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culture et histoire - Page 1128

  • Connaissez vous « Terre et Famille » ?

    Qui sommes nous ? / contacts

    Présentation et contacts

    Terre et Famille a pour objet de faire grandir le bagage culturel des participants en restaurant l’esprit médiéval hérité de la France chrétienne. Elle propose conférences, formations artistiques, culturelles ou spirituelles, activités manuelles, marches etc. et s’adresse à tous les âges.

    …Esprit médiéval… parce que les priorités spirituelles nous paraissent urgentes à restaurer pour nous enraciner, fortifier nos âmes de paysans, de bâtisseurs et ainsi retrouver une société ouverte vers le haut donnant toute sa place au sacré. Nous voulons, par des échanges de connaissances et de savoir-faire retisser des liens. Par des actions modestes et solidement ancrées dans nos terroirs, nous souhaitons travailler à découvrir et devenir ce que nous sommes vraiment.

    Présidence : Stéphanie Bignon (06 50 95 13 80)

    Secrétariat/trésorerie : Elisabeth de Malleray (06 52 45 21 00)

    Adresse :

    « Terre et Famille »

    La Beluze

    71110 Briant

    terreetfamille@gmail.com

    http://terre-et-famille.fr/

  • QUI SONT LES ROYALISTES ?

    Par Louis DURTAL

    TÉMOIGNAGES. Il y a différentes façons d'être ou de se sentir royaliste aujourd'hui en France. Rencontre avec quelques monarchistes qui, à travers leurs engagements particuliers, militent pour que leurs idées progressent au sein de la population.

    « La monarchie est profondément organique, intrinsèque à la nature même de l'homme : le roi a l'obligation de laisser à ses enfants - à son successeur, à son peuple - la meilleure situation possible », déclarait un jour Thierry Ardisson sur Europe i. L'auteur de Louis XX-contre-enquête sur la monarchie, vendu à 100 000 exemplaires, déroulait ainsi, à une heure de grande écoute, les idées bien connues des royalistes sur le roi arbitre, facteur d'équilibre, la partialité des institutions républicaines, les monarchies européennes qui, par certains côtés, abritent les démocraties les plus modernes, etc. La théorie est séduisante et l'argumentation bien maîtrisée. Pour autant, malgré les sympathies royalistes affichées par certaines personnalités médiatiques à l'instar d'Ardisson, comme Stéphane Bern ou Lorànt Deutsch, militer pour le rétablissement de la monarchie n'est souvent pas très bien perçu.

    « DES PROFILS TRÈS DIFFÉRENTS »

    « C'est plus facile de se dire royaliste quand on s'appelle Ardisson et qu'on donne par ailleurs des gages en tapant sur l'AF Les militants sont trop facilement caricaturés en arriérés réacs ou en bas du front d'extrême droite », regrette Ingrid, 21 ans. L'ombre de Charles Maurras - qui donna par ailleurs ses meilleurs arguments, les plus rationnels, au royalisme - plane comme un soupçon permanent de pensées inavouables chez ceux qui se réclament des idées royales. « Le système ne fait pas de cadeau », dit la jeune femme qui rappelle que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Ingrid vient de terminer un BTS commercial et  milite à l'Action française de Lyon après avoir cherché des solutions « à la survie de mon pays » du côté de la section jeunesse du Front national. Mais les réticences du parti au moment de la Manif pour tous la déçoivent. « Je suis passé du FN Marine à l'AF Marion », sourit-elle aujourd'hui, clin d'oeil à la venue de la benjamine de l'Assemblée nationale au dernier colloque du mouvement royaliste. De toute façon, « les militants d'AF ont des profils très différents les uns des autres et ce qui les intéresse avant tout, c'est l'avenir du pays », affirme-t-elle.

    De fait, plus que la condamnation de Maurras à la Libération, le problème, explique Jean-Philippe Chauvin, blogueur et figure des milieux royalistes, vient de l'Éducation nationale et de l'image caricaturale qu'elle donne de la monarchie. «Je me bats tous les jours contre certains de mes collègues qui la décrivent comme un système tyrannique et dictatorial. Mais, en France, la République est un conditionnement idéologique, une religion dont le culte s'est construit en opposition à la monarchie », explique ce professeur d'histoire dans un lycée de la région parisienne. Comme si la France était née en 1789, dans une rupture radicale avec son passé, et comme si l'institution royale n'était pas vécue au quotidien par un certain nombre de nos voisins...

    EFFICACITÉ POLITIQUE

    Cependant, malgré le capital de sympathie dont elles bénéficient généralement, tous les royalistes, loin s'en faut, ne se reconnaissent pas dans les monarchies anglaise, belge ou espagnole où les rois ne gouvernent pas. C'est le cas de Kérygme, 24 ans, qui se dit royaliste, entre autres, pour une question d'efficacité politique. « Hollande a le pouvoir mais pas l'autorité. Il lui faudrait pour cela une légitimité qui lui vienne à la fois d'en bas et d'en haut ». Pour le jeune homme, qui vient de terminer un mémoire de philosophie sur Bergson, être royaliste c'est avoir « l'expérience et la connaissance historique de ce qui marche ou pas en politique ». Collaborateur occasionnel du site catholique Le Rouge § Le Noir, Kérygme fait partie de l'organisation des Veilleurs. Il croit au réinvestissement de la société par la culture et les idées. « Si beaucoup de jeunes royalistes ne votent pas, cela ne veut pas dire qu'ils se tiennent éloignés de la vie politique », explique-t-il. Au contraire. Mais ils se montrent méfiants avec les catégories traditionnelles de droite et de gauche. « Le système royal est bien plus social, moins diviseur, que le système républicain. D'abord parce que roi est l'affirmation de la primauté du bien commun sur les appartenances partisanes ». Un royaliste peut donc se reconnaître dans certaines valeurs plutôt défendues par la gauche, comme la justice sociale ou le refus de la loi du marché. Mais il peut en même temps se reconnaître dans des valeurs de droite, plus anthropologiques, comme celles qui se sont exprimées dans les manifestations contre le mariage homosexuel. Alors, élection, piège à cons ?

    ROYALISTE ET CANDIDAT AUX ÉLECTIONS

    Blandine Rossand, 53 ans, mère de trois enfants, a mené une liste sous l'étiquette Alliance royale, une formation politique fondée en 2001. Lors des municipales 2014, à Paris, dans le V' arrondissement, elle a obtenu o,6 %, 127 voix. Elle raconte : « j'ai toujours été intéressée par la vie publique. J'ai eu un engagement au RPR avant de faire le constat de l'interchangeabilité des idées des différents partis de droite ou de gauche. Par ailleurs, j'ai toujours pensé que les extrêmes n'étaient pas la solution. Et comme je ne trouve pas l'Action française très constructive, je me suis engagée dans ce tout petit parti, sans moyens, qu'est l'Alliance royale. J'en garde d'excellents souvenirs. Participer à des campagnes électorales agit comme un déclencheur de dialogue. Nous avons même été invités sur un plateau de BFM-TV Quel meilleur moyen de faire surgir la question des institutions dans le débat politique contemporain ? Sur les marchés, quand vous parlez aux gens de la monarchie, du roi, ils ne vous prennent pas du tout pour des zozos ! Au contraire, cela les intéresse, quels que soient leurs bords idéologiques. »

    ACCORDS ET DÉSACCORDS

    « Il n'y a pas plus rassembleur que l'idée royale », confirme Jean-Philippe Chauvin. Encore faut-il savoir la faire aimer à ceux qui s'y intéressent. Or, au-delà même des questions d'ego, les royalistes semblent parfois se complaire dans les désaccords théoriques et doctrinaux, ce qui n'est pas la meilleure façon de la promouvoir. Le dicton « Deux royalistes font une section, le troisième fait une scission », fait beaucoup rire dans les milieux autorisés... Cela commence par la question du prétendant qui empoisonne le royalisme français depuis les années 80. Alors que la question de la légitimité avait été réglée une fois pour toutes lors de la mort sans descendance du comte de Chambord, dernier héritier en ligne directe de Louis XV, deux branches se disputent aujourd'hui la « primogéniture » sur la couronne de France. La première, dite « légitimiste », est représentée par Louis-Alphonse de Bourbon, petit-cousin du roi d'Espagne Juan-Carlos. Pour ses partisans qui l'appellent « Louis XX », il est l'héritier naturel de la couronne en tant qu'aîné des Capétiens et descendant direct de Louis XIV. Mais l'intéressé, malgré les efforts de l'Institut de la Maison de Bourbon, peine à s'intéresser au pays de ses ancêtres. Banquier international, il vit entre l'Espagne et le Venezuela et n'a que peu de temps à consacrer aux affaires françaises.

    L'autre branche, la branche nationale dite « orléaniste », a toujours été considérée comme légitime par la majorité des royalistes français. Elle a pour représentant Henri d'Orléans, comte de Paris, et son fils le « dauphin » Jean d'Orléans, duc de Vendôme. Ce dernier s'est affirmé comme l'héritier de la Maison de France, multipliant les déplacements en France et à l'étranger et publiant un livre d'entretiens, Un Prince français, vendu à des milliers d'exemplaires. Il est soutenu par les deux principaux mouvements royalistes que sont l'Action française et la Restauration nationale (lire l'entretien avec son secrétaire général, Bernard Pascaud).

    Verra-t-on un jour le descendant de saint Louis prendre la tête de l'ensemble des mouvements et courants monarchistes ? « Ce n'est pas ce qu'ôn lui demande ! », s'exclame Jean-Philippe Chauvin qui regrette néanmoins l'actuelle discrétion des princes de la Maison de France. Un sentiment qui domine largement aujourd'hui dans les milieux royalistes : « Si les princes ne se montrent pas, l'idée royale ne peut pas prospérer alors que le terreau n'a jamais été aussi favorable. » Et le professeur d'histoire, qui a développé toute une réflexion sur l'écologie et la royauté, de rêver d'un prince se rendant en famille au Salon de l'agriculture. L'héritier des rois de France prenant le temps de sympathiser avec le « pays réel » tandis que défilent les politiques pressés, venus quémander quelques voix sous l'oeil goguenard des caméras... On imagine la portée du symbole.

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2016/08/11/qui-sont-les-royalistes-5835503.html

  • Samedi 24 septembre à Annecy : conférence sur la réinformation

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  • Pierre-Antoine Cousteau : un polémiste de génie

    L’auteur de cette biographie de RA.C, le frère du fameux commandant Cousteau, est le fils de Pierre-Antoine Cousteau (que tout le monde surnomme PAC, qui écrivit dans Rivarol de sa libération de prison en 1953 jusqu'à sa mort fin 1958), le professeur Jean-Pierre Cousteau, qui est cardiologue. On comprend à la première page du livre que, contrairement à tant de fils et filles de "collabos", lui n'a pas renié son père. Il dédie l'ouvrage notamment à Bardèche, Benoist-Méchin, Robert Brasillach, Henry Coston, Lucien Rebatet, Henri Lèbre, Saint-Paulien. Nous pouvons nous engager dans la lecture de ce formidable livre de près de 400 pages, paru chez Via Romana, en toute confiance... Dans une préface mi-figue, mi-raisin, Franz-Olivier Giesbert (étonnant que le directeur du Point ait accepté d'écrire cette préface) rappelle, plutôt horrifié, que PAC avait déclaré qu'à n'avait pas collaboré pour « limiter les dégâts » ou « sauver les meubles » mais parce qu'il souhaitait la victoire de l'Allemagne qui luttait à l'époque, « avec tous ses crimes » pour la survie de « l'homme blanc », les démocraties travaillant, selon lui, à sa fin. Difficile de le contredire quand on voit tout ce qui se passe aujourd'hui. PAC avait dit : « J'ai continué, jusqu'à mon dernier souffle, à déplorer la défaite de l'Allemagne ».

    Sa jeunesse

    PAC naquit à Paris le 18 mars 1906. Il naît dans une famille bourgeoise. Son père est fils de notaire, sa mère fille de pharmacien. Mais le père, Daniel, est un flambeur qui entamera une carrière d'aventurier collectionnant les faillites. Quant au frère aîné de Daniel, avant de se suicider sur les marches du casino de Monte-Carlo, il s'était contenté de perdre au jeu la maison et les biens de son notaire de père. Le père de PAC voyage à travers le monde. PAC est quant à lui ballotté d'un lycée à un autre. Ses résultats sont excellents. Il a droit régulièrement à des remarques telles que : « Très bon élève ». Scolarisé en 6e au lycée Corneille de Rouen, il ail ans en 1917.D affiche un patriotisme sans failles. Il écrit à sa tante : « Delenda est Germania ! Hélas, que ne puis-je suivre l'exemple de mes aînés et aller les aider à repousser le Boche loin de nos Provinces de France qu'il martyrise. » Il écrit à un oncle : « Je donnerais tout pour que papa aille au front. Je dis que c'est un affront d'avoir son père pas à la guerre quand la Patrie est en danger. » Lors de son adolescence, il se définira « catholique et français ». Ces bonnes dispositions ne dureront pas. Il raconte : « Dès mon entrée en classe de seconde à Louis-le-Grand, tout changea. Je découvris le libre examen et je m'installai avec une remarquable aisance dans la négation. » Il notera cependant : « Le conformisme du non-conformisme est un des ridicules permanents de l'adolescence », ajoutant : « Pourtant, il serait fâcheux de ne point en passer par là. Les garçons qui ne se rebellent jamais parviennent peut-être avec plus d'aisance que d'autres à l'inspection des finances et à la Légion d'honneur, mais ils traînent jusqu'à leur trépas une existence grisâtre vouée à des digestions insipides. » La philo l'ennuie et il travaille peu. Il préfère s'adonner aux sports et sera même finaliste du championnat inter-lycées du 1 500 mètres. La politique ne le passionne pas (pas encore) mais il se définit comme antimilitariste et anti-belliciste, ce qui permet de le classer à gauche, et même très à gauche. La victoire du bloc des gauches en 1924 le ravit. Il raconte : « J'exulte. La tête des types d'Action française est tordante. »

    1924-1928: Les années perdues

    Il décide d'arrêter des études qui l'ennuient et de se consacrer à des activités autrement plus passionnantes : les copains, le rugby, les jeunes filles, le charleston... Mais il faut bien vivre. En novembre 1924, son père lui trouve un poste de scribouillard. Il s'ennuie à mourir. Pendant ce temps, son frère Jacques-Yves (le futur commandant Cousteau), âgé de 14 ans, fait lui aussi des siennes. Il se fait ainsi renvoyer de Buffon où, à l'occasion d'un après-midi de colle, il avait voulu démontrer à un camarade que des noix lancées sur des vitres rebondissaient sans les casser. Vingt vitres volèrent en éclats et Jacques-Yves fut expédié manu militari par ses parents en Alsace où il fut pris en charge par un précepteur musclé qui lui permit d'intégrer in extremis Navale juste avant la limite d'âge. Quant à PAC, il devance l'appel. L'auteur raconte avec humour : « Il fera une brillante carrière dans la météo, à Mourmelon, jalonnée de permes illicites, de corvées de pluches et de séjours en prison (déjà !) » Libéré en mai (du service militaire, pas de prison !), il ne trouve pas vraiment de travail et note en janvier : « Profession : indigent. La situation financière est désespérée, je suis harassé et sans un sou. » PAC va passer quelques mois aux États-Unis, où il survit avec un travail abrutissant. Il écrit : « Je lutte toujours pour la vie et c'est loin d'être facile. Il faut que je revienne en France ou c'est l'asile à brève échéance. Je n 'ai plus qu 'une idée, revenir, et vite. »

    Les débuts de PAC dans le journalisme

    De retour en France le 3 avril 1930, il va bénéficier d'une chance inouïe. Rares sont à l'époque les Français maîtrisant parfaitement l'anglais, et encore moins l'argot américain. Un ami le recommande à Titayna (un article lui a été consacré dans un récent Rivarol). Titayna est écrivain, grand reporter à Paris-Soir, aventurière, pilote de chasse, de motos, de voitures de sport et est admirée par le Tout-Paris. Elle a accepté, on se demande pourquoi, alors qu'elle est débordée et ne maîtrise pas très bien l'anglais, de traduire en français le best-seller de l'Américain Jim Tully, Shadows of men. PAC s'attelle à la tâche. Satisfaite, Titayna lui remet une lettre de recommandation pour Jacques de Marsillac, rédacteur en chef du Journal, qui l'embauche. C'est le début de sa carrière de journaliste. Chaque nuit, PAC est au Journal. Le jour, il fait des piges pour Le Figaro de François Coty, L'Echo de Paris et même pour la presse communiste L'Humanité et Regards. PAC ne tardera pas à être nommé secrétaire de rédaction du Journal. C'est le début de son ascension. À Rome il assiste à un défilé de troupes fascistes. Son commentaire : « C'est le comble de la bêtise humaine ». Il ne va cependant pas tarder à être confronté à des journalistes très à droite, dont Claude Jeantet, André Algarron et leur maître à penser, Pierre Gaxotte. Sa tante le complimente de sa réussite. Il répond, avec ce « pessimisme souriant » qui le caractérise selon Brasillach : « Au fond nous sommes de pauvres bougres qui pissons de la copie en plats valets que nous sommes et qui nous disputons les os jetés par les riches messieurs dont nous défendons les ambitions ou la fortune. »

    Je Suis Partout

    C'est en avril 1932 que Gaxotte lui commande son premier papier pour Je Suis Partout. PAC est conquis par les idées de Gaxotte et son intelligence et abandonne les idées et les postures de gauche. Il racontera : « Ce petit bonhomme blême et malingre exerçait sur nous une véritable fascination. Et nous écoutions ses moindres propos avec ravissement. Parfois il nous scandalisait en déplorant que la France n'eût pas perdu la guerre de 1914. Puis il nous scandalisait tout autant en bouffant du Boche à la manière maurrassienne. Gaxotte façonnait littéralement nos esprits incertains, il faisait de nous des fascistes "conscients et organisés". Nous avions en lui une confiance totale. Nous étions prêts à le suivre en enfer. En fait, nous y allâmes sans lui. Le jour où il ne s'agit plus seulement de jeux de l'esprit, mais de conformer nos actes à nos idées, de mettre en pratique ses enseignements et de vivre dangereusement, Gaxotte partit sur la pointe des pieds en proclamant qu'il n'avait pas voulu cela. Ce devait être la plus cruelle déception de ma vie politique. » PAC va réaliser un grand nombre d'interviews pour Je Suis Partout, de Montherlant à Giraudoux en passant par Philippe Henriot et Jean Rostand. Il monta avec Claude Jeantet un canular qui fonctionna à merveille. Ils firent croire que le député-maire de Lyon, Edouard Herriot, en visite en URSS, avait été nommé colonel de l'armée rouge. Toute la presse et la France politique y crurent. Fureur de l'intéressé et gigantesque rigolade... Le lecteur lira dans le livre un épisode hilarant, à ne pas manquer, concernant Otto Abetz et bien sûr notre supposé colonel... PAC fera de nombreux reportages, se rendant plusieurs fois aux Etats-Unis où il dénoncera notamment la mascarade de la prohibition et le haut degré de corruption. Interviewant Roosevelt et quelques autres politiciens, il évoqua dans Je Suis Partout « Les Crétins solennels de la Démocratie ».

    PAC va cependant se spécialiser dans l'analyse des régimes totalitaires. Il se rend en Italie où il interviewe Mussolini, en Allemagne, aux frontières de la Russie, en Finlande, en Estonie, en Angleterre, etc. Il y rencontre les organisations fascistes. En 1936 il devient actionnaire de Je Suis Partout qui est devenu la propriété de ses rédacteurs. En septembre 1937, PAC assiste au congrès de Nuremberg. Il dîne avec Degrelle, Gaxotte, Rebatet, Brasillach, Doriot et dit : « La France est foutue. » L'année suivante, il se rendra à Madrid pendant la guerre civile, accompagné de Brasillach et de Bardèche. La guerre ne va pas tarder à éclater...

    La guerre

    Le 23 août 1939, PAC est mobilisé. Suivront dix mois d'ennui durant la drôle de guerre. Gaxotte, qui finira académicien, qui fut l'inspirateur du fascisme de toute l'équipe de Je Suis Partout, écrit des lettres d'amour politique à PAC. Evoquant Candide où il dispose d'une influence certaine, Gaxotte explique à PAC : « J'essaie de refouler les larves qui s'y étaient installées en grande masse »... Le même Gaxotte abandonnera honteusement, quelques mois plus tard, ses amis qu'il avait pourtant menés lui-même sur la voie du fascisme. Jean-Pierre Cousteau, le fils de PAC, l'auteur de ce magnifique livre, précise dans sa contre-dédicace au début du livre : « Ces pages ne sont pas dédiées à Charles De Gaulle, etc., ni à Pierre Gaxotte, ni à ceux qui refusèrent la demande de grâce pour Robert Brasillach. » Et puis, le 13 juin 1940, c'est la retraite dans une pagaille indescriptible : pillages par les soldats français exangues des fermiers et des villageois, et puis, direction la Thuringe en wagons à bestiaux. PAC restera quatorze mois en stalag à décharger du charbon avant d'être libéré "prématurément" : une libération due aux interventions de son épouse Fernande et de ses amis de Je Suis Partout, Alain Laubreaux et Charles Lesca ainsi que de l'ambassadeur d'Espagne José Félix de Lequerica qui, après avoir été ambassadeur d'Espagne à Vichy, le fut en 1945 à Washington. Cette libération, qui n'avait pourtant rien de scandaleux, lui fut évidemment lourdement reprochée lors de son procès.

    PAC persiste et signe

    Retour à la maison, PAC n'entre absolument pas dans la voie de le modération. Il publie plusieurs ouvrages, dont L'Amérique juive et polémique d'importance, écrivant en février 1942 : « Les Anglais bombardent Brest et Boulogne-Billancourt et la radio anglaise annonce que ce sont les Allemands. Salauds d'Anglais. » Il fuit certains journalistes (« tous des cons ») et dîne avec Rebatet qui, modéré comme d'habitude, vitupère à la fois contre Céline et « l'imbécillité des gens de Vichy ». Et puis, à l'approche de l'inexorable défaite allemande, les articles de PAC dans Je Suis Partout sont de plus en plus radicaux ; antisoviétiques, anticapitalistes, antisémites, favorables à la victoire allemande, seul obstacle à l'ennemi bolchevique. De plus, il méprise profondément Vichy et Laval. Il dira, lors de son procès : « Laval était le type même du politicien pour lequel les gens de Je Suis Partout ne pouvaient avoir que du mépris. Gangster de la politique, combinard, maquignon, instaurant à Vichy les méthodes les plus déshonorantes de l'affairisme politicien, ne s'entourant que de louches fripouilles de l'affairisme politicien, ou d'imbéciles, il nous inspirait une véritable horreur physique. » Il est vrai que PAC et Je Suis Partout cognent dur. Une manchette du journal commença tout de même à énerver Abetz et les Allemands qui interdirent la parution de l'hebdomadaire durant un mois : « Napoléon disait de Talleyrand son ministre des Affaires étrangères : c'est de la merde dans un bas de soie. Nous n'avons plus de bas de soie. »

    Crise grave à Je Suis Partout

    Mussolini venait d'être chassé du pouvoir en Italie en juillet 1943 par un coup d’État où le Grand Conseil fasciste le mit honteusement en minorité et le fit arrêter par les sbires du petit roi. On connaît l'incroyable trahison de son gendre, Ciano, qui fut son ministre des Affaires étrangères, qui fut fusillé. On sait que Skorzeny avait délivré Mussolini de sa prison au Gran Sasso avec une opération commando incroyable. Il y eut un violent conflit à Je Suis partout. Brasillach, qui était le patron, très déprimé par les événements, démissionna, disant : « Nous n'avons pas le droit d'engager nos compatriotes dans une lutte sans issue ». Réplique de PAC et des "fascistes" de Je Suis Partout : « Ceux de nos compatriotes qui ont pris parti se sont déjà engagés et si nous nous éclipsons nous serons à leurs yeux de misérables déserteurs. » Et puis, c'est la fin. Il reçoit chaque jour des menaces de mort anonymes. Il quitte Paris avec son épouse Fernande, une semaine avant l'entrée des Alliés dans Paris, dans un camion évacuant les derniers partisans de Doriot.

    PAC en Allemagne la fin

    Pierre-Antoine Cousteau va errer durant huit mois en Allemagne sans toutefois mettre les pieds à Sigmaringen, ce qui, dit l'auteur, lui épargnera sans doute les sarcasmes de Céline dans D'un château l'autre auxquels eurent droit les pensionnaires de cette étrange principauté collaborationniste. Céline raconte ainsi que, lors de l'offensive des Ardennes, tout ce beau monde préparait ses bagages dans la perspective de rentrer à Paris en triomphateurs ! PAC, cependant, ne se dégonfle pas. Il parle à Radio Paris, repliée en Allemagne. Comme on le sait, tout cela finira mal. Il y eut une tentative de fuite vers l'Italie, vouée à l'échec du fait de la débâcle fasciste, puis une tentative suisse qui échoua. Et puis, une invraisemblable saga autrichienne que les lecteurs découvriront. PAC sera bien sûr arrêté. Un épisode incroyable : la visite clandestine de son frère, Jacques-Yves (le futur commandant Cousteau, officier de marine, médaillé militaire, médaillé de la résistance qui avait rejoint De Gaulle) qui lui propose un plan d'évasion vers l'Espagne ou l'Angleterre, faux papiers à l'appui. Stupeur : PAC refuse. Il avait donné sa parole de ne pas s'évader. Le 20 décembre 1945 sera le premier jour officiel de son emprisonnement. Le dernier sera le 18 juillet 1953...

    PAC à Fresnes

    PAC est incarcéré à Fresnes le 12 janvier 1946. Il fait un froid sibérien et il ignore ce qu'est devenue son épouse Fernande (elle est en prison mais ne sera pas, comme le note son fils - l'auteur du livre - tondue...) Ce dernier rappelle cette phrase d'Einstein, pour « se calmer », dit-il : « Deux choses sont infinies, l'Univers et la bêtise humaine, mais en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas la certitude absolue. » On lira avec émotion dans ce livre quelques lettres magnifiques de PAC, notamment à son petit frère (le futur commandant), pleines d'amour fraternel (et réciproquement). Il retrouve à Fresnes Lucien Rebatet qui, dit PAC, « comme il ne peut plus faire de politique, polémique avec Dieu ». N'ayant aucune illusion sur leur sort (un article du Globe leur donne cent jours à vivre), ils lisent à voix haute les poèmes de Robert Brasillach, dont cette ode à Chénier : « Tu t'en allais vers l'échafaud, Oh mon frère au col dégrafé. » PAC écrit : « Il faut avoir été en prison pour savoir à quel point ils ont de sales gueules, de misérables gueules, les honnêtes gens. » C'est du Brassens... Et il ajoute : « Il n'y a guère qu'à Fresnes que je sois dans mon élément, avec des gens qui peuvent me lancer sans incongruité le mot dépasse du Livre de la Jungle : "Nous sommes du même sang ". Douceur de cette fraternité ». Il écrit au sujet des gens « de l'extérieur » : « Ils ne sont pas prisonniers à Fresnes. Ils sont prisonniers d'autre chose. Et souvent beaucoup plus prisonniers que moi. Prisonniers des préjugés religieux par exemple, ou prisonniers d'un étroit conformisme social dont je me sens merveilleusement affranchi, prisonniers du joujou patriotisme, des préséances, des hochets de la vanité. Tant que j'aurai la lucidité nécessaire pour réchauffer mon orgueil au brasier d'un mépris colossal, je ne crois pas que je pourrai être réellement malheureux. » Le procès est imminent. Comme le dit PAC, « Demain, ça n'existe pas ». Il n'a pas peur de ces « fantoches sanglants » et ne perd « ni le sommeil, ni l'appétit ». Il écrit : « Dans mon éthique, il n'est pas douteux que c'est l'orgueil qui est la base de toutes les actions pas trop moches que les misérables humains réussissent tout de même à accomplir par-ci par-là. L'orgueil de ne pas flancher devant tes copains, devant l'ennemi. Le courage, par exemple, ça n'existe pas. »

    Le procès

    La mascarade sanglante va débuter. Le verdict est connu d'avance : la mort. La boucherie de l'épuration a fait entre 30 et 40 000 morts (Robert Aron), et même 105 000 selon le ministre socialiste de l'Intérieur Tixier. Le procès de Je Suis Partout se déroule du 20 au 23 novembre 1946. Les trois accusés sont PAC, Rebatet et Claude Jeantet. Le frère de PAC, Jacques-Yves, se présente en uniforme d'officier de marine et décorations. Sa hiérarchie, qui lui avait intimé l'ordre de ne pas déposer en uniforme, et encore plus De Gaulle, ne lui pardonneront jamais. Sa carrière était définitivement compromise. Il ne sera jamais amiral. Et c'est ainsi que Jacques-Yves devint le fameux commandant Cousteau qui nous fit entendre le Silence de la Mer. Comme témoin à décharge, il y eut aussi le grand écrivain Jacques Perret (Le caporal épingle). Et puis... Jacques Yonnet, écrivain communiste, que j'évoquerai dans une prochaine rubrique littéraire. Il déclara devant la Cour : « Il a toujours joué franc jeu. C'était un ennemi loyal. Je lui conserve la même estime qu'il avait pour des gens d'en face. C'était un homme d'honneur ». Yonnet sera derechef exclu du Parti et traité dans l'Humanité d'espion hitléro-trotskiste... Il faut lire, dans le livre, cette admirable lettre de Yonnet à PAC. Extrait : « Je continue d'être en guerre contre une certaine espèce d'hommes. Les larves, les gluants, les pleutres. L'espèce d'en face. Un jour, Cousteau, il n'y aura plus de barricades entre nous. » Et Yonnet de conclure : « Vous êtes le gibier, je le serai un jour. Courage, et dites leur merde ». Cousteau se révèle, et de loin, le plus courageux des trois. (Cousteau, Rebatet, Jeantet) . Le journal communiste Franc-Tireur écrira : « Cousteau est un drôle dans toute l'acceptation du terme. » Ces « bouffons minutieux », ainsi qu'il l'écrira, le condamneront évidemment à mort, ainsi que Lucien Rebatet. Le 24 novembre 1946, après le verdict, direction le quartier des condamnés à mort et les chaînes de 7kg aux pieds qu'ils garderont 141 jours.

    Les chaînes, puis la grâce

    Des centaines de signatures pour réclamer la grâce de PAC : Bernanos, Galtier-Boissière, Jean Paulhan, le général de Lattre de Tasssigny, Colette, Thierry Maulnier, François Mauriac, le Père Bruckberger, et tant d'autres dont... la journaliste sympathisante communiste Geneviève Tabouis que les plus jeunes ne connaissent pas, mais dont se souviennent les anciens. Une voix radio inimitable ! Le président Auriol hésite (le vampire De Gaulle ne l'aurait pas fait) mais il gracie PAC et Rebatet. Quelques temps plus tard, PAC reçoit cette lettre de son frère, le futur commandant : « Tu as été admirable de sérénité, tu as dominé les débats de très haut, je suis, sans réserve, fier de toi ». PAC ne croit rigoureusement en rien : « La religion révélée ? Ça ne résiste pas à cinq minutes d'examen. La Patrie ? C'est un mythe pour cannibales. Le Progrès ? C'est une foutaise. L'homme des cavernes reste l'homme des cavernes malgré son fragile vernis de "civilisation". La révolution ? Elle ne fait que substituer des oppresseurs à d'autres oppresseurs. Non, on ne peut plus croire en rien, en aucun "isme" ». Donc, ajoute-t-il, pessimiste souriant, « tout cela est rigolo et, lorsque l'on a le sens de l'humour, il y a dans les

    circonstances les plus tragiques de quoi se marrer ». PAC écrira cette phrase que je ne commenterai pas : « Eh bien, il faut me rendre à l'évidence : l'imposture historique n'est pas seulement possible par le fait d'un narrateur unique. Elle est encore plus aisée grâce à l'établissement d'un mythe collectif... » PAC déclare : « Mon pays me fait mal, écrivait Robert (Brasillach). Lui au moins il n'a pas vécu pour voir cette dégringolade dans l'ignominie, dans l'abjection ». Le 10 avril 1947, PAC est gracié de même que Rebatet, mais Brinon, qui était un grand monsieur, sera massacré le 16. Il fallait bien que la hyène se repaisse... Le 30 mai 1947, PAC est transféré à Clairvaux.

    Clairvaux, une nouvelle prison

    PAC aura de nombreux moments de bonheur à Clairvaux. Il lit abondamment et découvre Rivarol, Proust, Aymé, Wilde, Shaw, Huxley, Nietzsche, Dostoïevski, Machiavel, Hemingway, Anouilh, Nimier, Jacques Laurent et tant d'autres écrivains. Il est en revanche totalement allergique à la « scatologie célinienne ». Et il n'est, c'est le moins que l'on puisse dire, pas un admirateur de Maurras pour lequel il a des mots très durs : il évoque au sujet d'un des livres du maître de Martigues un « chef-d'œuvre de la connerie transcendantale. Il y est dit que la Bastille fut prise par "une bande de malfaiteurs et d'étrangers, la plupart Allemands". Voila qui est sublime comme l'antique ». PAC, qui, comme on le sait, n'est pas « un modéré modérément courageux » (Abel Bonnard, dans Les Modérés), sulfate à tout va. Il fusille Hugo (« Il est impossible de donner à l'imbécillité une forme plus tonitruante »). Mais il lit et relit Marcel Aymé et son extraordinaire livre, Uranus, qui évoque les horreurs de la "Libération". À noter que le film, inspiré du livre, avec Depardieu et Fabrice Lucchini, est remarquable. Et puis, il se plonge dans La Volonté de puissance de Nietzsche, « s'émerveillant d'avoir pu vivre jusqu'à près de quarante-trois ans sans avoir lu ça ».

    Les années passent. Il écrit. Prisonnier mais libre : « Bien se pénétrer de cette vérité de base qu'il n'existe pas de liberté politique, qu'il n'y en a jamais eu, qu'il n'y en aura jamais et que ce qu'on appelle ainsi est une affabulation grossière, un mythe absurde et dégradant, tout juste bon pour camoufler aux yeux des débiles mentaux d'inévitables tyrannies ». Il s'autorise aussi quelques considérations audacieuses, telle : « L'oisiveté est la mère de tous les arts alors que le travail (loin d'être noble comme le prétendent les abrutis) est une malédiction qui conduit à l'appauvrissement de la personnalité et tarit le génie créateur. » Autre considération : « Ne jamais oublier qu'avant d'accéder au pouvoir, Robespierre et Lénine avaient consacré leur vie à combattre la peine de mort. » Et puis aussi, cette cruelle remarque : « Le 14 juillet 1789, Louis XVI était à la chasse. Le 27 juillet 1830 (première des Trois Glorieuses), Charles X était à la chasse. Lorsque la canaille se soulève, les Bourbons tirent sur les lapins. L'étonnant serait qu'ils n'eussent pas expié cette erreur de tir. » Autre considération, si formidablement juste : « Par tempérament on appartient à l'une des deux espèces (les fascistes et les anti-fascistes, les Blancs et les Rouges, les démocrates et les totalitaires). Hemingway, antifasciste en littérature est, morphologiquement, un fasciste authentique. Ces choses là ne se démontrent pas, elles se sentent... » et Cousteau d'ajouter : « Je sais bien quels sont les gens à qui j'aurai pu dire, tout au long de l'histoire : Nous sommes du même sang, toi et moi ». Et puis PAC continue de se lâcher contre Céline, que décidément, il n'aime pas : « C'est vraiment un accident que Céline se soit trouvé de notre côté à cause de ses malheureux pamphlets. Son œuvre est destinée à être le chantre des crasseux, des médiocres, des lâches, des ratés, bref de tous ceux vers qui va la tendresse de la conscience universelle et de Jean-Paul Sartre ». Cousteau ne pardonne pas à Céline ces propos, pas très glorieux, il est vrai : « Je n'ai jamais été antisémite (pas assez con). Je n'ai jamais fait d'antisémitisme pendant la guerre; je n'ai jamais foutu les pieds à l'ambassade allemande..

    Et voici que le cinéma fait son entrée à Clairveaux ! Laurel et Hardy ! PAC et Re-batet n'apprécient guère : « Alors c'est ça qui amuse les "hommes libres ? " Lucien et moi étions suffoqués. Il est évident que plus un "art" a un public étendu et plus il est condamné à la stupidité. Apres sept ans de Stendhal et de Voltaire on a le souffle coupé : ça n'est pas possible ! On n'en croit pas ses yeux... » Lucien Rebatet va être libéré en 1952, un an avant PAC. Immense joie mais aussi déchirement de voir partir son ami, son complice... Excellente formule de Lucien : « Les dictatures emprisonnent leurs adversaires au nom de l'ordre, les Démocraties les emprisonnent au nom de la liberté. » On ne peut pas dire que Cousteau, ce « pessimiste hilare » soit d'un formidable optimisme. Il écrit, le 18 décembre 1952 : « Devant le comportement de l'espèce humaine, le pessimisme n'est pas seulement la seule attitude tonique, la seule qui préserve des déceptions et des duperies. Et comme la vie est jalonnée de gros malheurs qui ne sauraient affecter le pessimiste puisqu'il les juge inévitables, et de petites joies qui ne manquent jamais de le surprendre, le véritable pessimiste est essentiellement un homme gai. » 1953 sera en juillet l'année de sa libération...

    Les dernières années de PAC. RIVAROL...

    PAC collabore à diverses revues, dont RIVAROL. Il y écrit notamment un article « D'un râtelier à l'autre », suite à l'interview de Céline, parue en juin 1957 dans L'Express, qui suscite la fureur de ce dernier : « Le Cousteau, tout aussi ordure, tout aussi enragé que le Sartre ». On aura compris que les deux ne s'aimaient guère. Il prédit dans RIVAROL non seulement le retour aux affaires de De Gaulle (il appelle à voter non au référendum sur la nouvelle Constitution) mais annonce aussi de manière prophétique le largage par l'homme de Colombey de l'Algérie française. Toujours dans notre hebdomadaire il annonce dans un article visionnaire, le 2 octobre 1958, l'invasion de l'Europe et de la France par des masses exotiques et évoque le risque de submersion de la race blanche.

    Cousteau est au bord de la misère et pour vivre doit reprendre son « métier carcéral » : les traductions. Ses amis, Henry Charbonneau et Henry Coston éditèrent, avant sa mort, plusieurs de ses livres, dont HugothérapieLes Lois de l'Hospitalité et Après le déluge. PAC découvrira, émerveillé, les chansons de Brassens avant de mourir, dont « La Tondue » et « Mourir pour des idées » (à redécouvrir d'urgence !). Il mourra le 17 décembre 1958 d'un cancer du colon déjà métastasé. La veille de sa mort, il confie son fils (l'auteur de ce livre) à son frère, le commandant Cousteau (qui a été admirable durant toutes ces années), dicte à Rebatet pour RIVAROL un "testament" que le lecteur découvrira dans le livre, et charge Henry Coston de ses publications posthumes. Le Monde titrera : « Fidèle à ses idées, à ses amitiés, à son passé, il avait conservé tout son talent de polémiste. » Galtier-Boissière dira : « Cousteau fut le plus grand journaliste de la collaboration; une droiture et un courage qui m'avaient vivement impressionnés. C'était un des derniers journalistes qui refusait de se coucher et de demander pardon » ; Paul Morand dira, quant à lui : « J'ai admiré sa vaillance et son talent » et Henri Lèbre dira : « Cousteau était un seigneur ». Quant à François Brigneau, il écrira : « Avec Joseph Darnand, c'est l'homme le plus courageux (physiquement et moralement) que j'aie connu ». Une foule immense l'accompagna au cimetière Montmartre où il repose.

    Robert SPIELER. Rivarol du 28 juillet au 31 août 2016

    Pierre-Antoine, l'autre Cousteau, de Jean-Pierre Cousteau, 390 pages, éditions Via Romana, 24 euros.

  • Olivier Rey : La politique n'existe plus. Elle s'est évaporée dans la « planétarisation » (2/2)

    Par Alexis Feertchak et Vincent Trémolet de Villers     

    Le philosophe et mathématicien Olivier Rey a accordé au FigaroVox [5 & 6.08] un grand entretien dont nous avons publié hier la première partieDans cette seconde partie, il expose comment le monde actuel connaît un processus de planétarisation, à dominante largement économique, où la politique se dissout. Nous n'ajouterons rien à ce déjà long entretien où beaucoup de choses essentielles sont dites. Il s'agit ici d'y réfléchir et, le cas échéant, d'en discuter tel ou tel élément, d'en débattre. Nous avons affaire ici, de toute évidence, à une critique de fond de la modernité ou postmodernité.  LFAR

    Le langage commun dit « on n'arrête pas le progrès ». Est-ce vrai ?

    Ce que désigne ici le mot progrès est le développement technique. Dans un régime capitaliste et libéral, orienté vers le profit, l'appât du gain ne cesse de stimuler ce développement, qu'on appelle désormais « innovation ». Réciproquement, toute technique susceptible de rapporter de l'argent sera mise en œuvre.

    On pourrait penser que les comités d'éthique contrecarrent le mouvement. Tel n'est pas le cas. Jacques Testart (biologiste ayant permis la naissance du premier « bébé éprouvette » en France, en 1982, et devenu depuis « critique de science », ndlr) considère que « la fonction de l'éthique institutionnelle est d'habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd'hui ». Ces comités sont là pour persuader l'opinion que les « responsables » se soucient d'éthique, et ainsi désarmer ses préventions. Quand une nouvelle technique transgressive se présente, le comité s'y oppose mais, en contrepartie, avalise d'autres techniques un tout petit peu moins nouvelles ou un tout petit peu moins transgressives. Finalement, les comités d'éthique n'arrêtent pratiquement rien, ils se contentent de mettre un peu de viscosité dans les rouages. Ils ont un rôle de temporisation et d'acclimatation.

    Dans le domaine environnemental, il y a aujourd'hui une certaine prise de conscience. Pourquoi cette prise de conscience dans le domaine écologique n'est-elle pas étendue au domaine sociétal ?

    Le lien entre la destruction des milieux naturels et certaines actions humaines est flagrant, ou à tout le moins facile à établir. En ce qui concerne la vie sociale, beaucoup s'accorderont à penser que la situation se dégrade, mais les causes de cette dégradation sont multiples et les démêler les unes des autres est une entreprise ardue. Les initiatives « sociétales » jouent certainement un rôle, mais compliqué à évaluer, d'autant plus que leurs conséquences peuvent s'amplifier au fil des générations et, de ce fait, demander du temps pour se manifester pleinement. Dans ces conditions, il est difficile de prouver les effets néfastes d'une loi et, y parviendrait-on, difficile également de faire machine arrière alors que les mœurs ont changé.

    En matière d'environnement, la France a inscrit dans sa constitution un principe de précaution : lorsqu'un dommage, quoique incertain dans l'état des connaissances, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités doivent évaluer les risques et prendre des mesures pour prévenir ce dommage. Ce principe, sitôt adopté, a été détourné de son sens : on l'invoque à tort et à travers pour de simples mesures de prudence - ce qui permet de ne pas l'appliquer là où il devrait l'être. (On parle du principe de précaution pour recommander l'installation d'une alarme sur les piscines privées, mais on oublie son existence au moment de légiférer sur les pesticides ou les perturbateurs endocriniens qui dérèglent et stérilisent la nature.) L'expression « principe de précaution » mériterait de voir son usage restreint aux cas qui le méritent vraiment. En même temps, cet usage devrait être étendu aux mesures « sociétales », dont les effets sur le milieu humain peuvent être graves et irréversibles. La charge de la preuve doit incomber à ceux qui veulent le changement, non à ceux qui s'en inquiètent.

    On parle de plus en plus souvent du clivage entre le « peuple » et les « élites ». Qui est à l'origine des lois sociétales ? Est-ce la société dans son ensemble, le droit ne faisant que s'adapter, ou sont-ce au contraire les « élites » qui tentent de changer celle-ci par le truchement du droit ?

    Je suis réservé à l'égard des partages binaires de l'humanité. Par ailleurs, il me semble que le problème central aujourd'hui tient moins à l'existence d'élites qu'au fait que les prétendues élites n'en sont pas. Je veux dire que certaines personnes occupent des places en vue ou privilégiées. Mais il suffit de les écouter parler ou d'observer leur comportement pour comprendre qu'elles constituent peut-être une caste, mais certainement pas une élite ! Le risque aussi, à opposer frontalement « peuple » et « élites », est d'exonérer trop vite le peuple de maux auquel il collabore. Par exemple, les électeurs s'indignent à juste titre que ceux qu'ils élisent trahissent leurs promesses. Mais quelqu'un qui serait à la fois sensé et sincère serait-il élu ?

    La vérité est que nous sommes tous engagés dans un gigantesque processus de planétarisation (je préfère ce terme à celui de mondialisation, car ce vers quoi nous allons n'a aucune des qualités d'ordre et d'harmonie que les Romains reconnaissaient au mundus, traduction latine du grec cosmos). S'il y avait un partage pertinent de la population à opérer, ce serait peut-être celui-ci : d'un côté les ravis de la planétarisation - en partie pour le bénéfice qu'ils en tirent à court terme, en partie par aveuglement ; de l'autre les détracteurs de la planétarisation - en partie parce qu'ils en font les frais, en partie parce qu'ils voudraient que la possibilité de mener une vie authentiquement humaine sur cette terre soit sauvegardée.

    Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens, par exemple, du « En Marche ! » d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe, l'important est d'« aller de l'avant », même si cela suppose d'accentuer encore les ravages. Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée. Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ».

    D'où est venu ce processus? Pourrait-il s'arrêter un jour ?

    On décrit souvent la modernité comme un passage de l'hétéronomie - les hommes se placent sous l'autorité de la religion et de la tradition -, à l'autonomie - les hommes se reconnaissent au présent comme les seuls maîtres à bord. Un espace infini semble alors s'ouvrir aux initiatives humaines, tant collectives qu'individuelles. Mais libérer l'individu de ses anciennes tutelles, cela signifie libérer tous les individus, et l'amalgame de cette multitude de libertés compose un monde dont personne ne contrôle l'évolution, et qui s'impose à chacun. Comme le dit l'homme du souterrain de Dostoïevski, dans une formule géniale : « Moi, je suis seul, et eux, ils sont tous ». L'individu est libre mais, à son échelle, complètement démuni face au devenir du monde. Le tragique est que c'est précisément la liberté de tous qui contribue, dans une certaine mesure, à l'impuissance de chacun. La politique se dissout dans un processus économique sans sujet. Comme l'a écrit Heidegger, nous vivons à une époque où la puissance est seule à être puissante. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde soit logé à la même enseigne : il y a ceux qui se débrouillent pour surfer sur la vague, beaucoup d'autres qui sont roulés dessous.

    Ce processus est-il maîtrisable par une restauration politique ?

    Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens, que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les « éléments de langage » destinés à le masquer, le but recherché.

    La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle. Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui outrepassent leur échelle.

    Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines.

    Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférables à quelques gros, un gros État dispose d'un avantage : il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du compte, devrait y perdre.

    Le processus inverse est-il possible ? Peut-on imaginer que la petitesse devienne la norme ?

    L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il écrivait : « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […] C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique - l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané ».

    Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements, les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur, car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités présentes, et de revenir à la vie. 

    Olivier Rey est un mathématicien et philosophe français né en 1964. Polytechnicien de formation, il est chercheur au CNRS, d'abord dans la section « mathématiques » puis, depuis 2009, dans la section « philosophie », où il est membre de l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST). Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment publié Itinéraire de l'égarement. Du rôle de la science dans l'absurdité contemporaine (éd. Le Seuil, 2003) ; Une folle solitude. Le fantasme de l'homme auto-construit (éd. Le Seuil, 2006) et Une question de taille (éd. Stock, 2014) pour lequel il a reçu le Prix Bristrol des Lumières 2014.      

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • FRATERNITÉ D’ARMES, PAR ERNST JÜNGER

    Ces hommes, dont l’existence dans le langage de l’arrière était peinte en quelques mots, comme  « camaraderie » ou  « fraternité d’armes », n’avaient rien laissé derrière eux de ce qui faisait leur vie en temps de paix. Ils étaient les mêmes, transportés dans un autre pays, transposés dans une autre existence. Ils avaient donc aussi conservé ce sens particulier qui nous permet de percevoir le visage d’autrui, son sourire ou même le son de sa voix dans la nuit, et d’en déduire un rapport entre soi-même et l’autre. 

    Professeurs et souffleurs de verre qui ensemble montaient la garde, cheminots, mécaniciens et étudiants réunis dans une patrouille, coiffeurs et paysans guettant l’attaque, assis côte à côte dans les galeries, soldats de corvée de transport de matériel, de retranchement ou de soupe, officiers et sous-officiers chuchotant dans les recoins obscurs de la tranchée – tous formaient une grande famille, où les choses n’allaient ni mieux ni plus mal, que dans n’importe quelle famille. Il y avait là de jeunes gars toujours joyeux, qu’on ne pouvait rencontrer sans rire ou sans leur adresser un mot cordial ; des natures de patriarche, la barbe longue et l’œil clair, qui savaient faire régner le respect autour d’eux et trouvaient en toute circonstance le mot juste ; des hommes du peuple robustes, d’un réalisme paisible et toujours prêts à vous aider ; d’insaisissables compères, qui disparaissaient durant les heures de travail dans des boyaux et des abris abandonnés pour fumer ou ronfler à leur aise, mais qui faisaient des miracles lors des repas et régnaient sur les heures de repos par leur verbe haut et l’aplomb de leur humour. Beaucoup étaient insignifiants, comme des post-scriptum qu’on oubliait de lire, et dont on ne remarquait l’existence qu’à la faveur du coup de feu qui y mettait fin. D’autres encore, vrais enfants du malheur, le visage déplaisant, restaient seuls dans leur coin ; ils faisaient tout sans chic, et personne ne voulait monter la garde en leur compagnie. On les affublait de sobriquets, et s’il fallait un volontaire pour une corvée exceptionnelle, comme transporter des caisses de munitions ou faire du tréfilage, c’était eux tout naturellement que le caporal désignait. Certains savaient tirer d’un ocarina des sons émouvants ou chanter un couplet lors des veillées, d’autres, à partir de cartouchières, d’éclats d’obus ou de blocs de craie, fabriquaient des objets ravissants : tous ceux-là étaient bien vus. Les différents grades étaient séparés par la muraille d’une discipline typique de l’Allemagne du Nord. Sous son emprise les contrastes s’accentuaient, les sentiments s’exacerbaient, mais ils n’éclataient que rarement au grand jour. 

    Au fond cette communauté d’armes, cette union à la vie à la mort, mettait en pleine lumière le caractère étrangement fugitif et empreint de tristesse des rapports humains. Telle une nation de moucherons ils dansaient leur ballet confus, qu’un coup de vent suffisait à disperser. Bien sûr, qu’une ration inattendue de grog arrive des cuisines, ou que l’atmosphère s’attendrisse dans la tiédeur d’un soir, et tous étaient comme des frères, rappelant même les délaissés dans leur cercle. Que l’un d’entre eux tombe au combat, et tous étaient réunis autour de son corps, échangeant de profonds et sombres regards. Mais quand la mort planait comme un orage sur la tranchée, c’était chacun pour soi ; chacun restait seul dans l’obscurité, assourdi de cris et de détonations, aveuglé par l’éclair des armes, et sans rien au cœur qu’une solitude sans limites. 

    Et quand plus tard, à midi, ils étaient accroupis sur les bancs de torchis des postes de garde et que des papillons éclatants voletaient des chardons épanouis de la campagne dévastée jusque sur la tranchée, quand les rumeurs du combat pour quelques heures trop brèves se taisaient, quand des rires étouffés répondaient à de timides plaisanteries, souvent un spectre surgissait des galeries dans la lumière ardente, fixait l’un d’entre eux de son regard livide, et lui demandait : « Pourquoi ris-tu ? Pourquoi nettoies-tu ton arme ? A quoi bon t’enfouir dans la terre comme un ver dans le cadavre ? Dès demain peut-être tout sera oublié comme le rêve d’une nuit. » Il était aisé de reconnaître ceux qu’avait visités le spectre. Ils pâlissaient, sombraient dans leurs pensées, et tandis qu’ils montaient la garde leur regard restait fixé dans la même direction que leur arme, droit vers le néant. Quand ils tombaient, il se trouvait toujours un ami pour répéter sur leur tombe l’antique dicton des soldats : « On aurait dit qu’il s’y attendait. Il était tellement changé ces derniers temps. » 

    Plus d’un aussi disparaissait brusquement ; on retrouvait dans un coin son arme, son havresac et son casque, abandonnés comme la dépouille d’une chrysalide. Des jours ou des semaines s’écoulaient avant que les gendarmes le ramènent, l’ayant arrêté dans une gare ou une taverne. Suivaient le conseil de guerre et le transfert dans un autre régiment. 

    Un de ces silencieux fut découvert un matin par ses camarades mort dans les latrines, baignant dans son sang. Son pied droit était nu, il s’avéra qu’il avait tourné son fusil vers son cœur et appuyé avec les orteils sur la gâchette. C’était juste la veille de la relève, un groupe frissonnant se tenait dans le brouillard autour de la silhouette abattue qui gisait comme un sac abandonné sur le sol gluant, mêlé de boue et de lambeaux de papier. Un goudron d’un brun foncé luisait à travers les interstices creusés par d’innombrables bottes cloutées, le sang s’écoulait comme une huile à l’éclat de rubis. Était-ce le caractère inhabituel de cette mort, dans un monde où mourir était aussi banal que le feu des armes, ou bien le lieu répugnant où elle s’était déroulée : chacun apercevait ce jour-là avec une âpreté particulière l’aura d’absurdité qui nimbe tout cadavre. 

    Enfin quelqu’un lança une remarque, comme un morceau de liège qu’on jette dans une rivière pour vérifier le courant : « En voilà un qui s’est tué par peur de la mort. Et d’autres se sont tués parce qu’on n’avait pas voulu d’eux comme volontaires. Je n’y comprends rien. » Sturm, mêlé à l’attroupement, pensait au spectre. Lui comprenait très bien que ballotté sans cesse entre la vie et la mort, un homme s’éveillât soudain comme un somnambule entre deux abîmes, et se laissât tomber. Si les étoiles immuables de l’Honneur et de la Patrie ne guidaient pas sa route, ou que son cœur ne fût pas revêtu par l’ardeur belliqueuse comme d’une cuirasse impénétrable, alors tel un mollusque, tel un amas de nerfs à vif, il se traînait sous la pluie de feu et d’acier. 

    Après tout, se dit-il, malheur à ceux qui relâchent leur tension : ici toutes les forces étaient soumises à l’épreuve du feu. Sturm était trop de son temps pour éprouver en de telles occasions de la pitié. Cependant une autre image s’imposa soudain à son esprit : un assaut de l’ennemi, après un mitraillage furieux. 

    C’était alors les meilleurs, les plus forts, qui bondissaient de leurs abris, et c’est l’élite d’entre eux que broyait en son paroxysme l’ouragan d’acier, tandis que sous terre, dans leurs galeries, les faibles tremblaient et honoraient le dicton : « Plutôt lâche que mort. » Était-ce là la juste récompense de la valeur ? 

    Oui, pour qui savait voir, il y avait ici matière à bien des réflexions singulières. Récemment encore, Sturm avait noté dans son Journal de Tranchée, qu’il tenait à la faveur des instants de repos quand la nuit était paisible : « Depuis l’invention de la morale et de la poudre à canon, le principe du choix du meilleur n’a cessé de se vider de son sens pour l’individu. On peut suivre précisément l’évolution aboutissant à déléguer peu à peu ce sens à l’organisme de l’État, qui réduit toujours plus brutalement les fonctions de l’individu à celles d’une cellule spécialisée. De nos jours un individu n’a pas de valeur en soi mais par rapport à l’État. Cette éviction systématique de toute une série de valeurs pleines de sens en elles-mêmes permet de produire des hommes incapables de vivre par eux-mêmes. L’État originel, constitué par la somme de valeurs à peu près équivalentes, possédait encore la capacité de régénération des organismes primitifs : on pouvait le dépecer sans porter gravement atteinte à ses composants individuels. Ils trouvaient bientôt moyen de fusionner de nouveau, et reconstituaient leur pôle physique dans la personne du chef, et leur pôle psychique dans celle du prêtre ou du sorcier. Au contraire, toute atteinte grave à l’État moderne menace aussi l’existence des individus, du moins de ceux qui ne tirent pas leur subsistance directement du sol, c’est-à-dire l’écrasante majorité. L’immensité du danger explique la fureur exaspérée, le jusqu’au-boutisme haletant, qui pousse l’une contre l’autre deux puissances ainsi structurées. Ce n’est plus le choc des différentes capacités individuelles, comme au temps des armes blanches, mais de deux organismes géants : capacité de production, niveau technique, industrie chimique, outils de formation, réseau de chemins de fer : voilà les forces qui se font face, invisibles, derrière l’écran des incendies de la bataille de matériel. » 

    Devant le mort, Sturm se rappela ces pensées. Voilà qu’une fois encore un individu avait élevé une protestation éclatante contre l’esclavagisme de l’État moderne. Mais l’État, telle une idole indifférente, lui passait sur le corps. 

    Cet assujettissement brutal de la vie individuelle à une volonté sans réplique apparaissait ici avec une clarté cruelle. Le combat se déroulait à une échelle grandiose, auprès de quoi le destin d’un individu n’était rien. L’immensité et la mortelle solitude du champ de bataille, la distance où frappaient les armes d’acier et la concentration de tous les mouvements de troupes dans la nuit avaient posé sur les événements comme un masque de titan, impénétrable. On s’élançait vers la mort sans voir où l’on était ; on tombait sans savoir d’où le coup venait. Depuis longtemps le tir précis selon les règles de l’art, le feu direct des canons, et avec eux le charme du duel, avaient dû céder la place au feu massif des mitrailleuses et des concentrations d’artillerie. La décision se réduisait à un simple problème mathématique : celui qui pouvait déverser la plus grande quantité de projectiles sur une surface donnée tenait la victoire. Le combat n’était que le heurt brutal de deux masses, où production et matériel s’affrontaient en une lutte sanglante. 

    Aussi les combattants, ces techniciens souterrains au service de machines meurtrières, perdaient souvent conscience des semaines durant de la réalité humaine de l’adversaire. Un tourbillon de fumée voilant prématurément le crépuscule, une motte de terre jetée sur un abri en face, par un bras invisible, un appel porté par le vent, c’était tout ce qui s’offrait aux sens en alerte. Il était compréhensible dans ces conditions que la terreur pût triompher d’un homme prisonnier des années durant de cet univers sauvage. C’était au fond le même sentiment d’absurdité qui parfois envahissait les sens accablés devant les quartiers sinistres des villes industrielles, ce sentiment d’oppression de l’âme par la masse. Et de même que les citadins se hâtaient vers le centre pour dissiper parmi les cafés, les miroirs et les lumières les ombres de leurs pensées, dans cet autre monde, par les conversations, les beuveries et d’étranges dévoiements de l’esprit, chacun cherchait à se fuir.

    Ernst JÜNGER

    Lieutenant Sturm

    http://www.theatrum-belli.com/fraternite-darmes-par-ernst-junger/