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culture et histoire - Page 1127

  • HISTOIRE & TRADITIONS • TRESOR … TRESOR DES ARCHIVES FAMILIALES

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    2504458051.2.jpgLe représentant d'une famille royaliste, de bonne roture haut-provençale, et qui demande à conserver l'anonymat, est venu récemment à Marseille nous montrer quelques petits « trésors » conservés dans le coffre de sa maisonnée. Au premier chef une pièce de monnaie en argent datée 1831, d'une valeur de 1 franc, à l'effigie du jeune Henri V (1821-1883), plus connu sous ses titres de duc de Bordeaux ou de comte de Chambord (le château de François 1er lui avait été offert par souscription nationale) car il ne régna jamais effectivement.

    De Charles X à Henri V

    L'existence de cette pièce de monnaie qui n'eut jamais cours, s'explique par l'action de légitimistes au sein de la Monnaie royale, après la Révolution de 1830, laquelle avait chassé de France le roi Charles X et sa famille, dont le petit Henri V, en faveur duquel le vieux monarque avait abdiqué. Lesdits légitimistes croyaient à une restauration bourbonienne, et il y eut d'ailleurs, en 1832, l'héroïque et malheureuse  expédition de la duchesse de Berry, mère d'Henri V, expédition commencée dans une crique à l'ouest de Marseille.

    Fidèles Henriquinquistes

    Ces espoirs ne se concrétisèrent pas et la branche Orléans des Bourbons resta sur le trône, en la personne de Louis-Philippe 1er, jusqu'à la Révolution de 1848. Beaucoup de fidèles henriquinquistes, dont, dit-on, les parents de Jean Jaurès, conservèrent précieusement une de ces pièces qui n'eurent jamais cours. La collection de Raymond JANVROT (1884-1966), entièrement consacrée à Henri V, et toujours montrée à Bordeaux, au Musée des Arts décoratifs, dans une section à part, comprend plusieurs de ces monnaies « illégales ». Cette section vaut la visite.

    Héritier légitime

    Autre petit trésor politico-sentimental dans les tiroirs de la même famille haut-provençale, cette médaille en cuivre rouge, à l'effigie du roi Louis-Philippe mais donnée par son petit-fils, le comte de Paris (1838-1894), qui faillit régner en 1848, dans le cadre d'une régence et qui, plus tard, fut reconnu comme héritier unique et légitime, par Henri V, qui n'avait pas de postérité.

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    Orphéon : un mot du XVIIIème siècle

    Ladite médaille fut donnée par le jeune prince le 21 mars 1847, moins d'un an avant la date fatidique du 24 février 1848; donnée à un orphéon, c'est-à-dire une fanfare qui s'était produite devant lui. Le mot « orphéon », apparu en France en 1767, fut très en vogue au XIXème siècle, par référence à la figure de la mythologie grecque, Orphée, dont la voix et la lyre charmèrent aussi bien les Sirènes que Cerbère.   

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • Livres • Le nouveau Zemmour++

    783952387.jpgCela fait quelques temps qu'un nouveau livre d'Eric Zemmour est toujours un événement. Nous n'avons pas encore lu, ni vu de critiques d'Un quinquennat pour rien, qui paraît chez Albin Michel. Voici, en tout cas, pour l'instant, la présentation qui en est faite par l'éditeur. En attendant la suite.  LFAR 

    Le quinquennat hollandais a glissé dans le sang. Avec une tache rouge vif indélébile. Les attentats contre Charlie, l'Hyper Cacher de Vincennes, et la tuerie du Bataclan annoncent le début d'une guerre civile française, voire européenne, et le grand défi lancé par l'Islam à la civilisation européenne sur sa propre terre d'élection.

    Ce retour du tragique tranche avec la débonnaireté présidentielle qui confine à la vacuité. Comme si l'Histoire avait attendu, ironique, que s'installât à l'Elysée le président le plus médiocre de la Ve République, pour faire son retour en force. Comme si le destin funeste de notre pays devait une nouvelle fois donner corps à la célèbre formule du général de Gaulle après sa visite au pauvre président Lebrun, égaré dans la débâcle de 1940 : « Au fond, comme chef de l'Etat, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef et qu'il y eût un Etat ». Comme si la dégringolade n'avait pas été suffisante, pas assez humiliante, de Pompidou à Sarkozy. Ce dernier avait été élu président pour devenir premier ministre; son successeur serait élu président pour devenir ministre du budget. Un quinquennat pour rien. 

    Éric Zemmour est un des éditorialistes français les plus redoutés et les plus lus ou écoutés (RTL, Le Figaro Magazine et Le Figaro). Il conduit le talk-show « Zemmour & Naulleau » chaque mercredi soir sur Paris Première. Il est également l'auteur de plusieurs romans et de nombreux essais polémiques. Son dernier livre, Le suicide français, s'est vendu à 500 000 exemplaires.

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2016/08/26/livres-le-nouveau-zemmour-5840237.html

  • Le concept de Base Autonome Durable | Par Michel Drac

    Michel Drac nous présente son concept de BAD, où une forme de communauté visant à la création d’une contre-société. (Rébellion, n° 49, juillet/août 2011). Même si nous n’avons pas la même approche, plusieurs éléments sont particulièrement utiles dans une réflexion sur les Communautés Autonomes et Offensives.

    Le concept de Base Autonome Durable (BAD) est dérivé d’une proposition initialement formulée par Hakim Bey : la Temporary Autonomous Zone (TAZ). L’idée fut à la fois retenue et critiquée par les principaux courants autonomes. Retenue, parce que la TAZ fournissait la possibilité d’une action, même incomplète, même symbolique, face à un ordre devenu trop puissant pour ses opposants. Critiquée, parce le caractère temporaire d’une base autonome sous-entendait que l’autonomie était ici réduite à un simulacre. Par définition, une autonomie temporaire est toujours une autonomie trompeuse. Pour dépasser la TAZ, on inventa donc la BAD : la même chose, mais sous la forme de base, « en dur », « durable ».

    De plus en plus de « militants » se transforment en « résistants » sous l’influence du courant survivaliste américain, et ces « résistants » glissent tout doucement vers la conclusion que résistance rime avec résilience, puisqu’au fond, tout commence avec l’autonomie : on ne résiste à un système que si on ne dépend pas de lui. A l’action politique telle qu’on la pense traditionnellement en France, on adjoint ainsi une autre façon de penser le combat : une méthode non-politique servant des fins politiques. Il s’agit non de peser directement sur la vie de la Cité, mais au contraire de s’en abstraire pour la conditionner indirectement, ou plutôt pour en contester le conditionnement par le Pouvoir. « Je ne dis pas que je veux changer les lois de la Cité, je dis que je veux suivre les lois de ma propre cité, hors la Cité » : tel est le slogan. J’avoue que pour ma part, je me reconnais tout à fait dans cette sensibilité.

    Ici, nous devons admettre que nous avons affaire, une fois n’est pas coutume, à une forme positive d’américanisation. Et après tout, pourquoi pas ? Depuis des décennies, la France importe pour son malheur toutes les pathologies du modèle américain. Il est justice qu’elle importe aussi quelques-uns des antidotes partiels que l’Amérique réelle a fini par inventer, pour se défendre contre ses démons. A une époque où le Pouvoir se nourrit de la dislocation de la Cité, se mettre à l’avant-garde de ce mouvement de dislocation peut être, pour les résistants, un moyen de battre le Prince à son propre jeu. Il faut considérer l’hypothèse, à tout le moins.

    Mais la raison pour laquelle la mode « autonome » peut durer, la raison pour laquelle il faut s’y intéresser, est ailleurs : elle tient au contexte. Le grand effondrement a commencé.

    Accrochez-vous, ça va tanguer !

    Passons aux choses sérieuses : de plus en plus de gens réalisent que le conte de fées consumériste/productiviste contemporain est un château de cartes, et que le château de cartes peut s’écrouler du jour au lendemain. Il y a quelques années, quand vous expliquiez que la « prospérité » occidentale reposait sur un incroyable trou noir de dettes, que cette économie de casino pouvait s’effondrer comme l’URSS en son temps, et qu’en outre, vu le très haut niveau d’intégration de toutes les chaînes logistiques, il en résulterait une destruction de valeurs et des troubles bien pires que lors de la chute du système soviétique, on vous riait au nez. Aujourd’hui, plus personne ne ricane quand vous tenez ce genre de propos.

    Que s’est-il passé entretemps ? C’est simple : les gens ont entraperçu le gouffre au bord duquel ils marchaient jusque là en toute inconscience. La crise des subprimes, les évènements de Grèce, la faillite quasi-avérée de nombreux Etats fédérés américains, la menace d’une cessation de paiement de l’Etat fédéral US même : les occidentaux en général, et les Français aussi donc, viennent de réaliser que le malheur, ça n’arrive pas forcément qu’aux autres. La psychologie collective évolue. Le désastre soudain réintègre le champ des possibles. Même la catastrophe globale devient pensable.

    Et il y a d’excellentes raisons de penser que cette évolution va se poursuivre et s’accentuer.

    Les dirigeants américains et européens peuvent gesticuler : en réalité, on voit bien qu’ils n’ont aucune réponse adaptée aux défis contemporains. C’est particulièrement sensible aux USA – un Empire global qui rappelle de plus en plus l’Empire espagnol dans ces dernières années, rongé par la corruption, affaibli par des guerres ingagnables, drogué par l’abondance d’une monnaie de pillage, une monnaie si abondante qu’elle avait fini par vampiriser toutes les forces productives authentiques. Mais l’effondrement est presque aussi sensible en Europe, ou plutôt dans l’Eurozone et dans ce qui reste du Royaume-Uni, transformé en base financière offshore. Londres achève en ce moment de sacrifier le peuple anglais pour sauver temporairement la City. Paris et Rome sombrent dans le ridicule, avec des chefs d’Etat tout juste capables d’organiser des partouzes (le sympathique Berlusconi) ou de contester à la famille Grimaldi les pages People de Paris-Match (le même-pas-sympathique Sarkozy). La seule capitale occidentale qui semble encore capable de penser l’avenir est Berlin, mais l’avenir qu’on pense là-bas est pour l’instant limité à la vision faussement rassurante d’une épicerie bien gérée. C’est évidemment mieux que Sarkozy ; mais c’est très, très loin de constituer une réponse à la hauteur des défis contemporains.

    Pendant ce temps-là, contraste dramatique, l’hémisphère occidental sombre lentement dans le chaos, tandis que l’Asie poursuit une croissance rapide mais malsaine. L’amoncellement de dettes privées et publiques est devenu tel que la simple évocation de son remboursement intégral provoque l’hilarité. La combinaison des produits dérivés et des politiques de taux aberrantes a fini par créer une situation inextricable, dont il est de plus en plus évident qu’on ne pourra sortir que par une faillite globale pure et simple – autant dire que la crise financière en gestation fera passer le 1923 allemand pour une simple péripétie. Personne n’a de réponse satisfaisante à apporter aux questions énergétiques soulevées par les défaillances du nucléaire, la déplétion pétrolière, la déception probable sur l’énergie de fusion. Personne ne sait vraiment comment conjuguer les perspectives démographiques à l’horizon 2030/2040 (+ 2 milliards d’hommes) et les risques que la crise énergétique fera peser sur une production agricole mondiale largement dépendante de l’économie pétrole (engrais, acheminement, mécanisation). Personne ne sait comment, dans ce contexte, réguler les flux migratoires potentiels venant d’Afrique ou du sous-continent indien. Bref, personne n’a de réponse globale à proposer.

    La conjonction d’une carte financière ingérable et d’un territoire politique, économique et social réel fragilisé laisse craindre un effondrement pur et simple de toute l’économie contemporaine – quelque chose qui pourrait ressembler à la dislocation de l’espace économique méditerranéen de la chute de Rome à la conquête musulmane, mais à une vitesse bien plus rapide, comme un film passé en accéléré. Il s’agirait alors d’un de ces ajustements brutaux, que l’humanité a déjà connu jadis, et qui viennent sanctionner l’excès de croissance à la fin d’une phase ascendante – la Peste Noire à la fin des grands défrichages en Europe, l’effondrement cataclysmique d’une Chine surpeuplée manquant la révolution industrielle, au XIX° siècle… L’originalité serait que, cette fois, mondialisation oblige, l’ajustement pourrait bien être planétaire.

    Bien sûr, ces scénarios noirs ne sont pas les plus probables. Les instruments technologiques contemporains peuvent rendre possible la gestion d’une décroissance harmonieuse, dans certaines limites. On ne peut ni ne doit exclure par hypothèse un atterrissage progressif, une sortie raisonnée de la société de consommation et l’émergence d’une conception plus juste des richesses, des sociétés, des fins mêmes du politique – devant l’imminence de la catastrophe, peut-être l’humanité saura-t-elle se sublimer. Mais le simple fait que la catastrophe globale ait cessé de constituer un scénario absurde, le simple fait qu’il faille prendre en considération la possibilité avérée d’une évolution cataclysmique à moyen terme, suffit à changer radicalement la psychologie collective.

    Il va en résulter, en fait il en résulte déjà partiellement, une réévaluation des critères de la décision dans la plupart des domaines susceptibles d’impacter nos vies. A la logique de maximisation du rendement moyen dans un cadre général stable, logique actuellement dominante, va progressivement se substituer une logique de minimisation de la perte latente dans un cadre général dégradé. La robustesse d’une solution sera jugée plus précieuse que sa performance « quand tout va bien ». Seules les très grandes entreprises multinationales n’ont pas encore modifié la hiérarchie de leurs critères de décision, parce que leur fonctionnement est si parfaitement adapté à la mondialisation tous azimuts que la remise en cause du mode de production délocalisé/intégré constitue une révolution mentale difficile pour elles. Les autres acteurs de l’économie, eux, ne s’y trompent pas – particuliers qui recherchent l’autonomie de leur approvisionnement énergétique, même avec des solutions à faible rentabilité, PME s’évadant d’une situation de sous-traitance qui les place en grande vulnérabilité face à des donneurs d’ordre eux-mêmes fragilisés, etc. Dans l’ensemble, un mouvement de raccourcissement des chaînes logistique s’enclenche discrètement.

    Dans ce contexte, la BAD est plus qu’une simple alternative impolitique au conditionnement politique. Elle est aussi une idée tendance – et pour de bonnes raisons. C’est pourquoi les dissidences vont vraisemblablement s’en emparer de plus en plus : non seulement c’est un bon moyen de prendre à revers le système tant qu’il fonctionne, mais c’est aussi une garantie de survie s’il s’écroule. Bref, c’est un concept polyvalent, dans une période de grande incertitude sur les ruptures de contexte possibles à court et moyen terme.

    On vit ensemble, on meurt ensemble

    Au-delà de ces constats sur l’évidente opportunité de la BAD, la vraie question, pour qui tente d’enclencher une démarche en ce sens, est sa faisabilité –les conditions pour rendre faisable un projet de BAD. Et c’est là que les choses deviennent compliquées. Comprendre que la BAD est une bonne idée n’est rien ; le vrai sujet, c’est : comment mettre cette idée en pratique ?

    Pour l’instant, la mouvance dissidente et les divers projets survivalistes en sont encore au stade des premières expérimentations. Le concept est de toute manière très polyvalent, et il est probable, souhaitable même, que diverses solutions seront élaborées, adaptées aux situations particulières de tel ou tel sous-groupe. Pour l’instant, l’avancement des expérimentations permet tout au plus de lister les questions-clefs, de les hiérarchiser – on ne peut répondre à tout, mais on commence à avoir une idée précise des domaines où la réponse ne sera pas simple à élaborer. C’est un début.

    Les trois enseignements principaux, à ce stade, sont : la complexité de la solution organisationnelle, la nécessité du réseau, l’importance de la préparation psychologique.

    Trouver le lieu d’une BAD n’est pas difficile. Dégager le financement peut être plus compliqué, mais finalement, si la motivation est là, on se débrouille toujours. Le vrai problème, c’est d’organiser cette motivation, de lui donner le cadre à l’intérieur duquel les individus se coordonnent.

    Ce sont d’abord des questions très concrètes. Par exemple : faut-il acheter le lieu en SCI ? En indivision ? Diviser le bien ou acheter des biens mitoyens ou en tout cas proches ? A combien ? Quel statut pour les membres du projet ? N’y a-t-il qu’un seul type de membre ? Faut-il distinguer des membres permanents et des membres associés ? Quelle fonction exacte pour les uns et les autres ? Comment répartit-on les tâches ? Qui est chargé de contrôler quoi ?

    Mais à l’expérience, on s’aperçoit vite que ce dont il est question ici, ce n’est pas simplement de gérer quelques points d’intendance. Il s’agit potentiellement d’inventer la structure de base d’une nouvelle société. Tout simplement parce que derrière la gestion des choses, il y a celle des gens qui vont construire, entretenir et utiliser ces choses.

    Or, édifier cette structure de base est un projet à la fois indispensable et très difficile.

    Indispensable, parce que toutes les expérimentations en cours confirment la nécessité impérieuse de ne pas penser la BAD comme une monade isolée, mais comme un nœud au sein d’un réseau. Très vite, dès qu’on commence à sortir du « système », on mesure sa vulnérabilité. Certains rêveurs s’imaginent pouvoir déconstruire la matrice qui enserrait leur vie par leurs seules forces. Ce qu’il faut dire à ceux qui nourrissent semblables illusions, c’est qu’il est temps de grandir et de regarder les réalités en face. Un individu isolé, même un petit groupe sans liens avec d’autres groupes, est parfaitement démuni en face des menaces qui peuvent peser sur lui.

    Vous n’affrontez pas l’Etat tout seul – au mieux, il prendra le temps de vous manipuler sournoisement avant de vous écraser. Seul, vous ne pouvez même pas assurer votre propre sécurité : les gens qui viendraient armés de mauvaises intentions ne vont pas les afficher à la porte de votre BAD pour que vous puissiez les reconnaître et les repousser aisément. Même contre un autre individu, un individu ne peut pas se protéger seul si son adversaire a l’initiative du lieu et de la méthode. En fait, un individu isolé ne peut même pas se défendre contre lui-même ; il est très vulnérable à toutes les tentatives de manipulation d’un réseau qui voudrait l’inclure pour l’utiliser. Il est d’ailleurs probable que les récents attentats en Norvège fournissent une belle illustration de ce cas de figure.

    Si vous êtes seul, vous pouvez avoir l’illusion d’une forme d’indépendance, mais puisque votre sûreté dépend des juges et des policiers de la machine d’Etat, ce n’est, précisément, qu’une illusion. Si vous voulez être réellement indépendant, il faut constituer un réseau d’une taille suffisante pour qu’un adversaire, n’importe quel adversaire, soit paralysé par la menace des mesures de rétorsion que le groupe, soudé, solidaire, prend si l’on attaque un de ses membres. C’est pourquoi la réalité de l’indépendance, de l’autonomie, de la souveraineté, commence toujours par la fabrication d’un collectif.

    Prenez la mafia. Evidemment, pas en exemple : moralement, c’est indéfendable. Mais à titre d’illustration du principe d’organisation contre la machine d’Etat. Comme adversaire, pour l’Etat, la mafia, c’est un peu plus sérieux que n’importe quel individu isolé. Il est certain qu’un champion de boxe thaïe est beaucoup plus fort physiquement qu’un quadragénaire fatigué d’1 mètre 70 – le portrait type du soldat dans la mafia italo-américaine. Mais, n’en déplaise aux amateurs de boxe thaïe, comme défi lancé à l’Etat, la mafia, c’est un peu plus sérieux qu’un club de boxe thaïe. Pourquoi ? Parce que nos mafieux à physique al-pacinesque savent se coordonner ; ils ne sont pas une réunion d’individus, ils sont une organisation. Ce ne sont pas des bandits sans foi ni loi. A tout le moins, ils ont une loi : la leur. Eh bien, donnez-moi quelques dizaines de ces types aptes à conduire des manœuvres invisibles coordonnées, et même si ces gars-là sont individuellement inoffensifs, je vous garantis qu’ils formeront collectivement une force redoutable.

    Voilà pourquoi la BAD doit d’abord être pensée comme le lieu d’incubation des structures de base d’une nouvelle société, ou plutôt d’une contre-société. Parce que la seule chose qui peut triompher d’un système social, c’est un autre système social.

    Le problème, c’est que cette tâche indispensable est rendue aujourd’hui très difficile par la psychologie que les réseaux du système en place ont su instiller aux individus qu’ils entendent dominer. Voilà le principal obstacle qui se dressera concrètement sur le trajet de tous ceux qui tenteront de constituer une BAD : nos contemporains ont désappris à se penser comme parties d’un tout. Chaque individu est enfermé dans la perception de son existence propre comme devant nécessairement être justifiée par elle-même.

    Quand vous construisez un projet de BAD, vous réalisez vite que la première ligne de défense du système d’hétéronomie est implantée à l’intérieur même de vous : c’est votre héritage psychologique, modelé par la culture du narcissisme et la dégénérescence pathologique du modèle de la famille nucléaire, devenu anti-modèle de la famille décomposée et mal recomposée. Ne nous attardons pas à multiplier les exemples. Juste une observation : combien de temps faut-il à nos contemporains pour employer sincèrement le pronom « nous » quand ils forment un groupe ? Réponse : ils n’emploient jamais ce pronom – jamais sincèrement, en tout cas.

    C’est précisément cette incapacité à penser le collectif qui explique ce syndrome très répandu : le fantasme de toute-puissance. La proportion de personnalités borderline parmi nos contemporains, et particulièrement parmi les personnes encore dotées d’un minimum d’esprit critique, est probablement très supérieure à ce qu’elle était jadis. Cela vient du fait que les individus, se sachant en fait parfaitement impuissants mais, en même temps, restant incapables de sortir de leur individuation radicale, se réfugient dans une posture, voire dans un univers semi-onirique. D’où la multiplication, dans les milieux non conformistes, de survivalistes du dimanche capables d’arrêter une armée à eux tout seuls, de boxeurs de rue imaginaires, etc. Il n’est pas évident de constituer un réseau de BAD à partir d’une population constituée majoritairement d’individus atteints par ce type de pathologies.

    La vraie question

    En synthèse, la BAD apparaît aujourd’hui comme un concept polyvalent, adapté à un contexte instable. Ce concept séduit parce qu’il propose une voie d’action accessible. Plus profondément, l’esprit du temps entre spontanément en résonnance avec l’idée d’autonomie, à un instant de l’Histoire ou un très grand système fédérateur totalement intégré menace de se disloquer. Mais la réussite ou l’échec de ce concept, dans la pratique et au sein des divers courants de la dissidence, dépendra non de son opportunité, évidente, mais de sa faisabilité. Et cette faisabilité dépend elle-même de la capacité qu’auront les groupes concernés à inventer, pour s’opposer au système qu’ils combattent, la brique de base d’un contre-système – une nouvelle manière d’insuffler une dynamique collective à une masse d’individus atomisés.

    Le premier territoire à libérer, avant même celui de nos futures BAD, est donc l’espace mental constitué par l’interconnexion de nos cerveaux. En ce sens, la première BAD est mentale, à l’intérieur de nous. Si l’esprit n’est pas au rendez-vous, la matière ne suivra pas. Au reste, le véritable enjeu du combat a-t-il jamais été ailleurs ?

    Par l'OSRE (Organisation socialiste révolutionnaire européenne)

    http://www.scriptoblog.com/index.php/archives/billets-d-auteurs/47-societe11/1974-le-concept-de-base-autonome-durable-par-michel-drac

  • COSAQUES : L’ORIGINE DES « GUERRIERS LIBRES » suite et fin

    Les pirates cosaques payèrent parfois très cher leurs prises. En 1614, 2.000 d’entre eux rentraient de Sinope où ils avaient incendié l’arsenal quand ils furent surpris par la flotte turque; beaucoup périrent ou, chargés de chaînes, furent conduits à Constantinople et exécutés. Mais leurs camarades ne se découragèrent pas pour autant. L’année suivante, ils partirent à quatre mille sur leurs « mouettes » pour une expédition encore plus audacieuse afin d’aller incendier le port de Constantinople ; une flottille turque les rattrapa en 1616 après qu’ils eurent réussi à brûler le marché d’esclaves de Keffa en Crimée, mais les Cosaques se défendirent avec acharnement et obligèrent leurs ennemis à rebrousser chemin tant ils leur avaient infligé de pertes sévères. Le grand vizir fut mis à mort pour n’avoir pas pris les mesures de défense qui convenaient, et la Porte réunit une conférence en mai 1618 en vue de trouver un antidote efficace aux Cosaques. Ce fut une conférence pour rien. Les raids continuèrent de plus belle. En 1633, 6.000 Cosaques revinrent dans les environs immédiats de Constantinople; en 1634, des Zaporogues et des Cosaques du Don s’embarquèrent sur 150 « mouettes » et, malgré une flotte de 500 galères turques et une garnison de 10.000 soldats, ils réussirent à incendier toutes les installations du Bosphore  ; cette fois-ci, la note à payer fut lourde : ils perdirent plus de 100 « mouettes », 2.000 Cosaques périrent et près d’un millier tombèrent aux mains des Turcs. Ce revers ne parut point les affecter. Leur haine solidement implantée contre les Turcs et les Tatars s’ajoutant à leur soif inextinguible de rapines, ils ne se laissaient décourager par rien, et vers 1630 le Sultan, qui était le monarque le plus puissant du monde, se trouva réduit à demander aux Polonais de les exterminer.

    Les Turcs, tout puissants qu’ils étaient, avaient fini par apprécier les qualités des Cosaques. Najim, chroniqueur turc du XVIIe siècle, écrivit : « On peut affirmer sans crainte d’être démenti qu’il est impossible de trouver sur cette terre des hommes plus audacieux qui se soucient aussi peu de la vie… et qui redoutent moins la mort. Des experts des affaires maritimes disent que… leur habileté et leur intrépidité dans des batailles navales en font des ennemis plus redoutables que n’importe qui ».

    Les vertus militaires des Cosaques étaient aussi élevées sur terre que sur mer. Il le fallait. Les Tatars et les Turcs représentaient une menace constante même pour leurs plus gros établissements et, en 1643 encore, plusieurs villages de Cosaques du Don furent rasés par le feu, tandis que des centaines d’habitants étaient tués ou faits prisonniers. La surveillance ne pouvait pas se relâcher une minute. Des éclaireurs sortaient des postes de guet pour sonder la steppe, prêts à allumer des signaux à la moindre alerte et, s’ils apercevaient l’ennemi qui approchait, à rentrer au galop afin de se réfugier derrière les palissades et les fossés de leur village. Les femmes et les enfants étaient exercés à se joindre aux hommes pour participer à la défense de leurs foyers.

    Un Cosaque était toujours prêt à l’action, et il ne sortait jamais sans ses armes. Dès qu’il savait marcher, on lui apprenait à se battre. Un garçonnet était instruit à pratiquer le galop, à faire franchir, à la nage, des rivières à son cheval, à chasser le gibier avec un arc et des flèches. Au XVIIIe siècle, un observateur des Cosaques du Yaïk notait que « depuis leur plus tendre enfance, ils étaient accoutumés à toutes sortes d’équipements difficiles, habitués au maniement des armes à feu, de la lance, et à tirer avec l’arc des hommes d’armes ». Les Cosaques étaient adroits au mousquet, au pistolet, au sabre, à la lance, à la pique et même dans l’emploi de l’artillerie. Comme ils préféraient l’attaque à la défensive, ils portaient rarement des cuirasses et, exercés à l’école de guerre tatare, ils étaient enclins à sortir pour écraser l’ennemi plutôt qu’à l’attendre chez eux pour le repousser. La surprise était l’élément fondamental de leur méthode. Pour surprendre, la mobilité représentait l’atout maître, et le cheval était sur terre leur moyen de mobilité par excellence.

    Le serviteur convenait parfaitement à son maître. Pour des Occidentaux, le cheval non ferré de la steppe avait tout l’air d’un cheval sauvage, mais il était robuste et il pouvait partager la vie rude de son cavalier. Petit, léger, ardent, il était résistant, il avait un dos solide et il mangeait n’importe quoi. Il était capable de survivre à un hiver rigoureux sur la steppe sans abri, car il trouvait sa propre subsistance (pas grand-chose) sous la neige ; quand il le fallait cependant, il pouvait franchir sous son cavalier quatre-vingts kilomètres par jour pendant deux semaines successives. « Propre, excellent, endurant, rapide, jamais méchant, commode pour supporter de grandes épreuves », voilà comment le définit un voyageur de l’époque.

    Les Cosaques étaient de splendides cavaliers ; audacieux, ils rivalisaient avec les Mongols dans l’amour de l’équitation. Seuls les Zaporogues passaient pour meilleurs fantassins que cavaliers, et ils étaient des marins incomparables. Leur activité se manifesta pourtant aussi bien sur terre que sur mer, car ils maintenaient une pression constante sur les Tatars de Crimée, et ils exécutaient souvent des expéditions en Moldavie et sur les territoires polonais.

    Les Cosaques mirent au point des formations et des tactiques spéciales, conformes aux conditions dans lesquelles ils devaient se battre. Ils partaient en campagne en une colonne que flanquaient leurs chariots de bagages et leur artillerie qui avançaient en une ligne parallèle ; cette formation était conçue pour procurer une rapide protection d’ensemble sur la steppe dégagée contre l’attaque subite d’une force tatare plus importante. Lorsqu’ils se heurtaient à l’ennemi, les deux files opéraient leur jonction en tête pour former une pointe, pendant qu’à l’arrière les chariots se déployaient et constituaient la base d’un triangle. Les Cosaques se dépêchaient alors d’enchaîner les chariots les uns aux autres ; s’ils en avaient le temps, ils les retournaient et les enfonçaient dans le sol. En quelques minutes, ils improvisaient un système de défense sans la moindre fissure sur toute la ligne ; ils l’appelaient le tabor ; ce système était plus facile à constituer qu’une défense en carré ou en cercle ; semblable par sa conception au corral de chariots du Far West, il avait pour but de faire face à des situations analogues, car les cavaliers tatars pratiquaient à peu près la même tactique que les Indiens de l’Amérique du Nord : sans trop s’approcher de l’obstacle, ils décrivaient de grands cercles tout autour en l’arrosant de flèches dans l’espoir d’user les Cosaques avant de lancer une charge finale dévastatrice. Les Cosaques, quant à eux, utilisaient leurs meilleurs tireurs pour abattre le plus de Tatars possible, les moins bons les approvisionnant sans défaillance en fusils à pierre chargés ; lorsque les Cosaques estimaient que l’ennemi commençait à perdre de son agressivité, ou s’ils se trouvaient à court de munitions, ils effectuaient une sortie en brandissant piques et sabres. Un millier de Zaporogues en formation de tabor pouvaient maintenir à distance 6.000 cavaliers tatars et constituer un obstacle formidable même pour des soldats instruits à l’école occidentale.

    La formation habituelle de la cavalerie cosaque était la lava, c’est-à-dire une ligne incurvée à l’intérieur et, de préférence, assez longue pour s’étendre au-delà des flancs de l’ennemi. Trois lignes chargeaient successivement ; les cavaliers se détournaient vite des points forts du front ennemi pour s’infiltrer par les points faibles comme de l’eau s’écoulant d’une citerne percée. Les Cosaques se rendirent célèbres pour leurs embuscades, pour l’impétuosité bruyante de leurs assauts sur les flancs ou l’arrière de l’adversaire, pour leur maîtrise dans les pratiques les plus perfides de l’art de la ouerre. Si, dans l’ensemble, ils préféraient l’attaque fougueuse à une défense passive, ils étaient néanmoins capables le cas échéant de faire montre d’une patience suffisante pour soutenir un siège prolongé.

    Les talents guerriers des Cosaques, sur l’eau comme sur la terre ferme, étaient si reconnus qu’on les recherchait beaucoup pour en faire des soldats payés. Leur habileté à se retrancher et à organiser une défense mobile, leur courage, leur esprit jamais à court de ressources, leur aptitude à supporter des privations sans se plaindre devinrent proverbiaux et, dès qu’ils se furent établis, ils reçurent de multiples invitations à combattre pour d’autres peuples ; les magnats, les barons des marches, des princes et des rois les employèrent en qualité de mercenaires.

    Les Polonais les engagèrent toujours individuellement, car ils ne reconnurent jamais une communauté cosaque comme un ensemble, et ils les enrôlaient pour un service permanent, ce qui était un moyen de les intégrer dans la texture générale de l’État. Une loi de recrutement des Cosaques ukrainiens pour l’armée polonaise fut promulguée dès 1524 et, en 1572, le roi Étienne Bathory leva tout un régiment en remettant à chaque Cosaque un coupon d’étoffe et 14 zlotys par an. De temps à autre, lorsque les événements laissaient prévoir d’importantes opérations militaires, les Polonais enrôlaient aussi des Cosaques à titre temporaire. C’est ainsi qu’en 1574 ils en engagèrent un certain nombre pour une campagne en Moldavie et qu’en 1578-1579 ils en recrutèrent davantage encore pour la guerre contre la Russie ; chaque Cosaque reçut 15 florins et du tissu pour deux uniformes. Lorsque la trésorerie de la Couronne le permit, les rois de Pologne immatriculèrent beaucoup plus de Cosaques pour du service permanent, et ils les organisèrent en s’inspirant des méthodes des nouvelles armées de l’Europe occidentale. En 1625, il y avait 6.000 « Polonais » inscrits comme Cosaques, organisés en 6 régiments de 1.000 hommes ; chaque régiment était commandé par un colonel et subdivisé en centuries sous les ordres d’un centurion.

    L’immatriculation (ou l’enregistrement) n’était pas seulement un moyen de lever des soldats ; en nommant les officiers et en offrant aux plus courageux des récompenses sous forme de terres, de titres et de privilèges spéciaux, les rois de Pologne pouvaient apprivoiser la masse indisciplinée de la communauté cosaque de l’Ukraine. Les 6.000 Cosaques inscrits sur les registres de l’armée ne représentaient que le dixième de tous les Cosaques aptes à servir, et l’érosion progressive des libertés des neuf autres dixièmes — ou de ceux qui ne fuirent pas pour rejoindre leurs camarades de la Sitch zaporogue — n’allait pas tarder à créer un foyer de révolte en Ukraine.

    La Moscovie elle aussi employa des Cosaques « de ville » à titre individuel, mais elle recruta également des soldats parmi les Cosaques libres. En 1552, un certain nombre de ces derniers — sans doute les mêmes « brigands » qui avaient causé tant d’embarras à la Moscovie dans ses relations pacifiques avec les Tatars — avaient aidé Ivan le Terrible à s’emparer de Kazan. Ils servirent le Tsar à Astrakhan et pendant la campagne livonienne de 1579. La Moscovie recruta aussi des Cosaques ukrainiens, dont 500 d’entre eux combattirent pour elle contre le roi de Pologne à Pskov en 1581.

    Le gouvernement moscovite négociait les conditions de service par l’intermédiaire des atamans cosaques; il traitait avec eux tout à fait comme un industriel traite avec des délégués syndicaux. En échange de ces services, les communautés cosaques recevaient du salpêtre et du plomb, de l’argent, du grain, de la vodka et d’autres approvisionnements. Plusieurs accords de ce genre furent conclus avec les Cosaques du Don ou du Yaïk entre 1571 et 1600, et l’engagement de Cosaques par les Tsars pour des campagnes particulières devint bientôt une pratique courante qui procurait à diverses communautés libres une source régulière de revenus. Mais il n’y eut pas d’immatriculation comme celle que les Polonais avaient instaurée auprès de leurs Cosaques en Ukraine. L’ambassadeur de Moscovie en Turquie qui alla voir les Cosaques du Don en se rendant à Constantinople en 1592 leur demanda, plus qu’il leur commanda, de vivre en paix avec la garnison turque d’Azov  ; lorsque le Tsar essaya de mettre à la tête de leur contingent militaire un homme à lui, Pierre Khrouchtchev, les Cosaques répliquèrent : « Nous avons déjà servi le Tsar, mais jamais sous un autre chef que l’un des nôtres. Nous serons heureux de servir sous les ordres de nos propres chefs, mais pas sous les ordres de Khrouchtchev ».

    Philip LONGWORTH

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  • COSAQUES : L’ORIGINE DES « GUERRIERS LIBRES » partie 3

    Bien que l’élevage encourût moins de critiques, il connut des débuts difficiles à cause des raids des pillards. Si l’on avait besoin d’un cheval, il était tellement plus simple d’en voler un aux nomades que de l’élever ! Mais la passion du cheval fit au XVIIIe siècle de nombreux adeptes, notamment au bord du Don, et les Cosaques zaporogues comme ceux du Yaïk finirent par pratiquer sur une grande échelle l’élevage du mouton dans les pâturages riverains.

    C’est le poisson qui constitua l’aliment essentiel des Cosaques, ainsi que la principale source de leurs revenus dans les premières années de leur existence. De temps à autre ils pouvaient manger de la viande, du pain de seigle quand il y avait du grain pour le confectionner, mais presque toujours c’était du poisson, frais ou fumé. Au XIXe siècle encore, les Cosaques du Kouban se nourrissaient surtout de poissons séchés ou salés, et la pêche demeura la principale industrie des Cosaques du Yaïk jusque vers 1760. Elle était aussi très importante sur le Don et, si la glace d’hiver sur le fleuve était trop épaisse, comme cela se produisit en 1640-1641, la diminution des prises avait des conséquences fatales pour de nombreux Cosaques qui mouraient de faim .

    Pour les premiers pêcheurs cosaques, les rivières étaient pratiquement vierges. Même le Terek, où les tribus Tchétchènes et koumyk avaient pêché avant eux, recelait dans ses eaux des harengs géants, des carpes, des barbeaux, des saumons ; trois espèces d’esturgeons, des sterlets, des carpes et un nombre incroyable d’autres poissons demeuraient tapis dans les rivières et les lacs du Don, et l’on retira du Yak des esturgeons géants qui mesuraient dix mètres de long et pesaient 200 kilos. Les pêcheurs peuvent être enclins à l’exagération, mais un ambassadeur d’Angleterre au XVIIe nous garantit que des Cosaques zaporogues prirent dans le Dniepr des bélougas « longs de trois brasses, dont l’un pouvait à peine être porté par 30 hommes ».

    La pêche prit progressivement le caractère d’une industrie organisée, en particulier sur le Yaïk où un ataman spécial supervisait trois grandes expéditions par an. En janvier et février, il prenait la tête d’une caravane de traîneaux portant des Cosaques bien emmitouflés contre le froid. Chaque jour, il délimitait des étendues de la rivière réservées à des équipes de quatre ou cinq hommes qui se mettaient aussitôt au travail, c’est-à-dire qu’ils creusaient des trous dans la glace et hissaient sur la rive leurs énormes prises qui se débattaient. Au printemps, l’ataman de la pêche dirigeait une campagne de trois mois : cette fois, les Cosaques partaient à bord d’embarcations, éperonnaient des esturgeons avec leurs lances, attrapaient des sterlets ; des glanes, des carpes, des brochets, des perches, des brèmes, des chevesnes et d’autres poissons dans leurs filets. Ils prenaient beaucoup plus qu’ils n’en pouvaient consommer et, pendant l’été, ils se mettaient en route avec des charrettes en direction de lacs lointains où ils allaient chercher les énormes quantités de sel qu’il leur fallait pour conserver le surplus. Enfin, en automne, il y avait une saison libre de 3 à 6 semaines, pendant laquelle les Cosaques sortaient par embarcations accouplées pour utiliser des seines pouvant atteindre trois cents mètres de long.

    Les poissons pêchés par les Cosaques étaient très demandés dans le monde extérieur, surtout en Moscovie. Un autre voyageur anglais a chanté les louanges de l’esturgeon bélouga : il était, écrivit-il, « plus blanc que du veau et plus délicieux que de la moelle… C’est l’une des plus grandes friandises qui proviennent de l’élément liquide, en particulier son ventre qui surpasse en excellence la moelle du bœuf ». Au terme de chaque saison, des marchands venaient de loin pour acheter des poissons et du caviar qu’ils vendaient sur les marchés de la Russie centrale.

    Le Cosaque était obligé de commercer. Il pouvait avoir un surplus de poissons, des fourrures, des peaux, du miel et de la cire, il pouvait même fabriquer pour lui de l’hydromel et de la vodka, mais il lui manquait le grain, les tissus, les clous, le plomb, la graisse, la poudre et les armes qui étaient nécessaires à sa survivance. Même lorsque les Cosaques édifiaient des communautés permanentes, elles ne pouvaient jamais se suffire à elles- mêmes sur le plan économique. Lorsque les villes frontalières russes et polonaises (dont ils dépendaient pour vivre) leur furent fermées, les Cosaques transportèrent parfois leurs marchandises jusqu’à des villes turques comme Azov afin d’obtenir en échange du grain, des étoffes et des produits artisanaux. Plus souvent les marchands allaient les trouver. Des négociants russes, grecs, arméniens et persans furent bientôt des personnages familiers dans les établissements cosaques et ils devenaient quelquefois une particularité permanente dans la vie d’une communauté. Une sorte de banlieue se développa à l’extérieur de la Sitch zaporogue, où des marchands vendaient de la viande, du sel, diverses denrées alimentaires, et où des tailleurs, des bottiers, des boulangers et des brasseurs exerçaient leurs professions. Comme le nombre des fugitifs en terres cosaques augmentait, des communautés acquirent leurs propres artisans : tonneliers, forgerons, armuriers, charpentiers, voire des chapeliers et des orfèvres ; les femmes cosaques apportaient leur contribution à l’économie primitive en filant, en tissant, en faisant pousser des fruits et des légumes devant leurs huttes. Mais dans presque toutes les communautés, les non-Cosaques devaient subvenir aux besoins que les Cosaques ne pouvaient ou ne voulaient pas satisfaire tout seuls.

    Si le poisson procurait un excédent commercialisable que les Cosaques pouvaient négocier avec des étrangers, les premiers Cosaques disposèrent de deux autres grandes sources de revenus : la flibuste et le mercenariat. Ils avaient appris des Tatars les techniques du pillage et des rapts ; peu à peu ils ne se contentèrent plus de pourchasser des proies faciles comme des voyageurs égarés en pays sauvage ou des marchands remontant les rivières : ils cherchèrent à soutirer de l’argent aux Turcs et aux Tatars, et leurs opérations pouvaient se révéler très profitables. Les Turcs allaient jusqu’à verser une rançon de 30.000 pièces d’or pour un pacha enlevé, et un marché d’esclaves se développa sur le Don, avec un roulement de deux mille personnes par an, chacune étant vendue de vingt à quarante roubles. Voilà pourquoi les Cosaques, grandissant en nombre et en expérience, se lancèrent dans des expéditions de piraterie en haute mer. La flibuste devint même une spécialité des Zaporogues, terreur des navires marchands ; les grandes galères turques sur la mer Noire les redoutaient plus que les tempêtes et, vers 1600, il n’était pas une ville ou un village sur ces côtes jusqu’à Constantinople même qui pouvait se sentir à l’abri de leurs raids soudains.

    Les embarcations des pirates zaporogues n’étaient pas beaucoup plus que des canots de rivière ; elles étaient faites de planches ou creusées dans un tronc d’arbre. Mesurant 20 mètres de long et quatre de large avec un faible tirant d’eau, elles se tenaient très bas sur l’eau, et il fallait les soutenir avec des liasses de roseaux pour qu’elles pussent résister aux vagues de la mer. La voile n’était hissée que par beau temps. Elles étaient habituellement propulsées par des avirons — de 20 à 30 par embarcation, avec deux hommes par aviron — et de grandes pagaies de direction à l’avant et à l’arrière. Un bateau de ce genre pouvait être construit par 60 Cosaques en une quinzaine de jours. On les appelait des tchaiki, c’est-à-dire des mouettes.

    Malgré leur petite taille et leur construction fruste, elles étaient assez rapides pour atteindre la côte de l’Anatolie, distante de 500 cinquante kilomètres de l’embouchure du Dniepr, en moins de deux jours; d’autre part, elles présentaient d’importants avantages par rapport aux bateaux beaucoup plus gros qui naviguaient sur la mer Noire : leur maniabilité était supérieure, et elles pouvaient virer de bord avec une facilité plus grande que les galères turques ; enfin, grâce à leur faible tirant d’eau, elles pouvaient pénétrer dans des hauts-fonds inaccessibles à leurs lourds adversaires. Les marins cosaques savaient profiter de tous ces avantages.

    Une bonne centaine de tchaiki, bourrées d’hommes et d’approvisionnements, quittaient la Sitch pour une expédition d’importance; les vivres consistaient en biscuits et en millet bouilli, en poissons séchés, en eau potable, mais il n’y avait jamais à bord « d’Aqua vitae ni d’autres boissons fortes car, bien qu’ils fussent aussi prompts à s’enivrer que n’importe quelle nation nordique, ils étaient d’une sobriété miraculeuse quand ils faisaient la guerre », et un Cosaque qui enfreignait cette discipline risquait d’être jeté par-dessus bord par ses camarades. Ils étaient tous bien armés de pistolets, de mousquets, de sabres, et chaque embarcation disposait d’un fauconneau. Mais ils avaient pour armes essentielles le secret et la surprise, et l’obscurité était leur meilleur allié.

    La flottille descendait en silence le Dniepr pour émerger parmi les roseaux de l’estuaire dans la mer Noire, à la nuit, en général lorsque la lune en était à son dernier quartier. Lorsque les Cosaques avaient repéré un objectif vulnérable, ils le filaient sous le couvert de la nuit, ou du bord de l’horizon pendant le jour, et ils passaient à l’attaque à l’aube ou au crépuscule quand le soleil ne les gênait pas. Si leur victime choisie se révélait trop coriace, ce qui arrivait parfois, ils rompaient le combat et se réfugiaient dans des eaux peu profondes, à moins qu’ils ne remontassent un cours d’eau propice. Mais dès qu’ils avaient ramassé autant de butin qu’en pouvaient transporter leurs embarcations, ils regagnaient la Sitch avec la même rapidité et la même discrétion qu’ils en avaient mis pour partir.

    Pendant tout le XVIIe siècle, les Zaporogues, qu’accompagnaient souvent les Cosaques du Don, furent un véritable fléau pour les navires et les villes côtières de la Turquie et de ses vassaux. Leurs expéditions avaient lieu avec une ampleur et une régularité qui en faisaient presque des actes de guerre, mais ils songeaient bien plus à un profit économique qu’à des avantages politiques. Vers 1600, leurs fréquents succès et la pagaille qui en découlait préoccupaient beaucoup les Turcs, mais aussi les rois de Pologne qui étaient tenus pour responsables de leurs agissements et qui n’en souhaitaient pas moins établir de bonnes relations avec la Porte. En 1604, les Zaporogues attaquèrent les villes lointaines de Trébizonde et de Sinope ; deux ans plus tard, ils descendirent sur Kilia et détruisirent pratiquement le port important de Varna sur la mer Noire. En désespoir de cause, les Turcs lancèrent une grande chaîne en travers de l’embouchure du Dniepr afin de les cantonner sur le fleuve, mais les Cosaques passèrent quand même. Lorsqu’ils ne pouvaient faire autrement, ils suivaient une route détournée par le Savim et transportaient par voie de terre leurs bateaux vers le Mious qu’ils descendaient jusqu’au Don, puis ils débouchaient dans la mer. Les Turcs semblaient tout à fait incapables de les empêcher d’opérer. En 1609, ce fut au tour des trois citadelles du Danube d’être mises à sac et, quatre ans après, les Zaporogues auxquels s’étaient joints des Cosaques appartenant à d’autres communautés se livrèrent à deux attaques d’envergure contre la Crimée dont le khan était un vassal des Turcs.

    À suivre

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  • COSAQUES : L’ORIGINE DES « GUERRIERS LIBRES » partie 2

    En affrontant les Tatars du pays sauvage et en se mêlant à eux, ces Russes de la frontière apprirent les mœurs tatares. Ils commencèrent à employer des mots tatars comme ataman (chef), essaoul (lieutenant), yassak (tribut) et yassyr (captifs) ; des chefs de bandes adoptèrent l’étendard tatar en queue de cheval comme symbole de leur autorité. Ils apprirent aussi à attraper et à dresser les chevaux sauvages qui galopaient dans la steppe, dans le style tatar, avec des nœuds coulants accrochés à l’extrémité de longues perches. Ils apprirent enfin les techniques des Tatars pour le maniement des armes, leur tactique, leurs méthodes sur le terrain, leur astuce, et ils utilisèrent ces techniques pour monnayer leurs services à des marchands en voyage ou pour les dévaliser.

    « Cosaquer », si l’on peut user de ce néologisme, était une occupation saisonnière. Passer l’hiver sans un toit sous des tempêtes de neige, c’était une perspective sinistre, même pour ces hommes rudes; aussi retournaient-ils chaque automne vers les villes de la frontière pour vendre leurs prises et se réapprovisionner. Il leur arrivait de dépenser les produits de leurs ventes en quelques jours de furieuse débauche après les mois durs qu’ils avaient passés dans l’isolement sur la prairie et, s’ils n’avaient plus d’argent, ils remontaient vers le nord pour trouver du travail pendant l’hiver, ce qui leur permettait d’acheter la poudre, le plomb, les vêtements et les autres choses dont ils auraient besoin pour la prochaine saison. Mais ces refuges hivernaux leur furent bientôt fermés.

    Les autorités polonaises et lituaniennes resserraient en effet leur contrôle sur les villes de la frontière ukrainienne au sud qui étaient des centres pour les Cosaques saisonniers, et lorsque le Tsar, d’abord pour apaiser les Turcs et les Tatars, puis, plus sérieusement, pour couper le contact entre la paysannerie moscovite de plus en plus indocile et les Cosaques libres de la frontière, commença à leur fermer ses frontières, la possibilité d’une « cosaquerie »saisonnière toucha à sa fin. On pouvait toujours franchir clandestinement la frontière, mais on avait beaucoup plus de chances d’être coincé par les autorités. Il s’ensuivit que l’homme de la frontière n’eut plus le choix qu’entre deux solutions : ou bien se fixer sous la tutelle de la loi, parfois au risque d’être fait serf, ou bien s’enfoncer dans le pays sauvage afin de s’y bâtir une sorte de mode de vie permanent. De nombreux chefs de famille décidèrent de s’établir sur la frontière où ils devinrent des gardes et des fermiers, sujets du Tsar de Moscovie ou du roi de Pologne, à moins qu’ils ne s’en gageassent dans les armées cosaques privées que levaient des seigneurs des marches lituaniennes comme Dachkovits et Vichnevetski. Les autres, célibataires pour la plupart, partirent pour le cœur du pays sauvage afin de s’y aménager une existence indépendante.

    Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, les Cosaques constituèrent plusieurs communautés indépendantes en pays sauvage. Leurs premières habitations d’été avaient été grossières et temporaires : des abris en terre creusés dans le sol ou sur le flanc d’un des ravins qui fendaient la prairie. Ils se mirent à bâtir des structures plus confortables qu’ils utilisaient toute l’année, avec des baliveaux, des branchages et autres matériaux facilement accessibles, et qu’ils couvrirent de peaux de bêtes comme les tentes des nomades. Ils construisirent des baraquements collectifs ou groupèrent leurs demeures en villages fortifiés ; comme l’ennemi, d’ordinaire, évitait l’eau, ils essayèrent de trouver des emplacements sur des îles de rivières ou sur une haute berge, du côté oriental, d’où ils avaient vue sur l’autre rive. Ils fortifièrent du mieux qu’ils purent leurs établissements contre les maraudeurs tatars, en les entourant de fossés profonds et d’une double haie clayonnée remplie de terre ou, lorsqu’ils avaient du bois à portée, de palissades renforcées de bastions.

    Comme les États féodaux en expansion d’où ils s’étaient échappés se trouvaient au nord et à l’ouest de la steppe, les Cosaques fondèrent leurs établissements vers le sud et vers l’est ; les plus anciens et les plus célèbres de ceux-ci se situèrent autour du cours inférieur du Don et du Dniepr.

    Au-dessous de ses 13 cataractes traîtresses, le Dniepr dessinait d’innombrables méandres entre ses îlots et ses rives ; c’était un véritable labyrinthe liquide. Le prince Dimitri Vichnevetski, ennemi juré des Tatars qui maintenait les villes de Tcherkassk et de Kaniev dans l’obéissance féodale au roi de Pologne, avait bâti un fort sur l’une des îles avec le concours de ses mercenaires cosaques vers 1550. Mais il l’abandonna et les Tatars s’empressèrent de le démolir. Les Cosaques libres ne tardèrent pas à apprécier la valeur stratégique de cette position car les cataractes opposaient un obstacle infranchissable du côté nord et elle constituait un excellent poste de guet pour observer à l’est les mouvements tatars ; aussi aménagèrent-ils un camp sur ce site ou tout à côté. Ils l’appelèrent la Sitch zaporogue, c’est-à-dire « l’éclaircie au-delà des rapides ». Avec la forêt dense qui couvrait une partie de la région, avec les joncs et les roseaux qui en dissimulaient l’accès, la Sitch était une cachette idéale, un parfait repaire de brigands vrais ou faux, un fortin facile à défendre contre toute attaque.

    La Sitch fut pourtant déplacée à plusieurs reprises dans la suite pour des raisons de commodité ou de sécurité.

    Les premiers colons cosaques sur le Don furent sans doute les sevriouki, qui pillèrent une caravane tatare en 1549. A cette date, ils avaient déjà construit trois ou quatre villages fortifiés, des stanitsy, le long du fleuve, bien au-delà de la frontière moscovite ; en 1570, il y avait 6 petites communautés cosaques de ce genre, unies sous le commandement d’un seul ataman établi à Aksaïskaya. Ce centre était probablement trop proche des Tatars d’Azov et, pour plus de sûreté, il fut transporté à soixante kilomètres en amont sur un autre site ; comme la Sitch, il devait subir ultérieurement plusieurs déplacements.

    Bientôt de nouvelles communautés cosaques se fondèrent encore plus à l’est. Mais si les pirates cosaques, très actifs sur la Volga à la fin du XVIe siècle, construisirent des villages, ces derniers eurent une brève existence, car les victoires d’Ivan le Terrible sur les Tatars à Kazan et à Astrakhan un peu après 1570 avaient amené les soldats moscovites sur la Volga, ce qui rendait précaire la sécurité d’un établissement de brigands cosaques. La plupart des Cosaques de la Volga passaient l’hiver sur le Don, se dirigeaient vers les monts du Caucase au sud et s’installaient à côté du Terek, ou allaient plus à l’est vers le Yaïk. Des communautés cosaques furent fondées sur ces deux rivières vers 1600.

    Le pays sauvage n’était pas fait pour la vie de famille, et les premiers Cosaques n’amenèrent pas de femmes avec eux ; mais ils supportaient mal cette privation et, chaque fois que l’occasion s’en présentait, ils y remédiaient en volant à leurs voisins tatars des filles aux yeux obliques ; les premiers Romains n’avaient pas fait autre chose en procédant à l’enlèvement des Sabines. Une histoire apocryphe relate comment une bande de Cosaques du Don effectua un long voyage vers le Yaïk, où ils tombèrent par hasard sur un petit groupe de Tatars qu’ils massacrèrent et sur une femme tatare solitaire qu’ils ramenèrent triomphalement à leur ataman. Les captives servaient d’esclaves dans les maisons communes ainsi que de concubines, mais elles étaient encore peu nombreuses et en 1605, si l’on en croit la tradition, les Cosaques du Yaïk montèrent une expédition de grande envergure pour se procurer des femmes dans la cité de Khiva à l’autre extrémité de la steppe ; le khan et son armée s’étaient absentés lorsqu’ils arrivèrent, et les Cosaques profitèrent de l’aubaine pour emporter un grand nombre de femmes et un butin considérable ; malheureusement pour eux, le khan les rattrapa sur leur route du retour, et quatre seulement d’entre eux en réchappèrent. Mais il s’en faut de beaucoup que toutes ces expéditions se soient soldées par des échecs.

    Lorsque s’élargit la colonisation cosaque et que la sécurité s’accrut, des immigrants de Russie arrivèrent avec leurs épouses, et les sexes finirent par atteindre un certain état d’équilibre ; mais pendant des siècles à venir, de nombreux groupes de Cosaques se trouvèrent en relations de voisinage plus étroites avec les tribus locales qu’avec la Russie, ce qui les conduisit à adopter des femmes étrangères tout comme ils adoptaient des coutumes étrangères. Les Cosaques du Terek supérieur nouèrent au XVIIIe siècle des liens matrimoniaux avec des peuplades voisines. Des Cosaques du Yaïk et d’Orenbourg prirent fréquemment pour épouses des femmes du Nogaï, et les Cosaques du Kamtchatka « enlevaient les filles du cru » et se les partageaient comme concubines, mais en général ils les épousaient quand elles leur donnaient des enfants. Au XXe siècle, le teint basané et la plus petite taille des Cosaques du Don méridional, contrastant avec la haute stature et la blondeur de leurs camarades du Don supérieur, révélaient que leurs ancêtres s’étaient souvent unis par mariage avec des femmes tatares ou turques.

    Cosaques 1Il est impossible d’évaluer exactement les dimensions des premiers établissements cosaques. Les fluctuations de leur population furent sans doute importantes, en raison de la mortalité consécutive aux combats contre les Tatars et du taux irrégulier de l’immigration en provenance de la Moscovie et de la Pologne. Les membres permanents de la Sitch zaporogue, le seul établissement cosaque d’où les femmes étaient exclues, ne furent jamais plus de 3.000 avant le XVIIe siècle, bien que de nombreux autres Cosaques de l’Ukraine se joignissent volontiers à eux lorsqu’une razzia laissait espérer des profits. Ailleurs, l’accroissement naturel fut négligeable au moins jusqu’au XVIIe siècle, mais le rythme se modifia avec le développement progressif de la vie familiale. En 1614, il devait y avoir 6.500 Cosaques guerriers du Don et, au cours du demi-siècle suivant, leur nombre s’était élevé à 10.000 ; ils vivaient dans une cinquantaine de villages au bord du fleuve. Ils constituaient cependant un petit groupe, mais les communautés du Yaïk et du Terek étaient encore plus faibles. Tout de même on dénombra, en 1776, 60.000 Cosaques du Don, 10.000 Cosaques du Yaïk et près de 3.000 Cosaques du Terek aptes à porter les armes. Si l’on tient compte des femmes et des enfants, on peut avancer que ces trois communautés avaient une population supérieure à 300.000 âmes, alors que la population totale de la Russie se chiffrait à 22 millions d’habitants.

    Les premiers colons cosaques vécurent surtout de la pêche et des combats. L’exploitation agricole était incompatible avec l’existence en pays sauvage. Un homme pouvait travailler à défricher une parcelle de terrain, labourer, semer et récolter, puis il voyait les fruits de son labeur incendiés ou emportés par les Tatars, les Kalmouks ou d’autres pillards nomades. Une fois que le danger s’était éloigné, les Cosaques ne se sentaient guère d’humeur à reprendre la charrue. Dans leur esprit, l’agriculture était synonyme d’esclavage. Les colons indépendants savaient que partout où les Cosaques étaient devenus des fermiers — notamment en Ukraine — ils étaient rapidement tombés sous la coupe des seigneurs. Nombre d’entre eux avaient pour ancêtres des paysans fugitifs, et un flot constant de nouveaux arrivants leur rappelait la tyrannie que subissait quiconque s’était attaché à la terre. Des immigrants affamés dans le Don, au XVIIe siècle, furent finalement obligés de devenir agriculteurs pour pouvoir se nourrir, mais même dans ce cas l’opinion des Cosaques établis leur était défavorable, et les chefs du Don ordonnèrent que fût « battu à mort » quiconque « commencerait à labourer et à semer ». Ceux qui voulaient labourer n’avaient qu’à « retourner là d’où ils venaient », car des pratiques aussi serviles et si peu militaires « apporteraient honte et déshonneur aux atamans et aux Cosaques » de toute la communauté du Don. Ce fut seulement vers la fin du XVIIe siècle que l’agriculture fut acceptée en tant que travail respectable pour un Cosaque du Don, et elle ne joua pas de rôle important dans la vie des Cosaques du Yaïk avant le XVIIIe siècle. L’exploitation des terres arables était en général la dernière occupation à laquelle se résignaient les Cosaques.

    À suivre

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  • COSAQUES : L’ORIGINE DES « GUERRIERS LIBRES » partie 1

    Le fléau était venu de l’Est. Conduits par le Mongol Baty Khan, les envahisseurs au visage plat et aux yeux bridés, vêtus de fer et de peaux de bêtes, descendirent la vallée prospère du Dniepr comme un nuage de sauterelles, et ils la laissèrent dans la désolation après leur passage. Ils saccagèrent les villes, démolirent les églises, rasèrent les maisons, empilèrent en tas les morts innombrables. Les survivants s’égaillèrent. L’âge des ténèbres ensevelit les Russes.

    Le coup reçu par les Russes en 1240 était plus terrible, plus traumatisant que celui que les Anglais avaient essuyé en 1066. Foyer d’une société chrétienne florissante, capitale d’un État qui avait noué des liens avec l’Angleterre d’Alfred le Grand et la fastueuse Byzance des empereurs, la fière cité de Kiev était tombée aux mains d’une horde de cavaliers tatars qui l’avaient presque complètement détruite.

    Les Tatars poursuivirent leur marche vers l’ouest ; puis, tenus en échec en Europe centrale, ils firent demi-tour. Leurs chefs mongols fondèrent une sorte de capitale à Saraï sur la Volga et entreprirent d’établir leur pouvoir sur leurs nouveaux territoires, l’empire de la Horde d’Or. Il comprenait les steppes qui s’étendaient de l’Oxus à l’est jusqu’à la Galicie à l’ouest et, au nord, quelques principautés russes démembrées qui avaient succédé à l’État de Kiev.

    Les conquérants étant des fils de la prairie, ils se trouvèrent dépaysés dans les forêts propices à la claustrophobie où vivaient les Russes demeurés sur place; ils les gouvernèrent de loin. Ils désignèrent comme vassaux des Principicules russes chargés de percevoir les tributs qui leur étaient destinés et, lorsque les tributs n’étaient pas livrés à temps ou que le montant leur semblait insuffisant, ils effectuaient des expéditions contre les coupables et prenaient des otages pour s’assurer de leur bonne conduite. Les Tatars contrôlaient les relations étrangères des Russes et coupèrent tous leurs contacts avec le monde occidental. A part cela, ils les laissèrent tranquilles. A long terme, l’effet des Tatars sur la vie russe allait se traduire davantage en craintes nationales qu’en institutions. Mais ils influencèrent leur organisation militaire, leur donnèrent une définition de l’argent et le mot « Cosaque ».

    Les premiers Cosaques russes surgirent 200 ans environ après la chute de Kiev dans le périlleux no man’s land qui séparait les forêts septentrionales des plaines ondulées de la Tatarie. Les circonstances de leur apparition demeurent mystérieuses, mais de toute évidence les Cosaques étaient des enfants de la Russie, engendrés pour ainsi dire par les Tatars de la steppe.

    Les grands-princes de Moscovie avaient peu à peu émergé en qualité de principaux percepteurs de tributs pour la Horde. Ils utilisèrent cette situation pour dominer les autres princes puis, progressivement, ils unirent les Russes de la zone forestière et édifièrent une force qu’ils jugèrent assez puissante pour refuser le paiement des tributs à leurs suzerains et pour résister à toute tentative de les leur soutirer par les armes. Les batailles avec la Horde d’Or furent longues et acharnées, mais l’Empire mongol, attaqué par des ennemis originaires de l’Asie centrale en même temps que par les Russes, commença à se désintégrer. Un certain nombre de petits khanats tatars s’établirent à sa place, notamment à Kazan, à Astrakhan, en Sibérie et en Crimée. Les Russes des forêts se trouvèrent enfin libérés de la tutelle étrangère ; mais ils continuèrent à subir les incursions des pillards tatars.

    Presque chaque année, les Asiates déferlaient pour piller la Moscovie, la Lituanie et la Pologne. Ils étaient puissamment armés de javelots de fer, d’épées à double tranchant, d’arcs de combat et de carquois remplis de flèches. Ils disposaient chacun de deux ou trois chevaux de remonte afin d’accroître leur rayon d’action et leur rapidité, et ils avaient des paniers où ils mettaient les enfants qu’ils emmenaient en captivité. Pour déjouer toute opposition à leurs entreprises, ils s’approchaient par voie de terre, au clair de lune, en groupes séparés les uns des autres de quinze cents ou deux mille mètres; ils n’allumaient pas de feux et ils évitaient les principaux gués ; mais une fois arrivés dans la zone de leur objectif, les groupes fusionnaient puis avançaient comme un ouragan en détachant des bandes de pillards, fortes d’un millier d’hommes, pour transformer la campagne environnante en désert ; ils massacraient, incendiaient, chassaient devant eux le bétail et emportaient les récoltes. Mais leur butin principal était les prisonniers qu’ils « opprimaient douloureusement… par la faim et l’état de nudité complète », battant les hommes jusqu’à ce qu’ils désirassent « mourir… plutôt que vivre». Un captif influent pouvait être racheté par rançon ; les autres étaient entraînés en Crimée où ils étaient vendus dans les bazars; on achetait là des esclaves au prix fort : des garçons robustes qui seraient instruits pour faire partie du corps d’élite des janissaires turcs, des hommes qui passeraient le restant de leurs jours enchaînés aux bancs d’une galère méditerranéenne, des jeunes femmes qui compléteraient quelques harems du Levant .

    Les Russes construisirent une ligne de fortins le long de la frontière, levèrent au printemps des armées destinées à repousser les envahisseurs, mais le fermier russe (jusqu’à Moscou dans le nord) continuait à vivre dans la terreur. La mobilisation était trop lente, l’organisation manquait de souplesse, la tactique se révélait trop statique pour s’opposer avec efficacité aux imprévisibles manœuvres des Tatars insaisissables. Les soldats en razzia attaquaient inopinément, de nuit, toute force envoyée à leur rencontre, déversaient sur elle une pluie de flèches et, avant qu’elle eût le temps de réagir, les Tatars disparaissaient par une autre route. Il fallait des gardes pour constituer un système d’alerte signalant l’approche de l’ennemi; il fallait des guerriers suffisamment au fait de la tactique des pillards pour pouvoir les intercepter avec succès.

    Il semble bien que des renégats tatars furent les premiers à répondre à cette double exigence. Car en sus des armées organisées de pillards, il existait des groupes de « guerriers libres » : c’étaient des Tatars qui montaient des expéditions personnelles sans en demander la permission à leurs chefs; véritables pirates de la steppe, ils faisaient butin de tout : d’un village frontalier vulnérable, d’une caravane de marchands, d’un voyageur solitaire. Les Génois et les Grecs, qui avaient des comptoirs sur la mer Noire, les connaissaient depuis le XIVe siècle. On les appelait des « Cosaques ».

    En 1443, l’une de ces bandes de « guerriers libres » avait envahi la contrée de Riazan au cours d’une expédition de pillage comme les autres; mais elle dut conclure un arrangement avec le grand-prince local car elle passa l’hiver sur ses terres et, quand d’autres tribus prirent à leur tour Riazan comme objectif au début de l’année suivante, ces Tatars surnommés « les Cosaques de Riazan » se battirent aux côtés des Russes dans « une grande bataille très acharnée devant la rivière Listan » et participèrent à la mise en déroute des envahisseurs. Des Cosaques tatars combattirent pour les Lituaniens en 1445 et, sept ans plus tard, le khan Kassimov fit entrer ses guerriers libres au service de la Moscovie en qualité de mercenaires. A dater de là, les références historiques aux Cosaques se multiplient.

    Ils furent utilisés comme gardes-frontières et comme guides pour aider des diplomates et des marchands à traverser les steppes en sécurité. Un ambassadeur italien se rendant en Perse en 1474 relata que le grand-prince de Moscovie avait à son service un Tatar qui commandait à « 500 cavaliers pour protéger les frontières de son territoire contre les incursions des Tartares » ; en 1502, 10 Cosaques de Riazan, « hommes qui connaissaient le Don », furent requis par Ivan III pour escorter dans la steppe l’ambassadeur turc qui quittait Moscou.

    Les références à ces premiers Cosaques sont fragmentaires et imprécises ; aussi est-il difficile de situer en toute certitude leurs origines et leur destin. Mais, comme les Cosaques ordynskiye qui attaquèrent les Tatars de Crimée dans le bassin du Dniepr et les Cosaques mechtcherskiye qui contribuèrent à la garde du secteur oriental de la ligne fortifiée vers la fin du XVe siècle, ce furent probablement pour la plupart des Tatars renégats ou des membres de tribus d’origine non tatare. Le premier chef cosaque russe fut, semble-t-il, Ivan Rouno dont on sait qu’il commanda un groupe de guerriers cosaques en 1468 ; au milieu du XVIe siècle, les Cosaques tatars et les Cosaques des tribus non tatares étaient déjà submergés par les Slaves qui ralliaient leurs rangs ; d’ailleurs, les premiers Cosaques de souche étrangère avaient été à peu près russifiés.

    Lorsque la Moscovie déplaça ses avant-postes vers le sud en agrandissant ses territoires, elle dut recruter un plus grand nombre de Cosaques pour garder la ligne fortifiée et coloniser la zone frontalière. Peu après 1570, le Tsar avait aménagé 73 postes fortifiés le long de la frontière  ; chacun de ces postes était occupé par une dizaine d’hommes qui, à tour de rôle, scrutaient la steppe du haut des tours de guet et patrouillaient dans les secteurs intermédiaires. Ces hommes étaient presque tous recrutés chez les Cosaques nomades de la frontière, qui furent invités à se fixer sous l’autorité de l’État en qualité de gardes-frontières et d’agriculteurs. Comme aux soldats et aux petits gentilshommes de Moscovie, le gouvernement leur octroyait à titre individuel des droits agraires, de chasse et de pêche, à moins qu’il ne rétribuât leurs services en argent ou en grain. Et, comme les soldats et les petits gentilshommes, ils devinrent peu à peu une classe pourvue d’un statut déterminé et appelée gorodovyye kazaki : Cosaques de « ville » ou de service . Mais à côté de ces Cosaques qui se louaient, il y en avait d’autres qui n’admettaient pas de dépendre d’un seigneur : c’étaient des Cosaques libres, l’équivalent russe des Cosaques libres tatars qui guerroyaient pour leur compte.

    En 1474, des Cosaques libres d’origine tatare ou slave opéraient de l’autre côté des postes de guet frontaliers, dans le no man’s land des steppes. Les Cosaques tatars qui écumaient la campagne entre la Volga et le Don étaient « tenus pour vaillants, car ils dépouillaient à la fois les Circassiens et les Russes », et les marchands génois connaissaient les « voleurs et les Cosaques » de Moscou qui ne témoignaient pas d’une discrimination plus grande dans le choix de leurs victimes. Échappant à toute autorité russe ou tatare, ces farouches maraudeurs menaçaient quiconque s’aventurait dans la prairie, et ils firent si bien qu’elle mérita tout à fait son nom de « pays sauvage » (dikoïe pole). «Régulièrement, des Cosaques la traversent en cherchant, selon leur habitude, quelqu’un à se mettre sous la dent. Ils vivent en effet de pillages, ne sont soumis à personne et galopent dans les steppes immenses et désertes par bandes de 3, 6, 10, 20, 60 hommes ou davantage  ».

    Ces Cosaques libres étaient une source d’ennuis pour les Moscovites et les Lituaniens au nord, tout comme les khans tatars au sud, mais les Tsars finirent par admettre qu’ils pouvaient être des alliés précieux dans le pays sauvage de leur très vulnérable frontière sud, et ils ne tardèrent pas à les encourager à envoyer des contingents destinés à servir d’éclaireurs et de cavaliers dans les armées impériales. En 1570, Ivan le Terrible adressa un appel général aux chefs cosaques opérant dans la vallée du Don pour qu’ils lui accordassent une aide militaire et, l’année suivante, lorsque les Tatars de Crimée pénétrèrent profondément en Moscovie pour mettre à sac Moscou, il octroya une charte à un chef cosaque nommé Nikita Mamine, en promettant de payer tous les Cosaques qui obéiraient aux ordres de Mamine. Cette mesure incita les Cosaques du fleuve à se réunir autour d’un chef commun. Mais ils ne se conformèrent pas toujours aux instructions de Moscou, et leurs continuelles expéditions contre les Tatars, alors même que le Tsar voulait faire la paix avec le khan et le nouveau suzerain du khan, le Sultan, provoquèrent des complications diplomatiques considérables.

    Les Tatars et les Turcs en étaient venus à reconnaître au Tsar le commandement de tous les Cosaques. Or le Tsar n’exerçait fermement son autorité que sur les Cosaques de « ville » ou de service, qui étaient commandés par des officiers moscovites et qu’administrait le département de l’Armée (Streletski Prikaz) ou le département de la Défense frontalière (Razryadny Prikaz). Les rapports avec les Cosaques libres étaient du ressort du Posolski Prikaz, le ministère moscovite des Affaires étrangères, arrangement qui impliquait leur statut d’autonomie. L’attitude du Tsar fut assez équivoque envers ces Cosaques libres : il proclamait qu’il n’en était pas responsable, mais il les employait volontiers comme mercenaires dans son armée; il condamnait leurs expéditions contre les caravanes tatares et leurs affrontements avec les Turcs, mais il n’entreprenait pas d’action punitive contre eux; une fois même, pressé par le khan du Nogaï d’exterminer les Cosaques du Yaïk (le fleuve Oural), il suggéra que ceux d’entre eux qui le servaient à Astrakhan affirmassent qu’ils n’étaient nullement des Cosaques du Yaïk .

    C’était seulement quand les Cosaques libres s’intéressaient d’un peu trop près aux marchandises qui circulaient sur la Volga que le Tsar se décidait à envoyer des soldats chargés de capturer les voleurs et de les pendre haut et court ; mais même dans ce cas, les fonctionnaires moscovites s’efforçaient de distinguer entre les pirates et les Cosaques « loyaux » du pays sauvage qui servaient dans les armées du Tsar en campagne. Le Tsar demandait aux « loyaux » d’agir contre les « brigands », mais il n’existait pas en réalité de distinction bien nette entre les deux catégories : des Cosaques supposés « loyaux » devenaient parfois des pirates, et des brigands cosaques s’enrôlaient pour servir en campagne.

    La composition de ces Cosaques libres s’était modifiée progressivement à mesure qu’un nombre grandissant de Russes passait la frontière pour venir au sud. En 1538, pour répondre à une plainte émanant du Nogaï, le Tsar avait critiqué les Cosaques tatars indisciplinés de « Kazan, Azov, de Crimée et d’ailleurs… et aussi nos Cosaques de nos frontières qui se mêlent à eux ». 40 ans après, en réponse à une autre protestation du khan de Crimée, le tsar Ivan IV dépeignit les Cosaques libres qu’il blâmait sous les traits de « fuyards échappés de notre État et des terres lituaniennes ». Cette fois cependant, il ajouta l’assurance que ses gardes-frontières avaient reçu pour instructions « de ne laisser passer personne vers le Don et de ne permettre l’entrée à aucun Cosaque du Don sous peine de mort ». Mais les « fuyards » n’en continuèrent pas moins à venir grossir les rangs des Cosaques libres en « pays sauvage ».

    Ces franchissements de la frontière s’expliquaient par des motifs puissants. Les fugitifs fuyaient les taxations et la famine, les dettes et les châtiments. Un visiteur anglais du XVIe siècle décrivit la Moscovie comme donnant à sa « noblesse une sorte de liberté injuste de commander aux communes et à ce qu’il y a de plus inférieur dans le peuple, en les accablant d’exactions », et beaucoup de paysans dans les territoires polonais de l’époque « n’avaient pas de quoi satisfaire leurs besoins les plus essentiels ». Avec les années, les motifs devenaient de plus en plus impérieux.

    A la fin du XVIe siècle, la Moscovie donna un tour de vis aux paysans. En 1581, ils se virent dénier le droit de quitter leurs villages. La loi était applicable pour une période de cinq années seulement, dans le but d’arrêter les mouvements de population à l’époque du recensement, mais elle fut reconduite en 1590 et de nouveau en 1595 ; deux ans plus tard, tout paysan qui s’était déplacé depuis l’année 1592 du recensement reçut l’ordre de réintégrer le village qu’il avait quitté. On cherchait alors à attacher solidement le peuple aux propriétaires fonciers, et la Moscovie rivalisait avec la Pologne par la rigueur avec laquelle elle traitait sa population paysanne. Étant donné que la noblesse et les boyards s’emparaient de la plupart des terres communes, que les taxes féodales et autres redevances augmentaient, que la perception de l’impôt gagnait en efficacité, que les paysans étaient parfois obligés d’aller travailler jusqu’à cinq jours par semaine sur les terres de leur seigneur au détriment des leurs et qu’ils perdaient à jamais le droit de se séparer de leurs maîtres, l’appel du « pays sauvage » se para de toutes sortes de séductions, et le flot des fugitifs grossit au point de devenir un véritable torrent.

    Une fois arrivé au « pays sauvage », un homme ne devait d’allégeance à personne et se trouvait hors d’atteinte de la loi. Alors ils accoururent : le pauvre citadin cherchant à faire fortune, le coupable pour échapper à la prison, le soldat désireux de pratiquer sa vocation militaire à son propre avantage. Et accoururent aussi le petit propriétaire foncier exproprié, le serf en fuite, le contestataire religieux, le réfugié politique.

    Ils vinrent d’abord pour chasser, pour tendre des pièges aux bêtes, pour pêcher. Les prises pouvaient être fructueuses. Les animaux et les oiseaux semblaient avoir perdu toute peur de l’homme dans le pays sauvage. Des oies et des hérons, des cigognes et des cygnes survolaient les estuaires, et on pouvait se nourrir de faisans, de perdrix et d’ortolans (gibier rare). Des sangliers, des cerfs, des antilopes invitaient le chasseur. Il y avait des renards et des castors à prendre au piège et à dépouiller, des rayons de miel à découvrir, des étangs et des rivières où le poisson abondait. Mais le pays sauvage n’avait rien d’un Éden. Des serpents-fouets se dissimulaient parmi les armoises, des vipères dans les hautes herbes plumeuses. Le busard et le vautour moine planaient paresseusement à basse altitude, attendant leurs charognes, et les mystérieux tumuli funéraires, qui s’élevaient sur les plaines infinies pour marquer des champs de bataille oubliés, avertissaient des dangers soudains de la steppe. Les intrépides qui franchirent les premiers les frontières de la Moscovie et de la Lituanie pour passer en pays sauvage furent peu nombreux et vulnérables. Un homme seul ne pouvait espérer y survivre longtemps ; aussi se rassemblaient-ils en bandes pour mieux se protéger.

    Imaginez-vous l’un de ces Cosaques du début du siècle. C’est un homme de 25 ans qui a des yeux gris, une barbe éparse, de longues moustaches. Il porte un anneau à son oreille gauche ; il arbore les cicatrices d’un « dur » : la plupart de ses dents de devant lui manquent, et la moitié de son petit doigt de la main gauche a été emportée. Il est né dans une famille de paysans, mais il ne se souvient absolument pas de ses parents car il a suivi un chef cosaque sur la prairie depuis son enfance. Voilà les hommes qui constituèrent les bandes de brigands cosaques du XVIe siècle.

    À suivre

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  • Robert Redeker : « L'école s'applique à effacer la civilisation française »

    Nous partageons pleinement l'analyse sans concession de la situation, qui est donnée ici, comme les solutions proposées. Simplement, à l'inverse de l'auteur, nous pensons que l'universalisme idéologique républicain est à la source du refus de la fraternité nationale et du mépris de l'identité française. [Entretien Le Figaro, le 26.08] LFAR

    En ne remplissant plus sa fonction traditionnelle de transmission, l'école de la République est devenue une fabrique de zombies et d'individus hors sol, explique le Robert Redeker dans L'École fantôme, un essai percutant dans lequel il analyse les causes de ce désastre et trace des voies pour l'avenir.

    Robert Redeker est un philosophe à l'esprit lucide et au verbe tranchant. Il le paye depuis dix ans en vivant loin du monde sous garde rapprochée, suite à une chronique célèbre où il dénonçait les intimidations de l'islamisme. Auteur de nombreux ouvrages, il n'a cependant jamais cessé de publier du fond de sa retraite. Il livre aujourd'hui un terrible constat de ce qu'est devenue l'école en France. Crise de l'enseignement, crise de l'éducation, crise de la vie. Selon lui, il n'y a pas d'école sans une pensée de l'homme, de la société et de l'identité nationale, toutes notions qui ont profondément été bouleversées depuis 1981.

    La question de l'école n'a-t-elle pas pris une dimension quasi ontologique en cette période de trouble ?

    L'école de la République est un village Potemkine laissant croire, tel ce trompe-l'œil de propagande, qu'existe toujours, derrière ce mot, ce que les Français supposent être leur école. Par exemple, toute une propagande tente de faire croire, en dépit de l'aveuglante évidence, que le baccalauréat est encore un diplôme et un niveau, que l'école a encore des exigences intellectuelles. Même est le mot, qui a été sauvé, autre est la réalité, qui a été chamboulée. L'école en France a été assassinée, le fantôme de ce qu'elle fut porte son nom. Désignons les assassins. Le pédagogisme, avec à sa tête son âme damnée, Philippe Meirieu, et à sa solde toute la bureaucratie de l'institution. Najat Vallaud-Belkacem, via la réforme du collège, a parachevé le meurtre de l'école de la République avec une rage peu commune.

    « L'enseignement doit être résolument retardataire» , a dit Alain. Il ne prépare l'avenir qu'en plongeant l'élève dans le passé. L'école ne doit pas être explicitement ordonnée au progrès (social, humain, politique), mais à la conservation, qui passe par la transmission de contenus. Or, depuis 1981, réforme après réforme, l'école ne cesse de s'éloigner de sa raison d'être. Elle refuse désormais de transmettre le savoir, spécialement le savoir littéraire, devenant, selon le mot de Jean-Claude Michéa, « l'enseignement de l'ignorance ». Fabriquer des ignorants - en substituant à l'enseignement l'« apprendre à apprendre » - est désormais la pratique de notre système scolaire.

    Voulue, planifiée, organisée, cette destruction poursuit obstinément un but anthropologique : la fabrication d'un homme nouveau, le remplacement du type d'homme tel qu'il existe dans les nations européennes depuis des siècles par un type inédit. Un homme hors sol, déraciné, un zombie hébété. Un homme échangeable avec tous les autres hommes de la planète. Un homme aussi abstrait qu'un numéro : l'homme indéterminé. Un homme équivalent à tous les autres hommes - sur le fond de la confusion entre l'égalité et l'équivalence. Cette perspective rend compte de toutes les récentes réformes, puisque pour la réaliser il faut empêcher l'accès des jeunes générations à la haute culture, changer, à travers des dispositifs comme les ABCD de l'égalité, les cours en heures de propagande pour la transformation anthropologique. Les propos de Najat Valaud-Belkacem laissent toujours paraître cette ambition : changer l'homme, changer la femme, faire émerger un homme nouveau et une femme nouvelle.

    Vers quoi cette volonté politique se dirige-t-elle ?

    L'école contemporaine est régie par la volonté de substituer la société à la nation et au peuple. La société à la place de la nation, que l'on hait ! La société à la place du peuple, que l'on méprise ! Cette école veut engendrer une société d'équivalents - non d'égaux - qui n'a besoin ni d'héritage, ni d'Histoire, ni de racines, dont la culture n'est plus que la culture de masse, l'inculture génératrice d'hébétude. C'est à la constitution de ce type de société que travaille la réforme du collège. Le démantèlement des matières au profit des enseignements décloisonnés et l'abandon des enseignements systématiques visent à former des humains intellectuellement déstructurés.

    Toutes ces réformes combattent le rôle initial de l'école : conserver la civilisation. Précisons : la civilisation française, le type français d'homme et de femme, la manière française d'habiter le monde, d'être un humain, l'amour de la belle langue, l'attention portée aux mots, au bien parler. Elles s'appliquent à liquider le peu qui demeure de civilisation française dans l'enseignement. La volonté de transformer la société s'accompagne de la volonté d'effacer la civilisation française. Afin d'arracher les enfants de France à la terre de France, à son Histoire, car la terre et l'Histoire sont en France la même chose, l'Education nationale dépayse les décors des livres d'apprentissage de la lecture. Dans la région toulousaine, des enfants apprennent à lire dans un ouvrage, Zékéyé et le serpent python, dont le personnage principal, un garçonnet fictif, Zékéyé, vit au Cameroun. Il est fortement conseillé par tous les inspecteurs, ces sous-officiers zélés chargés de contrôler l'adhésion des maîtres à l'idéologie officielle. Ce dépaysement arrache les enfants à leur pays afin de les empêcher d'entrer en fusion avec son histoire et sa culture, afin de prévenir le risque d'enracinement dans cette histoire et cette culture.

    Comment expliquer cet acharnement destructeur ? Par le sanglot du maître blanc, version scolaire du sanglot de l'homme blanc exhibé par Pascal Bruckner. La repentance, qui pousse à fausser les programmes scolaires, masque mal la haine. La haine d'une partie de la jeunesse pour la civilisation française est partagée par une fraction de l'élite politique, administrative, le monde du spectacle et, hélas, une partie des enseignants. Avec ses programmes actuels, basés sur la honte française d'être soi, l'école entretient cette haine. En enseignant la culpabilité de l'Occident, en sacrifiant les grandes figures de l'histoire de France, l'école empêche la fusion entre la jeunesse et la France, faisant involontairement le lit du terrorisme.

    Quel diagnostic culturel portez-vous sur les dernières décennies ?

    La vulgarité d'esprit, qui se fait sentir partout, jusqu'aux sommets de l'Etat quand Mme le ministre de l'Education parle de «bruits de chiottes» jusqu'à la télévision publique, quand une amuseuse ignare d'«On n'est pas couché» soutient faussement à l'antenne que Descartes s'est réfugié en Hollande pour fuir les persécutions religieuses catholiques sans que personne ne bronche. Cette épidémie de vulgarité, corollaire du double raz-de-marée, celui de l'ignorance, celui de l'insignifiance, renvoie à la crise de l'école.

    Les Français ne parlent plus français. Il suffit de les écouter dans la rue. Il suffit d'écouter la radio, de tendre l'oreille aux propos des politiciens. Hollande s'exprime dans un français rachitique, au vocabulaire sommaire et à la grammaire simpliste, multipliant les fautes et les grossièretés (ainsi sa manie du redoublement du sujet). La langue française a été peu à peu remplacée par son ersatz, un faux français, une langue de supermarché ou d'aéroport. L'école est responsable de ce désastre. Il y a un lien entre la langue et la pensée. Quand on parle et écrit mal, pauvre, déstructuré, on pense et écrit mal, pauvre, déstructuré. La pauvreté de la langue entraîne la pauvreté de la pensée. L'affaiblissement de l'enseignement du français entraîne l'abêtissement des Français. Cet abêtissement est voulu par l'école. Nous risquons, à cause de la trahison de l'école, de devenir un peuple de chasseurs de Pokémons !

    Le phénomène le plus significatif, symptôme de toutes les crises, index de toutes les décompositions, horoscope d'une plongée dans la barbarie, est la disparition de la langue française. La langue perdue ! La langue, que l'école refuse d'enseigner sérieusement. Songez à la récente habitude d'employer « juste » pour « seulement » ou « simplement » ; monument d'inculture collective autant que témoignage de l'échec de l'école, cette faute répercutée par tous les médias revient à employer en français le mot « juste » dans son sens anglais (« just ») et non dans son sens français. Ceux qui veulent rendre un peuple barbare savent qu'il faut au préalable le rendre syntaxiquement et lexicalement pauvre. Cet appauvrissement est la triste réussite de l'école de la République!

    Que vous inspire l'enseignement de l'arabe dès le CP ?

    Son effet le plus assuré sera de maintenir en France un peuple parallèle, hors de l'histoire de ce pays, hors de sa culture, en rébellion contre cette histoire et cette culture. Cet enseignement ne va pas éradiquer la haine de la France et de sa culture que l'on constate dans une partie de la population mais au contraire (tout comme l'enseignement de l'Histoire des empires africains) va l'entretenir et l'attiser. Pour assimiler, il faut déraciner sans état d'âme. L'enseignement de l'arabe va en sens inverse. Il serait beaucoup plus intelligent d'enseigner dès le CP le latin et le grec, ainsi que ces parties du génie national que sont les langues régionales.

    Qui détient le pouvoir actuellement au sein de l'enseignement ?

    Plutôt que des personnes, la vérité est : l'idéologie. L'idéologie poststructuraliste, celle de la French Theory et des cultural studies américaines, qu'on appelle parfois gauchisme chic. C'est un magma indigeste de clichés sur les minorités, de compassion victimaire, de haine de la haute culture et de repentance. Dans cette optique, le but de l'école n'est plus la transmission du savoir, d'un héritage national, mais la correction des inégalités ethniques et la promotion des minorités. Soit : construire le vivre-ensemble… Pour la première fois, un ministre et cette idéologie sont entrés en épousailles parfaites. Tout se passe comme si Najat Vallaud-Belkacem avait été sécrétée par cette idéologie, comme si elle en était l'incarnation humaine.

    La droite n'a-t-elle pas été partie prenante dans cette entreprise de démolition ?

    Encéphalogramme plat : la droite n'a aucune pensée sur l'école. Elle ne s'intéresse qu'aux coûts, laissant, même quand elle est au pouvoir, à la gauche la direction idéologique du système. Les uns et les autres désintellectualisent le métier de professeur pour le changer en assistante sociale, aide-psychologue, animateur socio-culturel. Droite et gauche ne veulent plus que les professeurs enseignent. Que les professeurs professent. On aimerait - l'effondrement du niveau du lycée y travaille autant que les officines ministérielles de formatage, les IUFM devenus ESPE, s'en occupent - qu'ils fussent aussi incultes que leurs élèves. Les uns et les autres organisent, par les nouvelles missions qu'ils confient aux enseignants, le remplacement des hussards noirs de la République par les urgentistes du libéralisme.

    Quelles sont vos solutions - et quelle est votre vision de l'avenir ?

    Le but assigné aujourd'hui à l'école est l'apprentissage du vivre-ensemble. Celui-ci est une machine de guerre contre la fraternité, il est antirépublicain. Il conduit - comme l'attestent les propos sur l'Histoire tenus par Najat Vallaud-Belkacem cités dans le livre - à un enseignement clientéliste et communautariste conforme au semblant de politique mené par le Parti socialiste, la politique des minorités ethnico-sexuelles. La fraternité fusionne, le vivre-ensemble disjoint. On promeut le vivre-ensemble dans la mesure où l'on refuse la France. Puisque c'est le vivre-ensemble qu'il faut organiser, on n'enseignera plus rien. L'ignorance et le vide scolaires s'articulent parfaitement à la centralité destructrice du vivre-ensemble. Le vivre-ensemble ne détruit pas que la fraternité, préparant une société antifraternelle, il détruit également l'enseignement dans sa globalité, le savoir et la culture.

    La mission de l'école : donner à chaque enfant l'héritage auquel il a droit, celui de la culture, celui de l'Histoire. De l'école doivent sortir des héritiers. Or, pour des raisons idéologiques, l'école de la République contemporaine fabrique volontairement des inhéritiers.

    Que faire ? Rétablir la culture générale, qui est insupportable au système car elle rend peu malléable. L'esprit est un os, a dit Hegel - quelque chose contre quoi tout bute. Quelque chose, comme le montre le cas Soljenitsyne, qu'on ne peut réduire en cendres. La culture générale est l'esprit en ce sens-là, un os. Cet horizon implique de rétablir le latin et le grec, l'Histoire, un enseignement systématique du français, de remettre au goût du jour l'analyse logique et grammaticale, de rendre toute sa place à l'apprentissage par cœur de la poésie. Soit : développer, via l'Histoire et la littérature, un enseignement qui fasse aimer la civilisation française. 

    « L'Ecole fantôme », de Robert Redeker. Editions Desclée de Brouwer, 208 p., 17,90 €. En librairie le 1er septembre.

    Patrice de Méritens          

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