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culture et histoire - Page 1520

  • Le trésor (bien) caché des communistes français : l’affaire Gifco

    Après Urba, le Gifco, bureau d’études proche du Parti communiste français (PCF). Une dizaine d’enquêtes pénales, totalisant quarante années d’instruction, ont tourné autour de la citadelle, sans jamais pouvoir établir, à l’instar d’Urba et du PS, l’équation Gifco=PCF. « Le parti est organisé comme si la police allait débarquer le lendemain », affirme aux enquêteurs le dissident communiste toulousain Charles Llabres. Il faut dire qu’il se sait surveillé notamment par la DST, qui veut identifier les filières de « l’argent de Moscou ». 

         Le Gifco a été fondé après-guerre par d’anciens résistants rompus à la clandestinité, sous l’égide de Jacques Grosman, membre du PCF. Son activité consiste à jouer les intermédiaires entre les entreprises et les municipalités communistes, sous forme « d’assistance commerciale » - décidément. Le Gifco facture ses relations avec les élus. Dans la « banlieue rouge », c’est un intermédiaire obligé pour tout type de fournitures. Ses principaux clients sont Bouygues, la Lyonnaise et la Générale des eaux (CGE). « Ce n’est pas de l’achat de vote, mais du lobbying », justifiera un dirigeant poursuivi, Jean-Dominique Deschamps, directeur adjoint de la CGE : « J’avais besoin d’un messager pour expliquer que la Générale des eaux n’était pas l’ogre dépeint. » Aucune municipalité communiste n’a jamais délégué au privé ses services de distribution d’eau – question d’idéologie. Mais dans les villes non tenues par le PCF, certains de ses élus se sont parfois abstenus. Le rôle du Gifco a pu consister à calmer une minorité communiste agissante, voire le syndicat CGT des agents municipaux, toujours susceptible de se mettre en grève en cas de privatisation de financement politique. La litanie des affaires va mettre en première ligne la « bande à Léo » : des dirigeants du PR qui gravitent autour de François Léotard, et qui enchaînent les responsabilités ministérielles sous les première et deuxième cohabitations. Et surtout les fonds secrets qui vont avec. 

         Le 20 juillet 1995, lors d’une perquisition au siège parisien du PR, le juge d’instruction Eric Halphen découvre un coffre-fort contenant 2,4 millions de francs en liquide. Le trésorier du parti, Jean-Pierre Thomas, lui explique qu’il s’agit d’un reliquat des fonds spéciaux hérités du gouvernement Balladur, où François Léotard occupait le ministère de la Défense et Gérard Longuet le portefeuille de l’Industrie. Les billets sont mis sous scellés. Cherchant à en savoir plus, le juge Halphen se voit opposer le secret-défense. Le jour de sa perquisition, s’il avait poussé la porte du bureau de Renaud Donnedieu de Vabres, bras de François Léotard, il aurait découvert une autre montagne de billets : 5 millions de francs en liquide. Branle-bas de combat. Renaud Donnedieu de Vabres et François Léotard s’activent pour recycler ces 5 millions-là, de peur qu’on ne les saisisse à leur tour. 

         Juin 1996 : mallette en main, Donnedieu de Vabres se rend dans les locaux d’une curieuse banque franco-italienne, le Fondo sociale di cooperazione europa (FSCE), où Serge Hauchart, un autre collaborateur de Léotard, a ses entrées. Contre cette remise en espèces, le PR obtient un prêt bancaire du même montant. Un prêt bidon, puisqu’il n’a pas vocation à être remboursé. Cet échange de mauvais procédés (dépôt non déclaré contre prêt non remboursable) est typique d’une opération de blanchiment, visant à donner une apparence officielle – un prêt – à de l’argent non déclaré – un dépôt. 

         Poursuivis pour blanchiment, Léotard et Donnedieu de Vabres réfutent vivement toute accusation de recyclage « d’argent sale ». Les fonds spéciaux, de l’ordre de 400 millions de francs par an, sont alors distribués à la discrétion du gouvernement, sans contrôle parlementaire. L’essentiel est destiné à financer des opérations secrètes de la DGSE, mais un reliquat d’une cinquantaine de millions de francs est réparti par Matignon à ses ministres favoris. Sous Balladur, Léotard en était. Cet argent n’est pas sale en soi, c’est du bel et bon argent public, distribué en liasses de 500 francs directement sortis de la Banque de France. Mais son usage peut l’être. En l’occurrence, son transfert dans le coffre-fort du PR est contrainte à la loi du 19 janvier 1995, qui interdit aux partis politiques d’être financés par une personne morale. Le législateur pensait essentiellement aux entreprises, mais la loi vise également l’État, dont la mission n’est pas de financer clandestinement les partis au pouvoir. L’argent du PR est donc sale, son recyclage est du blanchiment. 

         François Léotard se défend en invoquant un usage courant : « Des centaines de ministres, des dizaines de Premiers ministres et quelques présidents de la République ont procédé ainsi. » Mais lui seul s’était fait prendre la main dans le sac. En février 2004, il est condamné à dix mois de prison avec sursis, une peine amnistiable dès la prochaine élection présidentielle. Renaud Donnedieu de Vabres écope d’une simple amende de 15 000 euros. Le tarif devait encourager les vocations de porteurs de valises... Pour peu, toutefois, qu’ils aient rang de ministre ou de future ministre. 

    Histoire secrète de la 5ème République, Renaud Lecadre

     http://www.oragesdacier.info/2014/08/le-tresor-bien-cache-des-communistes.html

  • C’était un 12 août… Fort Chabrol

    Cet épisode rocambolesque a tant marqué l’opinion qu’il a engendré une expression dans le langage courant.

    Il débuta le 12 août 1899, après que le président du Conseil Waldeck-Rousseau décida d’engager des poursuites contre les dirigeants des ligues nationalistes, accusés de complot contre la sûreté de l’État.
    Ce jour, les autorités firent arrêter des dizaines de nationalistes pour les traduire devant la Haute-Cour de justice, dont Paul Déroulède et les dirigeants de la Ligue des patriotes, ainsi que les chefs des Jeunesses royalistes.

    Mais, le président de cette dernière, Jules Guérin, refusant d’obtempérer au mandat d’amener lancé contre lui, s’était retranché avec quelques camarades dans le siège du « Grand Occident de France » (slogan : « trois poings dans la gueule »), au 51 rue de Chabrol.
    Quelques jours auparavant, Jules Guérin avait bousculé la femme du président de la République et, d’un coup de canne, aplatit le haut de forme de celui-ci.

    Quand les policiers se présentèrent pour l’arrêter rue de Chabrol, il leur lança, provocateur : « Pas question de nous rendre. Nous avons des cartouches et des armes. S’il le faut, nous ferons sauter l’immeuble ».

    Sur l’ordre de leurs chefs, les gardes républicains se contentèrent de garder l’immeuble jour et nuit, persuadés que les « insurgés » vont se rendre rapidement, faute de nourriture. C’est compter sans les nombreux sympathisants antisémites et antidreyfusards de la capitale. La résistance s’organisa, et un appartement fut loué par des amis de Guérin dans un immeuble proche d’où le ravitaillement put être lancé vers le 51 rue de Chabrol. Malgré des pertes, une quantité suffisante de nourriture parvint aux mains des rebelles.
    Et comme si cela ne suffisait pas, des colis furent jetés aux insurgés par les clients de l’omnibus à impériale qui, plusieurs fois par jour, passait dans la rue. Tout cela sous les clameurs enthousiastes de la foule venue nombreuse soutenir les Ligueurs.
    Le 20 août 1899 de violentes bagarres éclatèrent entre antisémites et révolutionnaires, aux abords de « fort Chabrol ». Tous furent refoulés par la police vers la rue Saint-Maur et c’est alors que des anarchistes saccagèrent l’église Saint-Joseph.
    Les insurgés se rendirent le 20 septembre 1899, après trente-huit jours de résistance qui déchaînèrent la presse.
    Le Sénat se constitua en Haute Cour de justice pour juger Déroulède, Guérin et soixante-cinq de leurs partisans, accusés de complot contre la sûreté de l’État.
    Déroulède et son camarade André Buffet furent condamnés à dix ans de bannissement, Guérin à dix ans de détention. Tous les autres accusés furent acquittés, sauf le monarchiste Eugène de Lur-Saluces qui, une fois arrêté, fut condamné à cinq ans de bannissement.

    Pour en savoir plus :
    Fort Chabrol, de Jean-Paul Clébert (378 pages, éditions Denoël), achetableici.

    Une émission consacrée, entre autres, à cette affaire, est en ligne ici :


    http://www.radio-resistance.com/?p=84

    http://www.contre-info.com/cetait-un-12-aout-fort-chabrol#more-14059

  • Le transhumanisme

    L'homme a toujours eu le fantasme de l'immortalité et de la jeunesse permanente. La souffrance et la maladie ont aussi été des moments que l'homme a voulu faire disparaître.

    Le transhumanisme reprendra tous ces fantasmes pour les incorporer à son programme. Mais ce courant va beaucoup plus loin car il veut réaliser ce qu'on appellera un « homme augmenté ».

    Déjà la chirurgie esthétique veut améliorer ce que la nature avait décidé ou imposé. Les hommes ont utilisé les dopants pour améliorer leurs performances physiques, sexuelles ou intellectuelles.

    Sartre a écrit son œuvre en s'aidant de dopants comme de nombreux artistes ou écrivains.

    L'utilisation de prothèses a aussi permis l'amélioration des performances sportives. Pistorius a couru plus vite que d'autres sportifs avec leurs jambes « naturelles ».

    Jusqu'à maintenant l'évolution humaine s'est faite indépendamment de la volonté des hommes. L'homme aujourd'hui peut influencer son évolution, en être maître, sortir un peu plus du singe en quelque sorte ou de l'animalité.

    Beaucoup de régimes politiques ont voulu améliorer la « race » ou l'espèce humaine, du nazisme jusqu'à la social-démocratie suédoise qui ont pratiqué l'eugénisme en favorisant les « meilleurs » et parfois en éliminant aussi. Mais l'eugénisme était encore fondé sur une base « naturelle ». Le transhumanisme veut améliorer les hommes en utilisant la technique et la science pour ceux qui dans un premier temps auront les moyens financiers.

    L'immortalité

    Il s'agit dans un premier temps d'augmenter l'espérance de vie. Les hommes ont toujours été conditionnés par notre fïnitude et particulièrement les poètes ou" le thème du vieillissement, du temps qui passe est omniprésent. «L'homme est un être-pour-la-mort» (Heidegger). Il s'agit maintenant de sortir de cette mort inéluctable et du vieillissement.

    « Personne ne veut mourir, à moins de beaucoup souffrir, sur le plan physique ou émotionnel. Je ne pense pas que la mort donne un sens à la vie sous prétexte qu'elle rend plus précieux le temps dont nous disposons. La vérité, c 'est que la mort est une prédatrice qui vide la vie de son sens. Elle détruit le savoir, les compétences et les relations humaines. Nous nous sommes construits une belle image de la mort car nous n'avons pas d'autre choix. En réalité, nous la vivons comme une tragédie, et c 'est d'après moi la bonne réaction. Ce qui donne un sens à notre vie, c 'est ce que nous en faisons » (Ray Kurzweil).

    Les religions ont existé pour nous consoler de la mort et donner des réponses à l'inéluctable.

    Pour lutter contre le vieillissement, il faudra agir sur le génome humain. Le vieillissement démarre vers 18-20 ans.

    L'allongement significatif de l'espérance de vie posera à l'humanité des défis à la fois économiques, psychologiques, philosophiques et éthiques.

    L'homme augmenté

    L'homme a augmenté ses facultés par l'outil, ensuite par les machines et les ordinateurs. Ces ajouts étaient externes à lui. L'homme hybride sera mi biologique, mi mécanique. Déjà les membres des individus amputés ont été remplacés par des jambes ou des bras technologiques. On pourra aussi intégrer des nanomachines dans le corps humain, qui corrigent les failles génétiques. Le cerveau humain a ses limites. Déjà les ordinateurs, les calculatrices, sont des prothèses de notre cerveau. Des nanorobots pourront être incorporés dans celui-ci.

    Le cerveau

    Pour Pascal, l'homme n'était rien ou misérable. Pourtant, le cerveau humain représente le summum de la complexité qui puisse exister dans l'univers. Notre cerveau est infiniment plus complexe que le soleil ou une galaxie. Nous possédons cent milliards de neurones qui peuvent être connectés entre eux. Si l'intelligence peut être définie par le degré de complexité, l'homme peut avoir une raison d'autosatisfaction. Le cerveau représente notre être, notre moi, notre psyché, notre âme pour ceux qui ont la fibre religieuse. Y toucher peut à juste titre faire peur comme le propose le transhumanisme. « L'âme et l'activité cérébrale sont une seule et même chose » (Forel).

    On peut introduire un implant dans le cerveau, une prosthèse (élément ajouté).

    Si l'on substitue à des parties de notre corps des éléments électroniques, on passe de l'homo sapiens à par exemple un « cyborg ».

    Conclusion

    Toute nouveauté ou transition technologique fait peur. L'homme a eu peur de la télévision, des machines, des ordinateurs. On assiste à une remise en question de la définition de l'homme par la théorie du genre, les nouvelles possibilités sur la procréation. Notre corps ingurgite de plus en plus de nouveaux éléments (aliments, boissons qui n'existaient pas, médicaments, etc.). La chirurgie installe dans notre corps des éléments artificiels pour palier ceux qui sont déficients. Les amputés d'accidents ou de la guerre bénéficient de prothèses de plus en plus sophistiquées. Pour des malades atteints de la maladie de Parkinson, on introduit dans le cerveau des éléments artificiels.

    Le transhumanisme critiqué par certains philosophes existe déjà. Sur le plan éthique ou moral, le plus grand danger viendra lorsque l'on interviendra sur notre cerveau. Nous deviendrons « un autre ».

    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Réformer la France : Un Etat et un chef de l'Etat

    Exclusivité du Salon Beige: la diffusion des différents articles du dossier dePolitique Magazine consacré à l'indispensable réforme nationale. Ajourd'hui, Hilaire de Crémiers.

    Les Français souffrent d’un État aussi prépotent qu’impotent et d’un chef de l’État qui n’est qu’un médiocre chef de parti et qui n’a jamais eu aucun sens de l’État.

    a Ve République est-elle encore en état de fonctionner ? Cette « monarchie républicaine » n’était forte que de sa monarchie. La dégradation de la fonction du chef de l’État est le signe avant-coureur d’une fin prochaine. Le ressort essentiel de la machine institutionnelle est, pour ainsi dire, cassé. Dans l’état actuel des choses, personne ne le restaurera. L’institution est définitivement brisée. Le meilleur homme, la meilleure femme du monde, même en déployant toutes les ressources de l’intelligence et de la volonté politiques, ne saurait rétablir, dans le cadre actuel, la force primordiale et transcendantale – même laïque ! – de l’éminente autorité régalienne – l’étymologie exprime bien la signification profonde du mot – qui dominait l’ensemble de nos institutions.

    LA FRANCE N’EST PLUS GOUVERNÉE.
    Malgré la lettre, elle relevait d’un esprit d’un autre ordre que constitutionnel ; elle venait d’ailleurs ; elle était historique et reflétait pour la France et pour le monde, bien ou mal selon les cas, l’âme de notre pays qui a, peut-être plus qu’aucun autre, toujours besoin d’un chef, et d’un chef souverain.

     

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    Paula Corbulon

  • La vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

    « Seule la vérité est révolutionnaire » proclama Antonio Gramsci, alors en rivalité avec Bordiga pour la constitution d’une force révolutionnaire authentique. Cette maxime est depuis abondamment citée (souvent à tort et à travers).

    Enrichie par les œuvres dystopiques de Georges Orwell, d’Aldous Huxley ou de Ray Bradbury, la question de la vérité est au centre des préoccupations de tous ceux qui cherchent à constituer un monde plus juste. Elle est en tout cas un principe avec lequel nous ne pouvons pas transiger.

    Or, trop nombreux sont ceux qui sacrifient ce principe pour servir leur soupe, y compris dans nos rangs.

    Le rôle de la technique accroît ce phénomène, la moindre rumeur est amplifiée par les réseaux dits « sociaux ». Ainsi tel que j’écrivais dans un article précédent : « Cette intox est emblématique de la façon dont circule l’info aujourd’hui, y compris chez les "dissidents" et dans la "réinfosphère" : une rumeur, un propos mal interprété et la viralité du web fait le reste. Ajoutez à cela l’incompétence journalistique, le besoin de buzzer, la capacité pour les uns et les autres de voir le monde comme ils aimeraient qu’il soit et non comme il est, et vous avez tous les ingrédients des « hoax », des « fake » et autres intox en tout genre. Cet avertissement doit conduire à une règle d’or : pas de commentaires à l’emporte pièce sur des faits non établis. »

    Nous pouvons reprendre cela point par point :

    L’être humain des sociétés dites « développées » est sans arrêt abreuvé d’informations s'il ne se coupe pas un tant soit peu des moyens de communication. Plus rien – ou presque – ne peut préserver quiconque de l’information. Le simple fait d’aller consulter vos mails peut vous conduire par exemple à devoir passer par une page d’accueil bourrée d’infos (et de pubs). En parallèle de cette assaut informatif, la capacité critique des individus à tendance à s'amoindrir. En effet pour pouvoir faire le tri dans cette information pléthorique sur un nombre de sujets incalculable (on passe en 10 minutes d’un crash d’avions, des terroristes du Sahel à Mme Michu qui bronze à Palavas-les-flots ou aux résultats sportifs) on convoque une armada de spécialistes qui sont là pour nous aider à y voir plus clair. On ne sait pas sur quels critères sont choisis ses spécialistes, mais ce sont eux qui font l’opinion, avec les différents journalistes qui véhiculent l’information. Ainsi tout le monde a accès à une information formatée, sans capacité de contradiction, le spécialiste étant l’autorité morale. Tout le monde connaît l’expérience de Milgram où les individus sont capables d’infliger des chocs électriques mortels parce que le scientifique leur a commandé de le faire. On a souvent tendance à y voir la « docilité » des individus face aux ordres. Mais on a tendance à oublier que cette « docilité » n’est due qu’à la confiance placée dans le spécialiste. Ainsi l’acceptation de l’information (ou son rejet) ne vient que de la confiance qu’on place dans le spécialiste, dans le journaliste, dans celui qui s’exprime.

    C’est ainsi que va naître la « réinfosphère ». Convaincus que spécialistes et journalistes sont « vendus au système », ou sont des « charlatans », un grand nombre d’individus n’accordent plus leur confiance aux médias dominants. Leur démarche s’assortit d’une volonté de « dire la vérité ». 1984 d’Orwell ou leMeilleur des Mondes d’Aldous Huxley sont convoqués, nous vivons dans un monde du mensonge, les médias nous mentent, d’où la belle expression de Michel Collon sur les « médiamensonges ». Aidées par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication », ces informations alternatives, dissidentes, différentes sont là pour réinformer et « rétablir la vérité ». Mais on omet une chose, comme l’a écrit Friedrich Nietzsche, « Il faut toujours choisir soigneusement ses ennemis parce qu’on finit par leur ressembler ». Cette citation est-elle en train de devenir une réalité dans notre mouvance ?

    En effet, pour faire contre-feu à l’écrasante domination, incontestable, des médias classiques dits « officiels », la « réinfosphère » s’arme elle aussi de ses spécialistes, de ses journalistes dissidents et de toutes ces personnes qui prétendent proclamer la « vérité vraie ». La masse de tout ceux qui ont pris conscience que le système ment, accorde donc une confiance absolue à cette « réinfosphère » avec le même panurgisme que tous les « mougeons »* qui s’informent dans les groupes de presse dirigés par Bouygues, Rothschild ou Dassaut. Or, il arrive que la « réinfosphère » soit elle-même à côté de la plaque ou travestisse la réalité. Elle finit par ressembler à son ennemi. Que ce soit dans la diffusion de l'information "à chaud" ou dans l'étalement d'approximations historiques pour ne citer que quelques exemples. 

    Au risque de recevoir les foudres de certains, le conflit en Ukraine est en train par exemple d’entacher très sérieusement la crédibilité de la « réinfosphère » et de rompre avec le principe de vérité et de réinformation. Le phénomène que je décris précédemment est en train de se produire : le manque de confiance accordé aux spécialistes du système conduit mécaniquement à accorder sa confiance à ceux qui portent une information alternative. Ainsi ceux qui ne croient pas les médias occidentaux boivent tout ce qui sort des médias « dissidents », des médias russes ou de la « réinfosphère pro-russe » comme du petit lait. Facebook, twitter, faisant le reste. C’est ainsi que le nombre de « hoax » ou de « fake » des pro-russes n’a strictement rien à envier à celui du camp d’en face. Mais comme le « mougeon » peut aussi être frappé du sceau de la dissidence, la simple affirmation de cette vérité conduit à être vu de façon suspecte. Quelques tours de passe-passe rhétorique et autres tartufferies suffisent à rétablir la « vérité qui nous arrange » et à condamner le poil à gratter.

    Parfois on en arrive donc à avoir le sentiment de se retrouver en 1947 avec la doctrine Jdanov qui opposerait d’un côté l’impérialisme fasciste capitaliste autour des Etats-Unis et de l’autre les résistants anti-impérialistes et démocratiques qui défendent la liberté des peuples autour de la Russie. Ainsi le gouvernement de Kiev (pour lequel je n’ai aucune sympathie) issu des élections, devient « la junte fasciste et putschiste » de Kiev alors que dans le même temps le référendum en Crimée organisé en quelques jours est un « formidable exemple de démocratie », le bataillon Azov aurait été détruit (il combat toujours), Dmytro Yarosh aurait été tué (il est toujours vivant) et on pourrait en aligner encore une bonne fournée. Une propagande répond à une autre. Le système se nourrit de ce spectacle, comme deux sportifs se renvoyant la balle.Les européens sont les pions du jeu d'échec americano-russe. Il serait pourtant tellement simple d’agir en présentant les points de vue pour ce qu’ils sont : des points de vue, avec toute l'importance que cela peut avoir dans la façon dont chaque partie se représente le monde, les situations ou les objets. Mais il faut éviter de tomber dans le Spectacle prétendument réinformateur confinant parfois au débilo-complotisme.

    Pour notre part, nous considérons que les Russes ont raison quand ils ont raison et qu’ils ont tort quand ils ont tort (oui je sais, c’est osé quand même…). Nous n’avons pas de gourou, mais des principes. Nous sommes d’abord attachés à la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. C'est entre autre pour cela que nous n'avons fait par exemple aucun commentaire à propos du crash de la Malaysian Airlines, puisqu'il est à l'heure actuelle impossible d'y voir clair.

    Pour être crédible il faut une déontologie et éviter le plus possible de ressembler à l’ennemi : on ne peut pas répondre au mensonge par le mensonge et au manichéisme par le manichéisme. Il faut imposer une autre voie, donner du sens à nos contemporains, déprogrammer le logiciel de la matrice pour le reprogrammer avec le notre. C’est par exemple tout le travail qu’a entrepris Méridien Zéro, loin de l’agitation ambiante, c’est aussi entre autre pour cela que nous avons un phare comme symbole : le phare éclaire en demeurant immuable, insensible au vent ou aux tempêtes...

    * mougeon: néologisme humoristique signifiant "moitié mouton, moitié pigeon".

    Jean/C.N.C

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2014/08/06/la-verite-rien-que-la-verite-et-toute-la-verite-5424062.html

  • Robert Steuckers : Entretien sur la "révolution conservatrice"

    Propos recueillis par Monika Berchvok

    Que recouvre le terme de "révolution conservatrice" ? Quelles sont les origines de cette école de pensée ?

    Ce terme, à mon sens, revêt une triple signification : il inclut 1) les prolégomènes de cette pensée organique et vitaliste qui se déploient dans une Allemagne et une Europe en pleine ascension, entre 1870-1880 et 1914; 2) elle est aussi une réaction, diverse en ses expressions, de l'Allemagne et de l'Europe après l'effondrement moral et physique dû à la première guerre mondiale; tout en étant un vœu de revenir à une excellence culturelle, partagée mais perdue; 3) elle est la résultante de la nietzschéanisation esthétique de la culture européenne, repérable dans tous les pays de notre sous-continent. Les origines de ce phénomène, divers et prolixe, se repèrent certes dans cette culture partagée, empreinte de nietzchéisme, mais elle a aussi des origines plus anciennes : les "autres lumières", celles qui dérivent de Herder et non pas d'un Aufklärung figé, rationaliste, qui donnera les idées de 1789 et les principes rigides de gouvernement à la jacobine; du romantisme, de la contre-révolution, de l'anti-modernité et de l'anti-bourgeoisisme français repérable dans la sociologie de Bonald ou dans les œuvres poétiques et littéraires de Baudelaire et de Balzac.

    Quels furent les courants idéologiques qui l'ont traversée ?

    Le 20ème siècle a été idéologique et notre après-guerre, depuis 1945, est marqué par les polarisations idéologiques de la Guerre Froide où l'on s'affirmait de "gauche" (communiste ou socialiste), libéral ou démocrate-chrétien. Ces distinctions ne sont pas vraiment de mise quand on observe les prolégomènes de la révolution conservatrice et ses expressions résolument anti-bourgeoises après 1918. Le socialisme d'avant 1914, dans l'espace intellectuel germanophone, est plus proche de ce nous pourrions définir comme "conservateur/révolutionnaire" que de la gauche actuelle : en effet, il est marqué par Schopenhauer et par Nietzsche plutôt que par Marx et par Engels. La rigidification idéologique des gauches est un phénomène qui date seulement des quelques petites années qui ont précédé la Grande Guerre. Après 1918, même la droite des diplomates, des entrepreneurs et des aristocrates admet un communisme pourvu qu'il soit national et permette une alliance tactique avec la nouvelle URSS, afin d'échapper au blocus que les alliés occidentaux imposent à l'Allemagne vaincue. Selon la définition de Destutt de Tracy, début du 19ème siècle, sous Napoléon, une idéologie est toujours une "construction" mentale, une "fabrication" (Joseph de Maistre) et non pas une expression de la vie,  qui, en tant que telle, échappe à toute définition figée puisqu'elle se modifie en permanence en tant qu'organisme vivant. Armin Mohler, qui a forgé le terme de "révolution conservatrice" tel qu'il nous interpelle aujourd'hui, distingue six courants idéologiques. C'est évidemment une classification universitaire. Il le savait. D'autant plus que dans la définition d'une "bonne politique" au sens de la révolution conservatrice, des hommes de gauche de la première décennie du 20ème siècle, comme le social-démocrate belgo-allemand Roberto Michels, vont critiquer le fonctionnement des démocraties partitocratiques en démontrant qu'elles se figent, se "bonzifient" et s'oligarchisent en perdant leur tonus nietzschéen, populaire et vital. Les déçus socialistes face à la dé-nietzschéanisation de la sociale démocratie allemande se retrouveront dans le camp fasciste en Italie (avec Michels) ou parmi les critiques "révolutionnaires/conservateurs" du fonctionnement partitocratique du système républicain de Weimar. Niekisch, lui, venait du communisme qui, comme Michels mais sous d'autres formes, refusait les "accommodements" des sociaux-démocrates. D'autres, comme les frères Jünger, seront totalement apolitiques ou viendront des ligues de la jeunesse contestatrices mais patriotes: ils refuseront toutefois, après 1918, un "système" dominé par des instances où, justement, l'oligarchisation et la bonzification, dénoncées par Michels, transformaient la société allemande (comme ailleurs en Europe) en un magma dominé par un éventail réduit, inamovible, de ritournelles idéologiques et partisanes, incapables d'apporter du neuf ou de résoudre les problèmes véritablement politiques de toute politie. Rien n'a changé, le festivisme des gay prides servant dorénavant d'addenda écoeurants à un fatras sans âme ni force.

    La figure fascinante de Moeller van den Bruck incarne l'excellence de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur son parcours ?

    L'itinéraire d'Arthur Moeller van den Bruck est effectivement fascinant: il résume toutes les interrogations de la Belle Epoque, apogée de la culture européenne avant la catastrophe de 1914. A vingt ans, en 1896, il débarque à Berlin avec sa jeune épouse, Hedda Maase. Il fréquentera les clubs littéraires les plus en vue et, modeste, il amorcera, avec Hedda, une carrière de traducteur d'œuvres littéraires et poétiques essentielles. Berlin sera sa période française et anglaise: il traduira notamment Baudelaire, avec son esthétisme anti-bourgeois, Barbey d'Aurevilly, avec sa fougue catholique et Edgar Allan Poe, que Baudelaire avait déjà traduit en français. En 1902, il débarque à Paris où il rencontre sa deuxième épouse, Lucie Kaerrick, une Germano-Balte, sujette du Tsar Nicolas II. Avec elle, il deviendra l'insigne traducteur de Dostoïevski, dont les éditions en langue allemande se succéderont jusque dans les années 60. A Berlin, il était un dandy apolitique, à Paris sa conscience politique s'éveille, non seulement grâce à l'hyperpolitisation des Français, qui ne rêvent que de revanche, mais aussi et surtout grâce à la fréquentation de Dmitri Merejkovski, écrivain russe en rébellion contre les figements de l'Empire tsariste et de l'orthodoxie du Saint-Synode, parce que ces forces, qui structurent alors la Russie, étouffent les élans religieux et mystiques. L'orthodoxie figée est aussi un avatar de l'occidentalisation de la Russie depuis Pierre le Grand: Merejkovski est donc hostile à Nicolas II non pas au nom d'une option révolutionnaire libérale, hégélienne ou marxiste mais, bien au contraire, au nom d'un radicalisme hyperconservateur. Merejkovski attend le "Troisième Testament" de l'eschatologie chrétienne, notamment celle réactivée par Joachim de Flore dans l'Italie médiévale. La notion de "Troisième Reich" chez Moeller est donc une actualisation de la vision de Joachim de Flore qui prophétisait l'avènement, après les règnes du Père et du Fils, de celui du Saint-Esprit. Merejkovski annonce aussi, pendant son exil parisien, l'avènement de Cham, incarnation de l'homonculus dégénéré par la rationalité libérale que Dostoïevski déjà avait décrit dans son œuvre. Plus tard, la révolution de la lie de la population fera monter au pouvoir le "peuple-bête" : Merejkovski, on l’aura compris, sera hostile à la révolution bolchevique dès la première heure.

     Après quatre années passées à Paris, Moeller fait le voyage en Italie où il est fasciné par l'esthétique de la Ravenne byzantine du roi ostrogoth Théodoric, qu'il met en parallèle avec les créations des architectes allemands du "Deutscher Werkbund". Sa conscience politique allemande s'éveille progressivement quand éclate la première guerre mondiale, où il servira, vu sa santé fragile, dans les officines berlinoises chargées de contrer la propagande des alliés surtout en Flandre, aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Suisse et dans les Pays Baltes. Contre les 14 points du Président américain Wilson, Moeller et ses co-équipiers des officines de contre-propagande élaborent une charte du "droit des peuples jeunes". La pensée de Moeller est dès lors marquée par cette volonté de rejuvénilisation permanente des discours et pratiques politiques, exactement comme Merejkovski voulait un rajeunissement de la mystique russe, comme la bohème berlinoise et munichoise ­ ­- que Moeller avait fréquentée entre 1896 et 1902 -  voulait une dynamisation continue de l'Allemagne wilhelminienne. Pour Merejkovski comme pour Moeller, l'Europe germanique et la Russie couraient toutes deux le risque d'un figement définitif sous l'emprise d'une pensée occidentale faite de rationalismes étriqués et de ritournelles sans substances, pareilles à celles qu'ânonne Settembrini, personnage de la Montagne magique de Thomas Mann. Le danger est permanent, comme nous le voyons encore de nos jours: le "jeune-conservatisme" doit dès lors être un militantisme permanent, visant à dissoudre les figements dans la sphère politique, artistique et littéraire.

    Après 1918, Moeller s'active dans les clubs qui préparent un réarmement moral de l'Allemagne vaincue, dans une perspective très "juvénilisante", à défaut d'être révolutionnaire au sens marxiste du terme. L'Allemagne vit alors une période de crise sans précédent: défaite, effervescence révolutionnaire, république des conseils à Munich, inflation galopante, occupation française de la Ruhr, etc. Cet effondrement général laissait augurer une révolution extrême, capable de balayer toutes les structures vermoulues du passé, héritées du wilhelminisme, et toutes les institutions libérales de la République de Weimar. Pour Moeller, la disparition de ces scories hétéroclites et sans substance permettrait l'avènement du Règne du Saint-Esprit selon l'eschatologie de Joachim de Flore, règne qui serait marqué par l'effervescence, cette fois permanente, des fleurons culturels de la Belle Epoque et de certaines de ses avant-gardes. Quand la situation s'apaise, dès que le Traité de Locarno entre en phase de négociation au printemps 1925, Moeller est déçu, tout comme les frères Jünger, car un retour à la normalité perpétuera l'emprise des scories malfaisantes sur l'Allemagne et le Règne de l'Esprit saint sera remis aux calendes grecques. Moeller se suicide. Ernst Jünger opte pour un retrait hors des grouillements nauséeux de la politique.

    Moeller van den Bruck connait une véritable renaissance en Allemagne depuis quatre ou cinq ans. Plusieurs thèses de doctorat lui ont été consacrées, alors que seules celles, excellentes, de H. J. Schwierskott (1962) et de Denis Goeldel (1984; en français) existaient jusqu'ici: aujourd'hui, nous avons les études fouillées d'André Schlüter (2010) et de Volker Weiss (2012). Le dossier Moeller n'est pas clos. Effectivement, l'avènement du Règne de l'Esprit Saint a été simplement postposé…

    Personnalité marquante, Ernst Niekisch représente à lui seul l'originalité du courant national-bolchevique. Comment percevez-vous son rôle central et atypique dans cette époque ?

    Niekisch vient du camp marxiste mais cette personnalité attachante, cet instituteur, ne représente pas seul l'option dite "nationale-bolchevique". Il a fait partie du premier gouvernement des conseils de la république bavaroise, avant que celle-ci ne soit balayée par les Corps Francs de von Epp, chers à Dominique Venner. L'échec des Conseils bavarois va l'amener, comme d'autres, à rechercher une synthèse entre nationalisme et communisme qui puisera à des sources diverses : démocratie germanique archétypale (dont l'idée sort tout droit du texte intitulé Germania de Tacite), qui peut se marier aisément avec l'idée des Conseils chère au socialiste anarchisant Landauer (tombé face aux soldats de von Epp), alliance germano-russe contre Napoléon à partir de 1813, fusion des idéaux paysans et ouvriers des socialismes et communismes allemands et russes, hostilité à l'Occident (surtout catholique et français) et au capitalisme anglo-saxon, alliance avec des peuples d'Eurasie en rébellion contre l'Ouest (Inde, Chine, monde arabe, etc.). Le rôle de Niekisch a surtout été celui d'un éditeur de revues nationales-révolutionnaires, où se sont exprimés les frères Jünger, amorçant de la sorte leur carrière littéraire. Hostile à Hitler, en qui il percevait un "catholique bavarois" allié au fascisme italien, Niekisch sera poursuivi et persécuté après 1933 et, finalement, embastillé en 1937. Cet emprisonnement lui permettra d'écrire, à mon sens, le meilleur de ses livres, Das Reich der niederen Dämonen, où l'on peut lire des dialogues entre prisonniers, des marxistes mais aussi des conservateurs "austro-fascistes", véritables témoignages des marges non-conformistes des années 20 et 30, celles qui ont été vaincues par l'histoire mais qui demeurent, néanmoins, substantielles et intéressantes. 

    Jünger et Ernst von Salomon furent associés à la "révolution conservatrice". Quelle importance ont ces écrivains proches des nationalistes révolutionnaires pour cette génération d'activistes ?

    Jünger et Salomon sont des nationalistes révolutionnaires ou, du moins, des nationalistes "soldatiques". Cette définition leur vient de leurs écrits entre 1918 et 1928 où effectivement ils ont plaidé pour un bouleversement radical de la société, qui aurait dû être apporté par des phalanges impavides d'anciens soldats altiers de la première guerre mondiale. Le coup de force brutal, perpétré par des "cerveaux hardis" (Salomon), est la seule hygiène politique à leurs yeux, la seule façon de faire de la politique proprement. Mais, comme je viens de le dire, les Traités de Locarno (1925) et de Berlin (1926) mettent un terme au chaos en Allemagne et apaisent la situation instable de l'Europe post bellum. Jünger se retire progressivement de la politique et amorce la longue suite de ses voyages à travers le monde, à la recherche d'espaces et de sociétés intacts dans un monde de plus en plus soumis à l'accélération (Beschleunigung), à la connexion et à l'éradication. Jünger devient ainsi, pourrait-on dire, un "homme-yeux" (ein Augenmensch) qui repère partout les traces d'excellence naturelle qui subissent toutefois l'inéluctable érosion engendrée par la modernité. Le repérage, auquel il s'est livré jusqu'à son dernier souffle à la veille de ses 103 ans, est une attitude conservatrice et traditionnelle mais qui, simultanément, nie ce qui est établi car tout système établi ronge les racines anthropologiques, biologiques et ontologiques des hommes, des êtres vivants et des choses. A l'Est comme à l'Ouest au temps de la Guerre Froide, pensées et idéologies hégémoniques participaient, et participent toujours sous des oripeaux autres, à cet arasement planétaire. Comme pour Moeller, les livres sur les frères Jünger, sur les fondements de leur pensée, se succèdent à un rythme effréné en Allemagne aujourd'hui, démontrant, notamment, qu'ils ont été des précurseurs de la décélération (Entschleunigung) nécessaire de nos rythmes de vie. Une pensée qui, sous tous ses aspects, n'a pas pris une ride. 

    La renaissance de la jeunesse allemande est un phénomène important de l'époque de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur la spécificité des Wandervögel et des ligues de jeunesse ?

     L'année 1896 est cruciale: Moeller arrive à Berlin et amorce sa quête dans la bohème littéraire de la capitale prussienne; Karl Fischer fonde le mouvement des lycéens randonneurs, le Wandervogel, qui cherche à arracher la jeunesse aux affres d'une urbanisation effrénée; Eugen Diederichs fonde à Iéna sa maison d'édition qui véhiculera les thèmes d'un socialisme organique et enraciné, d'une religion chrétienne adaptée aux terroirs germaniques, d'une esthétique proche des pré-raphaëlites anglais et de l'art nouveau (Jugendstil), etc. Tous cherchent à asseoir une société alternative basée sur des idéaux organiques et vivants plutôt que mécaniques et figés. Après le départ de Fischer pour les armées dans la garnison allemande de Tsing-Tao en Chine, le mouvement se structure, passe de la joyeuse anarchie contestatrice à un anti-conformisme intellectuellement bien charpenté, qui jettera les bases d'une pensée écologique profonde (avec le philosophe Ludwig Klages), d'une pédagogie avant-gardiste dans le sillage de la tradition lancée, fin du 18ème, par le Suisse Pestalozzi. Laminé par la première guerre mondiale, le mouvement de jeunesse renaît vite de ses cendres tout en se politisant davantage sous le signe du nationalisme révolutionnaire qui l'opposera, à partir de 1933, à la NSDAP qui cherchait à contrôler à son profit exclusif l'ensemble des ligues. Les mouvements des Nerother et du "dj.1.11" de Tusk (alias Eberhard Koebel) sont de loin les plus originaux, ceux qui auront organisé les raids les plus exotiques et les plus audacieux (Andes, Nouvelle-Zemble, Laponie, etc.).

    Courant aux racines anciennes, le filon "folciste" (= völkisch) est une nébuleuse de groupes et d'organisations aux frontières de la religion, de l'ésotérisme et du politique. Comment expliquer la vivacité de cette conception du monde ?

    Il a cependant été peu cartographié, même en Allemagne, a fortiori dans l'espace linguistique francophone. Il faudra s'atteler à une telle cartographie car effectivement les manifestations de ce filon sont multiples, partant parfois de la pure bouffonnerie passéiste. Disons, pour faire simple, que ce courant vise à faire du peuple rural allemand le modèle d'une anthropologie politique, comme les Germains de Tacite et des renaissancistes italiens ou comme le moujik des slavophiles. Il peut être approfondissement de l'identité allemande ou repli sur soi, à la façon des Mennonites protestants. Hitler s'en moquait dans Mein Kampf, brocardait les manies d'Himmler qui, parmi les dignitaires du futur "Troisième Reich", était le plus sensible à ce filon. Aujourd'hui les nouveaux "jeunes conservateurs" allemands s'en moquent au nom d'idéaux étatistes ou schmittiens. Disons que le filon survit officiellement dans toute l'Europe avec l'engouement, fort intéressant au demeurant, pour les archéosites consacrés aux périodes pré-romaines, celtiques ou proto-historiques. C'était là des projets des pré-folcistes d'avant 1914, de Himmler et des archéologues SS et… sont aujourd'hui des projets proposés par les syndicats d'initiative!

    L'émergence du national-socialisme sera un bouleversement sans précédent pour l'Allemagne. Quels furent les rapports de la révolution conservatrice avec ce phénomène sans précédent ?

    Il n'y a pas de rapport direct: la révolution conservatrice étant une nébuleuse de penseurs peu politisés, au sens où peu d’entre eux étaient encartés dans un parti. Généralement, les pères fondateurs ou les personnalités marquantes, mises en exergue par Mohler, dans sa thèse de doctorat sur la révolution conservatrice, n'adhèreront pas à la NSDAP (contrairement à Heidegger), sauf de très rares exceptions. Les gros bataillons de transfuges viennent plutôt des autres partis, surtout des sociaux-démocrates et, dans une moindre mesure, des démocrates-chrétiens du Zentrum. L'acceptation de la forme-parti, expression de l'ère des masses, est à mon sens déterminante pour une adhésion à la NSDAP, dès que celle-ci monte ou prend le pouvoir. Un Ernst Jünger, qui abominait la forme-parti, n'adhère pas, fidèle à son principe de jeunesse: les coups de force sont plus propres, comme ceux que préparait le Capitaine Ehrhardt, à qui il demeurera fidèle quand celui-ci sera poursuivi par la Gestapo dans les années 30. De même, le traditionaliste Edgar Julius Jung, hostile aux partis de la République de Weimar, demeure hostile à la NSDAP, alors qu'il a mené des actions musclées en 1923 contre les séparatistes rhénans quand les Français cherchaient à détacher les provinces occidentales du Reich. Seuls certains (mais pas tous!) théoriciens, économistes et sociologues du "Tat-Kreis", aux vues plus pragmatiques, passeront cum grano salis au service du nouvel Etat.

     La "nouvelle droite" européenne, dans sa diversité, est-elle l'incarnation de la postérité de la révolution conservatrice ?

    Il faut éviter les anachronismes. Nous vivons depuis les années 50 dans un monde fondamentalement différent de celui que nous avions entre 1880 et 1945. Armin Mohler exhume, début des années 50, les idées oubliées de la "révolution conservatrice" lato sensu, dans une Allemagne fédérale mutilée qui raisonne en termes de technocratie, seule idéologie pragmatique apte à assurer la marche en avant vers le "miracle économique". Il effectue ce travail d'encyclopédiste avec l'accord d'Ernst Jünger. Mais Mohler veut réactiver les idéaux nationaux-révolutionnaires du Jünger des années 20 en les maquillant en surface. Cette volonté provoque une rupture (provisoire) entre les deux hommes. En France, Giorgio Locchi, qui connaît Mohler, suggère à la rédaction de Nouvelle école un résumé succinct et pertinent de la fameuse thèse sur la révolution conservatrice. Il paraîtra dans le n°23 de la revue. En Italie, avant son décès prématuré en 1973, Adriano Romualdi initie le public de la droite radicale italienne aux thèmes majeurs de la révolution conservatrice allemande, lesquels, de toutes les façons, sont déjà traités abondamment par les universitaires de la péninsule. Alain de Benoist publie un résumé du livre de Schwierskott (cf. supra) dans le n°34 de Nouvelle école, grâce aux talents de traducteur d'un embastillé de la République. Nouvelle école publiera ensuite deux numéros, sur Jünger et sur Spengler, sans qu'on ne puisse parler d'un travail systématique d'exploration, les collaborateurs germanophones de la revue étant très rares ou rapidement évincés, comme Locchi ou moi-même. Les éditions Pardès lanceront une collection d'ouvrages, malheureusement peu vendus, qui ont failli faire crouler la maison, car aucun travail systématique fait de monographies ou d'essais didactiques n'a préparé le lecteur français, et surtout le militant politique, à bien réceptionner ces thématiques d'un âge héroïque européen, hélas bien révolu. Les thèmes de la révolution conservatrice allemande, en France comme en Italie ou en Espagne, sont surtout approfondis par des universitaires non marqués politiquement ou métapolitiquement, comme Julien Hervier, Gilbert Merlio, etc.

    (fait à Forest-Flotzenberg, juillet 2014).   

    Cet entretien a été accordé à Monika Berchvok (Rivarol) suite à la parution de l'ouvrage

    "La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis"

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/07/26/r-s-entretien-sur-la-revolution-conervatrice.html