris ainsi que le site No Reporter. Depuis peu, il gère également le centre EurHope qui offre une vision alternative à l’Europe de Bruxelles.

    Commençant d’abord par un survol des principales filiations qui engendrèrent ce pouvoir ainsi que ses moyens, il présenta ensuite les stratégies qui doivent être nôtres pour le combattre.

    C’est une bien triste époque que la nôtre et, comme le prédisait un officiel allemand en 1942 lors d’un dîner, si les alliés gagnent la guerre, ce sera la victoire des gangsters. Ces gangsters travaillent de longue haleine, puisque déjà en 1905, Andrew Carnegie créa la Commission X pour assurer la paix et la prospérité dans le monde. Elle enfantera la première révolution communiste ratée de 1905 à l’occasion de la guerre russo-japonaise, financée par Wall Street.

    Financée par ces mêmes éléments « cosmopolites », la seconde et victorieuse Révolution russe suivra en 1917. Trotski lui-même recevra des millions de dollars et un passeport émis par Woodrow Wilson pour entrer en Russie. La dualité communiste-capitaliste est donc largement une tromperie.

    Le but de ces élites est d’en arriver à une humanité globalisée dans laquelle les peuples auront perdu leur identité propre. Les masses devront être angoissées et malheureuses, comme cela est littéralement écrit dans un document officiel de l’une de ces officines du globalisme. Il n’y a pas que les identités ethniques qui sont à éliminer, l’identité sexuelle aussi, car d’être mâle aujourd’hui, « il faut presque s’excuser ».

    L’auteur invité, sur ce sujet, expliqua comment le principe masculin est comme celui du soleil, un principe aristocratique de distinction et d’élévation, au prix de luttes et de combats bien entendu. Le principe féminin est plutôt attaché à la satisfaction des besoins de base, la nourriture, le bien-être et la sécurité. Notre époque tend à nier le principe masculin au nom de l’égalité et de la redistribution des richesses, jusqu’aux arts contemporains qui nient le principe de beauté et de dignité.

    Le modèle emprunté par le conférencier est celui de Léonidas, spartiate qui fit face aux Perses et perdit la vie aux Thermopyles. Il faut faire preuve de ce même courage, mais il est permis cette fois-ci de vaincre.

    Brezinsky est une autre figure du globalisme et considère que le monde bipolaire est passé, et maintenant les États-Unis seuls doivent régner, mais ne peuvent le faire de manière hégémonique. Il doit donc y avoir une multipolarité marquée par des conflits et des guerres, avec les États-Unis qui au bout du compte dominent tous les autres. Le concept du choc des civilisations sert cet agenda.

    La terreur s’inscrit dans ce contexte. M. Adinolfi, qui vécut ses années turbulentes de jeunesse dans l’Italie des années 70, connut ce que l’on appelle les années de plomb, faites de violences terroristes et de répression. Il raconta comment des groupes terroristes se faisaient approcher par le Mossad et offrir des armes et des listes d’infiltrés. Il s’agissait de déstabiliser la Méditerranée et favoriser ainsi l’aide américaine vers Israël, le seul « élément sûr de la région » pour les États-Unis.

    Que faire dans ce contexte ? Il faut être libre, et seul l’homme indépendant et autonome peut être libre. Pour ce faire, il faut revendiquer nos identités et cela inclut nos identités biologiques. Mais le « bon raciste » ne méprise pas les autres races. Mépriser est justement un signe de faiblesse. La recette serait alors d’aborder l’avenir avec une attitude « martiale et joyeuse ».

    Être révolutionnaire immédiatement relève d’une grande présomption, alors qu’au contraire il faut être d’une très grande humilité pour un jour espérer le devenir.

    Il faut se sortir du bipartisme, la trinité étant un concept fondamental. Dans le bipartisme, il y a querelles sur des questions sélectionnées par le jeu politique. Il y a débat, puis le peuple est amené à choisir le moins menaçant, celui qui garantit le plus de sécurité. Il faut revenir à un mode politique fondé sur l’organique où une personne vote non pas sur des questions éparses, mais adhère à un principe plus général. Des hommes politiques transcendants doivent entraîner à leur suite les masses. Ainsi les valeurs viriles doivent reprendre l’avant-plan.

    Gabriele Adinolfi est un auteur dont la pensée est à découvrir, tant pour ses analyses géopolitiques et métapolitiques que pour l’enthousiasme guerrier qu’il oppose à l’hégémonie mondialiste qui nous fait face. Pour cela, nous ne pouvons qu’encourager la lecture de ses nombreux ouvrages.

    FQS
    Pour la reconquête de notre peuple

    Source : http://quebecoisdesouche.info/compte-rendu-conference-gabriele-adinolfi-quebec/

    http://fr.gabrieleadinolfi.eu/article/compte-rendu-conference-de-gabriele-adinolfi-a-quebec/

  • NORD-PICARDIE : Samedi 24 septembre, journée d’Action française

    Samedi 24 septembre 2016 

    NORD-PICARDIE

    Journée d’Action française

    entre Doullens (Somme) et Arras (Pas-de-Calais) 

    La désinformation :

    des armes du faux aux instruments de la riposte

       par

    Aristide Leucate

    Journaliste à L’ACTION FRANÇAISE et BOULEVARD VOLTAIRE 

    L’actualité politique

       par

    Hilaire de Crémiers

    Délégué général de LA RESTAURATION NATIONALE

    Directeur de Politique Magazine et de la Nouvelle Revue Universelle. 

    Renseignements et inscriptions

    af.picardie@free.fr   06 65 53 63 93

  • Livres & Histoire • L’armée de Condé ou les errants du roi

    L’émigration demeure pour un public largement tributaire de l’histoire officielle un épisode répréhensible. Le livre de René Bittard des Portes, réédité, revient sur les mésaventures de l’armée de Condé.

    La réédition du classique de René Bittard des Portes, Histoire de l’Armée de Condé, publié en 1896, est, même s’il lui manque cartes et index, une heureuse initiative, car cet ouvrage, précieux, était difficile à se procurer. En revanche, qu’il n’ait pas « été remplacé » depuis, comme le souligne Hervé de Rocquigny, son préfacier, oblige à s’interroger sur l’état de l’historiographie française et son désintérêt des sujets non conformes à la vulgate universitaire en vigueur.

    L’Émigration, il est vrai, demeure pour un public largement tributaire de l’histoire officielle un épisode répréhensible, à considérer de loin et avec tout le mépris nécessaire s’agissant de « traîtres » passés « au service de l’ennemi ». Réaction d’autant plus cocasse que les contempteurs des émigrés sont souvent d’ardents admirateurs du « Général », de Londres et de l’appel du 18 juin… Pourtant, le vaste mouvement qui poussa une partie de la noblesse, mais aussi quantité de gens issus du tiers état, à s’exiler afin de préparer hors de France, avec l’appui de souverains étrangers crus trop vite favorables à la cause du roi, la pleine restauration du pouvoir monarchique, incarna le summum du loyalisme. D’ailleurs, les gentilshommes qui tergiversaient, hésitant, pour des raisons honorables, à s’en aller, recevaient des quenouilles joliment empaquetées, façon élégante de mettre en doute leur virilité… Charette lui-même, qui n’avait pas envie d’aller à Coblence, y eut droit, et partit, avant de revenir, écœuré de l’ambiance.

    Mésaventures des Condéens

    Bittard des Portes, toutefois, ne souhaitait pas écrire une histoire de l’émigration, vaste sujet couvrant des situations aussi diverses que contrastées. Il se borna à suivre, sans entrer dans le détail des destinées individuelles, les mésaventures des 6 000 hommes qui s’attachèrent à la fortune du prince de Condé et restèrent, pour la postérité, les Condéens.

    Louis Joseph de Bourbon-Condé, prince du sang, né en 1736, avait très glorieusement participé à la guerre de Sept Ans. Depuis, il vivait à Chantilly, entre sa fille, la pieuse princesse Louise qu’une idylle impossible finirait par conduire au couvent, et sa maîtresse, la princesse de Monaco. Bien que retiré du service, Condé jouissait dans l’armée, où il conservait de nombreux contacts, d’une grande popularité. Son départ pour l’exil, au lendemain de la prise de la Bastille, émut, sans toutefois inciter, dans un premier temps, à le suivre. Il reviendrait à la contagion galopante des idées révolutionnaires dans les différents corps de précipiter le mouvement.

    Dès l’été 1789, évidence qui explique en partie l’absence de réaction forte de la part de Louis XVI, l’agitation subversive avait gagné les régiments, jusqu’aux gardes-françaises, une élite, sur lesquels le roi ne pouvait plus s’appuyer pour rétablir l’ordre. À la veille des journées d’octobre, on avait renoncé à rappeler des troupes à Versailles, de peur de les voir prendre le parti de l’émeute. Dans les cantonnements de province, les officiers se heurtaient à des débuts de mutinerie, qui se soldaient parfois, comme à Caen où le jeune major de Belzunce fut abattu par ses soldats, dépecé et mangé, ou Nancy, par des assassinats.

    Même la Marine, réputée pour sa tenue, n’était pas épargnée. Incapables de rétablir la discipline, inquiets pour leur sécurité, les officiers quittaient massivement le service. C’était le but recherché. Si beaucoup, tels la plupart des futurs généraux vendéens, se bornèrent à rentrer, inquiets de l’avenir, dans leurs foyers, d’autres apprirent, alors qu’ils cherchaient à quoi s’employer utilement, que le prince de Condé, à Worms, levait un corps de troupes placé sous commandement direct des Princes.

    Passer le Rhin

    Le désastreux dénouement de l’affaire de Varennes, en juin 1791, décida les hésitants : prisonnier aux Tuileries, le roi n’était plus libre de ses choix et cette évidence soulagea beaucoup de gentilshommes des scrupules qu’ils éprouvaient à s’en aller. En quelques semaines, 50 000 Français, dont de nombreux bourgeois et paysans, passèrent le Rhin. Les officiers ne furent pas les seuls à réagir ainsi ; ce fut parfois par unités entières, ou presque, que l’on partit, à l’instar du régiment de Berwick, composé des « Oies sauvages » d’Irlande et d’Écosse, à Landau, de Colonel-Général Infanterie, ancien régiment du prince de Condé, à Dunkerque et de Colonel-Général Cavalerie à Sedan, qui s’en allèrent en bon ordre, enseignes déployées. Bittard des Portes, et en cela son livre a vieilli, était d’une génération marquée par 70 et habitée par l’esprit de « revanche ».

    Aussi est-il, malgré ses sentiments royalistes, mal à l’aise pour justifier ce qu’il tient sans le dire pour un passage à l’ennemi. En un siècle, les mentalités avaient trop changé pour saisir encore les motivations de ces hommes. Sa germanophobie l’obligea donc, au long de son récit, à un constant exercice d’équilibrisme, partagé entre admiration pour les Condéens et horreur de les voir combattre au service des Allemands… À l’évidence, l’historien projetait sur le monde germanique contemporain de la Révolution les préjugés et rancœurs de son temps. Cela dit, l’hostilité, qu’il souligne d’abondance, d’une majorité de principicules allemands et de leurs sujets à l’égard des Français exista. Force est aussi d’admettre que les émigrés, d’abord convaincus de n’être que de passage en terre étrangère, eurent tendance à le prendre de haut avec leurs hôtes, jusqu’à les exaspérer.

    Si, dans un second temps, les pérégrinations douloureuses des Princes et de leurs soutiens sont à mettre sur le compte de la lâcheté de l’Autriche, des Italiens ou des Russes, affolés des victoires républicaines et désireux de donner des gages à Paris, au début, ce fut l’arrogance des Français, prompts parfois à se conduire comme en pays conquis, qui provoqua les frictions. Cela entraînerait ces privations, misères, souffrances, guet-apens sournois contre les traînards relatés dans les Mémoires de survivants réellement inconscients de l’exaspération qu’ils provoquaient et persuadés d’avoir été maltraités sans raison.

    Un sentiment de gâchis

    La situation n’était pas meilleure dans les états-majors coalisés où l’on s’était battu contre ces mêmes Français, que l’on trouvait maintenant encombrants mais utiles, dans la mesure où, d’année en année, on s’en servait toujours davantage comme de supplétifs mal payés mais sacrifiables sans vergogne car ils étaient braves et se faisaient tuer aux postes les plus exposés sans se plaindre… Or, ni Condé, ni aucun des Princes n’étaient d’humeur à servir ainsi les intérêts de puissances dont l’unique ambition restait l’abaissement de la France.

    C’est le tragique de l’affaire de voir les émigrés, pris entre royalisme et patriotisme, sabotant des tentatives autrichiennes contre Strasbourg et l’Alsace, pour ne pas être complices d’une invasion, ou, à partir de 1796, quand les passions politiques commencèrent à s’apaiser, de sorte que Bleus et Blancs ne tenaient plus à s’entretuer, s’arrangeant, quand ils se retrouvaient face à face, pour éviter l’affrontement ou se borner à des échanges de tirs symboliques. Cela tournait à la complicité, ce que les Autrichiens reprochèrent à Condé, qu’ils obligèrent, en gage de bonne foi, à engager, le 13 août 1796, contre le général Abbatucci avec lequel il s’entendait trop bien, le combat d’Ober-Kamlach, boucherie fratricide doublée d’une défaite…

    Le pire étant que ces faits d’armes, incontestables, ne passeraient pas à la postérité et que l’on a oublié ces batailles. Le fond du gouffre fut atteint en 1797 quand, lâché par l’Autriche et les Anglais, Condé accepta, la mort dans l’âme, l’offre du tsar Paul d’entrer à son service. En Wolhynie, son armée dut abandonner ses drapeaux et uniformes et prêter allégeance à un souverain étranger qui bientôt, d’ailleurs, la renverrait brutalement. Le corps, pourtant, survécut jusqu’en 1801 et l’éphémère paix d’Amiens. À cette date, les Anglais, qui avaient besoin d’hommes pour défendre l’Égypte et la route des Indes, proposèrent de le solder. Et se heurtèrent à un refus quasi unanime. Ne restait qu’à reprendre, dès que cela fut possible, le chemin de France. Non sans un sentiment de gâchis que la certitude d’avoir sauvé l’honneur n’adoucirait jamais complètement. 

    Histoire de l’armée de Condé, René Bittard des Portes, Perrin, 23€

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  • Du socialisme

    Préface du livre « Rébellion, l’Alternative Socialiste Révolutionnaire Européenne »

    rebellion_cov500-200x300.jpgCe serait une grave erreur de croire que le socialisme (terme employé pour la première fois, dans son sens moderne, par Pierre Leroux en 1831) n’avait pour but, à l’origine, que de réagir   contre   l’abominable   exploitation des masses   prolétariennes   que  la   révolution industrielle avait jetées dans les grandes villes et soumises à des conditions de travail bien souvent inhumaines. Les premiers socialistes dénonçaient bien entendu cette exploitation, protestaient contre leurs conditions de travail et exigeaient l’instauration de la justice sociale. Mais en se dressant contre la classe bourgeoise, ils se dressaient aussi contre le système des valeurs dont celle-ci était porteuse.

    Toutes les sociétés traditionnelles ont tenu les valeurs économiques et marchandes (caractéristiques de la « troisième fonction » au sens dumézilien du terme) pour des valeurs inférieures ou subordonnées, raison pour laquelle l’économie ne devait surtout pas devenir autonome par rapport à la sphère sociale, à la société globale. L’économie était « encastrée » (embedded,  comme  le  disait  Karl  Polanyi)  dans  le  social,  et  le  social  ne  se  réduisait évidemment pas à l’économie. C’est à la bourgeoisie, en tant que classe porteuse de valeurs qui lui étaient propres, que revient le « mérite » d’avoir, en même temps qu’elle s’imposait elle-même, et précisément pour pouvoir s’imposer, érigé la sphère économique en sphère autonome d’abord, dominante ensuite. Toute l’histoire européenne peut de ce point de vue se lire comme une histoire de la montée de la bourgeoisie, à la faveur de laquelle se sont progressivement imposés les thèmes dont elle était porteuse : individualisme (contre le sens de l’être-ensemble), culte de l’efficience et de l’utilité (contre l’éthique de l’honneur), axiomatique de l’intérêt (contre le désintéressement).

    La bourgeoisie s’est historiquement enfoncée comme un coin dans la structure sociale, rejetant d’un même mouvement les valeurs aristocratiques (qu’elle s’efforçait en même temps de singer sans en comprendre le soubassement, à savoir l’honneur et le désintéressement) et les valeurs populaires (au premier rang desquelles la « décence commune » évoquée par Orwell et dont nous reparlerons). La montée de la bourgeoisie a mis fin à tout ce qui pouvait demeurer de biens communs dans l’existence quotidienne, c’est-à-dire de biens qui n’étaient pas  encore  assujettis  à  l’appropriation  individuelle,  d’espaces  de  vie  qui  pouvaient  faire l’objet d’une jouissance partagée. En Angleterre, par exemple, le mouvement des enclosures a converti les champs ouverts et les pâturages communs en territoires séparés, possédés individuellement par quelques uns, ce qui a contribué à encourager la rivalité dans le monde rural et donc la désintégration sociale des communautés. Parallèlement, la bourgeoisie s’est employée à monétiser tout ce qui échappait encore auparavant à l’évaluation monétaire. C’est ce que Karl Marx avait déjà constaté dans un célèbre passage du Manifeste du parti communiste, qu’on ne se lasse toutefois pas de citer : « La bourgeoisie là où elle est arrivée au pouvoir a détruit tous les rapports féodaux, patriarcaux, idylliques. Elle a déchiré sans pitié la multiplicité colorée des liens féodaux qui attachaient l’homme à ses supérieurs naturels et elle n’a laissé subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que l’intérêt nu, que le froid “argent comptant”. Elle a noyé dans les eaux glacées du calcul égoïste les frissons sacrés de la piété exaltée, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise. Elle a réduit la dignité personnelle à la valeur d’échange et, à la place des innombrables libertés reconnues par écrit et chèrement conquises, elle a mis la liberté unique et indifférente du commerce. Elle a, en un mot, remplacé l’exploitation déguisée sous les illusions religieuses et politiques par l’exploitation ouverte, cynique, directe, brutale ».

    Dans  Le  Capital,  Marx  constate  aussi  qu’« au  fond  du  système  capitaliste,  il  y  a  la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production ». Le capitalisme est en effet foncièrement séparateur, le mode de production capitaliste reposant sur une double séparation : la séparation des producteurs entre eux et leur « séparation radicale d’avec les moyens de production ». Cette double séparation engendre et généralise, d’une part, le rapport marchand entre les hommes, la société n’étant bientôt plus conçue que sur le modèle du marché, et d’autre part le travail salarié, le salariat étant la forme d’exploitation du travail qui contraint objectivement les travailleurs à se soumettre aux détenteurs du capital et aux propriétaires des moyens de production. Une telle évolution est généralement représentée comme résultant à la fois des « lois de l’histoire » (la nécessité historique dans la version historiciste  de  l’idéologie  du  progrès),  et  d’une  « nature »  revisitée  sous  l’angle  d’une idéologie oublieuse de ce qui la constitue en propre (le marché est présenté comme la forme « naturelle » de l’échange social, alors qu’il fut en réalité institué à une date relativement récente, l’harmonie économique censée résulter de l’ajustement « spontané » de l’offre et de la demande étant elle aussi présentée comme « naturelle » dans l’apologétique bourgeoise), ce qui permet à l’idéologie dominante, dit encore Marx, de « proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le meilleur des mondes possibles ».

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